1. Mal de sac

Par Jowie

Les fesses dans la paille, Eleonara soupira en étendant ses jambes ankylosées dans l’obscurité. Comme il lui avait tardé de s'étirer ! Voilà trois semaines qu'elle voyageait dans un ballot en toile de chanvre huilée, pendue au flanc droit du cheval de Sebasha d'Éméride. Pliée en quatre du matin au soir, elle ne voyait pratiquement pas le ciel et percevait le monde à travers une fente. Même se soulager ou respirer à l'air libre était devenu un luxe rare dont elle ne profitait que les nuits comme celles-ci, passées dans une écurie.

Depuis leur départ du Don'hill jusqu'à leur arrivée au fin fond du duché de Pastylle, les journées s'étaient égrainées avec une lenteur agonisante. Sous le soleil de midi, l'espace dans le ballot se moitait et la prenante odeur de peau mêlée à celle de transpiration, donnait la nausée. Eleonara se balançait au rythme des sabots, le menton sur les genoux, divaguant entre délire, sommeil, rêverie et ressassements muets. La gourde et les occasionnels morceaux de pain noir que Sebasha lui glissait sous le rabat assuraient sa survie. Fœtus dans sa matrice de chanvre, elle voulait en sortir améliorée cette fois, et non pas ratée de l'âme ou bonne qu'à culpabiliser. Elle voulait se refaire.

Le voyage aurait été moins contraignant si trois moines-soldats et le sergent de Pastylle ne talonnaient pas Sebasha où qu'elle allât. Depuis le meurtre de l'Abbé et du jeune Tomislav d'Ox en Opyrie, ils l'attendaient derrière la porte des latrines, l'escortaient à la rivière lorsqu'elle faisait sa toilette et vérifiaient sans cesse qu'elle fût présente. Après avoir porté renfort au Don'hill en vain, ses escortes rentraient en Opyrie, sans intention de laisser la Chevaucheuse de dunes hors de leur vue.

Sebasha n'en avait que faire de cette haute surveillance. Eleonara ne pouvait pas se permettre une telle désinvolture. Les moines-soldats ignoraient tout de l'invitée clandestine cachée sous leurs nez, si bien que celle-ci vivait dans la crainte de se trahir par un mouvement brusque, une inhalation ou un grignotement trop bruyant. Des bruits émanant de l'arrière-train d'un cheval auraient forcément contrarié quelqu'un.

Comme s'ils manquaient de compagnie, Sebasha et les quatre Frères du Don'hill avaient partagé la route de nombreux pèlerins, apprentis, marchands et muletiers. Heureusement pour Eleonara, ils faisaient étape dans les hospices et les sanctuaires qui jalonnaient les chemins cahoteux, ce qui lui permettait de sortir de sa cachette.

 

Eleonara se massa les cuisses, lissa ses braies renforcées à l'entrejambe et regarda autour d'elle. La senteur de paille fraîche lui chatouilla les narines et la chaleur humide qui s'en exhalait la rassura. Elle se trouvait dans la stalle de la jument qui la portait de l'aube au crépuscule. En plissant les yeux, l'elfe devinait d'ailleurs sa grande forme obscure qui somnolait debout. « Au moins, toi, tu n'essaies pas de me manger » songea-t-elle.

Les lieux étaient déserts : les palefreniers avaient pris congé ; les maîtres s'accordaient leur repos ; les moines-soldats et Sebasha louaient une chambre à l'étage.

Eleonara se leva et marcha en rond pour se dégourdir les membres. À quand datait son dernier sommeil digne de ce nom ? Ses journées n'étaient pas divisées entre jour et nuit, mais entre ennui et alerte continue. En cas d'arrivée impromptue d'un voyageur ou d'un palefrenier, il lui faudrait se terrer sous la paille dans un angle stratégique de la stalle.

Elle s'empara de la bride pendue à un vantail et joua à faire et défaire les harnachements sans regarder, tout en remâchant les événements des mois passés. Elle songea à Agnan et à Sgarlaad, disparus en d'étranges circonstances ; à Melvine, coincée dans un couvent dévasté et à Hêtrefoux, jardin de tous ses espoirs, plus lointaine que jamais. Mais elle songeait également à la fleur jaune dans une soupe aux lentilles en ébullition ; à des visages exsangues et figés, à la bouche noircie de l'Abbesse. Aux portes du sommeil, une voix à la fois proche et insaisissable lui susurrait, nuit après nuit. Tout est de ta faute. Rien que ta faute à toi.

Elle pressa l'Œil de Diutur, cette pierre à cent facettes qu'elle portait en collier, dans sa main. Elle se surprit à penser : « Diutur sera mon juge. Il a tout vu et sait tout. »

Les chevaux savaient, eux aussi. Ils avaient fait un boucan lors de son entrée en fin d'après-midi. Bien qu'Eleonara se dissimulât alors encore dans son fameux ballot, ils avaient reniflé dans l'atmosphère un soupçon de sa présence. Les équidés, à l'instar des chiens et des chats, possédaient un odorat leur permettant de discriminer le musc elfique. Ils avaient détecté une elfe et l'avaient henni à tous les peuples des Troyaumes. Certains s'étaient cabrés, d'autres avaient foncé dans les parois de leurs stalles, les yeux exorbités, en agitant leurs têtes épouvantées. Si cet accueil tordait l'estomac d'Eleonara à chaque fois, Sebasha, elle, était enchantée.

— Quelle allègre bienvenue ! Vous m'honorez, maîtres à sabots !

« La liesse de l'ignorance », se répétait Eleonara avec une moue. Tant que Sebasha ne se posait pas trop de questions, tout allait bien. Sauf que Sebasha n'était pas stupide. Sans lever le petit doigt, elle parvenait toujours à avoir une longueur d'avance sur les autres. Elle devait déjà se douter de quelque chose : elle avait confisqué le couteau de cuisine qu'Eleonara avait emporté avec elle. Tôt ou tard, elle réclamerait des explications.

L'elfe se remémora l'état de panique qui l'avait poussée à frapper à la chambre DXII du Don'hill, trois semaines plus tôt. Les battements de son cœur s'étaient réverbérés jusqu'à ses tympans et ses ongles s'étaient plantés dans ses paumes sans qu'elle ne ressentît la moindre douleur.

— Que me veut la fouine de l'Abbesse cette fois-ci ? avait dit Sebasha en l'invitant à l'intérieur.

L'Abbesse. De son vivant, cette femme de glace et de fer en imposait et son nom suffisait pour renvoyer Eleonara aux recoins les plus sombres et les plus douloureux de sa mémoire. Elle avait dû se faire violence pour ne pas balbutier, une fois que l'Opyrienne et elle furent hors d'écoute.

— Vous êtes triplement endettée vers moi, vous l'aviez dit vous-même. Quand l'Abbesse voulait perquisitionner votre chambre, je vous ai avertie. Quand j'ai découvert le nombre illicite d'armes blanches en votre possession, je ne vous ai pas dénoncée. Quand les sergents voulaient se débarrasser des étrangers au sein de l'ordre, je vous ai mise en garde. Vous vous en souvenez ? Oui ? Alors aidez-moi. Aidez-moi à m'enfuir. Emmenez-moi avec vous dans votre pays.

L'embrouille avec Sœur Agnès, un séjour dans la tombe murale, l'empoisonnement général du cloître, les décès qui se décuplaient et la rumeur d'une bête rôdeuse. Tout était si récent. Pourquoi ces événements refusaient-ils de s'estomper dans le passé et le déni ?

La Peau Sombre l'avait étudiée de haut en bas et avait tardé à répondre. Elle n'avait exprimé aucune remarque condescendante, aucun ricanement ironique. Il n'y avait même pas eu un scintillement de canine. Avec un sérieux matriarcal, elle avait prononcé :

— Toi et moi, un jour, nous parlerons.

Si sur le moment, Eleonara s'était crue sauvée et l'avait remerciée mille fois, une nuit avait suffi pour effriter son soulagement. Ce « un jour », elle le redoutait.

 

Des cliquètements résonnèrent derrière le portail clos de l'écurie. Par réflexe, Eleonara se contracta, s'accroupit et enfouit ses jambes, son torse et son menton sous la paille. Cerveille, ville frontalière einhendrienne au sud du duché de Pastylle, n'était pas immune aux ravisseurs d'équidés, particulièrement bien formés dans la contrée.

Les bruits métalliques se poursuivaient. Quelqu'un se disputait avec le cadenas.

En l'entendant céder, l'elfe rentra la tête et pria pour que l'obscurité jouât son rôle.

Un faible grincement puis, le retour d'un silence abyssal. Qui que fût cet intrus, il n'était pas censé être là et il ne souhaitait pas être vu.

Eleonara retint son souffle.

Des pas. Une pause.

— Psst. L'heure est venue.

Reconnaissant cette voix féline qui roulait les « r », Eleonara se décrispa et émergea de sa cachette.

— La voie est libre ? souffla-t-elle, à la limite de l'audible.

La silhouette curviligne accoudée sur la demi-cloison se discernait à peine.

— Certainement. Mes confrères sont si ivres qu'ils ne peuvent plus dire « poulet ». As-tu été vue ?

— Je ne crois pas. Personne n'a crié en tout cas.

— Excellent.

Eleonara se dépêcha de brider et de seller la jument, tandis que Sebasha emplissait des sacoches de provisions et s'entourait d'une cape. Chaque geste était sûr, précis, hâtif. Chacune savait quel rôle assumer. Il n'était pas évident d'ajuster et crocher les sangles à l'aveuglette, mais Eleonara, s'étant entraînée à cette tâche, y parvint en un temps record. Elles préparaient cet instant depuis leur départ de l'abbaye.

Sebasha chargea leur approvisionnement sur le flanc gauche du cheval et aida sa complice à grimper dans le ballot de droite. Habituée à ce curieux numéro de cache-cache, leur monture ne broncha pas. Mais la tolérance, Pia avait dû l'apprendre. La première fois que l'elfe avait voulu l'approcher, Pia avait décoché tant de coups de sabots qu'Eleonara avait cru quitter le Don'hill sous forme de purée.

Des bulles d'excitation pétillaient dans le ventre de l'elfe. La fraîcheur de la nuit, suave et accueillante, la titillait à travers le sac.

Sebasha ferma le portail du relais en douceur. Une grâce dont elle ne fit pas preuve en se hissant sur Pia : en lançant sa jambe par-dessus la croupe, elle percuta Eleonara avec sa sandale.

— Mille excuses.

Ayant amélioré son assiette par un mouvement sec du bassin, la cavalière demanda le pas. Eleonata baisa le rabat du ballot en grommelant.

Cerveille était une agglomération de maisons-tours qui rivalisaient en hauteur. Au rez-de-chaussée de ces bâtisses, les boutiques, les échoppes et les ateliers avaient fermé ; les étalages des marchands ambulants avaient été repliés ; les poules, les oies et les cochons avaient disparu. À cette heure, il n'y avait ni enfants, ni pèlerins, ni moines portant secours aux démunis, ni maîtresses de maison faisant les emplettes. Même les sans-abris et les ivrognes s'étaient réfugiés sous leurs ponts et dans leurs replis de misère. Le tumulte diurne s'était soufflé comme une bougie.

Un chien errant hua la lune, aussitôt imité par ses multiples camarades dispersés à travers les quartiers cerveillois. Dans le noir complet, Eleonara se rongeait l'ongle du pouce, bercée en avant et en arrière par la lente et précautionneuse cadence du cheval.

La garde circulait, veillant au respect du couvre-feu. C'était fâcheux, or plus fâcheux encore étaient les pas feutrés qui arpentaient les ombres, se faufilaient sous les arcades, s'évaporaient tels des coups de vent et connaissaient les allées sombres aussi bien que leurs poches. Les voleurs, les coupe-gorges et les attrapeurs d'esclaves. Pastylle, affectueusement surnommé « le duché du vice », en regorgeait. Eleonara ne s'en surprenait pas ; les humains hébergeaient tous un fond vil – et souvent bien plus qu'un fond. C'était inscrit dans leur nature.

Et dans la tienne aussi.

Eleonara se mordit les lèvres comme si c'était à travers elles que sa conscience avait parlé. Quand allait-elle enfin la boucler, celle-là ?

Pia se tenait à l'arrêt. De son index, l'elfe leva un coin du rabat, méfiante. Ne distinguant rien à part de la toile marron, elle déduisit que Sebasha avait déployé sa cape de façon à couvrir sa cargaison.

La jument osa quelques pas dubitatifs, avant de se planter à nouveau sur ses sabots, rejeter la tête en arrière et partir au galop. Une fenêtre venait d'éclater en morceaux juste derrière elles, suivie de jurons et de cris trompétés à travers le voisinage. L'elfe manqua de rendre son dernier repas. La dernière chose qu'il leur fallait, c'était se faire surprendre sur une scène de délit.

La suite de leur itinéraire, une fois que Pia se fût calmée, consista en une alternance de haltes et de brèves séquences au trot. Contrer le couvre-feu était risqué, mais c'était leur seule chance de fausser compagnie aux moines-soldats. Cette entreprise n'aurait pas fonctionné n'importe quelle autre nuit : il avait fallu attendre le moment propice, ou plutôt, le taux d'alcool suffisant pour garantir à leurs chères escortes un sommeil prolongé et un mal de crâne trépanant à leur réveil.

— Bien le bonsoir, madame ! On se balade ? Par Diutur, il fait si foncé qu'on ne vous voit plus !

Éclata alors un rire gras, auquel se joignirent deux gloussements de bêtas. Eleonara manqua de sursauter et son souffle s'emprisonna à l'arrière de sa gorge. Qui avait parlé ? Pourquoi les avait-on interceptées ? Où étaient-elles ? Il n'y avait qu'une certitude : Sebasha exhibait ses canines nacrées et aiguisées, ça, l'elfe en était sûre, car l'hilarité s'acheva lorsque l'Opyrienne murmura :

— Dé-so-pi-lant. Mon sourire, vous le voyez ? J'espère, parce qu'à la prochaine facétie, je ne rirai plus et vous encore moins.

— N'empêche que c'est une drôle d'heure pour se promener seule, sauf votre respect, répliqua une voix nasillarde, manifestement peu charmée. Le couvre-feu, ça vous rappelle quelque chose ?

— Rien de suspect à déclarer ? voulut savoir un autre voix, plus neutre et pragmatique. Et découvrez votre tête s’il vous plaît, qu’on vous voie mieux. Merci.

Elles étaient arrivées au corps de garde. Eleonara eut tout d'un coup très envie de tousser.

— Euh... madame ? Je crois que quelque chose a remué dans un de vos ballots.

— Et alors ? coupa Sebasha. Mon cheval souffre de spasmes fessiers. Laissez-moi passer.

Les vigiles ne durent pas bouger beaucoup, car elle reprit aussitôt, les dents serrées :

— Sacrée soit la tempête de sable, êtes-vous au moins corruptibles ?

— Seulement les lundis et les samedis, madame. On est vendredi et on ne corrompt pas le jour des Seigneurs, ici. Désolé.

— Le jour des Seigneurs, encore ? s'agaça l'Opyrienne. Combien de temps jusqu'aux matines ?

— Un quart d'heure au plus.

C'était probablement la conversation la plus absurde qu'Eleonara avait entendu de sa vie. Au Blodmoore ou à Terre-Semée, on les aurait arrêtées sans discuter. En plus de leurs tueurs, beaux-parleurs et enjôleurs, les pastylliens étaient réputés pour leurs adorateurs d'argent. Autrement dit, beaucoup étaient ouvertement corruptibles et fiers de l'être. Proposer des pot-de-vin à tout-va n'avait rien d'anormal.

Sebasha émit un grognement. Aussi petit fût-il, le contretemps était pénible à supporter.

— Ouvrez grand vos oreilles, alors. Si vous voulez ma monnaie, tenez vos langues en laisse.

Eleonara roula des yeux. Le silence ne s'achetait pas ou du moins, pas longtemps. Qui pouvait assurer que, le matin venu, ces vigiles ne rapporteraient pas aux moines-soldats quand Sebasha était partie, dans quelle direction et avec quelle coiffure ?

Si l'elfe n'avait pas été dans le ballot, elle aurait vu l'Opyrienne désigner, au-dessus de leurs têtes, sur l'arche du corps de garde, une bisse burelée de sable et d'argent [1] s'entortillant au centre d'un écu pourpre. Le blason de la famille de Pastylle. Il lui aurait suffi de loucher pour confondre la couleuvre nouée sur elle-même avec une forme sinistrement familière : une boucle de pendu. Mais Eleonara ne vit rien de tout cela.

— Deux jours vous garderez le silence, poursuivit Sebasha avec la gravité d'une oracle. Après, contez la nouvelle à qui voudra l'entendre. Trahissez-moi trop tôt et j'en aurai vent.

Eleonara devait admettre que l'Opyrienne savait se faire déroutante quand elle le voulait, mais là, c'était différent. Son avertissement ne faisait aucun sens.

Les vigiles demeurèrent muets pendant trois battements de paupières, avant de se consulter les uns les autres un peu plus loin. L'elfe ferma les yeux, orienta son attention auditive vers eux et écouta.

— Les gars, ce n'est pas une blague. Je crois qu'on a vraiment affaire à une euh, une... Comment ça s'appelle déjà ?

— Une Oreille Tisseuse.

— Rien à voir, c'est « Pupille Fileuse ».

— Je te jure sur le toit de ma grange qu'on dit « Oreille Tisseuse ».

— Ah bon, pas « Main Couseuse » ?

Eleonara commençait à douter de la santé mentale des vigiles et à s'impatienter. Cette évasion s'éternisait et rien ne garantissait que personne à l'auberge n'avait remarqué leur départ. Une Pupille Fileuse ? Une Oreille Tisseuse ? Et pourquoi pas Narine Tricoteuse, pendant qu'on y était ?

— Combien nous offrez-vous ? voulurent savoir les vigiles, à haute voix cette fois.

— Trois pièces, rétorqua Sebasha. Chacun.

— Sept, réclamèrent-ils en chœur.

— Cinq.

— Sept.

Cinq.

— Cinq cinquante.

Un remous de drap, un fouettement d'étoffe. À en juger l'éclat de « ah ! » des vigiles, Eleonara devina sans peine que l'Opyrienne avait repoussé sa cape et dévoilé le grand jeu, à savoir son étincelante ceinture à neuf dagues.

— Mouais... motus et bouche cousue pendant deux jours, ça peut se faire pour cinq sous, j'imagine, marmonna un des gardes en guise de « bonne route ». Ça vous fera quinze écus au total, alors.

Des tintements cristallins, puis une pluie métallique retentirent dans les ténèbres.

— Bon samedi à vous, braves gens d'arme. Que la gratitude de mes ancêtres vous éclabousse.

— Oh, ça va, hein, bougonna le vigile à la voix de canard. On se passe volontiers de vos fioritures verbales. Allez, décampez. Et bonne semaine à vous aussi, ajouta-t-il en secouant ses cinq écus.

Sebasha ne se le fit pas répéter : elle passa sous le serpent illustré au trot assis et s'enfonça dans la nuit. Subissant les secousses de cette allure avec un malaise incrémenté, Eleonara n'eut la force de faire un signe de vie que lorsque Pia eut ralenti et que l'Opyrienne l'eut informée en tapant trois fois sur son ballot qu'elles pouvaient parler.

L'elfe fit dépasser sa touaille hors du sac.

— Je vous en prie, ne trottez plus pour aujourd'hui ; j'en ai l'estomac retourné.

Elle inspira fort la pureté de l'air. Rares points lumineux au cœur de l'immensité obscure, les torches du corps de garde brûlaient à distance, réduites à la taille de lucioles. Elles avaient quitté Cerveille et fui les moines-soldats avec succès. Ça méritait un long soupir de satisfaction.

— Rectification, servante de Diutur. Tu ne trotteras plus. Pia boîte ; elle ne veut plus te porter. Tu continues le chemin à pied.

Incrédule, l'elfe fixa Sebasha qui, avec une imperceptible altération de la tension sur ses rênes, occasionna une halte. Eleonara était ravie par le changement de programme ; aussi se prépara-t-elle à quitter le ballot, ce nid nauséabond qui l'avait contenue, réprimée, étouffée.

Une jambe pendant à l'extérieur, Eleonara s'apprêtait à poser pied à terre, quand le ballot pencha de côté. S'accrochant par réflexe aux sangles, elle ne put s'éviter une culbute en avant et finit étalée de tout son long dans l'herbe mouillée.

Un ricanement fabuleux s'échappa de la gorge de Sebasha. L'elfe se redressa sur ses coudes, croyant que Pia l'enjamberait telle une branche coupée. Elle se trompait. S'agrippant au pommeau de sa selle, l'Opyrienne se pencha, muscles abdominaux contractés, pour lui tendre sa main libre.

— Va, relève-toi. Nous avons un long chemin à faire.

 

Notes en bas de page :

[1] En héraldique, un serpent aux rayures noires et blanches

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Noham
Posté le 12/01/2021
Aaaah, la fuite du Don'Hill. C'est vrai qu'Eleonara en voit des vertes et des pas mûres X) ce personnage n'a pas la vie douce ! (Mais j'ai hâte de retrouver Razelhanout !)

Sebasha est très intéressante dans ce chapitre. Ce que j'ai apprécié dans la lecture est la nouvelle découverte d'Opyrie, et la manière dont les soldats sont si corruptibles ! Sebasha connait les us et coutumes, et elle sait mener les négociations.

Mais dis-moi, Jowie, Éléonara a tendance à se retrouver trèèès souvent enfermée quand même. Je dis ça... XD
Jowie
Posté le 13/01/2021
Hey hey toi ;)
Depuis le temps, tu me connais, tu sais que j'aime balancer plein d'obstacles devant Eleonara héhé
Haha, je suis contente d'entendre que tu te réjouis des retrouvailles avec ce cher Razelhanout et que tu t'amuses bien en retrouvant Sebasha ^^

Eleonara s'est souvent faite enfermer jusque-là c'est vrai ! Est-ce que dans ce chapitre, le fait qu'elle se cache dans un sac t'a dérangé ?

Merci d'être passé et d'avoir commenté ! à bientôt ;)
Aliceetlescrayons
Posté le 08/03/2020
J'aime beaucoup la métaphore du sac comme matrice pour une renaissance ^^
La négociation entre Sebasha et les gardes était un peu difficile à suivre mais c'est logique, vu qu'on est sur le point de vue d'élections alors ce n'est pas choquant. Du coup, ça induit l'idée que Sebasha a une "qualité" particulière, si j'ai bien compris?
En tout cas, j'aime bien ce duo. J'ai hâte que Sebasha se dévoile un peu plus :)
Jowie
Posté le 13/03/2020
Coucou Alice !
J'aime bien cette métaphore aussi, je voulais montrer qu'Eleonara regrette d'avoir fait un faux pas et veux une chance pour recommencer à zéro.
Une négociation difficile à suivre mais logique xD Je crois que je suis satisfaite si ça te donne cette impression d'étrange et que dans cette région, la négociation se passe autrement ! En effet, Elé est aussi contrariée par cet échange.
Oui, Sebasha chache des choses, mais je n'en dit pas plus ;)
Merci pour ton commentaire ! J'espère que la suite continuera à te plaire :)
Isapass
Posté le 02/02/2020
Ah elles ont enfin semé les moines-soldats ! Enfin, j'espère...
Excellent, les gardes de la ville qui annoncent fièrement qu'ils sont corruptibles ! La négociation est un peu bizarre mais Sebasha semble connaître les mœurs du coin.
Bon, je pense que Elé n'est pas près de se débarrasser de sa culpabilité (ce qui peut se comprendre, vu qu'à l'origine, ce n'était qu'une blague pour se venger en douce.
Et maintenant, l'Opyrie ! Je suis impatiente de voir ce que tu nous réserves !
Jowie
Posté le 03/02/2020
ça aurait été difficile de visiter le pays dans des moines-soldats sur ces talons, c'est clair ;)
C'est vrai que niveau culture, on est loin des l'Einhendrie centrale et encore une fois, Eleonara se sent toute déboussolée. Heureusement, Sebasha sait comment se comporter !
Tu me connais, j'aime bien torturer mes personnages, donc il y a de fortes chances qu'Eleonara perde se tracasse (un peu) à cause de cette affaire.
Je te souhaite une bonne découverte de l'Opyrie :D
Sorryf
Posté le 16/01/2020
Pauve Eleonara de nouveau enfermée dans des trucs (c'est souvent j'ai l'impression xD)
mais quel plaisir de la retrouver ! et Sebasha aussi ! J'ai beaucoup rigolé dans ce chapitre notamment au moment avec les gardes ! Je sens que je vais adorer ce tome 2!
Jowie
Posté le 17/01/2020
Heey Sorryf !
Maintenant que tu le soulignes, c'est vrai que là encore, Eleonara à réussi à se mettre dans un espace exigu et étouffant xD J'espère que tu n'as pas eu l'impression que c'était trop répétitif (si c'est le cas, n'hésite pas de me le dire!). Dans ce tome par contre, Eleonara ne sera plus enfermée, tu verras ;) J'avoue que dans le tome 1, elle avait de la peine à y échapper ^^' Quand j'étais petite, j'aimais me cacher dans des boîtes en cartons ou alors me mettre des seaux sur la tête... Peut-être que ça vient de là...? xD

Je suis comblée que tu aies apprécié ce début du tome 2 ! Je te souhaite une lecture pour la suite et merci de m'avoir lue :)
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