« Mesdames et Messieurs. Petits et grands. Approchez, approchez, venez découvrir le musée des Dieux ! »
Éliah lui tira sur la manche et indiqua le vieil homme à la voix chevrotante. Courbé, une main sur sa colonne, l’autre en porte-voix, il essayait d’attirer les passants dans son musée aussi défraîchi que lui. Lethe roula des yeux mais sa sœur se précipitaitdéjà au-devant des marches. La petite fille dévisageait l’homme avec autant de curiosité que de fascination. Sa longue barbe balayait le parvis du musée, les rides couraient sur son visage et ses yeux blancs ne semblaient plus voir. Elle sursauta lorsqu’il tourna son regard vide vers elles.
« Mesdemoiselles, avez-vous envie de contempler les Dieux dans toute leur grandeur ? Si vous franchissez ces portes, vous découvrirez des représentations à l’échelle réelle de vos divinités. »
Lethe fronça les sourcils en détaillant le vieil homme. Elle n’était pas certaine que la figuration des Dieux était autorisée, mais Éliah sautillait à l’idée de franchir la grande porte dont le temps avait noirci les contours.
« Nous n’avons pas d’argent. »
Lethe pivota, certaine que la réplique clouerait le bec du vieux crieur. Pourtant, sa voix s’éleva à nouveau, très basse pour ne pas être entendu des autres passants :
« Je ne vous demanderai qu’un peu de votre temps. »
Des étincelles de joie pétillaient dans les yeux bleus d’Éliah et Lethe ne put se résoudre à lui refuser. Après tout, si c’était gratuit. Elle échangea une moue avec sa sœur qui en comprit aussitôt la signification et se précipita aux portes du musée. Le crieur clopina jusqu’à elles, sortit une clef complexe de sa poche et la tourna dans la serrure. Le bois grinça en s’ouvrant et les deux fillettes retinrent leur souffle.
« Bienvenue au pays des Dieux, mesdemoiselles. »
Éliah s’y précipita et foula les dalles recouvertes d’un voile de poussière. De grandes ogives, semblables à celles des cathédrales, éclairaient le hall. La lumière était étrangement bleue alors que le soleil à l’extérieur atteignait son zénith. Lethe sursauta lorsque les portes se refermèrent dans un claquement sourd. Elle s’attarda une minute mais le bruit de pas précipité de sa sœur la poussa à la suivre. Elle escalada deux à deux les marches de l’escalier monumental et rejoignit Éliah qui l’attendait les yeux rivés vers le plafond. Lethe se déboîta le cou pour l’apercevoir mais sans succès, une brume flottait à quelques mètres au-dessus d’elle. Éliah passa sa main dans la sienne et elles entrèrent dans la première salle.
Lethe se sentit minuscule. Devant elle s’étendait une dizaine de statues gigantesques. Elle avança d’un pas dans la pièce, intimidée face à la prestance des blocs de pierre tandis que sa sœur volait de pancarte en pancarte pour en déchiffrer les inscriptions.
« Éliah, reviens vers moi »
Le murmure de Lethe se répercuta contre les murs et lui revient un écho. Un frisson lui parcourut l’échine mais il disparut lorsque sa sœur repassa sa main dans la sienne.
« Regarde, là c’est Poséidon »
Éliah avait raison, le trident brandi dans sa main droite ne pouvait appartenir à aucune autre divinité. Son visage, figé dans la pierre, transmettait une expression de surprise mais aussi de terreur. Lethe prit un peu de recul pour mieux le discerner.
« Et là, c’est Aphrodite. Elle est tellement belle, souffla Éliah impressionnée. »
Même sous la forme d’une statue, elle gardait toute sa prestance. Ses cheveux de pierre tombaient en boucle sur ses épaules nues et ses lèvres semblaient envoyer des baisers. Pourtant, quelque chose dans son regard dérangea Lethe.
Autour d’Aphrodite, ses amants se battaient encore pour elle. Arès, Hermès, Dionysos sans oublier Adonis représentait avec ses deux enfants,Érossur son dos et Priape accroché à sa jambe.
« Viens Éliah, on va voir la prochaine salle. »
Alors qu’elles s’éloignaient des statues, une douleur lancinante prit Lethe dans le bas du dos et elle dut s’asseoir une minute. Étrangement, Éliah ne rouspéta pas, elle semblait même soulagée de reposer ses jambes. Après quelques minutes, elles repartirent avec un peu moins d’empressement.
Dans la deuxième salle, cinq déesses les dévisageaient depuis toute leur hauteur. Lethe plissa les yeux pour distinguer les lettres floues de la pancarte : Athéna et ses filles. Un voile transparent masquait les lignes de leurs visages et la courbe de leur corps mais cela ne suffisait pas à occulter leur aura à la fois destructrice et protectrice.
Les os de son dos craquèrent lorsque Lethe se redressa pour observer Athéna. De toutes les divinités, c’était sans aucun doute sa préférée, elle avait mené les plus grandes batailles gagnées à la force de son stratège, mais au-delà de ça, c’était sa créativité qu’elle admirait. Les doigts de Lethe s’agitèrent. Un jour, elle fabriquerait un corset en cuir pour les plus grandes guerrières et elle reviendrait ici pour le présenter à Athéna. Une douleur vive lui saisit le poignet. Elle le compressa de sa deuxième main alors qu’Éliah avançait vers elle à pas lent, les sourcils relevés.
« Ce n’est rien, ne t’inquiète pas. J’ai dû trop forcer hier.
— Tu en fais toujours trop. Tu vas mourir jeune ! »
Lethe échangea un sourire avec sa sœur mais l’effort lui tira les joues.
« Tu crois que je serais aussi forte qu’Athéna quand je serais grande ?
— Cela ne fait aucun doute !
— Je ne sais pas, je me sens déjà fatiguée… »
Lethe eut un sursaut et tira sa sœur en arrière. Elle aurait juré que la statue d’Athéna avait bougé. Elle la détailla avec attention. Son cœur manqua un battement lorsqu’elle vit Athéna se pencher et tendre son bras.
« Cours ! »
Les filles d’Athéna se penchaient sur leur passage pour les retenir. Les deux soeurs s’avérèrent moins agiles, plus lentes et chaque mouvement faisait souffrir atrocement Lethe. Elles finirent par atteindre la porte qu’elles refermèrent derrière elles. Lethe eut l’impression d’étouffer. Éliah n’en menait pas large non plus.
« Sortons de là. »
Elles levèrent instinctivement leurs mains devant leurs yeux face à l’éclat du soleil. La chaleur sur sa peau parue étrange à Lethe, comme si elle en avait perdu l’habitude. Une silhouette mince se découpa dans la lumière.
« J’espère que vous avez apprécié mon musée »
La voix ramena un souvenir mais l’image ne correspondait pas. L’homme devant elles se tenait droit, un large sourire tirait sa peau sans âge et ses yeux bleus brillaient d’un éclat malicieux. Le timbre concordait mais c’était tout ce qu’il restait du crieur. Même sa veste rapiécée semblait avoir rajeuni.
« Que…
— Que s’était-il passé ? Rien de plus que ce que je vous avais annoncé. Je n’ai pris qu’un peu de votre temps. »
Alors, la vérité se découvrit sous les yeux de Lethe. Les pommettes d’Éliah étaient creusées, sa peau était tachée, parcheminée de lignes, ses yeux avaient perdu l’étincelle d’innocence de son enfance. Elle observait sa sœur au bord des larmes. Avec appréhension, Lethe leva ses mains devant elle, un sanglot s’échappa de ses lèvres. L’arthrose lui paralysait les doigts. Jamais plus elle ne travaillerait le cuir.
« Je vous jure que je vous le ferais payer. Je demanderai réparation aux Dieux !
— Les Dieux ? Quels Dieux ? Je suis le dernier, le seul, l’unique. Chronos pour vous servir. »
Il leur adressa une révérence alors qu’Éliah se décomposait en poussière devant les yeux de sa sœur.
Ton style d'écriture est très efficace et prenant, c'est super chouette !
J'espère que je ne t'ai pas trop perdu avec le début. Contente que la chute n'ai pas été attendue, comme je le disais en dessous, j'avais peur d'avoir mis trop d'indice en amont °°
Merci !
Je suis contente que la fin soit une surprise, j'avais peur que ce soit un peu trop "facile". Contente que ça fonctionne :D
Merci beaucoup !
« Mesdames et Messieurs. Petits et grands. Approchez, approchez, venez découvrir le musée des Dieux ! » : C'est un début qui m'a accroché tout de suite !
J'ai beaucoup aimé cette Nouvelle (j'ai l'impression de répéter ça tout le temps xD), et l'idée générale. L'écriture est jolie, fluide, bien menée !
Le seul "défaut" que je pourrais voir (pour moi, personnellement), c'est que le point de rupture est un peu brusque. En quelques lignes Athéna s'éveille et elles prennent la fuite, je pense (toujours très personnellement), que tu pourrais retravailler ce moment pour faire glisser plus tranquillement dans la peur et le sentiment d'urgence.
Ça n'empêche que j'ai adoré tout le reste **
Oh contente que cette première phrase t'ai accroché ! Merci pour tes compliments <3
Je suis d'accord avec toi, la bascule se fait trop rapidement. Au départ je voulais qu'Athéna et ses filles essayent de protéger les deux enfants mais... Je n'ai pas réussi à trouver le comment. J'ai finis par lâcher prise pour me tenir à la contrainte de l'écriture en une semaine. Je la reprendrai peut-être pour lui donner un peu plus de temps =)
Merci beaucoup <3
Merci beaucoup !! :D Je suis contente que ce mariage te plaise. En vérité, j'ai une petite connaissance de la mythologie mais j'ai essayé de me renseigner en écrivant. Je voulais d'ailleurs faire un passage dans le musée plus long mais... j'ai lâché prise et ne pas transformer cet exercice sympa en quelque chose de laborieux :)
Merci beaucoup pour ta lecture et ton retour <3
Je viens découvrir ta plume pour la première fois. Très bon récit, avec une narration très fluide. La fin est assez glaçante et en même temps présentée en toute élégance :)
Bravo pour cette interprétation de carte :)
Oooh merci beaucoup ! Je n'étais pas sûr de moi, en une semaine il faut savoir lâcher prise. Je suis contente qu'elle te plaise. Une mort en toute élégance 0:)
Merci beaucoup !
Si tu as envie de te joindre à nous, n'hésites pas à venir sur le Discord, ca se passe dans le salon "défis-scribouilleux". Tu trouveras le lien du Discord sur la page principale du site =)
Ca valait le coup d'attendre ;)
Tu as une très jolie plume, j'ai été happée par ton histoire, et cette chute !! 😭 Elle est triste mais, il faut le reconnaitre, très bien trouvée, et tu as interprété cette carte d'une très belle façon, bravo !! <3
Hihi oui j'ai eut un peu de mal à trouver du temps dans la première semaine mais... Elle est là /o/
Ooooh un grand merci ! Je suis très contente que mon interprétation t'ai plu. Merci beaucoup <3
Je suis contente de voir que tu as aimé cette nouvelle =) Une fine cruelle ? Si peu ! Merci beaucoup =)
C'était un bon exercice et je pense recommencer avec la prochaine carte :D
J'ai beaucoup aimé cette nouvelle : ta plume nous y guide doucement et nous glisse des indices que l'on ose à peine croire jusqu'à ce que tu assènes la révélation finale et que l'on ait plus le choix. Ta chute est diablement efficace, elle se marie à merveille avec l'univers mythologique que tu as choisi. Bravo et merci pour ce moment de lecture <3
Oh merci beaucoup ! J'avais peur d'être un peu gros sabot et de mal doser les indices. Je suis contente que ça fonctionne :D
Merci beaucoup pour ta lecture et ton retour <3
Quelle jolie interprétation de la carte.
Tu as très bien mené l'intrigue, je me suis complètement laissé happé par l'histoire.
❤️
Je n'étais pas forcément sereine mais j'essaye de lâcher prise. Contente de t'avoir entrainé dans l'intrigue :D Merci beaucoup pour ta lecture et ton retour <3