Attendre quelque chose d’un lundi, c’est comme laisser un morceau de saumon sans surveillance et espérer que le chat n’en fera pas son quatre heure. Le geste est magnifique de noblesse, la confiance touchante. Tous ces bons sentiments, en revanche, ne changeront pas la fin de cette histoire: une assiette vide, un changement de menu drastique, et des sentiments mitigés envers l’élément félin.
On me l’avait tellement rabâchée que je l’avais pendant très longtemps snobé, cette leçon. Bon, ‘très’ était peut-être un peu exagéré, et de toute manière peu important. Ce qui l’était, c’était que j’avais fini par retenir la morale et développer une méfiance mesurée, concise et raisonnable envers les débuts de semaine.
Et heureusement d’ailleurs.
Rocam n’était pas une ville pour les têtes en l’air et les crétins imprudents -tout du moins, elle ne le demeurait pas longtemps. Le temps s’y écoulait beaucoup trop rapidement, et ne laissait à personne l’opportunité de céder les priorités. Combinez à cela un lundi, et le boulevard de la ville basse se transformait en zone de non droit. Et cela bien entendu qu’il pleuve, vente, ou Cassini ait pitié, qu’un reste de Maelström remonte du sud.
Enfin, en temps normal.
Voilà trois jours que la loi martiale avait vidée les rues de la capitale. Même l’Acropole, qui d’ordinaire bénéficiait d’un favoritisme scandaleux était sous haute surveillance. Monsieur Bauduin avait eut toutes les peines du monde à envoyer ses livreurs dans le quartier. Même Hector avait dû rebrousser chemin, et son nom était inscrit dans le Magistre depuis trois générations.
Si même la Colline avait trouvé le moyen d’être aussi réglementé, cela ne faisait qu’illustrer la gravité de la situation, et l’étendue de ma stupidité.
Bon.
Certes, j’avais démontré une capacité mentale inférieure à celle d’une moule en sortant aujourd’hui, mais la vérité devait être rétablie: je n’avais pas activement cherché les ennuis.
Enfin, pas vraiment?
Bon, peut-être un tout petit peu.
Sortir aujourd’hui n’avait pas été très malin. Probablement stupide, voir complètement crétin.
Certes, je l’admettais volontiers.
Ce que je peinais à accepter en revanche, c’était la violence avec laquelle le cosmos tout entier cherchait à m’enterrer. Il m’avait tout de même fait transité de simple demoiselle, volubile, écervelée, gentiment occupée à ses livraisons, son tout petit laisser-passer à la main, à mon état actuel beaucoup moins enviable et encore moins inscrit dans la durée.
Le moins qu’on pouvait dire, était qu’ils n’y étaient pas allés de main morte.
Je me trouvais après tout clouée sur un toit, en pleine nuit, sous une pluie glacée et battante. Je tenais à souligner l’étendue de cette injustice. Voilà trois mois que les plaines rocami étaient écrasées par la canicule. Nous avions passé tout l’été à fuir les rayons du Meriel comme des taupes, et maintenant que je me retrouvais à courir sur les toits, le vent s’était levé, le ciel assombris, et un oarzh avait fait son entrée en grand pompe.
Scandaleux.
Inutile de préciser qu’entre ce mur glacé qui s’évertuait à me noyer, les tuiles me cisaillant le dos, et mes cotes en miette, je ne passais pas ma meilleure nu-
Une lumière inouïe jaillit au bout de la ruelle.
Les ombres se mirent à filer le long des murs blancs, s’incrustant entre lambris, creusasses et interstices en tout genre. Les pavés noirs se mirent à luire, et toute résistance devint futile. Ce front de lumière, rien ne pourrait l’arrêter, pas même ce rideau de pluie. La nuit dut s’avouer vaincue, et laissa place à ce jour aussi synthétique que froid. Je dus me retenir de fermer les yeux tant mes rétines hurlaient à la maltraitance. La peinture dorée des enseignes n’aidaient en rien.
Ce fut alors au tour du silence d’être réduit en poussière. Un martèlement net se mit à résonner dans la ruelle. Des talons vernis sur des pavés humides, de plus en plus pressés, de plus en plus audible, de plus en plus proche. Ce fut sans surprise qu’une silhouette se détacha de cet enfer blanc. Je reconnus immédiatement la personne. Grand, ses cheveux blonds et mouillés plaqués le long de sa nuque, à moitié protégé par un képis vernis, il portait l’uniforme ocre de la maréchaussée et le ciré assorti. La spectrolanterne rendait le spectacle pénible, mais je pus distinguer tout de même l’éclat rouge de son arme de service.
Je pris une inspiration, afin de calmer mes pauvres petits nerfs, avant de pester intérieurement. Ce claquement contre les pavés, il ne faisait que se rapprocher, et ce n’était vraiment pas le moment d’entrer dans un concours d’inspiration. Jamais je n’avais autant désiré disparaitre contre les stèles bleues, et mon corps s’immobilisa entièrement.
Il poursuivait sa marche, encore et encore, jusqu’à ce que le temps et mon existence ne se réduisent au son de ses bottines. Il finit par arriver à ma hauteur, et il lui aurait suffi de lever la tête pour me voir. J’étais si proche que je pouvais entendre l’ésiop de son arme siffler. Le potentiel n’était toujours pas redescendu, et chaque once de pluie osant l’éfleurer s’évaporait dans un crissement désagréable.
Quelqu’un devait sérieusement me détester là haut car il choisit cet endroit précis pour s’arrêter. Il entreprit alors de passer chaque fenêtre au crible.
Au risque de me répéter, Il lui suffisait vraiment de lever la tête pour croiser mon regard. Il n’aurait pas eu besoin de se payer un torticoli. Un bref hochement suffirait. Sans son képis, et sans cette pluie battante, cela aurait été même inutile.
Il allait forcément lever la tête.
Bien.
À en juger par ma situation actuelle, mon Esprit de Famille était visiblement en grève ou en vacances et je devais m’attendre à ce qu’il me trouve. Je commençais bien gentiment à me préparer à cette inévitable éventualité. Il me suffirait de lui bondir dessus, le sonner un petit peu -ou beaucoup- et à courir aussi vite qu’il m’était encore possible.
Je commençais vraiment à en avoir pleins les bottes.
Mais ce n’était pas l’heure de ronchonner. L’heure était à la concentration et à la préparation. Il faudrait que je le frappe à la gorge, sans quoi il se remettrait trop vite et il me tirerait dans le dos. Le problème, c’était que je doutais sérieusement d’être en état de lui causer des dégâts. Entre mes cotes cassées, mon épaule en compote, et mon sentiment de débandade général, cela allait être compliqué de lui casser le nez. Il fallait, de plus, tâcher de lui tomber dessus sans se briser davantage les os. Et régler son compte à cette spectrolanterne par tous les Saints.
Splendide.
Je me fis couler sur le coté, pliant mes jambes, ravivant mes orteils. Le tout était de profiter de l’effet de surprise, et d’agir avant qu’il n’ait le temps de dégainer son arme de service-
Et une seconde paire de pieds se manifesta et m’extirpa de mes préparations mentales. Ce fut à peine si j’eus le temps de me plaquer à nouveau contre les tuiles qu’une silhouette jaillit des ténèbres. Le crétin à mes pieds fit volte-face et braqua sa stupide lampe vers l’intrus.
« Ah! Mes yeux, mes yeux! » L’inconnu s’écria. « Baisse-ça, baisse-ça bon sang! »
Sa voix était familière, et je ne fus pas la seule à le penser, car le crétin en bas de ma cachette s’exécuta. La lumière diminua une première, puis une seconde fois.
« Je t’avais dit de rester au poste. » L’intéressé grommela tout en toisant son collègue. Un homme plus âgé, dans la vingtaine probablement. Un natif de Rocam, sans doute, il n’y avait qu’eux pour laisser leur favoris manger leurs joues de la sorte.
Il se frotta les yeux de manière si appuyée qu’à moins qu’il ne souffre de brulure au troisième type, il devait jouer la comédie.
« C’est la troisième fois que je te dis Will, de ne jamais mettre la puissance au maximum! » Il fustigea « Non seulement cela use en autonomie, mais en plus c’est dangereux. »
« Et pour la troisième fois, je me permets de te rappeler que je me trouve dans les conditions d’utilisation. » Le-dit Will grommela « Tu étais supposé demeurer au poste et prévenir l’Inspecteur de la situation. »
« Je l’ai fait, il est rentré pas plus de cinq minutes après ton escarmouche. Il n’était pas content. »
« Pourquoi le serait-il?» Il répliqua.
« Ce n’est pas de ma faute. »
« C’est entièrement de ta faute Blaise. »
Je haussais les sourcils un moment. Si le constable était familier, je ne me rappelais pas de l’avoir croisé cette nuit. Difficile en conséquence de-
Mais ce n’était ni le moment ni le lieu de se perdre dans la contemplation. Je devais réévaluer la situation. En théorie, une seconde personne était rarement un problème, il suffisait d’être un minimum près, mais celui-là était drôlement trapus, et je n’étais pas au meilleur de ma forme.
Heureusement son collègue ne démontra pas un zèle à me chercher. Il se contenta de balayer la ruelle du bout du regard, et de pousser un soupire ennuyé.
« Elle n’est pas là. »
« Elle est forcément ici. Même à toi, les tâches n’ont pu t’échapper. » Le crétin se mit à ronchonner. La venue de son collègue l’avait mis particulièrement de mauvaise humeur, et ce fut avec rage qu’il tenta d’essuyer l’eau de son képi. Un geste futile -et c’était bien fait.
« Tout ce que je vois, c’est une allée vide. » Son compagnon ne tenta même pas de dissimuler le cynisme de sa voix, et se paya un regard noir bien senti.
« Elle est ici, ce n’est pas une question. Avec tout ce sang, elle n’a pas pu aller bien loin. »
Il n’avait pas tort, c’était d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais bravé mon vertige et péniblement escaladé cette gouttière. Mon épaule était désormais plus semblable à un steak tartare qu’à une articulation, alors faire la course avec un psychopathe de la gâchette, non merci.
« Visiblement, elle l’a quand même fait. » Le-dit Blaise répliqua avec une apathie assez étonnante.
« Rentre chez toi, tu en as assez fait et je me passerai de tes observations. »
« C’est ça, et te laisser libre de jouer avec ton arme, encore? Très peu pour moi. »
Et ça mesdames et messieurs, c’était la raison pour laquelle ce Blaise était en train de devenir ma personne préférée. J’avais toujours la très nette sensation de l’avoir déjà aperçu -le poste mis à part- mais ce serait pour plus tard. Afin de se rappeler de quelqu’un, il faut commencer par conserver son cerveau fonctionnel.
Ce fut avec un air tout à fait grognon que Will se détourna de son binôme et entreprit de fusiller la rue du regard. Rue déserte au passage, tout du moins dans cette direction. Le moindre petit mouvement de tête, le plus petit minuscule changement de perspective et il aurait croisé mon regard.
Étrangement, dans la bonne minute qu’il dédia à son entreprise, cela me lui croisa pas l’espri-
« Tu ne peux pas te cacher éternellement. N’empire pas ton cas. » Sa voix tonna contre le vent.
Une bourrasque manqua de balayer leur couvre-chef, comme pour se moquer de mon karma et illustrer ses propos. Étrangement, ils manquèrent encore de lever la tête -peut-être Mon Esprit de Famille était revenu au boulot?. Je ne cherchais pas à tergiverser sur la question, et entrepris de me transformer en statut. Ou en tuile. En stèle, cela serait pas mal.
Actuellement, n’importe quelle nature apparaissait préférable à celle de Sidonie-sur-le-toit.
« Je ne plaisante pas. » Will renchérit.
Tant mieux, ce n’était vraiment pas drôle.
« Comme toujours, Will, ton charme naturel aura encore frappé. » Blaise lui tapota l’épaule.
« Continues donc de faire le malin, cela ne changera rien à tes ennuis.» Will protesta, les joues si écarlates que je pouvais le remarquer de mon poste d’observation, à contre-jour.
« Qui sont? »
« Tu l’as laissé filer. C’est entièrement de ta faute. »
« Je l’ai laissée aller aux toilettes. To père était d’accord au passage.»
Ah! D’accord, c’était donc lui! La familiarité de sa voix prenait tout son sens mainte-
« L’inspecteur Balladier- » Ledit Will lui coupa sèchement la parole, et braqua même sa lampe éso sur son partenaire «-T’a ordonné de ne pas la quitter d’une semelle. »
« Et c’est ce que j’ai fait! »
« Visiblement non! »
« Comment étais-je sensé deviner qu’elle passerait par le conduit d’aération? Tu as vu la taille du conduit? Comment un être humain, même de petite taille a bien pu passer par là? »
Je n’étais pas petite. Et je n’étais très certainement pas passée par-
« Ce n’est pas la question! Tu l’as laissé s’échapper. Une criminelle, une meurtrière, une terroriste, et tu l’as laissé filer! Te rends tu comptes, à quel point c’est grave? Que diront-ils sur leurs unes, à ton avis?»
« Que je sache, elle est suspectée de complot fomenté, cela reste à prouver. » Son collègue renchérit, et c’était probablement l’adrénaline qui parlait -car le sang s’était mis à pulser hors de mon épaule et à vibrer dans mes tympans- mais j’aurais pu l’embrasser.
A ma décharge, j’avais passé près d’une journée à me faire tabasser par un inspecteur ventripotent, qui avait alterné entre me jeter des noms complètement inconnus à la figure et me montrer des portraits des victimes, en s’asseyant complètement sur le petit détail, que, je ne sais pas, je m’étais trou-
« Peu importe ce que tu en penses Blaise, à moins de la retrouver rapidement, tu vas avoir des ennuis, de gros, ennuis. »
« C’est ça. » Blaise ricana « Ton paternel a passé ses nerfs sur une gamine pour tenter de lui faire signer une confession pré-rédigée, et je vais avoir des ennuis pour avoir osé détourner le regard quand la demoiselle en question m’a demandé une minute d’intimité pour changer son linge menstruel? »
Oui, Blaise était officiellement ma personne préférée-et c’était assez vrai, ce qu’il disait. J’avais un peu perdu le fil quand on m’avait fracassé l’arcade sourcilière, mais c’était quand même bizarre cette histoire de confessions pré-écrite.
« Es-tu idiot? Tu as bien vu- Elle encaisse mieux que des trafiquants de melodeon, cela ne te fait pas un peu tiquer? »
« Peut-être, justement, parce que contrairement à tes trafiquants, elle est innocente? »
« Personne ne tient aussi longtemps face à la question, innocent ou non. »
« Alors quel était l’intérêt de faire ça? Qu’elle signe à tout prix? »
« Elle est coupable bon sang! Nous avons des preuves, des témoins- »
« Pourquoi alors s’embêter avec une confession, puisqu’il y a des preu-»
« Eh! C’est pas bientôt fini oui! Y’a des gens qui essaient de dormir!» Une voix aussi débonnaire que furieuse jaillit d’une fenêtre, très rapidement suivie par une figure, aussi ridée que grognon, couverte d’un bonnet de nuit orange.
Attendez une minute, Monsieur Ebenezer? Mais j’étais beaucoup plus proche que prévu! Oh Sainte Cassini, ayez pitié de moi, faites que je ne me ramasse pas aussi proche de ma destination!
Rien ne me laissa croire que ma prière avait été entendue. Cependant, à la décharge divine, l’heure ne semblait pas être aux révélations miraculeuses mais aux froncements de sourcils désapprobateurs. Le réveil avait très clairement rendu Monsieur Ebenezer ronchon, et la pluie n’aidait en rien. Il plissa des yeux, encore et encore-
« Et mais c’est le petit Blaise! Sainte Cassini ait pitié mon garçon, qu’est-ce que vous fichez là, sous un temps aussi merdique? »
« M’sieur Ebenezer. » Blaise le salua aimablement, ôtant même son képis, comme si un déluge n’était pas en train de s’abattre sur le monde « Désolé pour le dérangement-»
« Nous traquons une fugitive. » Son binôme s’empressa de couper court aux familiarités.
Et c’était vraiment une erreur, surtout avec Monsieur Ebenezer. On pourrait tenter de l’excuser, blâmant la pluie, l’heure et la fatigue, mais si je pouvais être franche je n’en avais pas envie. Qu’il fasse beau, qu’il pleuve, ou que la fin du monde s’abatte sur nous, ce Will était un petit con. Je disais cela en toute impartialité, cela n’avait aucun rapport avec les coups de matraque que son paternel m’avait infligé, ni les cotes fêlées qui avaient suivie.
Le vieil horloger se mit à froncer des sourcils.
« Un fugitif, ici, quartier des Orfèvres. » Il répéta « Et pourquoi pas des salamandres indigo pendant qu’on y est? »
« Nous ne faisons que suivre la piste-»
« Ce quartier est plus fortifié que la cave à vin de mon neveu Alphonse, quel genre de crétin irait se planquer dans les parages? » Ebenezer le coupa net. « Quel genre de piniou irait faire dans un foutoir pareil? Pourquoi ne pas se cacher en prison pendant qu’on y est? »
Cela eut l’effet de clouer le clapet à Will pendant une bonne minute. Il fallait préciser que ce quartier était un labyrinthe, pour le moins. Un ramassis de dédale, de cul-de-sac, le tout encerclé par des murailles aussi solides que magiques. S’y réfugier pouvait donc apparaitre idiot, mais si mon QI était clairement inférieur à la température ambiante, je n’étais pas stupide à ce point là.
J’avais un plan.
Quand à savoir quel qualitatif méritait d’y être attaché, là demeurait tout le mystère.
« On vous dit comme on le voit M’sieur. » Blaise tenta de calmer le jeu « Je ne vais pas vous rappeler ce qu’il s’est passé la dernière fin de semaine. »
Il aurait pu jeter un sort de froid que le résultat aurait été le même. Les sourcils de Monsieur Ebenezer se haussèrent jusqu’à toucher les cieux.
« Mais, enfin, excuse-moi d’insister mon garçon mais-»
Une fenêtre du deuxième étage s’ouvrit à la volée, et une femme d’âge mur fit son apparition, ses cheveux roux flamboyant soigneusement maintenus dans une infinité de petits bigoudis.
« Cassini nous vienne en aide, vous cherchez à réveiller tout le quartier avec- et mais mon cher Blaise, et le petit Will! Ma parole, vous allez finir par attraper la mort par ce temps! »
« Madame Silverine, désolé pour le dérangement-»
« Nous sommes à la recherche d’une fugitive. » Will, à nouveau, déploya autant de charme qu’un asticot -et ce n’était pas flatteur pour les insectes en question.
L’exaspération dans sa voix, en revanche, n’était pas de très bonne augure.
« Pour les- là, tu sais, les p’tits mages. » monsieur Ebenezer ajouta, sa voix très vite étranglée par l’émotion.
Il fut loin d’être le seul d’ailleurs, Madame Silverine se dépêcha de se signer au front.
« Cassini nous protège, vous les avez enfin tous attrapés? » Elle déclara avec un ton presque vicieux.
« En partie, et justement-»
« D’ou viennent-ils? De Dixm? De l’Impérium? Je suis prête à parier mon aiguille en silici que ce sont des Syndics. Avec toutes leurs turpitudes mécaniques-«
« Je crains que cela soit pour le moment confidentiel. L’important est de retrouver la fugitive-»
« Minute papillon, la fugitive? » Madame Silverine eut un petit hoquet.
« Et bien, oui-»
« Vous êtes en train de me raconter, que les gros bras de l’Acropole, ont si mal protégé leur école, qu’une p’tite dame a pu faire sauter trois bâtiments de 4 étages? » Ebenezer fronça des sourcils jusqu’à en faire disparaitre ses yeux.
« Célestin! » Madame Silverine s’offusqua « N’as-tu pas honte? »
« Ce n’est pas la question-» Blaise tenta de couper court, et c’était peine perdue. Stopper Monsieur Ebenezer dans ses idées, c’était comme tenter de stopper un boeuf par les cornes. On pouvait essayer, et généralement, on se cantonnait à un essai.
« Mais elle ressemble à quoi, c’est une dockeuse d’un mètre quatre vingt? Une Teknokrate des montagnes de Pral?» Ebenezer insista, et madame Silverine se mit à épier les environs, le regard inquiet.
« Il s’agit de Sidonie Drèke, pour ne rien vous cacher. » Blaise dit, et se paya un regard noir de son collègue.
Il y eut un petit blanc.
Petit blanc, animé de regards stupéfaits, devint grand.
« La petite Sid! C’est une plaisanterie? Enfin, elle faisait des livraisons, pas plus tard qu’hier, elle a, mon nouveau service à cannelle, elle-» Silverine hoqueta jusqu’à ce que Monsieur Ebenezer laisse éclater un rire sonore.
Je tenais à préciser que je n’étais pas petite. j’étais parfaitement dans la moyenne. Mais je devais dire que leur réaction était rassurante, réconfortante même.
« Vous êtes en train de me dire, là, que vous suspectez la gamine de Mathurin, dix-sept ans, cinq pied quatre de haut, quarante cinq kilo, qui sursaute à chaque fois qu’elle voit une araignée dépassant la taille d’une poussière, sans la moindre expertise magique, incapable de différencier une vis d’un écrou, d’avoir posé une charge éso de quatre mille livres dans une école? »
Pour ma défense, je ne voyais pas en quoi c’était rassurant d’avoir une petite araignée en face de soi. je veux dire, encore, une arachnéide, difficile de la rater, mais une petite araignée, elle pouvait se glisser dans mes cheveux, dans mes oreilles, sans que je le vois-
Et ce n’était clairement pas le sujet.
A nouveau, je m’étais prise un tir dans l’épaule. Si la violence du faisceaux avait eu l’effet appréciable de cautériser le trou, mes cabrioles s’étaient dépêchées de réouvrir la plaie. L’immobilité n’arrangeait pas non plus, et mon bras gauche commençait dangereusement à s’engourdir. Je n’allais pas pouvoir demeurer éternellement sur ce toit sans bouger, ou j’allais piquer du nez.
« Elle n’était pas seule. » Will grommela.
« Elle n’était surtout, pas présente tout court. » Monsieur Ebenezer monta en température « J’étais chez les Drèkes il y a trois jours-»
« Ah oui? » Silverine fronça des sourcils.
« Oui, tu sais, mon rendez-vous de trois heures là, c’était leur horloge de salon. Leur p’tite gamine, Lizzie, sa nouvelle passion c’est de coincer des pièces de trois sous dans les rouages alors- »
« Pourquoi tu ne me l’as pas dit! Cela fait une éternité que je dois rendre à Catherine sa balance-»
« Ce n’est pas le sujet. » Blaise leva la tête, comme s’il venait de tomber sur du gibier « Vous dites que vous étiez chez les Drèkes au moment de l’Attentat M’sieur? »
« Un peu mon neveu! Et à moins que vous puissiez expliquer comment la Sid là, elle serait parvenue à se matérialiser de la Couronne externe à la Colline sans se faire remarquer, et en moins de cinq minutes, je pense que vous vous êtes sacrément trompés les fistons. »
« Vous en êtes certains? » Blaise insista. Le ton grave de sa voix m’était étonnement réconfortant.
« J’ai encore les yeux en face des trous que j’sache, là! »
« Ce n’est pas possible. » Will répliqua sèchement « Nous avons confirmation qu’elle était sur les lieux au moments des faits. »
« Bah votre confirmation, elle a autant de valeur que le torchon de ce guignols d’Octavius. » Ebenezer monta le ton « Elle était chez elle, chez les Drèkes, je l’ai vu comme je vous vois, là.»
« Et quand bien même, Sidonie Drèke, c’est tout bonnement ridicule! » Madame Silverine semblait positivement outrée, au point que des plaques rouges apparaissaient le long de son cou. « Les Drèkes sont des gens charmants, et Sidonie- , cette pauvre petite, c’est scandaleux! Vous devriez avoir honte! »
« Et encore une fois, elle a bien du vous le dire, là, qu’elle était chez elle. » Monsieur Ebenezer répliqua.
« Votre amitié pour les Drèkes est de notoriété publique. » Will siffla entre ses dents.
« Et alors? »
« Alors vous nous excuserez de prendre tout ce que vous dites avec des pincettes. »
« J’étais loin d’être le seul, Enguerrand est également passé prendre un café, et pourra en attester. Ça vous va la parole d’un judicard, ou il vous en faut un magicardeur? » Ebenezer tonna à en faire trembler le quartier.
« Et pendant ce temps là, je suppose que personne n’est allé jeter un oeil sur les docks, n’est-ce pas? » Madame Silverine renchérit, le regard orageux « C’est sur que faire affaire avec la racaille coriolisienne c’est une toute autre histoire que de malmener des jeunes filles sans histoire. »
« Moui, faudrait pas oublier de vérifier les placards de la Haute Ville. » Monsieur Ebenezer grommela.
« Ah tu ne vas pas recommencer avec cette idée absurde-»
« Dans tous les cas, c’est une enquête de la maréchaussée, aussi je vous prierais de ne pas vous impliquer davantage, ni de communiquer outre mesure au risque de-»
« Si vous voulez qu’on se mêle de nos affaires, essayez de faire votre boulot comme des chèvres là!»
« Doucement, doucement. » Blaise prit la parole, la voix étrangement ferme et résolue. « Bien, il y a visiblement des zones d’ombres assez notables, et les failles seront creusées. Pour l’heure en revanche, je pense que tout le monde peut s’accorder sur le fait qu’il est nécessaire de retrouver Sidonie Drèke au plus vite. Et vivante. »
Il avait raison.
Mon espérance de vie n’était actuellement pas très folichonne, en particulier avec ce trou d’un diapouce dans mon épaule. Et la situation n’était plus aussi catastrophique. Blaise toisait son partenaire et me laissait espérer que les cops, c’était fini. Madame Silverine ferait prévenir Mathurin et Catherine, et on devrait enfin m’écouter. Il fallait sérieusement réévaluer ma fuite, d’autant que je préférais me manifester maintenant, avec des témoins, et Blaise, plutôt que de risquer croiser Will seule.Je m’apprêtais à suivre ce plan génial vers ma liberté et, avec un peu de chance, une tasse de cannelle chaude, quand une forte odeur d’ozone s’insinua dans mes sinus.
Ambiance très différente du prologue, mais toujours le même humour de la situation qui règne. Même si l'héroïne est dans une situation compliquée et peu enviable, elle réussit à décrire les choses avec recul. Cette distance qu'elle crée entre elle et les événements qui se produisent l'aident à appréhender les difficultés. Une distanciation qu'on devrait peut-être travailler au quotidien pour ne pas subir mais être prêt à réagir pour s'adapter. Très intéressant. Merci pour cette lecture.
C'est moi qui te remercie pour ton retour/lecture ❤️, ravie que ça t'ai plu (et oui la protagoniste est très détachée, mais ce n'est pas vraiment elle qui le fait consciemment, c'Est plus son cerveau qui en a marre de paniquer depuis plus d'une journée non ça se transforme en apathie )
C'est mon tour de découvrir ton histoire :) Alors je te fais un petit retour sur ce chapitre, et avant ça, un retour sur le résumé !
Tu y présentes Sidonie Drèke, et à la lecture, le phrasé m'a fait hésiter si Sidonie était un homme ou une femme xD Alors clairement c'est une femme hein ! Mais cette phrase m'a mis le doute "Malheureusement pour lui, il y a bien trois choses sur lesquelles Sidonie". J'avais compris genre malheureusement pour lui-même alors que lui se rattachait au magicien. Peut-être le saut de ligne m'a détaché de l'information précédente ? Je te proposerais bien "malheureusement pour ce dernier".
Après c'est juste moi hein xD
Maintenant plus précisément sur ce chapitre !
J'ai bien adhéré à l'ambiance, il y a de l'humour (j'ai beaucoup aimé le paragraphe d'introduction d'ailleurs !).
Je trouve dans ta scène d'entrée un côté très théâtrale. Est-ce parce que c'est statique ? J'avais vraiment une sensation de lire une pièce de théâtre. L'humour est subtil, il y a un effet comique renforcé par les membres du voisinage et leurs interventions.
J'aime aussi la façon dont tu laisses un certain suspense planer sur la participation ou non de Sidonie à ce dont on l'accuse. J'aurais tendance à la penser innocente, mais elle ne le dit pas tout à fait. Elle est soulagée que les autres la pense innocente, mais ses pensées sont tournées sur sa fuite donc on ne sait pas grand chose de l'événement !
Sur une note peut-être un peu moins enthousiaste, j'ai trouvé qu'il y avait pas mal d'éléments de ton lore cités sans être expliqués. Par exemple j'ai eu un peu de mal à visualiser la structure de la ville avec ses termes propres (l'Acropole, la Colline...).
Mais mis à part ce petit bémol, c'était un bon moment de lecture et je viendrai lire la suite !
Je te remonte deux petites coquilles :
"To père" -> ton
"me laissait espérer que les cops" -> coups
À bientôt ! :)
Déjà, merci! Non-retour est super constructif et bienveillant, et m'a mis la petite larme à l'oeil!
J'ai beaucoup de mal avec les résumés (mon esprit est une petite tempête de donuts et de mathématiques), alors ton retour est une pépite pour prendre la température en terme de clarté (c'est assez gênant si je perds les gens avant même le premier chapitre :) ). Je vais prendre ta suggestion je pense, encore merci!
Ça fait plaisir que le mystère plane :), cette ambiance statique, c'était le but! J'aime les expositions, mais je n'aime pas les expositions 'forcées' et avoir le personnage principale méditer sur les raisons de sa fuite en situation critique cela me semblait improbable. Le problème c'est qu'en conséquence il y a des éléments ne seront expliqués que bien plus tard (la Colline et l'Acropole sont décrites bien en détail, mais plus loin, (peut-être faudrait-il mieux que je ne le mentionne pas à cet endroit?))
encore merci pour ton retour et à bientôt :)
Ton écriture est captivante et fluide, avec un humour subtil et une ambiance vivante ; ton héroïne fait face à une journée particulièrement difficile, jonglant entre la pluie et les rencontres imprévues. Un conseil pour renforcer ton histoire serait d'accentuer les moments de réflexion intérieure de ton personnage principal. Cela permettrait de mieux comprendre son état d'esprit face aux défis qu'elle rencontre, enrichissant ainsi son développement et rendant son parcours encore plus attachant. Continue à intégrer ces moments de manière subtile, comme tu l'as déjà fait. Le texte est déjà superbe ! Bonne soirée.
Ravie que cela t'ai plu !