1. La danse de la cathédrale

Par Dédé

Ce soir-là, Enola et sa petite sœur Romane jouent à la marelle sur la grand-place.

L'une comme l'autre apprécient ce moment entre sœurs, à la nuit tombée. Leurs parents les laissent souvent jouer dehors quelques minutes, le temps que le journal télévisé se termine.

— Un, deux, trois... Eno, c'est à toi !

La plus jeune des deux, vêtue d'une robe gris clair, joue avec ses belles bouclettes blondes, en attendant que sa grande sœur termine son tour. Enola sautille sur le parcours qu'elles ont tracé à la craie. La petite fille s'arrête. Elle n'a pas terminé le jeu. Elle ne bouge plus. Quelque chose a attiré son attention alors que la nuit s'assombrit au fil du temps.

La nuit est silencieuse, malgré l'air lourd qui laisse à penser qu'un orage approche. Le silence est rompu par un grand bruit métallique.

Romane a entendu, elle aussi.

Par réflexe, elles tournent la tête vers le vacarme.

La porte de la cathédrale s'est ouverte. Pourtant, elle est toujours fermée à cette heure-ci.

Poussées par la curiosité de ce phénomène inhabituel, elles s'approchent à petits pas.

Dans le silence de la nuit, on entend les sandales d'Enola claquer le sol et la respiration légèrement accélérée de sa petite sœur.

Les deux fillettes se regardent du coin de l’œil avec insistance.

— On peut rentrer, tu crois ? se demande Romane.

En guise de réponse, Enola hausse les épaules et s'avance. Plusieurs bougies viennent contrer l'obscurité envahissante de la cathédrale.

Romane la rejoint. Malgré sa peur, elle ne voit pas pourquoi sa sœur peut s'aventurer à l'intérieur et pas elle.

— Il y a quelqu'un, à ton avis ? s'inquiète la petite fille, en chuchotant le plus possible.

— Chut ! J'en sais rien...

Une lumière bleutée éclaire le fond de la pièce.

Les deux enfants en oublient leurs appréhensions et suivent naturellement ces éclats envoûtants.

— Cette lumière... Elle est si belle, admire Enola.

— C’est pas normal que la porte se soit ouverte toute seule, si ?

La pancarte «Entrée interdite» encore accrochée sur ladite porte lève toute ambiguïté. Enola ne peut se défaire du beau spectacle lumineux qui se déroule devant elle.

— Qu'est-ce qui peut bien être dangereux dans une cathédrale ?

— C'est pas dangereux, une cathédrale, si ? veut se rassurer Romane.

— Pas dangereux du tout.

Cette déclaration lui ôtant tous ses doutes et tout sentiment de culpabilité, Enola finit de pousser la porte qui s’était déjà ouverte, usant de toutes ses forces.

La lumière bleue est encore plus belle, une fois la porte grande ouverte. Elle se promène à travers les vitraux, les arcs, les voûtes.

Quand les deux sœurs pénètrent dans ce lieu sacré, quelques bougies surplombent ce nouveau recoin de la cathédrale. Elles paraissent futiles en comparaison au bleu de l'extérieur.

Enola et Romane connaissent les environs. Elles ont l'habitude de jouer dehors à cette heure-ci. Pourtant, elles n'ont jamais vu un tel éclairage auparavant.

— C'est magnifique ! s'extasie Enola.

— C'est trop beau ! se réjouit sa sœur.

L'éclairage naturel de la pièce met en valeur deux statues de plusieurs mètres, recouvertes d'un drap transparent.

En s'approchant un peu, Romane voit que chacune d'entre elles représente une femme. Enola n'y prête que peu d'attention, tant elle est subjuguée par la beauté du lieu, son charme poétique.

Instinctivement, elle se met à danser. Elle agite gracieusement ses mains dans toutes les directions. Son corps se meut au rythme d'une douce mélodie silencieuse.

Romane, dans un premier temps, regarde, d'un air ébahi, sa sœur se transformer en danseuse étoile sous ses yeux. Puis, prise dans cet élan artistique, elle n'hésite pas longtemps avant de rejoindre sa sœur. Ensemble, elles forment un duo dans lequel elles effectuent des mouvements tantôt synchronisés, tantôt à l'opposé l'une de l'autre.

Aucune des deux ne remarque qu'une nouvelle couleur s'est emparée de la pièce.

Les statues sous les draps.

Quatre yeux d'un violet vif se sont comme allumés dans la pénombre bleutée.

Les deux femmes en pierre ont été réveillées par l'intrusion de ces deux fillettes.

Leurs pas de danse ont fait trembler le sol, suffisamment pour sortir les créatures de leur sommeil. Comme toujours au réveil, elles grognent. Toutes les portes de la cathédrale se referment d'un coup sec.

Les sœurs n'ont pas encore compris qu'elles sont enfermées.

Les statues réveillées grognent. Elles ont faim.

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Nanouchka
Posté le 06/01/2024
Wow. C’est terrifiant en si peu de mots. Je me suis recroquevillée sur ma chaise à la fin. Je ne saurais pas expliquer pourquoi mais des statues qui ont faim, ça fait ultra peur.
Seule chose que je me demande : est-ce que c’était intentionnel de ne pas différencier les deux sœurs ? Sinon, j’ai eu l’impression qu’avec deux-trois détails sur des réactions/dialogues, il y a la possibilité de les démarquer l’une de l’autre sans rallonger le texte.
Dédé
Posté le 22/10/2024
Je dois avouer que non, ce n'était pas forcément intentionnel. Il faudrait, en effet, que je retravaille ce point. Merci de l'avoir relevé !
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