1 - La terre

Par Elodie

Lily prit une grande inspiration en ouvrant la porte. Elle attrapa une boucle de ses cheveux sombres qu’elle entortilla nerveusement autour du doigt. Elle savait que l’heure à venir n’allait pas être facile. Cette patiente lui donnait tellement de fil à retordre ! Et pourtant, Dune avait un énorme potentiel. Elle démontrait une telle connaissance d’elle-même… Il était relativement inutile de chercher à lui inculquer quoi que ce soit sur ses capacités. Malheureusement, ses doutes l’éloignaient sans cesse du chemin fertile qui s’ouvrait devant elle. Dès que ses pensées tourmentées pointaient le bout de son nez, impossible de la faire sortir de ce maudit cercle vicieux. Chaque pensée critique alimentait la suivante, toujours plus négative que celle qui lui précédait.

Evidemment, Lily n’était pas épargnée.

Cela faisait des années qu’elle tentait de permettre aux innombrables ressources de Dune d’affleurer, séance après séance, semaine après semaine, mois après mois. À l’image de son jardinier de père, elle arrosait avec soin ce précieux bourgeon dans l’attente d’y voir fleurir son fruit. Mais quel dur labeur avec cette épaisse strate autocritique propre à sa personnalité !

Pourtant, voilà en quoi consistait le métier de Lily. Un travail dans lequel elle s’investissait sans demi-mesure. « Non, rectifia-t-elle pour elle-même : c’est bien plus qu’un métier. Une vocation ? Déjà plus… Une évidence ? C’est certain. Une nécessité, en fait ! »

Depuis la première année de ses études, Lily s’était employée avec passion à devenir une bonne thérapeute. Rapidement, elle avait pris conscience que tout ce qu’elle apprenait lui semblait simple, logique, comme allant de soi. Était-ce la conséquence de ses héritages familiaux ou ce que lui chuchotaient ses petites voix ? Lily n’en savait rien, mais une chose était certaine : derrière son apparence si frêle et hésitante, se cachait une habileté naturelle dans cette fonction. Comme thérapeute, elle savait ce qu’elle faisait. Dans son bureau, elle avait confiance. Avec son badge en demi-lune, elle se montrait forte et déterminée.

Bon ! Exception faite de ses séances avec Dune…

Tombant sur son reflet, Lily déroula son doigt des cheveux qu’elle avait agrippés. Elle ramena d’autres boucles de sa tignasse sur son front trop large et bombé. Avec son petit nez en trompette, ses grands yeux et ses lèvres charnues, Lily se sentait affublée d’un visage d’enfant. Son gabarit de demi-portion complétait fatalement cette apparence juvénile. « Difficile de se sentir légitime face à une adolescente quand on a soi-même l’allure d’une gamine », s’énerva-t-elle. Tenter de camoufler ses traits enfantins derrière ses cheveux était vain. Lily le savait mais ne pouvait s’en empêcher. Elle avait essayé de porter des lunettes pendant un temps mais le subterfuge s’était révélé tout autant inutile. Éviter de se regarder dans le miroir était une bien meilleure option.

Détournant son visage, Lily jeta un dernier coup d’œil en direction du baobab nain sur lequel était perché Sagesse, son colibri. Avant chaque séance avec Dune, elle s’assurait qu’il soit bien réveillé. Être en état d’hibernation présenterait trop de risques pour lui. « Accroche-toi, mon ami, ça va bouger », lui glissa-t-elle avant de filer vers la salle d’attente.

Dès l’instant où elle aperçut sa patiente, Lily se félicita d’avoir avisé son acolyte. Cachée sous ses longs cheveux auburn, la jeune fille portait son visage des mauvais jours.

- Bonjour, Dune, assieds-toi… Comment vas-tu aujourd’hui ?

- Ça va, merci. Et vous ?

Et voilà ! C’était reparti : la jeune fille n’était que sourire, politesse et question boomerang.

- Mais bien, merci.

Un silence s’installa.

- De quoi aimerais-tu parler aujourd’hui ?

À la question de sa thérapeute, Dune répondit par un haussement d’épaules et un bref :

- Rien de spécial.

Lily ne cilla pas malgré son irrépressible envie de se masser la nuque. C’était ainsi que commençaient toutes les séances de Dune depuis qu’elle la suivait en thérapie. Cela faisait maintenant sept ans et certaines choses ne changeaient pas. Ce petit rituel dont Lily pouvait s’amuser avec du recul ne la perturbait pas moins pour autant. Il la rendait perplexe. L’agaçait même quelquefois. Quel sentiment d’impuissance ! Car si Dune faisait partie de la catégorie des patientes qu’on pouvait aisément désigner comme « non bavardes », elle n’en souffrait pas moins. Et il était toujours difficile pour Lily de se convaincre que, avec elle, patience rimait avec bienveillance.

Totalement avisée de ses tourments, elle chercha à les appréhender de vive voix. Elle hasarda sans sérieux espoirs :

- Peut-être que je me trompe, mais je te sens préoccupée…

Pour toute réponse, Lily reçut un nouvel haussement d’épaules, suivi d’un beau et superficiel sourire. Puis, le silence reprit sa place.

Lily fouillait mentalement dans sa boîte à outils de thérapeute. Elle recherchait quelle clé permettrait à Dune de s’ouvrir cette fois-ci. C’est alors qu’une brèche se manifesta derrière la patiente. Dans son pot, le baobab avait commencé à se balancer. C’était un mouvement très léger, comme une faible ondulation. Un œil non averti aurait conclu à une brise traversant les fines branches de l’arbre, mais Lily ne manquait jamais de repérer les manifestations de phénomènes lorsqu’ils se produisaient. Quelque chose se passait dans les tréfonds de Dune, derrière son visage impassible. Et ce quelque chose agitait le baobab du bureau de Lily. Dans toute sa perspicacité, Dune l’avait également remarqué. Elle prit les devants.

- Bon, je ne pensais pas en parler car ce n’est pas très important, mais j’ai fait une attaque de panique l’autre jour.

Lily pencha sa tête sur le côté. Quelques boucles de ses cheveux s’échappèrent jusque sur son visage. Elle ne bougea pas pour autant. Gardant le silence, elle ne quittait pas Dune des yeux. Elle savait qu’elle devait éviter de brusquer sa patiente dans ces moments rares de révélation. Un simple geste de sa part, même involontaire, pouvait briser cette opportunité. D’accoutumée, toute phrase comportant les mots « ce n’est pas très important » indiquait son strict contraire dans la bouche de la jeune fille.

Après un temps qu’elle considéra respectable, Lily murmura entre ses mèches noires :

- D’accord. Explique-moi…

Dune décrivit alors à sa thérapeute cet évènement pénible, d’un ton on ne peut plus décontracté. L’attention de son auditrice était à son comble. Mais elle ne visait pas les propos de la jeune fille ; elle se portait sur le baobab qui tanguait dans son pot, d’un mouvement tout d’abord imperceptible puis de plus en plus désordonné.

Le lien entre le discours détaché de Dune et les convulsions du baobab, bien qu’improbable étant donné son paradoxe, était une belle démonstration de ses phénomènes. Pour en cerner l’essence, Lily expliquait à ses jeunes collaborateurs que les phénomènes fonctionnaient comme une danse à deux dont l’un des cavaliers était l’émotion de l’individu à l’état brut et son partenaire l’élément naturel auquel cet individu était connecté. Pour Dune, il s’agissait de la terre, comme pour tous les terriens, ou fonctionnements à haut potentiel selon les termes des anciennes classifications diagnostiques utilisées en psychiatrie avant la Grande Réforme.

Ne parvenant plus à se cramponner aux branches du baobab toujours plus dissipé, Sagesse finit par s’envoler avec un cri de réprobation. La terre commença à jaillir du pot pour se répandre sur le sol. Les feuilles tremblaient de toute part. Le large tronc semblait se hérisser. Le témoignage de Dune restait, quant à lui, très factuel et neutre. Son calme apparent contrastait avec le bouillonnement qui se manifestait dans le terreau derrière elle.

- Je crois comprendre que ce moment a été très difficile à vivre pour toi, commenta Lily alors que Dune avait terminé son récit.

La jeune fille répondit par un inévitable haussement d’épaules, accompagné de son plus proche associé, le sourire crispé. Sans hésiter, Lily brûla la priorité à leur condisciple qui pointait bruyamment le bout de son nez, le fidèle silence.

- Je vais te demander de te retourner pour observer ce que ton élément exprime et, si cela t’est possible, de me le commenter.

Depuis ces dix années où elle travaillait dans cette consultation, Lily n’avait de cesse d’accompagner ses patients afin qu’ils apprivoisent leurs phénomènes. Il lui tenait particulièrement à cœur que ces enfants s’épanouissent. C’était son rêve depuis qu’elle était petite fille. Qu’est-ce qu’elle avait été fière quand elle avait décroché son badge en demi-lune ! Il était la consécration de ses ambitions et la matérialisation de ce qu’elle considérait être sa vocation. Elle avait mis toute son énergie pour l’obtenir.

Pendant sa formation à l’Académie avancée des sciences humaines et élémentales, elle avait tout d’abord appris à détecter de manière précoce l’apparition des phénomènes chez les jeunes enfants. Puis, elle s’était perfectionnée pendant plusieurs années dans leur prise en charge. Subventionné par les Très Hautes Autorités, le projet était qu’ils s’intègrent dans la société. « Nous excluons l’exclusion » était leur crédo. Pour cela, des thérapeutes étaient mandatés pour enseigner aux enfants l’art d’utiliser les phénomènes auxquels ils étaient liés plutôt que les subir.

Ce programme se révélait ambitieux. D’autant plus que les phénomènes montraient une forte propension à se développer à la puberté, alors que les manifestations émotionnelles qui leur étaient inhérentes les précédaient de nombreuses années. Lily avait en tête d’innombrables exemples pour le moins cocasses de cette difficulté qui entourait le dépistage des phénomènes.

Parmi d’autres, cette petite eautiste qui ne pouvait s’endormir sans tambouriner contre les barreaux de son lit. Ce rituel d’endormissement inquiétait bien ses parents quant à sa bizarrerie. Mais ils étaient bien trop préoccupés par autre problème qui se manifestait à chaque tombée du jour : des mouvements réguliers de vagues agitaient tous les liquides de la maison. Ces remous importunaient furieusement les membres de cette famille qui se faisaient asperger quand ils voulaient se désaltérer ou carrément inonder s’ils avaient l’audace de prendre un bain. Et quel désastre s’ils venaient à se servir des commodités ! Il avait fallu du temps aux parents pour faire le lien entre ces marées crépusculaires et les balancements de leur fille dans son lit. Et comprendre ainsi qu’ils devaient s’adresser non au Service générale de plomberie, mais à la Consultation d’enfants prédisposés.

- Je pense qu’on peut en conclure que c’était très difficile pour moi, reprit Dune de sa voix calme. Toutes mes excuses pour votre arbre et votre bureau… et votre oiseau, ajouta-t-elle en regardant Sagesse voleter au-dessus de leurs têtes.

- Que pourrais-tu faire pour mon oiseau, mon bureau et mon arbre ? lui répondit Lily.

À ces mots, Dune se leva instantanément, comme si elle était montée sur ressort. Elle amorçait des gestes pour ramasser la terre éparpillée au sol quand Lily la stoppa tout en douceur :

- Non, Dune, sans te lever, s’il te plaît.

Avec un mouvement d’impatience, la jeune fille remonta les manches de sa chemise rouge à carreaux. De fines traces écarlates apparurent sur ses avant-bras bronzés. Bien que son ventre se serra à cette vue, Lily ne s’y attarda pas : Dune lui en parlerait quand elle se sentirait prête. Avec elle, il fallait serrer les dents et, le plus possible, éviter de la bousculer en s’inquiétant ouvertement pour elle. Une fois encore, Lily fit appel à sa patience. Dune, quant à elle, fronçait ses épais sourcils joliment dessinés. Son regard chocolat était focalisé sur le baobab. Il y avait une telle densité dans ses yeux que ses iris semblaient fondre. C’est alors que de minuscules amas de terre s’élevèrent du sol. Ils se mirent à tourbillonner dans les airs, comme d’innombrables flocons de neige lors d’une bourrasque en plein hiver. Après quelques secondes en apesanteur, ils se rassemblèrent pour se déposer avec délicatesse dans le pot d’où ils venaient. Là, ils se blottirent au pied du baobab qui s’ébroua une dernière fois avant de s’immobiliser.

- Que ressens-tu maintenant ? lui demanda Lily avec sollicitude.

- De l’apaisement.

Lily savait à cet instant que, pour la première fois depuis le début de la séance, les mots de Dune reflétaient sincèrement son état d’âme. La thérapeute sourit de satisfaction. Que lui importait l’état de son bureau. Elle savait aussi que Sagesse avait vu bien pire, tout comme son baobab. Ce qu’elle cherchait avant tout était d’apprendre à Dune à utiliser ses phénomènes pour se détendre. Ceci afin de pouvoir s’écouter, ressentir ses émotions, leur donner une place dans son quotidien.

- Tu vois, tes émotions ont déteint sur mon baobab. Je sais bien que tu n’apprécies pas cette mise à nu…

Le visage de Dune se rembrunit. Ses yeux fixaient le sol. Son épaisse chevelure délivra une large mèche qui dissimula presque l’entièreté de son visage.

Courageusement, Lily poursuivit :

- D’un autre côté, n’est-ce pas magique de pouvoir te servir de mon baobab pour retrouver un certain calme intérieur ?

Devant l’absence de réponse de son interlocutrice – qui était en soi une manière de témoigner qu’elle n’était pas tout à fait d’accord avec cette formulation – Lily poussa Dune un peu plus loin encore.

- C’est un don et tu es la seule à en avoir la maîtrise…

- Oui je sais, merci.

Cette formule de politesse fit grimacer Lily. Elle ouvrait la porte au silence. Il ne manquait plus que le sempiternel haussement d’épaules et ce fichu sourire de façade. Bien sûr, ils ne manquèrent pas le rendez-vous. Avec ces gestes, Dune s’était à nouveau cachée derrière sa carapace. « Zut ! », pensa Lily. Elle savait pourtant que Dune ne croyait pas une seconde qu’elle possédait un don immense. « Je suis allée trop loin, admit-elle intérieurement, mais j’aurai essayé… »

Lily avait fait la rencontre de Dune quand la jeune fille n’avait que six ans. Parachutée dans une famille d’accueil, elle avait progressivement alarmé l’école en rendant des feuilles blanches métamorphosées en origamis complexes pour ses devoirs. Elle démontrait pourtant jusque-là des compétences scolaires hors norme et peu d’intérêt pour le bricolage. Comme les pliages étaient bien trop élaborés pour être réalisés uniquement par des mains d’enfant, Dune avait été adressée à la Consultation d’enfants prédisposés. À peine l’avait-elle aperçue que Lily avait ressenti son propre cœur se serrer de la souffrance que vivait cette enfant. Cette petite était totalement isolée entre des parents belligérants en instance de divorce. Incapables de trouver un compromis quant à la garde de leur fille unique, ils avaient dû se résoudre à la confier à une tierce personne, le temps de se mettre d’accord. Dix ans plus tard, Dune vivait toujours auprès de cette même famille d’accueil. Les origamis avaient disparu. Pas la souffrance.

- Tu ne me crois toujours pas, je sais bien, mais je suis persuadée qu’un jour, tu pourras te convaincre de tes qualités et de la force de tes phénomènes.

Dune haussa les épaules. Face à cette apparence imperturbable, Lily changea brusquement d’approche.

- Vas-tu toujours lire sous ton arbre ?

Dune hocha de la tête en signe d’approbation. Avec un sourire sincère, cette fois-ci.

- C’est quelle espèce, déjà ?

- Un chêne, répondit-elle.

Ses yeux pétillaient.

Lily connaissait la réponse. Sa mémoire n’aurait pas pu laisser passer cette information. Mais ce subterfuge lui permettait d’entendre Dune parler d’elle-même, mine de rien. Autrement dit, sans les barrières de protection qu’elle dressait perpétuellement entre elle et le reste du monde.

- Parle-moi de ton chêne…

Alors que Dune inventoriait les mérites de son arbre vénéré, Lily nota mentalement les adjectifs énumérés : majestueux, puissant, prolifique, rassurant…

- Rassurant, tu dis ?

- Oh oui ! Il est utilisé comme refuge pour de nombreuses espèces animales : les écureuils, des agriles et des processionnaires ou encore les pics mar…

Quand elle parlait de son chêne, Dune devenait prolixe et enthousiaste. À l’encontre de la dureté de ses auto-critiques, elle s’émerveillait avec facilité de son environnement. Elle ne remarquait pas que sa beauté résidait principalement dans le regard qu’elle lui portait.

Dune en était à ce qui semblait être l’anecdote de l’année – « savez-vous que ses glands étaient autrefois utilisés comme substitut bon marché pour le café ? Incroyable, non !? » – quand Lily décida de reprendre la parole pour faire le lien entre son éloge du chêne et sa personnalité.

- Connais-tu l’expression « solide comme un chêne » ?

Interdite, Dune acquiesça.

- Et celle-là : « il vaut mieux plier que rompre » ?

Le silence ressurgit.

- Serais-tu d’accord que je te lise une très vieille fable ?

- Je la connais déjà…

Le sourire de Dune disparut quelques secondes avant de regagner sa place officielle. Elle reprit, courtoise :

- Mais volontiers.

Derrière elle, le baobab tressauta.

Lily se leva. Elle fit mine de chercher un livre dans sa bibliothèque pendant quelques minutes avant de reprendre sa place face à Dune, les mains ouvertes en signe de résignation.

- Je n’arrive plus à mettre la main dessus… Mais comme tu la connais, raconte-moi : qu’est-ce que tu en retiens ?

En même temps que le visage de Dune, le baobab se figea derrière elle. Pesant ses mots, elle formula, le front plissé par la concentration :

- Tout le monde croit que le chêne est plus solide que le roseau, mais en réalité, c'est lui qui se brise quand il y a une tempête.

Le baobab frissonna si fort que ses branches se mirent à craquer. Dune sursauta. Elle poursuivit sur un ton revêche :

- Je suis peut-être plus fragile que ce qu’on croit, si c’est là où vous voulez en venir, mais comparé à d’autres, je ne crois pas avoir traversé de grandes tempêtes.

- Ce n’est pas là où je voulais en venir car je ne te perçois pas du tout comme quelqu’un de fragile. En revanche, permets-moi de te dire que, de mon point de vue, tu as traversé ton lot de tempêtes.

Les yeux au ciel, Dune riposta :

- Tout est relatif…

- D’accord. Et qu’est-ce qui te fait croire que je te trouve fragile ?

- Je ne sais pas… j’ai pensé que c’était la morale de l’histoire…

Dune se retourna vers l’arbre de Lily. Il avait retrouvé son calme. Satisfaite, elle ajouta :

- C’est peut-être moi qui ai tendance à me considérer comme fragile et faible dès que votre arbre s’agite alors que je ne lui ai rien demandé…

- J’entends que c’est dur pour toi, Dune. Merci de me le confier… Tu sais, avant la Grande Réforme, tes phénomènes n’existeraient déjà plus et tu crois sûrement que ta vie serait plus simple sans eux, mais non : tu aurais encore plus l’impression d’être fragile. Tu sais comment on appelait les eautistes auparavant ? Des personnes porteuses d’un trouble du spectre autistique… Un trouble, Dune ! Tes phénomènes, comme ta manière d’être, ne sont pas un problème à éradiquer ou une maladie avec laquelle il faut apprendre à vivre ; c’est une partie de toi merveilleuse, une prédisposition, un don, un cadeau…

- Empoisonné, le cadeau !

Le baobab fut secoué par un spasme mi-hilare mi-larmoyant. Lily ne s’en montra que plus indulgente.

- Je sais…

- Vous savez ? Vraiment ?

Lily sentit de grands yeux pleins d’espoir se poser sur elle. En arrière-plan, le baobab s’était redressé, en état d’alerte.

- Vous aussi, vous êtes un terrien ? Ou un flambeur ? Non, ce n’est pas possible, ça… Un eautiste non plus, non… Un souffleur peut-être ? Non ! Un terrien, je suis sûre, un terrien, comme moi !?!

- Non, Dune, mais sache que je ne maîtrise pas non plus tout ce qui se passe autour de moi…

Cette phrase avait un goût amer dans la bouche de Lily. Son visage naturellement pâle s’était légèrement coloré. Ses yeux azur se voilèrent, l’espace d’un instant. Ses pensées se mélangeaient à celles de sa patiente. Des lancées lui montaient douloureusement le long de son dos jusqu’à la base de son crâne. Comme un signal d’alarme, ses dents mordirent ses lèvres écarlates. « Aïe ! Je dois me reprendre. Trahir mes émotions n’est pas permis. Parler de moi est encore moins professionnel. Ressaisis-toi ! », s’ordonna-t-elle intérieurement. Lily changea de position, prit sa nuque entre ses mains et se massa.

Derrière Dune, le baobab exprimait une immense déception. Ses branches s’abattaient lourdement vers le sol. Il s’était métamorphosé en un abracadabrant saule pleureur.

La jeune fille resta muette. Lily respecta son silence, suivant inévitablement le cours de ses pensées. Mais elle ne s’y noya plus. Pendant de longues minutes, le calme régna dans le bureau. Jusqu’au moment où le baobab transcrivit une fois de plus l’intention de Dune. Il se redressa lentement pour croiser nonchalamment ses branches en deux bras boudeurs.

La séance était terminée.

Dune portait à nouveau son sourire d’apparat lorsqu’elle questionna poliment Lily :

Je n’avais donc pas compris correctement votre message. Vous vouliez me dire quoi avec cette fable de La Fontaine ?

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So26
Posté le 06/03/2022
Coucou Elode,
J'ai redécouvert ce premier chapitre avec plaisir! J'ai beaucoup aimé l'idée de transformer les psychopathologies en prédispositions, si seulement ;)! J'ai particulièrement apprécié le passage où l'enfant eautiste se balance dans son lit et où ça devient bien embêtant quand les occupants utilisent les commodités et cette idée de faire intervenir la consultation d'enfants prédisposés au lieu des plombiers est bien trouvée! J'attaque la suite et je me réjouis d'avance de me replonger dans ta belle aventure! A bientôt!
Elodie
Posté le 06/03/2022
Merci pour ton message! Ça fait plaisir de lire ton commentaire et je me réjouis des suivants :-)
DraikoPinpix
Posté le 26/06/2020
Coucou !
Un début intéressant ! J'aime ce lien entre les éléments et les Hauts Potentiels :), il y a aussi une réflexion intéressante qui s'en dégage.
Ton style est agréable, je fais néanmoins remarquer que j'ai trouvé qu'il y a un peu trop d'adverbes en -ment dans le dernier paragraphe, ce qui alourdit un peu le style. Mais dans l'ensemble, c'est un bon chapitre !
A bientôt ! :)
Elodie
Posté le 06/03/2022
Bonjour,
Bientôt 1 an après ton commentaire, j’y réponds! Toutes mes excuses, ce n’est en plus pas représentatif de ma reconnaissance envers les lecteurs qui laissent des commentaires! Merci beaucoup, j’apprécie énormément tes commentaires constructifs. Il est vrai que je suis fan des adverbes et je me fais à chaque fois avoir! Je vais y être plus vigilante… Et puis ça me fait plaisir si ça fait un peu réfléchir, c’est aussi un peu le but :-)
Everjean
Posté le 05/01/2020
Bonjour !

Je trouve que c'est un début prometteur, qui pose la première strate des bases du monde que tu (le tu est ok ?) tentes de nous faire découvrir et qui donne vraiment envie de connaître la suite.

Je n'ai pas vraiment de commentaires à faire pour l'instant. J'attend d'en savoir plus.

Un début de chapitre entier sur une séance de psy, c'est assez ambitieux, mais pour l'instant je trouve que ce n'est pas du tout gênant.

Une petite coquille : "l’embarquer dans en circuit" => dans un circuit je pense !

Voilà pour moi !

A tantôt !
Elodie
Posté le 05/01/2020
Merci beaucoup pour ton commentaire encourageant et ta correction (parfait pour le tu)! Je vais ajouter petit à petit les prochains chapitres, j'espère qu'ils te donneront envie de poursuivre...
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