Mon ami et moi étions assis sur un banc, dans une pièce obscure. Nous pouvions entendre les sons de la bataille qui était en train de se jouer derrière les murs. Les cris, les tirs, les bruits de pas effrénés.
Nous attendions notre tour, avec notre équipement sur le dos et notre arme entre les mains, impatients de passer à l'action. Puis, comme pour briser ce silence tendu, mon ami Antoine, me posa une question :
— Dis, Liliane, tu préférerais pas être à l'école, plutôt qu'ici ?
— Appelle moi Lili bordel, le prénom que m'a choisi ma mère était déjà ringard quand elle avait mon âge, lui répondis-je en fronçant les sourcils. Et le lycée, à part te faire culpabiliser de pas rentrer dans le moule, ça sert à quoi ? Tu connais le dicton : "l'école, c'est pas un endroit pour les gens intelligents".
Ce disant, j'activais mon fusil laser, rajustais mon équipement et me levais du banc.
— J'dis ça pour toi, c'est facile tu sais... t'as juste à poser ton cul en classe et à donner la bonne réponse quand on te pose une question, expliqua-t-il en se levant à son tour. Puis tes parents t'adorent et te laissent faire tout ce que tu veux, du moment que tu leur ramènes des morceaux de papier avec des gros chiffres écrits dessus. (il marqua une pause) C'est un peu comme être marié en fait !
Il haussa les épaules, je ricanais. C'était pour ça qu'Antoine était mon seul ami. Même s'il était intégré au système, il n'en ignorait pas l'ironie et l'absurdité. Soudain, une voix s'éleva depuis les haut-parleurs :
"Fin de partie ! Défaite de l'équipe bleue, n'hésitez pas à consulter le tableau des scores et à vous reposer à la buvette. Le laser-game Lindermark vous souhaite à tous une bonne journée !"
L'équipe perdante sortit la tête basse, passant devant nous en nous souhaitant mollement bonne chance. L'équipe victorieuse ayant le droit de rejouer gratuitement, il était donc fort probable que l'on doive venger ces pauvres bougres. Je me penchais alors sur le côté pour regarder le tableau des scores, puis écarquillais les yeux.
— Antoine ! Mate ça !
Il s'approcha de moi et plissa les yeux en regardant le tableau des scores.
— Attend, y a qu'une seule personne dans l'équipe rouge, et elle a gagnée contre une équipe complète ?
— En plus, regarde le pseudo qu'elle a pris, elle se fout de ma gueule ! déclarais-je.
En effet, le nom affiché du seul membre de l'équipe rouge était : "Lili".
— T'exagères, c'est un prénom courant, balaya Antoine en haussant les épaules. Allez, viens, on va lui montrer qui sont les vraies terreurs de ce laser-game !
Sans rien dire de plus, je le suivais à l'intérieur du champ de bataille. Et en attendant le compte à rebours qui annoncerait le début des hostilités, je fis une remarque :
— Dans ce laser-game, chaque joueur dispose de six points de vie et de trente munitions, murmurais-je à mon frère d'arme. L'équipe bleue qui est sortie, était composée de quatre membres...
— Merde... ça veut dire que cette "Lili", a réussi toute seule à descendre vingt-quatre points de vie. Ça veut dire qu'elle a loupé six tirs au maximum, sans parler du fait d'éviter les tirs ennemis. Tu crois qu'elle triche ? demanda-t-il.
— Non, ce laser-game appartient à la fondation Lindermark, il dispose de leurs technologies de pointe, tricher doit être impossible, expliquais-je.
— Alors, c'est peut-être un militaire professionnel qui a décidé de terroriser des gamins qui voulaient juste s'amuser ? proposa Antoine, riant de sa propre bêtise.
— On va pas tarder à le savoir, dis-je en épaulant mon arme.
Le compte à rebours commença, mon cœur s'accéléra. Je commençais à sentir l'adrénaline envahir mes veines. C'était pour cette raison que je passais mes journées ici. C'était grisant, amusant, défoulant, et on pouvait oublier tout le reste, le temps d'une bataille. Mais aujourd'hui, j'étais d'autant plus excitée que j'allais affronter une mystérieuse personne visiblement très douée, qui avait en plus eu le culot de prendre mon surnom.
Le compte à rebours se termina, un buzzer retentit dans toute la salle, nos équipements s'allumèrent, et nous fonçâmes par nos couloirs habituels, tentant de contourner l'adversaire afin de le prendre à revers. Nous connaissions par cœur ces couloirs qui se voulaient labyrinthiques, nous avions l'avantage du terrain.
Puis soudain, je stoppais net, au détour d'un couloir, notre adversaire nous attendait, en plein milieu du passage, la crosse de son arme posée sur le sol, ses mains négligemment appuyées contre le canon. Il s'agissait d'une grande dame au sourire éclatant, d'une prestance incroyable, portant sous son équipement de laser-game des vêtements de marque sur-mesure. Ses yeux couleur de jade, brillaient étrangement à la lueur des néons ultraviolets, à travers la brume artificielle qui régnait dans la salle. Elle me fixait. Sans me retourner, je fis signe à Antoine de baisser son arme. Je la reconnaissais, pour l'avoir vue dans de nombreux magazines et émissions de télé.
— Vous êtes... Emily Lindermark... constatais-je. Vous êtes à la tête de la fondation...
— Et tu dois être Liliane Papazian, répondit-elle avec un léger accent britannique. Enchantée de te rencontrer enfin !