Quatre ans plus tôt
Réserve naturelle de Bigelow Preserve, Maine, Etats-Unis.
Je soupirai de contentement, apaisée. Allongée à même le sol, je m’étirai avec la pensée amusée d’avoir été un animal sauvage dans une autre vie. Depuis que j’avais déniché cette petite clairière à l’écart des sentiers balisés, je m’y rendais souvent après le lycée. A 16 ans, je passais mon temps libre à lire et me balader en forêt, avide d’air pur et d’espace. J’avais conscience de ne pas faire partie de la norme. Je m’en moquais. De par leur travail, mes parents bougeaient énormément et nous enchaînions les déménagements. Changer d’établissements à chaque rentrée scolaire n’aidait pas à créer des liens. Je me contentais de me fondre dans le paysage jusqu’à la prochaine destination.
En cet instant, ne comptaient que la caresse de l’herbe sous la plante de mes pieds nus, les rayons tièdes du soleil de fin de journée sur mon visage, le va et vient de mes doigts sur le tapis végétal. Mes pensées vagabondaient. Je me laissais envahir par l’odeur entêtante de la forêt. Ces derniers temps, je me sentais vraiment moi-même qu’ici, en pleine nature, loin des gens. Heureusement, mes parents me laissaient cette liberté dont j’avais tant besoin et je les adorais d’autant plus.
Des bruits de pas non loin me sortirent de ma léthargie. Je retins un soupir de frustration et me redressai à demi.
Danger.
Je sursautai. Cette voix, d’où venait-elle ?
Fuir.
Un grondement roula à mes oreilles, pareil à un orage dans le lointain. Pour le coup, je me levai tout à fait. Je balayai du regard les environs. Bien que rares, les rencontres avec des bêtes sauvages arrivaient, surtout dans ces grandes réserves naturelles. Dans des gestes saccadés, j’enfilai mes baskets et fourrai mon livre dans le sac. Dans le même temps, je continuais à scruter les arbustes et les fourrés alentours. Aucun mouvement suspect n’agitait les feuillages.
Fuir. Vite.
Ce n'étaient pas vraiment des mots, plus des impressions percutantes. Renonçant à déterminer l’origine de cette voix impérieuse, j’avançai pour emprunter le passage habituel menant au sentier.
De l’autre côté.
Je marquai une infime pause avant de m’exécuter. Je grimaçai alors que des épines griffaient la peau nue de mes bras. Ce passage se révélait moins praticable. Je ne m’arrêtai pas pour autant, poussée par une impression pesante de danger et cette voix venue de nulle part. Je finis par regagner le chemin aménagé, un peu plus loin en contrebas. Empoignant la lanière de mon sac, je m’y agrippai en avançant à un rythme soutenu. Je ne pensais plus qu’à rentrer alors que la sérénité de cette balade avait disparu. Les paumes des mains moites de sueur, j’avais une étrange impression d’irréalité. Alors que j’essayais de me raisonner, j’entendis de nouveau des bruits de pas derrière moi. Des personnes arrivaient en courant. Certainement des joggeurs.
Cours !
Cette injonction éclata à l’intérieur de mon crâne avec violence. Désorientée, je mis quelques secondes à réagir. Je devenais folle.
— Là-bas, c’est elle !
Je me tournai vers l’origine de l’interpellation. Deux hommes émergeaient du virage que dessinait le sentier. Du peu que j’en discernai, leurs visages n’inspiraient pas confiance. Ils en avaient après moi visiblement, mais pourquoi ?
Mon regard se posa sur la cigarette fichée entre les lèvres quasi-inexistantes de l’un d’eux. Un lent sourire s’afficha sur celles-ci. Comme hypnotisée, je le dévisageai, de son visage anguleux à ses cheveux d’un blond douteux. Les cailloux crissèrent sous sa semelle quand il esquissa un pas. De nouveau une sorte de grognement résonna à mes oreilles.
Danger !
Le mot agit comme un déclencheur. Mes membres parurent agir d’eux-mêmes. Une poussée d’adrénaline déferla dans mes veines et je me retrouvai à détaler comme une bête aux abois. Cette portion du parc n'était pas la plus fréquentée. J'en appréciai le calme d'habitude. Là, je cherchai désespérément des promeneurs, de l'aide.
Les bruits résonnaient à mes oreilles, amplifiés. Ils me talonnaient. En ligne droite, je n'avais aucune chance. Je m’engageai vers les sous-bois, poussée par cette présence en moi. Je me focalisai sur la force qu'elle me procurait, celle de ne pas abandonner.
L'instinct me poussait à m'enfoncer dans la forêt, les semer dans le dédale végétal. Pour avoir parcouru souvent les lieux, je m'orientai sans mal parmi les fougères et fourrés épineux. Derrière, ils faisaient un boucan du diable. Je n’allai pas m’en plaindre. Malgré mon cœur qui tambourinait à mes oreilles en un battement frénétique, j’avais un semblant d’estimation de leur position. Je slalomai entre les arbres, le vent sifflant à mes oreilles. Je bifurquai de nouveau et longeai le terrain pentu. Je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule. Ils se trouvaient encore de l’autre côté du versant. Je disposai d’une poignée de secondes pour me cacher. Je descendis les quelques mètres qui me séparaient d’un dense tapis de fougères. Là, je me mis à quatre pattes et rampai, m’enfouissant sous les larges feuilles.
Ne bouge plus.
J’obéis à l’injonction mentale. Les craquements secs des branches mortes sous les pas déterminés, les jurons à peine étouffés de l’un des hommes me parvinrent. Le ventre noué, les membres tremblants, je serrai les dents. Je me fis la plus petite possible, mon nez presque plaqué au sol. J’en inspirai la riche odeur terreuse et y puisai une certaine force.
Je n’osai pas attraper mon portable. Heureusement celui-ci était en mode silencieux comme à chacune de mes balades. J’entendais encore leur présence, mais de façon plus ténue. Ils s’éloignaient de ma cachette. Attendre, encore.
Des heures passèrent. La luminosité diminua, les contours des feuillages s’estompèrent et le froid s’insinua sous la faible épaisseur de mon tee-shirt. La présence en moi ne se manifestait plus. J’hésitai entre le soulagement et l’envie de l’entendre de nouveau. Elle m’avait aidé, unique certitude sur laquelle je pouvais me reposer alors même que je nageai en pleine confusion. Les doigts gourds, je finis par envoyer un message à mes parents, avant de me glisser telle une ombre parmi les arbres, à l’affût de tout bruit suspect. Une fois atteint les abords du parc, j’attendis à l’abri des arbustes. Je me frictionnai les bras, aux aguets.
Le bruit d’un moteur rompit ma solitude. La lumière des phares balaya la pénombre du parking en contrebas. Une notification apparut à cet instant sur mon téléphone.
« On est là. »
Je relâchai mon souffle, mes muscles se détendirent. Je descendis avec fébrilité les quelques mètres me séparant de l’espace de stationnement.
Une fois dans l’habitacle, je fus prise de tremblements irrépressibles. Ma mère monta avec moi à l’arrière. Je me nichai contre elle et laissais la peur refluer sous cette étreinte familière. Quand je réussis enfin à mettre des mots sur ce qu’il venait de se passer, je surpris un long regard entre mes parents. Je gardai pour moi la voix qui m’avait accompagné de peur de les inquiéter davantage. Mon père m’assura qu’il appellerait la police dès notre retour à la maison.
Le lendemain, mes parents m’annonçaient un nouveau déménagement.
Très belle découverte, la plume est fluide, le récit immersif et intrigant ! L'action est décrite avec une intensité qui maintient en haleine. On ressent la panique et la détermination de l'héroïne à chaque pas, à chaque battement de cœur. La scène de poursuite est haletante et parfaitement rythmée, accentuée par l'angoisse croissante et les injonctions mentales. La conclusion, avec l'arrivée des parents et l'annonce d'un nouveau déménagement, laisse présager des rebondissements intéressants. J'ai vraiment hâte de découvrir la suite ! ;)
S. Keller
C'est mon tour de découvrir ton histoire :)
Eh bien écoute, j'ai beaucoup apprécié ce premier chapitre ! Je trouve que tu as su trouver le juste équilibre entre les descriptions et le changement d'ambiance qui passe d'un moment de sérénité à une poursuite de manière très fluide. Tu as une belle plume, c'est agréable de te lire.
Je te fais deux petites remarques sur la forme :
○ "je me sentais vraiment moi-même qu’ici" -> je ne* me ? Il me semble que la négation manque.
○ "ses cheveux d’un blond douteux" -> qu'est-ce qu'un blond douteux ? L'adjectif m'a un peu perdue ici. Le champ lexical choisi renvoi aux poursuivants en eux-mêmes, qui sont inquiétants, mais je ne sais pas si c'est approprié de l'employé ici.
J'ai beaucoup aimé la fin du chapitre aussi, la phrase finale, qui laisse deviner plusieurs choses. Couplé avec le regard lourd de sens échangé entre les parents, ça laisse supposer qu'ils savent que quelque chose guette leur fille, et qu'ils étaient déjà prêts à partir quand il le faudrait. Intriguant !
À bientôt :)
J'adore ce premier chapitre, on a vraiment l'impression d'être avec ton personnage. Il y a beaucoup de suspense, je vais aller lire la suite.
Bonne continuation !
J'avoue avoir atterri ici car j'ai craqué pour ta belle couverture. Et puis les lunes, surtout les pleines, ça revient tellement souvent sous ma plume ^^' . Je n'ai pas résisté.
J'ai bien aimé ce début de récit. J'ai eu une belle construction d'images durant la lecture et j'ai ressenti des émotions d'angoisse, de peur et de précipitation.
Je viendrai lire la suite :)
Petite réflexion :
*C'est fait exprès le choix orthographique du chapitre ? Je suis allée voir la définition de prémisse car pour moi c'était prémices (les 2 mots existent mais n'ont pas le même sens).
Bonne écriture ^^
Bonne
J'avoue avoir eu peur de ne pas apprécier le style d'écriture lors des premières lignes mais mon a priori fut bien vite dissipé. Ta plume est d'une finesse rare et j'admire cette facilité déconcertante.
j'ai hâte de voir la suite de l'histoire ^^