2. Rentrée
De nos jours,
Calander, Ontario, Canada
Sur mon lit, le sac ouvert attendait les dernières affaires à y fourrer. Les préparatifs s’achevaient avant le départ pour ma deuxième année sur le campus de Nippissing. Déjà trois ans que nous avions débarqué au Canada. Cet énième déménagement avait eu un goût de précipitation. Même si je n’avais pas lié d’amitié avec mes camarades, quitter tout une nouvelle fois m’avait pesé. Je m’étais bien gardée de le montrer face à la mine préoccupée de mes parents. Je me doutais des raisons les ayant poussé à partir dans l’urgence et la culpabilité me tenaillait. Pourtant, depuis notre arrivée à Callander, la vie semblait avoir repris un cours normal, enfin, autant que possible. Je luttai encore contre les cauchemars et je dépassai tout doucement ma phobie sociale. Quant à la Voix… Je ressentais encore sa présence, mais de manière plus ténue, comme si elle sommeillait.
L’arrivée de ma mère dans la pièce me sortit de mes pensées. Un coup d’œil à ses bras chargés m’arracha un sourire amusé.
— Maman, tu te rappelles de la taille de la chambre. N’oublie pas que Cassie la partage avec moi.
— Tu seras bien contente d’avoir cette trousse de secours ainsi que des draps de rechange et…
— Il y a à peine un quart d’heure de route entre ici et North Bay, la coupai-je. Regarde, ça déborde !
Tout en parlant, elle avait rempli le sac et s’éloignait reprendre d’autres affaires. Sans avoir le compas dans l’œil, je pouvais affirmer que la fermeture refuserait d’effectuer son rôle. Pour la forme, j’essayai de tasser comme je pus et tirai sur la languette. Echec complet. J’allai souligner l’évidence quand ma mère revint dans la pièce. Je levai les yeux au ciel avant d’éclater de rire.
— J’avais promis à Cassie de ne pas l’envahir.
— Je prends l’entière responsabilité, déclara ma mère en me tendant le second sac. Aylyn, tu sais que tu peux rentrer quand tu veux. Appelle-nous et on viendra. A n’importe quelle heure.
Je hochai la tête et l’enlaçai, inspirant son doux parfum de cannelle. Je comprenais ses peurs mais je pris sur moi pour ne rien laisser transparaître de mes propres angoisses. Une étape à la fois comme me l’avait appris mes séances de psy. Je me sentais prête pour ce nouveau challenge.
*
Un dernier signe de la main à mes parents et la Honda bleutée s’éloigna lentement du parking. Le bras de ma mère continua de s’agiter dans ma direction. Un sourire amusé aux lèvres, j’attendis que le véhicule disparaisse de mon champ de vision. Autour de moi, des groupes de jeunes se hélaient, riaient, se saluaient. La tête baissée, j’avançai vers l’entrée de la résidence étudiante, traînant ma valise derrière moi. Je les enviais quelque part d’être aussi spontanés, une insouciance dont je me sentais dépourvue depuis mon agression. Je préférais rester en retrait et me focaliser sur mes études. Seuls mes deux amis faisaient exceptions à cette règle.
Au premier abord, rien ne nous prédestinait à nous rapprocher. De par nos caractères, Cassie et moi étions l’exact opposé : l’extravertie et la timide. Et pourtant. Il avait suffi qu’elle s’assied à côté de moi à notre premier cours sur l’anthropologie et qu’elle entame la conversation. Une vague d’apaisement, complétement en décalage avec son exubérance m’avait traversé. Je m’étais sentie tout de suite en confiance, pour la première fois avec une inconnue. Au fil des mois, notre amitié se scella. Elle me présenta son ami d’enfance, Ethan, jeune homme aussi discret que moi. Il suivait le cursus informatique et nous nous retrouvions souvent à la cafétaria pour traîner ensemble. Il me ressemblait sur beaucoup de points. Je me retrouvais dans sa retenue face aux autres, dans son besoin de solitude. Une passion commune pour l’histoire des premiers peuples canadiens et leurs légendes créa de nombreux échanges entre nous. Après tant d’années à éviter de nouer des relations avec ceux de mon âge, ma rencontre avec Cassie et Ethan me paraissait parfois irréelle, comme un songe dont j’allais me réveiller d’un instant à l’autre.
Grâce à eux, je m’acclimatais à mon nouvel environnement. A la fin de cette première année de fac, Cassie me proposa de partager sa chambre universitaire et j’acceptai, me sentant prête à quitter le cocon réconfortant de mon chez moi.
J’arrivais justement dans notre logement et comptais profiter du calme avant la tempête pour appréhender les lieux. J’adorais mon amie mais son exubérance laissait rarement place au silence. Je rangeai mes affaires dans la penderie libre puis m’allongeai sur le lit. Des doigts, je caressai la douceur moelleuse du plaid qui le recouvrait. Un nouvel espace, une liberté qui m’effrayait autant qu’elle m’exaltait. Mes paupières se fermèrent et je laissai mon esprit dériver sur des pensées plus légères. Le reverrai-je ? Tout l’été j’avais nourri cette impatience, celle de revoir cet étudiant qui m’attirait. Deux longs mois à ressasser les maigres images engrangées. Allais-je oser l’aborder cette année ? Rien n’était moins sûr. Derrière mes paupières closes, je le fis apparaître. Ses cheveux noirs légèrement décoiffés, la ligne ferme de sa mâchoire, sa silhouette finement musclée. En forçant un peu, je pouvais l’imaginer en train de me sourire… La porte de la chambre s’ouvrit avec fracas, me sortant de ma rêverie. Je me redressai et découvris le visage joyeux de ma colocataire. Elle laissa tomber son chargement sans plus de façon et me sauta au cou.
— Aylyn ! Tu m’as manqué, tu sais. Comme je suis contente d’être là ! C’est reparti pour une nouvelle année ensemble. Tu es là depuis longtemps ? Ah, j’ai encore du mal à me remettre du décalage horaire. Tu as remarqué mes cernes ? J’ai camouflé du mieux que j’ai pu mais bon…
— Coucou Cassie, répondis-je en essayant de ne pas finir étouffer sous ses boucles blondes.
Elle se recula un peu pour mieux me dévisager. Sous l’inspection de ses yeux bleus, je souris.
— Je suis toujours aussi jalouse de tes cheveux, bougonna-t-elle.
— Je me demande bien pourquoi. Ils n’ont rien de spécial.
— Petit un, leur couleur est extra, petit deux, ils ne partent pas dans tous les sens comme les miens et petit trois, ils sont doux.
Ses doigts attrapèrent une de mes longues mèches de mes cheveux châtain et en apprécièrent le contact. Cassie était une fille sans filtre et je m’étonnais encore de notre amitié. J’étais son exact opposé. Pourtant, je devais avouer que sa bonne humeur communicative m’avait permise de vivre cette première année de fac et ce changement de pays plus facilement que prévu. Sans être devenue plus sociable avec les autres, je n’étais pas restée cloîtrer dans ma chambre tel un ermite.
— Sinon, quoi de neuf ? reprit-elle. Tu n’as pas donné beaucoup de détails.
Durant tout l’été, Cassie n’avait cessé de me submerger de messages. Partie en France avec ses parents, elle avait tenu à me conter par le menu tout ce qu’elle faisait, photos à l’appui. Mes vacances s’étaient résumées à un long fleuve tranquille.
— Parce qu’il n’y avait pas grand-chose à en dire. Je suis restée à Callander. Lecture, balade, jeux de société avec mes parents, rien d’aussi exaltant que toi.
Cassie bondit sur ses pieds avant de se mettre à farfouiller dans l’un de ses sacs colorés. Elle revint avec un paquet emballé.
— Tiens, justement. Un petit souvenir de Paris.
— Une tour Eiffel ? tentai-je de deviner.
Mon amie secoua la tête, amusée. Intriguée, j’ouvris le papier et m’exclamai devant son contenu.
— Cassie ! Tu n’aurais pas dû.
— Il te plaît ?
— Il est magnifique.
J’attachai le fin bracelet sertis d’une pierre de lune autour de mon poignet, puis la prit dans mes bras.
— Du coup, vraiment rien de neuf alors ? reprit ma coloc en me scrutant.
— Non, le calme plat. Désolée de te décevoir.
— Cette année sera la bonne, je le sens. Fais-moi confiance, ma Belle. On va toute les deux se dégoter un mec sur le campus et profiter de la vie étudiante.
Je n’ajoutai rien. Essayer de la détourner d’une idée était peine perdue. Je me gardais bien de lui parler du garçon qui m’intéressait. Je gardai cette information privée et le côté sécurisant qu’il ne soit qu’un fantasme inatteignable.
Pendant qu’elle rangeait ses affaires et me narrait dans le détail ses aventures sur l’autre continent, je nous préparais une tasse de thé. Elle finit par venir à bout de ses valises et me rejoignit autour de la petite table basse.
— Prête pour cette nouvelle année ? s’enquit-elle en se laissant tomber sur un pouf.
— Je ressens un mélange d’excitation et d’appréhension.
— Tout va bien se passer, me rassura-t-elle. Cette coloc ça va être génial ! Tu es comme la sœur que j’ai toujours voulu avoir.
Je souris devant son enthousiasme et me laissais aller à croire que cette année, je serai enfin une jeune fille normale.
Un chapitre tout en nuance ! J'aime beaucoup. On découvre peu à peu le caractère de Aylyn, qui est attachante et on se sent proche d'elle. J'aime beaucoup la dynamique avec sa mère, elle est très bien décrite et donne une touche de réalisme. Bref, un chapitre qui nous permet d'entrevoir beaucoup d'émotions et de relations humaines, ce qui rend le récit très crédible. Hâte de lire la suite :)
S. Keller
Un second chapitre tout aussi agréable à lire, d'ouverture sur la "nouvelle vie" de ton héroïne. Tu apportes pas mal d'indication sur ceux qui l'entoure, y compris de cette romance de prime abord unilatérale et c'est intéressant !
Je te fais une remarque sur la forme : "Même si je n’avais pas lié d’amitié avec mes camarades, quitter tout une nouvelle fois m’avait pesé." -> j'ai trouvé cette phrase un peu bancale. On ne dit pas plutôt "s'être" lié d'amitié ?
À bientôt !
Merci pour ta remarque, je vais reformuler en effet.
Je suis toujours en plaisir de lecture :)
J'aime beaucoup ta plume. Je plussoie la fluidité et tes mots mettent parfaitement bien en images.
J'ai eu la sensation d'un couac au niveau de la cohérence des temps : "Au fil des mois, notre amitié se scella." --> cette partie et les phrases qui suivent dans ce bloc est un souvenir du passé, non ? Les phrases juste avant, tu emploies le plus-que-parfait. Pour moi, ce serait plus logique de le garder. Et donc d'écrire "Notre amitié s'était scellée". (Je ne suis pas une professionnelle de la conjugaison, mais mon instinct me le souffle ainsi). :p
je n’étais pas restée cloîtrer -> cloîtrée
J’attachai le fin bracelet sertis -> serti
(Je suis toujours gênée de relever les fautes et coquilles. Je me sens le besoin d'écrire que moi-même j'en fait et que moi-même j'en laisse ^^ Quand j'en relève, je les partage, uniquement dans le but d'aider <3 ).
À bientôt ! :)
Ton deuxième chapitre est doux et chaleureux, offrant un contraste agréable avec le suspense intense du premier. J'apprécie la manière dont tu développes les relations entre les personnages, notamment l'amitié entre Aylyn, Cassie et Ethan, qui est à la fois sincère et enrichissante. La transition subtile entre les événements passés et présents permet au lecteur de mieux comprendre le parcours émotionnel d'Aylyn depuis l'incident dans la réserve naturelle. Ta narration fluide et immersive rend facile de s'identifier aux sentiments et aux dilemmes de ton personnage principal. La mention de la "Voix" qui sommeille ajoute une dimension intrigante qui promet d'évoluer au fil de l'histoire. Bravo pour ce chapitre équilibré et bien construit !
À bientôt pour la suite de l'aventure,
GoatWriter...