2) La mission

 

— Qu'est-ce que vous me voulez ? demandais-je, ne me laissant pas impressionner par la prestance de la célèbre Lindermark.

— Hé bien, je dois entre-autres tenir une promesse que j'ai faite à ton grand père, répondit-elle avec sérieux.

À ce moment, Antoine leva son arme et tira quatre fois, mais la grande dame, dans un enchaînement de mouvement fluides et élégants, se déplaça de manière à ce que les tirs ne touchent jamais les capteurs de son équipement.

— Tu as un ami très dévoué, reprit Lindermark, pas essoufflée le moins du monde. Il sait que tu n'aimes pas que l'on te parle de ton grand père.

Je gardais simplement mon calme, faisant de nouveau signe à Antoine de baisser son arme, puis, d'un geste discret, ma main cachée derrière mon dos, je lui intimais de contourner silencieusement notre adversaire.

— Laisse nous seules Antoine, apparemment elle veut me parler d'un truc important, dis-je pour justifier le fait qu'il disparaisse au détour d'un autre couloir. Alors, de quelle promesse vous parlez ?

— Tout d'abord, (elle soupira) je suis moi-même très bouleversée par la mort de ton grand père... Il m'a aidée à m'implanter ici, dans le sud de la France, et il a défendu mes projets de construction auprès des mairies. Il a même obtenu l'aide de certaines loges maçonniques. C'était un homme bienveillant, qui croyait en la bonté humaine...

Un léger silence s'installa, ses mots étaient justes, mais je le savais déjà. Je n'avais aucune envie que l'on me remette le nez dans ce que j'avais perdu.

— Et vous voudriez que je vous remercie pour vos condoléances ? demandais-je en la mettant en joue avec mon arme. Je déteste les gens qui essaient d'apaiser leur malheur en le faisant partager aux autres.

Je tirais alors un coup, visant sciemment à côté de ses capteurs, espérant qu'en tentant d'esquiver, elle se place en fait dans la trajectoire de mon tir. Cependant, elle ne bougea pas d'un centimètre. J'en déduisis que, d'une manière ou d'une autre, elle savait exactement où je visais. En tous cas, c'était ma meilleure hypothèse.

— Non, Lili, répondit la grande dame, ayant la présence d'esprit de ne pas utiliser le prénom que je détestais. Je suis là car je lui avais promis de t'aider, quoi qu'il arrive.

— M'aider à quoi ? Retourner à l'école ? Que je subisse un système scolaire débile en me faisant du mal, juste pour plaire à ma famille ? Hors de mon chemin, Lindermark !

Je tirais au hasard une salve de trois tirs, qu'elle esquiva de la même manière que tout à l'heure. Une chose était sûre : elle ne lisait pas dans mes pensées pour deviner mes tirs. Elle devait donc forcément se fier à la position de mon canon, voire au bruit, au déplacement de l'air. Je l'en savais capable, elle était réputée pour être la première humaine technologiquement augmentée.

— Te faire retourner au lycée n'est pas le but, il s'agit davantage d'une mission que toi seule peux accomplir, répondit-elle en s'approchant de moi, un pas après l'autre. Et je n'ai d'autre choix que de te la confier.

Je ne reculais pas cependant, je ne voulais pas qu'elle pense qu'elle m'impressionnait.

— Soyez plus claire ! lui lançais-je en la fixant droit dans les yeux.

— Je possède une capacité que j'ai nommée Cool Cat, expliqua-t-elle. Je peux analyser avec précision les ondes cérébrales d'une personne, ce qui se traduit par une fresque, ou un puzzle coloré de ses émotions (à ces mots, ses yeux d'un jade brillant se fendirent d'une pupille féline). Je vois chez toi des formes acérées, complexes, sans cesse en mouvement, qui tentent de masquer d'autre parties plus sombres, tu es en lutte constante contre toi-même et tu cherches activement un moyen de gagner contre moi, dans ce laser-game. Tu veux me donner une leçon, me montrer que tu vaux mieux que les autres et que je ne devrais pas te sous-estimer. En ce moment ces couleurs palissent, car tu fais des efforts pour essayer de masquer tes émotions.

Ses iris reprirent alors une forme normale. Cependant, ma curiosité était piquée au vif.

— Continuez, qu'attendez-vous de moi ? demandais-je, tentant de ne pas montrer ma fascination pour son étrange pouvoir.

— En visitant ton lycée, j'ai constaté que certains élèves aux fortes personnalités, avaient développé une ombre inhabituelle au niveau de leur gorge, que je semblais être la seule à voir. Une ombre menaçante, formant des symboles inquiétants. Et il s'agit clairement d'une épreuve qui t'est adressée. Je... ne peux pas t'en dire davantage pour l'instant, mais un artefact technologique est caché derrière tout ça.

— Attendez ! m'exclamais-je. C'est ce qui vous est plus ou moins arrivé il y a des années de ça ! Si vous êtes devenue surhumaine, c'est parce que vous avez trouvé et absorbé un tel artefact !

— Exactement. Et je te fais la même proposition qui m'avait été faite à l'époque ! déclara-t-elle d'un ton grave. Je compte te faire cadeau d'une capacité qui te permettra de surmonter les épreuves qui t'attendent, et quand tu auras récupéré l'artefact en question, tu auras le droit de l'absorber pour obtenir un pouvoir égal au mien.

Un frisson me parcourut. Devenir une héroïne, faire mes preuves, accéder à une puissance qui me permettrait de changer le monde plutôt que d'en rester la victime. C'était trop tentant. En réalité, ce serait tentant pour n'importe quel adolescent. Mais j'estimais, égoïstement, le mériter davantage que les autres.

— J'accepte ! déclarais-je avec un début de sourire. Mais avant ça, revenons-en à votre leçon.

À ces mots, je levais mon arme et me crispais pour faire mine de tirer, la grande dame esquiva alors le tir qui ne partit jamais. Mon sourire s'agrandit alors.

— Je le savais ! Vous lisez mes intentions et esquivez en observant la direction de mon canon !

Je reculais d'un pas et pris une profonde inspiration, essayant de me calmer autant que possible, je devais tirer en ayant un minimum d'intention de toucher, tout en visant parfaitement. Je m'imaginais alors tirer sur une simple cible d'entraînement. Aucun enjeu, aucune excitation, juste la concentration nécessaire pour viser juste.

Cependant, ce ne fut pas suffisant, et Lindermark esquiva chacun de mes tirs, même si je sentais dans sa manière de bouger qu'elle avait toutes les peines du monde à y parvenir. Lorsqu'il ne me restait plus qu'une seule munition, je cessais le feu et lui adressais un large sourire en haussant un sourcil. Elle baissa alors les yeux sur son arme, fixant l'indicateur de ses points de vie. Il ne lui en restait qu'un seul. Elle se retourna alors.

— Désolé, mais... à la guerre comme à la guerre, hein ? déclara Antoine, qui avait fait feu en même temps que moi, après avoir contourné notre adversaire.

La grande dame leva alors son fusil d'une seule main, le pointa sur Antoine, puis actionna sa gâchette six fois de suite à une vitesse hallucinante. En une fraction de seconde, mon équipier avait perdu tous ses points de vie. Et lorsque Lindermark se tourna dans ma direction, avec un sourire amusé, je fus touchée cinq fois avant de réussir à me mettre à couvert.

— C'est très bien tenté, déclara la grande dame. Tu me rappelles moi, quand j'avais à peu près ton âge. Tu penses toujours que tu peux me donner une leçon ? demanda-t-elle avec un rire joueur.

— Non... répondis-je d'un ton blasé en sortant de ma cachette. Votre corps est augmenté par la technologie, c'est de la triche, j'abandonne...

Je jetais mon fusil à ses pieds d'un geste résigné. Cependant, lorsque la crosse percuta le sol, un défaut du mécanisme de l'arme fit que ma dernière munition fut tirée, touchant le capteur du torse d'Emily Lindermark.

— Vous avez des réflexes surhumains et une intelligence qui me dépasse, votre réputation n'est pas usurpée, expliquais-je. Mais j'ai plus d'expérience que vous dans ce laser-game. Et vous ne pouvez pas lire mon esprit avec assez de précision pour prévoir un coup pareil.

— Je suis impressionnée... avoua la grande dame. Tu es digne de porter le titre de Lili, conclut-elle. Voilà ta récompense pour ta victoire.

Elle me tendit alors un étrange appareil. Mais pour en avoir vu de similaires dans les hôpitaux et les pharmacies, je devinais qu'il s'agissait d'un injecteur instantané. Une des nombreuses technologies apportées par la fondation Lindermark. Programmable, réutilisable, et capable d'injecter ou de ponctionner n'importe quel produit sans aucune douleur, même à travers des vêtements.

— Tu as toutes les vacances d'été à ta disposition pour réfléchir, m'expliqua-t-elle en retirant son équipement. Tu rentreras en terminale, dans une classe où j'ai rassemblé les élèves possédant ces fameuses ombres suspectes. Enfin, presque tous.

— Mais... je ne suis restée que quelques semaines en première année avant d'arrêter définitivement l'école... et comment avez-vous influencé la composition des classes ?

— Je connais un certain nombre de gens importants qui me doivent des services, justifia Lindermark en se dirigeant vers la sortie. Je te reverrai plus tard.

J'entendis Antoine se précipiter dans ma direction.

— Hey, Lili ! C'est génial ! On a réussi à battre la légendaire Emily Lindermark ! s'enthousiasma-t-il. En plus tu vas obtenir des capacités technologiques de pointe, mais le mieux... (il prit une pause pour marquer le suspens) c'est qu'on va pouvoir se voir au lycée !

Je ne dis rien, contemplant simplement l'objet que j'avais entre les mains. Même de nos jours, même avec l'omniprésence de la technologie Lindermark dans nos quotidiens, l'idée du transhumanisme restait inquiétante, même pour moi. Cependant, j'avais largement le temps d'y réfléchir.

— Tu sais Antoine... dis-je en souriant amèrement. Je pense qu'elle a fait exprès de ne pas éviter ce tir.

 

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