1. Trahison

Par Sabi

Le palais royal de Valoria était plongé dans le chaos. Sans que personne ne s’en rendît compte, des intrus avaient réussi à s’introduire jusque dans la salle du trône. Clara n’en croyait pas ses yeux. Même si le palais n’avait pas de mur d’enceinte et tenait plus du château d’agrément que de l’ouvrage défensif, elle avait pu constater que la protection de la demeure royale n’était pas pour autant négligée. Ce qui se passait était tout bonnement impossible, inconcevable, surhumain. Et pourtant face au roi se tenaient Halderey Fanin, l’héritier déchu, Cléomène Sylvepeyre, Dame parjure du Haut Domaine, plusieurs Marchétoiles, et surtout Érica Marjiriens.

Voyant ce visage, la colère et la haine jaillirent. Tout ça c’était sa faute. L’épée déjà dégainée, la jeune garde se lança en avant.

Frédéric voulut la retenir, mais son geste arriva trop tard. Il savait bien ce qui la motivait à agir en dépit du bon sens. Mais qui aurait pu croire que sa némésis apparaîtrait ainsi, en plein coeur de leur base ?

Toute cette souffrance que Clara conservait en elle depuis trois ans, tout cela ne lui servit à rien. Alors qu’elle allait se jeter sur la Marjiriens, celle-ci tourna ses yeux vairons dans sa direction en disant d’une voix calme : « À terre ».

Comme si quelqu’un avait coupé le lien qui unissait son cerveau au reste de son corps, ses jambes cessèrent de la porter, et elle s’affala aux pieds de la traîtresse.

Clara en aurait hurlé de dépit et de rage, mais elle se sentait alors trop désorientée pour y penser. Elle chercha instinctivement à se remettre debout, mais ses jambes pesaient comme des poids morts. Elle chercha alors des yeux son épée, mais celle-ci avait roulé trop loin pour qu’elle pût s’en saisir.

« C’est terminé, père. » Le fils du roi avait pris la parole, exprimant non pas un souhait ou un ordre, mais une constatation. « Rendez la couronne à Érica Marjiriens. »

Fixant le roi assis sur son trône, le regard de la Maririens était exactement le même que le jour où elle avait trahi son duché et son peuple.

 

*

 

Le lendemain de l’attaque ombrienne sur les murs de Tervire, la nouvelle était tombée : la guerre était finie. Le peuple en liesse avait acclamé Érica Marjiriens ainsi que les valeureux soldats défenseurs de la ville. Clara faisait partie de la foule ce jour-là. Après des semaines à dormir sur de la paille sous les halles, ses cheveux roux ressemblaient à un nid de hiboux. Ses vêtements étaient ternes et trop peu lavés, mais elle s’en fichait. Le siège était terminé, les Ombriens avaient donc perdu. Du moins c’était ce qu’elle avait cru avant que la duchesse ne continuât.

Des concessions ? Parvenir à un accord de paix ?

Les Ombriens étaient arrivés avec la soudaineté de la grêle, comme des bandits et des voleurs, en pleine nuit. Ils avaient incendié la ferme, tué le bétail, décapité ses frères et sœurs, supplicié ses parents. Clara était partie se réfugier dans la forêt alentour à cause d’une dispute avec son père. Terrorisée, elle avait dû assister au massacre sans n’y rien pouvoir, cachée derrière un arbre. Comme des centaines de survivants à l’invasion, elle avait dû prendre la route du sud tout en se cachant des envahisseurs. C’était presque un miracle si la jeune fille avait réussi à atteindre Tervire saine et sauve.

Et maintenant, la duchesse parlait de s’entendre avec ces immondes barbares ?

De rage et de dégoût, Clara s’était soustraite à la scène. De la trahison, voila ce que c’était. La duchesse trahissait son peuple. Le jour même, elle quitta la cité en direction du sud-est.

 

 

Des concessions étaient nécessaires. Érica savait que l’annonce déplairait à beaucoup, mais ils ignoraient ce qu’elle savait. Les Ombriens étaient parvenus jusqu’à Tervire et en avaient fait le siège. Même s’ils avaient réussi le tour de force de s’infiltrer dans leur camp et de retourner la souveraine ennemie à leur avantage, ceux qui la suivaient refuseraient de s’en retourner derrière les montagnes de l’Ombre alors qu’ils avaient remporté jusque là victoire sur victoire.

De son côté, Érica n’avait pas suffisamment de troupes pour espérer remporter la guerre avec les Ombriens. Et pire que tout, ils détenaient Halderey. Au moindre geste suspect de sa part, son ami risquait de perdre sa tête. Ils auraient certes pu temporiser en espérant d’éventuels renforts. Mais sans qu’elle s’en rendît compte, la duchesse avait acquis la conviction que jamais ils ne viendraient. Le roi de Valoria avait trop à y perdre.

Son regard se tourna tout particulièrement dans le coin de la foule où, elle le savait, se trouvait un grand nombre de réfugiés. La plupart arboraient des expressions de soulagement et de crainte mêlées. Ils devaient craindre de ne jamais revoir leur foyer. Ils étaient malheureusement justifiés dans leur peur. Elle-même avait des doutes quant à la faisabilité d’un retour chez eux.

Elle ferait son maximum, voici la pensée à laquelle elle se rattacha au moment de rentrer au palais.

 

Halderey tentait de trouver le repos, allongé sur un lit de camp. Son environnement se résumait au strict nécessaire. Mis à part sa couche, la petite tente de feutre n’abritait qu’un broc d’eau, un endroit où faire ses besoins, ainsi qu’une table avec un tabouret en bois. Cela faisait maintenant plusieurs jours qu’il croupissait dans cet endroit. Il savait la rudesse des Ombriens, et sa détention en était un bon exemple. La nuit, le froid l’empêchait de dormir. Le jour, l’ennui l’écrasait. Deux gardes à l’entrée veillaient à ce qu’il ne sortît pas de sa cellule de tissu, lui interdisant toute possibilité de sortir se dégourdir les jambes.

S’il n’avait pas possédé ses oreilles de loup, l’angoisse d’être tenu dans l’ignorance de ce qui se passait aurait mis le comble à cet enfer.

De ce qu’il avait pu recueillir comme renseignement, il n’était pas pour l’instant question de le tuer. Les pourparlers suivaient leur cour, et les Ombriens le considéraient comme un avantage majeur dans les négociations.

Ainsi, pour l’heure le prince prenait-il son mal en patience. Se libérer de force relancerait à coup sûr la guerre, et Halderey savait fort bien que la balance ne penchait pas en leur faveur. Des concessions seraient nécessaires. Restait à savoir ce qu’accepterait Érica.

C’est alors que la rumeur du campement autour de sa tente changea. Sous peu, des bruits de pas appartenant à deux hommes s’approchèrent de sa prison. On venait le chercher.

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Edouard PArle
Posté le 01/06/2023
Coucou Sabi !
Très intéressant cet après bataille, chaque personnage y voit quelque chose de différent. Devoir traiter la paix avec un ennemi qui a fait tant de mal, c'est évidemment difficile à faire accepter au peuple et ça promet des négociations sous haute tension.
Curieux de découvrir ce qui va arriver Halderey et aux autres personnages.
Un plaisir,
A bientôt !
Sabi
Posté le 29/08/2023
Salut !
Je réponds avec presque trois mois de retard, pardon !
Ces derniers temps, j'ai été pas mal pris par d'autres trucs, et je ne sais pas vraiment quand j'aurais le temps de me remettre à Orcélia, mais j'espère bien terminer toute cette folle histoire !
En attendant, merci d'avoir lu ce chapitre. On entre là dans le deuxième arc de l'histoire, et avec lui l'incertitude. Comment amener tout ce beau monde jusqu'aux événements de l'arc trois ? À voir...
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