2. L'Eau-Delà

Par Dédé

Nulle part, je n’ai entendu parler d’un tel endroit. Cette forêt si calme et déserte. Trop déserte.

D’après le panneau que j’ai trouvé à l’entrée, elle a un nom, cette forêt. La forêt de la Dame-Oiseau.

Je n’ai jamais vu autant de verdure, autant de rayons de soleil. Ce vert éblouit mes yeux. Je ne me sens pas agressée par la lumière. Au contraire, c’est agréable.

Je suis au milieu d’arbres imposants qui font dix à vingt fois ma taille. Je me sens toute petite, perdue au milieu de l’immensité. Cela ne m’angoisse pas.

Je m’avance, en ralentissant souvent ma cadence. Pour autant, je ne m’arrête pas. Je n’ai pas peur de m’enfoncer dans ces bois. Je me sens en sécurité, comme chez moi. J’ai l’impression de flotter à un millimètre du sol. Je n’ai pas chaud malgré les rayons du soleil qui inondent le lieu. J’ai perdu toute la notion du temps. Comme si le temps lui-même avait disparu. C’est très étrange…

Un panneau directionnel.

J’ignore où il peut emmener. Je suis quand même très curieuse. Je tourne à gauche comme indiqué sur le panneau flottant devant un des troncs d’arbres. Je continue tout droit, je tourne vers la gauche. Puis, à droite, de nouveau tout droit sur une centaine de mètres. Encore à droite, vers un chemin assez pentu et enfin, à gauche.

Un point d’eau.

Je me rends compte que je n’ai pas soif. Ni faim. Je ne me sens même pas fatiguée d’avoir autant marché.

— Bienvenue ! chantonne une petite voix derrière moi.

Je me retourne, par réflexe.

Je ne suis donc pas seule. Cette idée ne m’inquiète pas vraiment. Ni même l’étrange figure que je suis forcée d’associer à la voix.

Une femme qui semble porter comme un grand rideau de soie en guise de vêtement. Mais ce qui est supposé m’étonner, c’est son châle violacé et son collier de fleurs posés sur sa tête d’oiseau. Oui, sa tête d’oiseau. Cette découverte ne me fait ni chaud ni froid.

— Voici la porte de mon purgatoire. Elle vous mènera tout droit à l’Eau-Delà. Ici, la nature me transmet tous ses trépassés. Derrière cette porte, se trouvent le bonheur et l’ultime quiétude. N’ayez crainte.

Je ne ressens aucune peur. Je n’ai pas envie non plus de franchir la porte. Pourquoi le devrai-je ?

— Vous avez admirablement lutté pour votre survie. Votre force... C’est admirable ! Mais hélas, la nature en a décidé autrement. Peut-être pour vous éviter de souffrir davantage...

De quoi parle-t-elle ? C’est comme si elle parlait d’une autre personne. Ce n’est pas moi. Il doit y avoir erreur.

Je ne me souviens pas d’une quelconque lutte, d’avoir souffert. En y réfléchissant bien, je ne me souviens de rien. Pas même de mon nom. Juste de l’entrée dans la forêt. Avant cela, c’est le trou noir.

— Vous ne vous en souvenez sans doute pas. Vous avez passé une grande partie de votre vie à tenter de vaincre la maladie. Vous aviez gagné la première manche. Hélas, la rechute a été très dure. Vous étiez à bout de force. Vous n’en pouviez plus. La maladie a fini par gagner.

Je sens que mes jambes veulent se déplacer, s’éloigner de cet endroit. Mais, elles ne me répondent plus.

La Dame-Oiseau ouvre le grand rideau de soie. Je m’attends à voir le reste de son corps d’oiseau. Au lieu de cela, je remarque que l’ouverture donne vers un nouveau paysage.

Un ciel immense, calme, peuplé de nuages à la fois doux et immobiles.

Le silence du ciel m’appelle à lui.

La Dame-Oiseau chantonne ou fredonne. Peu importe ce qu’elle fait. Il semble que ses bruits lui servent à m’attirer jusqu’au ciel. Si j’en crois ses dires, je suis morte et je dois m’en aller.

Le vent souffle.

La mélodie de la femme prend de l’ampleur.

Le vent s’intensifie. La Dame-Oiseau s’en contrarie.

— Elle doit aller dans l’Eau-Delà. Je suis désolée... Vous ne pouvez pas la reprendre ! affirme-elle en s’adressant à un tronc d’arbre près d’elle.

Le vent siffle si fort que je n’entends plus la suite de son discours. Pourtant, je suis à un mètre d’elle, plus ou moins.

Je ne comprends rien à ce qui se passe. Je n’ai jamais été aussi calme. La bourrasque finit par faire s’envoler le collier de fleurs sur la tête de la gardienne de la porte.

— La nature ne vous reprendra pas. Il est trop tard... Vous êtes à moi. Vous appartenez à l’Eau-Delà ! insiste-t-elle en cherchant mon regard.

Le vent la fait trébucher.

Elle continue de psalmodier en insistant bien sur chacun des sons qui sort de son bec.

Les arbres autour de nous sortent leurs racines. Elles viennent s’enrouler autour de mes chevilles. Je ne ressens aucune douleur. Je tombe au sol et je me retrouve à plat ventre. On veut m’éloigner de l’entrée de l’Eau-Delà d’un côté, m’y attirer de l’autre. Je n’éprouve aucun tiraillement alors que je suis écartelée par deux forces contraires.

— Bon, ça suffit. Je vous la rends, capitule la Dame-Oiseau en s’arrêtant de fredonner.

Elle se tourne vers moi :

— Il semblerait que votre heure n’est pas encore venue. La nature a changé d’avis... Vous avez de la chance. Cela n’arrive pas souvent… Bonne continuation !

Je sens les racines me pousser en arrière, le plus loin possible. La Dame-Oiseau ferme le rideau et disparaît. Puis, le trou noir.

J’ouvre les yeux.

Des murs blancs.

La chambre d’hôpital.

Des bips de partout.

La vie reprend son cours. La bataille contre la maladie reprend. Il semble que je n’ai pas encore dit mon dernier mot.

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