1. La cité des anges

Par Neila
Notes de l’auteur : Ceci est le premier mouvement (arc/partie) d’une histoire qui en compte plusieurs. Vous pouvez accéder aux autres en allant sur mon profil -> https://www.plumedargent.fr/membre/neila
En espérant que la lecture vous plaise ! ^w^

C’était le solstice d’été, l’anniversaire d’Hayalee et le jour de l’année qu’elle détestait le plus.

Dans la lueur de l’aurore, les tombes blanches du cimetière scintillaient comme de la neige. Un bien beau spectacle pour un bien mauvais moment. Debout derrière ses grands-parents et sa grande sœur, Hayalee réprima un bâillement. Sa grand-mère s’accroupit avec difficulté pour déposer le bouquet d’astroemeria sur la pierre tombale. Les boucles de ses cheveux semblaient plus grises, aujourd’hui, fatiguées, comme sa voix :

— Déjà quinze ans, dit Isilna. Quinze ans que les anges ont emporté son âme pour la ramener auprès du Seigneur.

Mylina lui attrapa le bras pour l’aider à se relever. La grand-mère s’y cramponna, comme si sa petite-fille était la seule chose qui l’empêchait de s’effondrer. Mylina, elle, était droite ; digne dans sa toge d’apprentie juge, mais belle, aussi, même le visage abîmé par la tristesse.

À leurs côtés, Phylias avait ôté son béret qu’il tenait serré contre sa poitrine. Tandis que sa femme entamait une prière, il jeta un œil par-dessus son épaule et haussa un sourcil en découvrant Hayalee en retrait :

— Eh ben alors, gamine ? Tu vas rester plantée là comme un radis ?

Il leva le bras dans une invitation à laquelle Hayalee ne put résister. Elle se réfugia contre son grand-père avec plaisir. Ses yeux tombèrent sur la stèle et la joie s’évapora.

« Karïl Hélé Draïs,

994-1023

Une fille,

Une épouse,

Une mère. »

— Vous avez préparé vos lettres ? demanda Isilna après qu’elle eut fini de remercier les dix archanges.

Mylina glissa la main dans sa sacoche et en tira une jolie feuille de papier incrustée de pétales de fleur. Le cœur d’Hayalee bondit : elle n’avait rien préparé – rien qui soit digne de l’instant, en tout cas. Fouillant sa besace, elle trouva un petit rouleau de parchemin écrabouillé sous ses livres de cours.

— C’est tout ? commenta sa grand-mère en avisant le mot froissé dans la main d’Hayalee.

— On est pô tous aussi bavard que toi, dit son grand-père.

C’était toujours mieux que les trois dernières années, où Hayalee s’était contentée d’une feuille blanche. Quand les deux sœurs étaient plus jeunes, c’était une tradition réconfortante : écrire une lettre pour leur mère et la brûler pour que l’ange Lylyar porte le message jusqu’à Karïl, au paradis. Mais Hayalee ne savait plus quoi écrire. Qu’est-ce qu’on pouvait raconter à quelqu’un qu’on n’avait jamais connu ? Un peu honteuse, elle en était arrivée à brûler des parchemins vierges, sans que personne n’en sache rien. La veille au soir, elle avait à nouveau confronté la page blanche. Dans un élan, elle avait fini par inscrire un mot. Un unique mot, griffonné sur un coin de parchemin qu’elle avait ensuite jeté au fond de son sac. Elle n’avait pas sérieusement songé à le brûler, mais elle n’avait rien d’autre à disposition – à moins d’envoyer ses cours de trigonométrie à sa défunte mère ?

Mylina lui remit sa lettre soigneusement pliée et Phylias, le briquet à amadou. Hayalee s’accroupit devant la stèle et fit rouler la molette du briquet sous son pouce, provoquant des gerbes d’étincelles : une fois, deux fois et la mèche s’enflammait déjà. Pour ce qui était d’allumer le feu, Hayalee était plus rapide que n’importe qui.

Elle enflamma la lettre de sa sœur, la déposa dans le bol, sur la dalle de la tombe, puis mit le feu à son petit rouleau de parchemin qu’elle utilisa pour allumer les cierges. Une seconde, son regard s’attarda sur la flamme qui grignotait le papier en remontant vers ses doigts.

Cette nuit, elle avait rêvé que Karakha et la forêt qui l’entourait brûlaient. Elle se disputait avec sa sœur, mais une sœur qui ne ressemblait pas du tout à Mylina, avec une peau d’ébène et des yeux d’un bleu-violet surnaturel. Le monde brûlait à cause d’Hayalee et Mylina pleurait, la suppliait d’arrêter. Cette horrible dispute lui avait déchiré l’âme avant qu’elle ne chute du haut de la falaise, dans la ville en flamme.

— Tu vas te brûler, dit sa grand-mère.

Hayalee lâcha le parchemin – d’un peu trop haut. Le vent l’emporta. Glapissant, elle se précipita pour le rattraper. Son pied heurta le bol et des morceaux de lettre incandescents volèrent sur les fleurs. Deux rangées plus loin, madame Kaspia, venue allumer un cierge pour son mari, se retourna.

— Pardon ! lança Hayalee, s’empressant de ramasser les bouts de parchemin enflammés pour les remettre dans le bol avant que les astroemeria, voire le cimetière, ne prennent feu.

— Mais qu’est-ce que tu fais ? lâcha Mylina. Laisse ça, tu vas te brûler !

— Ça va, ça va ! C’est rien, je m’en occupe !

— Oh Seigneur… se lamenta Isilna tandis que Phylias éclatait de rire.

Hayalee remit les restes de lettre dans le bol et secoua le bouquet pour en ôter la cendre qu’elle tenta de balayer du revers de la main, imprimant de grosses traces noires sur la tombe auparavant blanche de sa mère. Lorsqu’elle se redressa, catastrophée, sa grand-mère lui prit les poignets pour examiner ses paumes, épousseta son pantalon et sa tunique :

— Tu es couverte de suie ! Mais que Rilsilyar vienne en aide à cette petite ! Tu ne t’es pas fait mal, au moins ?

— J’ai rien, assura Hayalee en essayant d’échapper aux mains envahissantes de sa grand-mère.

— Eh beh ! s’exclama son grand-père. Elle nous aura fait un sacré cadeau, notre Karïl, avant de partir !

Il ébouriffa les cheveux d’Hayalee. Mylina roula des yeux, un sourire affligé sur le visage. Une fois n’était pas coutume, Hayalee avait ruiné l’instant. Si sa famille semblait prête à lui pardonner, ça n’était pas le cas de leur voisine. Madame Kaspia les fixait d’un regard réprobateur.

— Belle journée, hein ? lança Phylias d’un ton joyeux.

Offusquée, la vieille femme ramassa son panier et quitta le cimetière en marmonnant sur leur manque de respect.

— Oh ben tient. C’est nous les malpropres ! Tu sais quoi gamine ? La prochaine fois, mets donc le feu à la tombe de son couillon de mari.

— Phylias !

Mylina dissimula son sourire dans son foulard et Hayalee rigola.

— Quoi ? fit leur grand-père. Cette vieille chouette est la reine des hypocrites. Quand il était vivant, elle pouvait pas se tenir à cinq pas de son bonhomme sans lui envoyer des vacheries. Maintenant qu’il est six pieds sous terre, elle lui allume des bougies.

— Mais tais-toi donc. Quand Dieu t’aura rappelé, moi aussi je viendrais allumer des cierges et t’apporter des fleurs, malgré toutes les méchancetés qui sortent de ta bouche.

— Oh là. Faut pas te donner cette peine. Qu’est-ce que tu voudrais que j’en fiche, de tes fleurs, d’abord ?

— C’est comme ça. Quand on est marié, on doit être là l’un pour l’autre, dans la vie comme dans la mort.

Phylias ricana :

— Va dire ça à ton gendre.

La phrase eut l’effet dévastateur et tétanisant d’un coup de foudre. Plus d’amusement dans l’air ni sur les visages. Le nez toujours enfoui dans son foulard, Mylina fixait le sol, immobile et pâle. Ses prunelles ardoises exprimaient un mélange d’émotions qu’aucun mot n’aurait pu retranscrire. Leur grand-père serrait son béret comme le cou qu’il rêvait d’étrangler et leur grand-mère frémit, lèvres pincées ; étroitement scellées sur toutes ces choses qu’elle se refusait de prononcer.

Si les oiseaux continuaient de chanter, Hayalee ne les entendait plus. Le souffle coupé, elle espérait, autant qu’elle redoutait. Que ses grands-parents et sa sœur vident leur sac. Que tout soit dit. Sans y penser, elle passa une main au bas de ses reins et frotta la peau à travers le tissu.

— Cette espèce de lâche… grommela Phylias.

— Il faut qu’on y aille, dit Mylina avec une sécheresse qui ne lui ressemblait pas. Viens, Hayalee.

Mais Hayalee ne voulait plus s’en aller. Pas maintenant qu’il s’était invité dans la conversation. Elle ouvrit la bouche pour surenchérir, ne pas laisser le sujet s’échapper une fois de plus, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Les lèvres ridées d’Isilna se tendirent dans une ébauche de sourire et les larmes au coin de ses petits yeux bleus débordèrent.

— Filez donc, dit-elle en prenant le visage d’Hayalee entre ses mains. Vous allez être en retard. Il y aura du rôti de mùflon, ce soir, comme tu aimes. Et je vais te préparer un gâteau.

Hayalee se força à sourire sous les caresses de sa grand-mère qui finit par l’engloutir dans ses bras. Comment lui faire comprendre ? Ce n’était pas de recueillement ou de gâteau dont elle avait besoin.

— Bon anniversaire, souffla Isilna en déposant un baiser mouillé sur la joue de sa petite-fille.

La cloche de l’église sonna.

— Dépêche-toi, la pressa Mylina. C’est l’heure.

Hayalee s’arracha à l’étreinte de sa grand-mère, récupéra son sac et emboîta le pas à sa sœur, mais elle ne s’avouait pas vaincue.

Ce soir, elle briserait le tabou. Tant pis si leurs grands-parents se disputaient, si Mylina hurlait et si leur grand-mère se mettait à pleurer. Hayalee avait besoin de savoir qui était leur père. Quel était son nom complet ? À quoi ressemblait-il ? Que faisait-il dans la vie ? Comment avait-il rencontré leur mère ?

Surtout, elle avait besoin de savoir s’il était parti à cause d’elle.

 

Mylina et Hayalee quittèrent le cimetière sans échanger un mot. À l’est, le soleil dardait ses rayons, effleurant les toits ronds des maisons, se faufilant dans les rues et ricochant sur les dalles. Le surnom qu'on donnait à la cité prendrait bientôt tout son sens. Bâtie de bas en haut dans une pierre rugueuse d'un blanc éclatant, Karakha, la Ville Lumière, en devenait presque éblouissante lorsque le soleil rayonnait au plus haut de sa course.

Mylina avait pris la direction du centre-ville et marchait d’un pas pressé qu’Hayalee peinait à suivre. Aigles géants et chevaux filaient dans le ciel tandis que dans les ruelles, les habitants s'activaient déjà. Les commerçants se préparaient à ouvrir boutique ; mùlocks, baudets et charrettes se croisaient pour acheminer nourriture, marchandises et travailleurs à destination ; hommes et femmes se retrouvaient autour des lavoirs et des fontaines qui chantaient à chaque coin de rue et les volets avaient été repoussés contre les façades des maisons. La ville s'éveillait petit à petit, se gonflant d'une effervescence mesurée et joyeuse.

Tout ça glissait sur les deux sœurs sans parvenir à crever la bulle de froid et de silence qui les enfermait. Hayalee ne cessait de jeter des coups d’œil au profil de Mylina. Sous le soleil, ses boucles blond foncé brillaient comme des fils d’or. Elles tombaient vers le bout de son petit nez rond, effleurant ses joues roses tandis qu’elle gardait le visage baissé, les yeux résolument braqués sur le sol. Hayalee trouva le courage d’ouvrir la bouche lorsqu’elles franchirent le Huitième cercle.

— Tu seras là, ce soir ?

Mylina releva la tête comme si elle sortait d’une rêverie – ou plutôt d’un cauchemar. Dans ses prunelles, les fantômes parurent s’estomper.

— Bien sûr.

— Mais tu seras de retour à temps pour le dîner ?

— Eh bien… je dois assister à une audience cet après-midi.

Hayalee acquiesça avec raideur, s’efforçant de ne pas avoir l’air trop déçue. Sa sœur était une apprentie juge de troisième cycle. Les formations pour intégrer le monde des procédures judiciaires comptaient parmi les plus sélectives du pays et Mylina avait sué sang et eau pour en arriver là. L’anniversaire d’Hayalee était bien peu de chose en comparaison.

— Ça ne devrait pas finir trop tard, assura Mylina. Avec des charges comme entrave à la justice, association de malfaiteurs et agression d'un membre des forces de l'ordre, les juges ne tergiverseront pas…

— Il va être réprouvé ?

— C’est certain. Reste à savoir s’il sera envoyé dans les champs ou aux camps.

C’était le minimum, pour se racheter de ses crimes. Si l’affaire était classée aussi vite que Mylina le prétendait, il y avait un espoir qu’elle soit là pour la fête. Fête qu’Hayalee prévoyait de gâcher. Valait-il mieux aborder le sujet avant que sa grande sœur ne rentre… ? Hayalee redoutait sa réaction plus qu’aucune autre. Mais pouvait-elle compter sur ses grands-parents pour répondre à ses questions ? Isilna avait la fâcheuse manie de déformer la vérité, de ne se souvenir que de ce qui allait dans le sens de ses croyances. Quant à Phylias, c’était un horrible taiseux lorsqu’il s’agissait de remuer les histoires de famille.

— Tu devrais inviter des amis, dit Mylina.

— Hein ? lâcha Hayalee. Oh, euh… je préférerais qu’on reste en famille.

Ce n’était qu’à moitié vrai.

— Ça veut dire que Ludwig ne pourra pas passer t’apporter ton cadeau ?

— Il a un cadeau pour moi ? Qu’est-ce que c’est ?

— Tu verras bien, éluda Mylina avec un sourire mutin.

Enfin, elle retrouvait le sourire. Évidemment, dès qu’il était question de Ludwig…

— Son bâton de veilleur ? suggéra Hayalee.

Chaque fois que Ludwig se présentait dans son uniforme et fanfaronnait avec son arme de fonction, Hayalee s’amusait à essayer de la lui voler. Mylina hocha la tête dans une attitude consternée, mais la fossette au coin de sa bouche ne trompait pas : elle adorait voir Ludwig et Hayalee se taquiner comme un grand frère et sa petite sœur.

— Un bracelet de fiançailles alors ?

— Quoi ? s’étrangla Mylina.

— Pour toi, précisa Hayalee.

Sa sœur détourna le regard, les joues un peu plus rouges.

— Arrête de dire des bêtises. Il est avec Félis, s’il y a quelqu’un qu’il doit demander en mariage, c’est lui.

— Mouais… J’ai pas l’impression qu’il en ait tant envie que ça. En tout cas, on sait que c’est pas vraiment pour moi qu’il veut passer ce soir.

Mylina balança son sac pour lui en mettre un coup, obligeant Hayalee à faire un écart qui l’emmena flirter avec le bord du canal qu’elles longeaient.

— Fais attention, eut l’audace de dire sa sœur, tu vas encore tomber dedans.

— Ta faute !

Mais Hayalee aurait volontiers fait la roue et sauté à l’eau si ça avait pu éviter que le sourire de Mylina ne se fane. À quel point lui en voudrait-elle, ce soir… ?

— Tu as réfléchi pour te trouver un instructeur ? demanda Mylina, soudain sérieuse.

Hayalee grimaça.

— Les noviciats d’été commencent le mois prochain ! dit Mylina. Tu devrais déjà avoir trouvé un métier à observer !

— Ça va, pas la peine de crier ! Je m’en occupe… cette décade.

— Tu as des idées ?

— Je pourrais essayer le Palais de Justice ? dit Hayalee, évitant soigneusement le regard sévère qu’elle sentait peser sur elle. Peut-être que je pourrais t’observer, toi ?

— Je suis encore en formation, ce n’est pas moi que tu suivras. Et puis c’est trop tard pour cet été, la liste des novices est déjà complète.

— Ah.

— Le droit, ça ne t’intéresse pas, de toute façon ?

Hayalee haussa les épaules. Ça semblait ennuyeux, oui. Au-delà de ça, elle ne possédait pas le talent pour envisager ce genre de carrière. Du talent, elle n’en possédait aucun dans aucun domaine, qu’il soit manuel, artistique ou cérébral. Elles ralentirent devant le pont où leurs routes se séparaient.

— Je pourrais peut-être intégrer l’armée, dit Hayalee, devenir soldate ?

Mylina hoqueta de rire, puis se reprit en avisant l’expression outrée de sa sœur.

— Tu es sérieuse, réalisa-t-elle.

— Oui.

— Grand-père ne va pas aimer.

— Maman était bien soldate, non ?

— Et ça ne lui a jamais plu. C’est un métier difficile et parfois dangereux.

— C’est un métier utile. Les soldats défendent les gens et le pays.

— Il faudrait déjà que tu arrives à courir sans attraper un point de côté.

Ce fut la moquerie de trop pour l’orgueil – peut-être un peu fragile – d’Hayalee, qui se détourna et s’engagea sur le pont sans un au revoir.

— Oh, Leelee ! Ne le prend pas comme ça, c’était juste une plaisanterie !

Mylina pressa le pas pour la rattraper par le coude et Hayalee consentit à se retourner.

— Tu ne vas pas bouder le jour de ton anniversaire ?

— Ce serait tellement dommage.

La tristesse voila à nouveau les beaux yeux de Mylina et Hayalee regretta aussitôt son attitude. De toute façon, elle se fichait bien des noviciats.

— Je serai là, ce soir, promit Mylina.

Elle referma les bras autour de sa petite sœur et cette dernière accepta l’étreinte ; s’y réfugia, à vrai dire.

— Mylina… murmura Hayalee, au creux de son épaule. Ce soir… est-ce qu’on pourrait… parler ?

Silence.

— On verra.

Mylina déposa un baiser sur sa joue et, avec un dernier sourire qui n’avait rien d’heureux, s’éloigna. Le cœur lourd, Hayalee resta plantée au milieu du pont quelques secondes avant de se décider à partir de son côté. Si elle traînait davantage, elle allait être en retard – et de corvée de nettoyage.

Peut-être valait-il mieux renoncer à parler de leur père ? Sa sœur allait tellement lui en vouloir… Et pour quoi ? Il était parti. Il ne méritait pas qu’on s’intéresse à lui. Hayalee ne s’intéressait pas à lui, d’ailleurs. Simplement, elle avait besoin de comprendre pour mieux tirer un trait.

Elle passait aux abords d'une bâtisse qui s’était effondrée quelques jours plus tôt, vaincue par l'usure, quand des éclats de voix attirèrent son attention. Un groupe de travailleurs était occupé à dégager les gravats qui avaient débordé sur la chaussée. Ce n’était pas des citoyens ordinaires, mais des réprouvés, comme en témoignait la griffe verticale marquée au fer rouge sur leur joue et les chaînes à leurs chevilles.

L’un d’eux releva les yeux et croisa le regard d’Hayalee. Elle sourit, par politesse. L’homme ne lui rendit pas son sourire, loin de là. Son expression s'assombrit un peu plus, si possible. Imitant les passants, Hayalee tourna la tête et allongea la foulée, redoutant malgré elle que le criminel cède à la tentation de lui mettre un coup de pelle. Ce qui n'aurait pas été judicieux, avec les soldats chargés de les superviser à deux pas de là. Quand bien même, il fallait rester vigilant avec les réprouvés. Certains pouvaient être dangereux.

Les épaules d'Hayalee se relâchèrent une fois qu'elle eut tourné à l'angle. Elle laissa passer un baudet au dos croulant sous les pommes de terre, puis traversa la rue pour regagner l'académie des quartiers sud-ouest.

C’était un joli bâtiment ovale, haut de trois étages, abritant un patio dans lequel Hayalee pénétra en passant sous une imposante arche.

Un attroupement s'était formé au centre de la cour. La masse grossissait de seconde en seconde à mesure que les nouveaux arrivants approchaient, poussés par la curiosité. Serrés les uns contre les autres, les enfants chuchotaient avec empressement, les yeux rivés sur un même point. Que regardaient-ils, comme ça ? Avançant sur l'allée de gravillons qui scindait la cour en deux, Hayalee capta les murmures d'un groupe de première année :

— Tu sais qui a fait ça ?

— Non, mais j'aimerais pas être à sa place… Tu crois qu'ils vont le renvoyer ?

— P'têt même pire…

De plus en plus intriguée, elle se fraya un chemin à travers la foule, mais n'eut pas besoin d'avancer beaucoup pour voir de quoi il retournait.

Au centre du patio, la statue grandeur nature de Kahilyar, l'ange du Savoir, avait été vandalisée. Quelqu'un avait gribouillé sur le front de l'archange, sur ses trois paires d'ailes, ses bras, sa toge, sur le livre qu'il tenait à la main et même sur son socle. Partout, un unique mot grossièrement tracé au charbon de bois s'étalait sous les regards ahuris des élèves comme une accusation qui glaça le sang d'Hayalee.

« Mensonge »

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Arnault Sarment
Posté le 16/12/2024
Très bon incipit qui nous met en place, en quelques lignes, une ambiance familiale très crédible ! Le mystère sur les origines d'Hayalee fonctionne déjà et quelques indices sont aussi disponibles sur l'univers. J'accroche beaucoup à la personnalité d'Hayalee dans son rôle d'ado attendrissante mais pas parfaite.
Neila
Posté le 16/12/2024
Oh, merci. ☺️
C'est vraiment gentil de venir jeter un œil, mais ne te sens pas obligé de me rendre la pareille hein. 😳 Enfin, si jamais ce n'est pas ta tasse de thé quoi. On est sur de la fantasy beaucoup plus jeunesse et donc beaucoup plus simple que ce que tu écris. 😅

J'ai commencé à imaginer et écrire cette histoire quand j'étais très jeune. Comme elle me tient à cœur, j'ai préféré réécrire (3/4 fois) plutôt que tout jeter, mais bon. Il y a peut-être des imperfections trop profondément enracinées dans l'univers et le scénario pour être rattrapables. 🤷 Tout ça pour dire, si tu persévères dans la lecture, faut pas hésiter à pointer tout ce qui pourrait encore être amélioré. Surtout que comme tu peux le constater, j'ai pas eu de retour (autre que celui de mes proches) sur cette toute dernière version, donc voilà. 🙏

En tout cas, merci beaucoup pour ce retour !
Vous lisez