1. Sous le ciel d'Everspring

Par Wen
Notes de l’auteur : On ne choisit pas toujours de recommencer. Parfois, la vie efface pour nous.

Le ciel est gris au-dessus d'Everspring. Les nuages traînent lentement, épais et lourds, comme si le dôme céleste portait lui aussi le poids du passé. La voiture s'arrête au bord d'une rue tranquille, bordée de maisons propres, semblables les unes aux autres. Arwen Backer regarde à travers la vitre embuée, le cœur serré.

Elle presse son sac à dos contre elle — ce sac en toile usée, avec une petite broderie cousue maladroitement par sa mère — et tente de contenir ce qui menace de déborder : colère, tristesse, peur, désespoir. Tout se mélange. Tout se comprime.

Sa tante, Amy, coupe le moteur et se tourne lentement vers elle, comme lorsqu'on tente d'apaiser un animal sauvage effrayé.

— On est arrivées, murmure-t-elle d'une voix douce.

Arwen ne répond pas. Elle se contente de sortir, d'attraper sa valise, et de suivre en silence. La maison est charmante, deux étages, un petit porche, un jardin bien entretenu. Trop calme. Trop parfait. Rien ici ne ressemble à ce qu'elle a connu.

Rien ici n'est chez elle.

Amy pousse la porte. Une odeur de cannelle et de vanille flotte dans l'air, presque chaleureuse. Trop chaleureuse.

— J'ai préparé ta chambre, dit-elle. C'est au fond du couloir, à l'étage. Si tu as besoin de quoi que ce soit...

Mais Arwen est déjà en train de monter. Elle ne veut pas parler. Pas maintenant.

La chambre est spacieuse, aux murs pâles, décorée avec goût. Un lit aux draps blancs, un bureau, une bibliothèque presque vide. Tout semble neutre, sans histoire. Comme si cette pièce attendait qu'on lui insuffle une âme.

Arwen pose sa valise, puis s'écroule sur le lit. Le silence est assourdissant. Pas un bruit de la ville, pas une voix familière, rien. Elle fixe le plafond et laisse son esprit dériver. Vers avant. Vers quand tout allait encore bien.

La nuit est longue. Les souvenirs, eux, sont tenaces.

Elle revoit les phares, les cris, le métal tordu. Puis le silence.

Les larmes menacent de couler, peut-être l'ont-elles fait.

 

Le lendemain matin, la voix de sa tante la réveille doucement. Une odeur de café flotte jusqu'à l'étage. Arwen se lève lentement, traverse le couloir, descend les marches une à une. Amy est en train de servir du pain grillé, un sourire tendre sur le visage.

— Tu veux du jus d'orange ? demande-t-elle.

Arwen hoche la tête, en silence. Amy pose devant elle une assiette et un verre. Il y a un post-it collé au bord de l'assiette, écrit à la main :

"Bonne chance pour ton premier jour à Everspring High. Tu peux le faire."

Un petit geste, mais qui touche quelque chose en elle. Elle ne dit rien, mais ses doigts gardent la note, la plient avec soin et la glissent dans sa poche.

 

Everspring High est une grande bâtisse en briques rouges. Les couloirs sont déjà pleins d'élèves qui rient, courent, se croisent, se jaugent. Arwen se sent minuscule, étrangère dans cette ruche bruyante. Son regard glisse sur les casiers, les affiches de clubs et d'événements à venir. Aucun de ces visages ne lui est familier.

Elle serre son emploi du temps dans une main, cherche sa salle. Première heure : histoire. Salle 104.

Elle finit par la trouver, entre deux groupes d'élèves déjà bien installés. Le professeur lui adresse un sourire rapide.

— Tu es la nouvelle ? Arwen, c'est ça ? Installe-toi au fond, à côté de... Nelly Harper.

Arwen avance lentement jusqu'à la place désignée. Elle s'assoit sans un mot, évite les regards.

À côté d'elle, une fille à la peau d'ébène, aux cheveux frisés d'un noir profond, la regarde avec curiosité. Ses yeux marron foncé sont brillants, presque rieurs. Elle ne dit rien d'abord, mais son sourire en coin en dit long : elle a remarqué son malaise, et elle ne compte pas la laisser s'enfoncer là-dedans.

Le cours commence. Arwen écoute à peine. Elle regarde par la fenêtre, laissant son esprit vagabonder loin des dates historiques. Mais elle sent la présence de la fille à côté d'elle. Une présence calme. Une chaleur étrange.

Quand la cloche sonne, Arwen se lève d'un bond, mais la fille la retient posément par le bras.

— Hé. Je m'appelle Nelly. Toi, t'as l'air d'avoir vécu un enfer. J'me trompe ?

Arwen la fixe, un peu surprise par tant de franchise.

— Tu veux déjeuner avec moi ? J'suis pas envahissante, promis.

Arwen hoche lentement la tête. Elle ne sait pas pourquoi elle accepte. Peut-être parce que Nelly a l'air de ne pas vouloir l'obliger à parler. Peut-être parce que c'est la première main tendue depuis longtemps.

À midi, elles s'installent à une table à l'ombre d'un arbre dans la cour. Nelly parle facilement, fait des blagues sur les profs, les groupes du lycée, les absurdités de l'année scolaire. Arwen l'écoute en silence au début, mais peu à peu, un coin de ses lèvres se relève.

— Attends, t'as pas osé dire ça au prof d'anglais ?! murmure Arwen, mi-effrayée, mi-amusée.

— Si ! Et il m'a collée. Mais c'était worth it.

Arwen éclate d'un rire léger. Un vrai rire. Le premier depuis des mois.

Nelly s'interrompt, la regarde.

— Voilà. J'te l'avais dit que tu pouvais sourire. T'as un beau rire. T'as juste oublié comment on fait.

Arwen baisse les yeux, touchée. Il y a quelque chose chez Nelly qu'elle n'arrive pas à expliquer. Elle ne se force pas. Elle ne joue pas un rôle. Elle est vraie. Et ça, c'est rare.

 

Le reste de la journée passe un peu plus facilement. Nelly lui montre les recoins du lycée, les profs à éviter, les salles secrètes où traîner entre deux cours. Arwen se surprend à parler un peu plus. Elle raconte de petites choses. Jamais l'accident, bien sûr. Jamais ses parents. Mais elle parle. Et ça suffit pour aujourd'hui.

En quittant le lycée, elle attend seule devant le portail. Amy lui a promis de venir la chercher. Elle observe les élèves sortir, les petits groupes se former, les rires s'éloigner.

Nelly passe devant elle, lui fait un petit signe de la main.

— Demain, même heure, même arbre ? balance-t-elle en marchant à reculons.

Arwen hésite, puis acquiesce. Un vrai sourire cette fois. Minuscule, mais sincère.

 

De retour à la maison, elle monte directement dans sa chambre. Elle ouvre son carnet de dessin, qu'elle n'a pas touché depuis des semaines. D'un trait hésitant, elle dessine un profil. Des cheveux frisés. Un rire. Des yeux profonds. Nelly.

 

Elle ne sait pas encore si elle est en train de s'ouvrir à nouveau au monde. Mais peut-être. Juste peut-être. Elle n'est plus seule.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
FleurBleue
Posté le 26/08/2025
Bonjour Wen,
je viens de lire le premier chapitre, j'avoue qu'il donne envie d'en savoir plus sur le personnage d'Arwen. J'ai hâte de découvrir son évolution, bonne continuation pour l'écriture
Wen
Posté le 26/08/2025
Bonjour FleurBleue,

Je suis contente que ce premier chapitre te plaise, j'espère que ce sera pareil pour la suite.
Bonne lecture <3
Inxs.0
Posté le 25/08/2025
Bonsoir,

J'aime beaucoup le début de votre histoire, elle donne envie de continuer à lire la suite. J'aime également la façon dont vous écrivez, c'est fluide, touchant, captivant. Le personnage d'Arwen m'intrigue, elle est très mystérieuse et j'ai hâte d'en apprendre plus sur elle et sur ce qu'il va se passer :)
Wen
Posté le 26/08/2025
Bonjour,

Je suis très heureuse que mon premier chapitre vous plaise ainsi que mon style d'écriture.
J'espère que vous aimerez la suite aussi ^^
Anony
Posté le 25/08/2025
Bonjour,

La présentation des personnages est une bonne idée, le début du roman est plutôt de bonne augure pour la suite, les descriptions nous permettent vraiment de nous plonger dans l'histoire.
Wen
Posté le 26/08/2025
Bonjour,

Merci pour ce retour qui me fait très plaisir.
J'espère que la suite te/vous plaira toujours.
fleursansracine
Posté le 21/08/2025
Bonsoir,

J’aime votre façon d’écrire, ainsi que le début de l’histoire.
Le détail des personnages, et l’usage de certains prénoms laisse penser à une série typée américaine.
En tout cas, j’ai hâte de découvrir la suite !
Wen
Posté le 25/08/2025
Bonsoir,

Merci pour votre retour qui me fait très plaisir.
Oui, c'est vrai que le scénario a un ton américain mais j'essaye d'y ajouter ma petite touche personnelle.

J'espère que la suite vous plaira ^^
Brutus Valnuit
Posté le 01/08/2025
Sympa, on se croirait au début d'une série américaine. Les maisons identiques les unes aux autres. La détresse contenue d'Arwen (tiens ce prénom me dit quelque chose ;) ).
La douceur trop douce et le silence trop présent. Presque une atmosphère à la Stephen King. On pressent que l'orage n'est pas loin, pourtant le ciel est bleu !
Wen
Posté le 08/08/2025
J'avoue m'être un peu inspiré du style américain haha ^^
C'est vrai aussi qu'Arwen est assez connu grâce à un certain film ...

Merci pour ton retour qui me fait très plaisir ^^
S.Lomaï
Posté le 18/04/2025
Heyy,
Ton chapitre donne envie d’en savoir plus. Le fait que tu joues sur le fait que l’on comprenne qu’arwen n’est pas heureuse et que depuis « cette nuit la » elle est détruite, et que toi tu joues sur le fait d’en dire assez mais pas trop nous laisse sur notre faim, donc on a l’envie d’en savoir plus et c’est très bien jouer !

J’espère que tu en as d’autres comme ça parce que moi je m’installe avec les pop-corn 🍿

À bientôt!
Wen
Posté le 19/04/2025
Hey !

Merci beaucoup pour ton commentaire qui m'a fait extrêmement plaisir. Je vais essayer de poster la suite ce weekend !

À bientôt <3
S.Lomaï
Posté le 19/04/2025
Pas de soucis🫶🏼
Ardichi
Posté le 12/04/2025
Propre et prenant. Donne envie d'en savoir plus. La synopsis y joue pour beaucoup aussi :p
J'aime bien le passage où Nelly lui dit qu'elle a un beau sourire suivis d'un : "t'as juste oublié comment on fait".
Bon courage pour la suite et bonne écriture à toi.
Wen
Posté le 13/04/2025
Merci beaucoup pour ton retour ^^
Ça me fait très plaisir.
Bonne lecture à toi <3
Vous lisez