1 - Une vague sur l’étendue étale

Notes de l’auteur : Rythme de publication : un chapitre par semaine. RDV la semaine prochaine pour le chapitre 2 ! Bonne lecture.

Premier rouleau de Kaecilius

 

« Tâche d’être le plus aimable possible », dit la voix devant moi.

J’acquiesçai silencieusement, même si mon oncle ne pouvait voir ma réponse. Le chemin avait été sécurisé par ses gardes, qui formaient une haie d’honneur jusqu’à l’entrée de Fleur-Éclose, le palais-forteresse de la Vertueuse Sophia Domitillia. Nous avions abandonné son cortège de secrétaires, de conseillers et de courtisans à quelques lieues de là, dans la ville la plus proche. Il avait souhaité que nous honorions d’une visite privée ma future épouse, que je n’avais pas vue depuis l’enfance. Elle partagerait ma couche dans dix jours exactement. L’idée faillit me retourner l’estomac.

« Tu sais ce que l’on dit d’elle. Elle est farouche. Une future épouse ne diffère en rien d’un animal sauvage. Pour la dompter, deux techniques peuvent être employées : l’usage de la force ou celui de la douceur. Je te conseille de commencer par la douceur. Souris-lui, prétends que tu t’intéresses à ses loisirs, réjouis-toi ouvertement de l’alliance entre nos deux clans. Avec ton physique et ton éducation, elle devrait venir te manger dans la main. »

Il s’arrêta subitement, se retourna pour me regarder. Heureusement que mes réflexes étaient aiguisés. J’évitai une collision malheureuse, qui aurait sûrement affolé les gardes impériaux, et reculai aussitôt de deux pas, comme le protocole l’exigeait. Un demi-sourire satisfait détendit son visage austère. Il n’avait jamais été chaleureux envers moi.

« Pour ce qui est des… rapprochements intimes, je te fais confiance pour faire tous les efforts nécessaires. Un enfant doit absolument naître dans l’année qui suivra votre union. Tout le monde à la cour connaît tes préférences, mais le devoir conjugal est, comme son nom l’indique, un devoir. Tu prendras ton plaisir ailleurs. Et si, par infortune, tu étais incapable de faire durcir… » Son regard glissa brièvement sur mon entrejambe. « Mes médecins mettront toute leur pharmacopée à ta disposition. Il suffira de demander. Dans le pire des cas, tu pourras toujours garder un de tes esclaves dans la chambre nuptiale… si cela te permet de maintenir un certain degré d’excitation. Mon ami, Lucilius, m’affirmait l’autre jour qu’un godemichet pourrait être la solution à ce genre de problèmes. Après tout, s’il a réussi à avoir trois enfants avec sa propre épouse, alors que la simple vue d’une paire de seins l’amollit immédiatement, c’est qu’il sait de quoi il parle. Peut-être souhaiterais-tu t’entretenir avec lui ? »

Mes narines se dilatèrent sous l’effet de la colère, mais mon visage demeura impassible. J’avais des années d’expérience. Rien, ni personne, ne pouvait me faire perdre mon calme. Ce n’était pas pour rien si j’avais consacré toute ma jeunesse à devenir l’un des Vertueux les plus prometteurs de l’Empire.

Comme l’avait écrit Annaeus, mon maître :

« Pour suivre la Voie et cultiver la Vertu

L’homme sage a appris à dompter ses passions.

De sa bouche ne sort rien qui doit être tu,

Même sous le coup de l’humiliation. »

Je m’y appliquais donc tous les jours, en espérant que le contraste avec la personnalité de mon oncle, qui s’emportait à la moindre insulte, réelle ou supposée, n’échappait à personne.

« Ce ne sera pas nécessaire, affirmai-je d’une voix neutre. Il n’y aura aucun problème de ce côté-là, Fils du Ciel.

— Je suis ravi de te l’entendre dire, me répondit-il en tapotant mon épaule. Il est capital qu’un enfant naisse de votre union. Cette Domitillia serait bien capable de demander le divorce aussitôt mariée. »

Si je ne le demande pas moi-même le premier.

Nous étions promis l’un à l’autre depuis une dizaine d’années. Notre mariage devait mettre un terme aux tensions qui existaient entre nos deux clans. Depuis la fin de la République, les Domitillii et les Hostiliani se livraient à des manœuvres constantes pour saper la puissance du clan adverse. À plus d’une occasion, ces petites trahisons, ces machinations, ces conflits larvés, avaient failli éclater en guerre civile, mais, par un miracle de diplomatie que je peinais à expliquer entièrement, les autres grandes familles patriciennes étaient parvenues à maintenir une paix fragile. Nombre de sénateurs considéraient que mon mariage avec Domitillia était le dernier espoir de mettre un terme à cette situation empoisonnée : mon oncle avait promis que je lui succéderais ; ce qui voulait dire que le clan de mon épouse aurait enfin accès à ce qu’ils convoitaient depuis des générations : le trône impérial.

Évidemment, ayant vécu avec lui depuis que j’étais entré dans l’âge viril, je savais très bien que l’Empereur Aelius n’avait aucune intention de faire des Domitillii ses alliés ni de me léguer la pourpre impériale à sa mort. Du coup, j’ignorais la raison pour laquelle il se donnait tant de peine pour ce mariage.

« Un héritier, dit-il, en reprenant sa marche. Voilà ce dont j’ai besoin. Nous devons assurer la pérennité de la couronne impériale.

— Les candidats ne manquent pourtant pas. »

Il éclata de rire.

« N’essaie pas de te défiler. Si tu me survis, c’est toi qui seras à la tête du plus grand Empire que ce soleil ait jamais vu. »

Si tu me survis…

Malgré moi, un frisson me traversa l’échine. Ma bouche se fit sèche, mais je m’efforçai de déclarer, d’une voix rauque :

« Puisse ce jour être lointain.

— Que les dieux t’entendent », s’exclama-t-il, avec la satisfaction de qui se sait en sécurité.

Je jetai un coup d’œil aux hommes armés qui nous entouraient. Ils semblaient ne nous porter aucune attention, mais je savais que si j’avais ne serait-ce que frôlé la robe pourpre de mon oncle, je me serais trouvé face contre terre, et une épée plantée dans le dos. Évidemment, en utilisant mes pouvoirs, j’aurais peut-être pu m’en sortir vivant, mais, ayant assisté à plusieurs tentatives d’assassinat, qui avaient toutes échoué, j’avais décidé très tôt qu’il ne valait mieux pas m’y essayer. Mes désirs de vengeance devraient trouver un autre exutoire.

« Sois comme l’eau », ne cessait de répéter Annaeus lorsqu’il me voyait m’étouffer de colère. Quand j’étais adolescent, ce conseil n’avait fait que m’enrager davantage, car je ne le comprenais pas. Mais après plusieurs années passées à observer flaques, étangs, rivières, j’avais fini par saisir le sens de ses paroles : j’avais donc modelé ma personnalité à l’image de l’eau. Une étendue calme, imperturbable, dangereuse. Et qui arrive toujours à destination, même si elle doit pour cela contourner des montagnes que l’on dit infranchissables.

Nous parvînmes enfin devant l’entrée monumentale de Fleur-Eclose, où nous attendait un vieillard. Il portait une perruque, passée de mode depuis mon enfance, qui devait cacher un crâne dégarni. Une longue barbe grise effilée descendait jusqu’à son ventre proéminent. Peut-être lui-même un ancien esclave, il portait la tenue des serviteurs. À en juger par ses mouvements, la présence de l’Empereur le rendait nerveux. Après tout, c’était la première fois qu’Aelius venait visiter une demeure du clan des Domitillii. Il fallait que tout fût parfait. Je n’aurais pas souhaité être à sa place pour toute la Vertu du monde. Diriger des esclaves fainéants et fourbes, quelle plaie !

Il nous accueillit en se prosternant à même le sol. De l’endroit où je me trouvais, je pus sentir toute la satisfaction qu’éprouvait mon oncle. Celui-ci avait besoin de toutes ces marques de respect craintif, qu’il obtenait habituellement de ses esclaves, de ses eunuques et des courtisans les plus habiles. Il salua le vieillard, d’un mouvement de tête presque imperceptible, avant de pénétrer dans Fleur-Éclose, sans y en avoir été invité. Il nous planta derrière lui, considérant qu’il était de notre devoir de le suivre au plus vite. Comme le serviteur des Domitillii peinait à se redresser, je pris pitié de lui et lui offris mon assistance. Il accepta mon bras ferme. Quand ses genoux cessèrent de flageoler, il ne le lâcha pas pour autant.

« Ma maîtresse a beaucoup de chance d’avoir un futur époux aussi respectueux des anciens.

— La chance, comme la fortune, me sont des notions étrangères. Ce mariage n’est qu’une alliance politique. »

Il m’adressa un sourire servile avant de baisser la tête en signe de respect. Oui, c’était bien un ancien esclave. Il ne suffisait pas d’être affranchi pour se libérer des chaînes de la servitude. Certains comportements s’accrochaient comme la crasse à la peau.

« Où est donc la belle Domitillia ? » s’écria mon oncle, qui était arrivé dans la cour du Soleil Levant, la première à l’intérieur du palais-forteresse.

La panique saisit aussitôt le visage du vieillard, comme s’il s’était rappelé une information qu’il n’aurait jamais dû oublier. Il lâcha mon bras et s’empressa de rejoindre Aelius.

N’étant nullement pressé de rencontrer ma future épouse, j’en profitai pour embrasser Fleur-Éclose du regard. Devant cette architecture majestueuse et ce luxe ostentatoire, personne n’aurait pu croire une seconde que les Domitillii étaient un clan de second ordre. Fleur-Éclose n’était pourtant pas la demeure principale de cette famille, mais une simple résidence secondaire, celle où l’on avait envoyé Sophia Domitillia pour, affirmait-on, lui permettre de terminer son éducation dans le calme le plus absolu.

Il s’agissait visiblement d’un mensonge. Où était donc la paix nécessaire à l’étude ? Des esclaves et des serviteurs libres, que l’on reconnaissait à la qualité différente de leur livrée, s’agitaient en tout sens. On aurait dit une fourmilière qu’une sandale négligente – celle de mon oncle, par exemple – aurait perturbée. Ce comportement quelque peu hystérique me déplut aussitôt. Ne leur avait-on pas enseigné qu’un serviteur doit se faire oublier ? Qu’il chuchote et ne crie pas ? Qu’allait-on penser de leur maîtresse si on les voyait s’agiter ainsi ?

Rappelle-toi de ne jamais la laisser en charge de ta maisonnée.

Distrait par cette agitation, je manquai le moment où le serviteur se prosterna de nouveau devant mon oncle. Ce fut l’éclat de voix de ce dernier qui attira mon attention.

« Comment ça, elle a disparu ?

— Elle n’est pas revenue des Festivités auxquelles elle assistait dans la journée. »

Aelius jura. Il avait un vocabulaire étendu dans ce domaine, ayant passé ses années formatrices dans l’armée. Il se lança dans une diatribe contre les Domitillii, qui eût été amusante si elle n’avait pas été trompétée sur leurs terres. J’adressai une prière silencieuse aux cieux.

Que ce ne soit pas là le début de cette guerre civile que tout le monde craint.

« Maudite Sophia ! La fourberie féminine n’aura donc aucune limite ! 

— Nous craignons qu’elle n’ait été enlevée, geignit le vieillard.

— Enlevée ? Mais par qui ? Qui oserait s’en prendre à votre clan ? »

Si je n’avais pas été censé l’épouser quelques jours plus tard, j’aurais immédiatement suggéré les Hostiliani. C’était tout à fait le type d’attaque que mon oncle aurait pu orchestrer. Mais comme il semblait tenir à cette union, il était peu probable qu’il ait envoyé des sicaires se débarrasser d’elle.

Les cris de mon oncle alertèrent sa garde qui pénétra de force dans Fleur-Éclose. Je sentis aussitôt l’air se crisper, comme si la demeure se préparait à défendre ses habitants. J’hésitai brièvement à intervenir, mais mon sens du devoir m’interdit d’être un simple spectateur. Évidemment, un incident diplomatique à l’intérieur même du palais aurait signé la fin des projets matrimoniaux entre les deux clans, me libérant enfin d’une vie conjugale que je ne voulais pas, mais c’était l’Empire Sérien tout entier qui aurait souffert au final. Je levai donc la main pour arrêter les gardes, secouai la tête et leur dis :

« L’Empereur n’est nullement en danger. Quitter immédiatement Fleur-Éclose avant que vous n’aggraviez la situation. Je me porte garant de la sécurité de mon oncle. »

Ma réputation était telle que le chef des prétoriens m’obéit aussitôt. Allié aux Domitillii, j’aurais pu être sur le point d’assassiner l’Empereur afin de prendre le pouvoir, mais cela ne sembla pas traverser l’esprit des gardes. J’ignore si cette marque de confiance devait me faire plaisir ou m’agacer.

Kaecilius, le sujet le plus loyal de l’Empire. Le chien du Fils du Ciel…

« Le mariage est dans moins de deux semaines ! Moins de deux semaines ! Et la future mariée qui disparaît. Qu’ai-je donc fait aux Dieux pour mériter un tel traitement ? »

Les yeux tournés vers le ciel, le visage de mon oncle était déformé par la colère. Il prenait souvent à parti les Dieux célestes, puisqu’il se considérait comme leur égal.

Bientôt, il attaquerait un esclave, ou toute personne assez bête pour demeurer à sa proximité.

Si j’étais ce vieillard, je m’écarterais de lui avant d’être roué de coups de pied.

Une voix que je ne connaissais pas me tira de mes réflexions.

« Tant d’années ont passé. Mais tu continues d’être la victime de ces méchantes crises de nerfs. Respire donc un peu, Aelius, ton visage est de la même couleur que tes robes. »

Les yeux de mon oncle se firent noirs de colère ; les veines de son cou saillirent et ses joues s’empourprèrent davantage. Personne n’était assez fou pour parler ainsi à l’Empereur en public.

Au pied de celui-ci, le vieillard semblait vouloir s’enfoncer davantage dans le sol. Ses lèvres murmuraient des excuses, comme une prière faite à un Dieu implacable, mais son visage exprimait davantage la résignation que la peur : s’était-il attendu à cette intervention ?

J’avais vu d’autres clans se faire exterminer pour moins que cela. Il aurait suffi d’un seul ordre pour que Fleur-Éclose fût réduite en cendre, et toute sa domesticité pendue à l’entrée du domaine. Mon oncle avait toujours eu un goût pour la mise en scène. Sa cruauté ne manquait pas d’imagination.

J’étais sur le point d’intervenir, afin de le distraire de cette insulte, quand un sourire sinistre étira ses lèvres.

« J’aurais dû me douter que tu étais derrière tout ça, démon », dit-il avant de cracher au sol.

Le démon en question était assis sur un large garde-fou en bois noirci par les décennies, qui séparait un corridor de service de la cour principale. Il portait la livrée des esclaves, mais ses vêtements, loin d’être utilitaires, étaient luxueux. La soie qui l’enveloppait était aussi belle que celle que l’on utilisait au Palais des Harmonies d’Alba pour la garde-robe de l’Empereur.

Sa peau était blanche et ses cheveux naturellement blonds. Je n’avais jamais vu aucun Sérien qui lui ressemblât : notre peau avait le plus souvent la teinte de l’ocre et nos cheveux l’éclat de l’obsidienne. Avec ce physique, il ne faisait aucun doute que c’était un barbare, venu de terres lointaines, voire d’un autre monde.

Sa pâleur était telle qu’on aurait pu croire qu’il était un fantôme. Si je l’avais rencontré après le coucher du soleil, je l’aurais pris pour un revenant venu venger sa mort violente.

Mais je connaissais moi aussi ces rumeurs, ces légendes (même si elles n’avaient jamais attisé ma curiosité) : j’avais sous les yeux le fameux Démon blanc des Domitillii. Certainement leur possession la plus précieuse.

« Oh, Fils du Ciel ! Tu me fais trop d’honneur ! Je ne suis pas responsable de tous les malheurs de ce monde.

— Pourtant, ce n’est pas faute d’essayer, répondit mon oncle.

— Maintenant que tu as atteint un certain âge et que les nouveautés et les plaisirs se raréfient, tu devrais mieux me comprendre. Tout divertissement est bon à prendre, n’est-ce pas ? »

Offrant son profil à notre vue, le démon n’avait pas bougé d’un pouce. Le dos contre une colonne, il avait replié une jambe contre lui qu’il utilisait pour supporter sa tête. Ses cheveux détachés, qu’il portait longs selon la coutume serienne, cachait la moitié d’un visage qui paraissait jeune. Difficile de croire à la rumeur publique qui affirmait qu’il appartenait aux Domitillii depuis au moins deux siècles. Je lui aurais donné mon âge, peut-être même quelques années de moins.

Son regard se posa sur moi et son sourcil, trait sombre au-dessus d’un œil clair, se haussa.

« Puisque nous parlons de divertissement, dit-il, je vois que tu n’es pas venu seul, Aelius.

— On ne s’adresse pas à l’Empereur de cette manière, esclave », avertis-je sur un ton menaçant.

Il sursauta comme si je l’avais frappé. Je sursautai aussi, surpris par ma réaction. Avec souplesse, il quitta la balustrade pour atterrir dans la cour. Singeant les gardes impériaux, il m’adressa un salut martial, avant de retrouver son maintien naturel et de s’avancer vers nous dans une démarche que d’aucuns auraient qualifié de lascive.

Sans réfléchir, je dégainai mon épée.

« Ne bouge pas, démon. »

Il fit semblant de m’ignorer et ne s’arrêta qu’à quelques pouces du fer, offrant sa gorge dans un défi que je fus tenté de relever. Il posa son regard calculateur sur mon oncle. Ses yeux étaient gris, je pouvais les voir distinctement maintenant. Il avait aussi une petite marque tatouée entre les deux sourcils, là où l’on situe la porte du Palais de l’Esprit. Elle ressemblait à un idéogramme antique qui m’était familier, mais dont j’avais oublié la signification précise.

« Charmant. Même tempérament colérique que le tien. Il s’agit de ton neveu ? Le sage et vertueux Kaecilius, futur époux de ma Tillia ? »

Il fit un pas supplémentaire dans ma direction. Comme ma lame se pressait contre la peau de sa gorge, je fus tenté de lui tirer du sang.

Mon oncle se mit à ricaner.

« Si j’avais su que je te verrais faire perdre aussi facilement le contrôle de ses nerfs à mon neveu, je serais venu ici plus tôt. 

— Je suis ton serviteur, Fils du Ciel », répondit le démon, en faisant une courbette moqueuse, comme si mon oncle lui avait adressé un compliment. Puis, alors que je lui ordonnai de reculer sur le champ, son attention se reporta sur moi et il ajouta : « Et le tien, Prince Vertueux Kaecilius. »

Sans plus de cérémonie, il se laissa tomber au sol pour rejoindre le vieillard, qui n’avait pas bougé et continuait à égrener ses excuses. Il se prosterna à mes pieds, comme le plus parfait des esclaves. D’une voix obséquieuse, il alla même jusqu’à déclarer :

« Maître, le démon blanc est affligé que ses paroles aient pu te faire tirer ton épée si vite. Il sait qu’il déclenche chez les hommes de vives passions, mais jamais il ne supportera que le futur époux de sa Maîtresse éprouve tant de… colère envers lui. Prends sa vie immédiatement, si tu juges qu’il a insulté l’honneur des Hostiliani. Et il te supplie de ne tirer aucune conclusion hâtive au sujet de sa Maîtresse et des membres de sa large famille, qui sont les plus nobles et les plus dévoués à l’Empire. »

Ce discours aurait pu être débité par le vieillard, et peut-être que je l’aurais cru sincère si cela avait été le cas. Mais dans la bouche de ce démon, chaque phrase semblait contenir une insulte ou une raillerie.

« Assez ! m’écriai-je, décidé à faire cesser cette moquerie.

— Du calme, Kaecilius, intima mon oncle. Accepte ses excuses immédiatement. La qualité d’un homme de bien se mesure à la bienveillance dont il fait preuve envers les esclaves d’autrui. Dépêche-toi. Nous avons une affaire plus urgente à régler.

— Je le ferai fouetter », affirmai-je.

Un sourire étira les lèvres du démon. Je lui donnai un coup de pied pour le lui faire ravaler. Il atterrit sur ses fesses dans un grognement. L’air satisfait avait quitté son visage, mais une lueur amusée brillait toujours dans ses yeux trop clairs.

Une troupe d’esclaves et de serviteurs s’était amassée non loin de nous. Le remarquant, le vieillard leur ordonna de retourner à leurs tâches, ce qu’ils firent le plus lentement possible. Ma mauvaise humeur me les fit maudire en mon for intérieur.

Si ces fainéants rejoignent ma maisonnée après le mariage, ils goûteront à la férule de mes régisseurs.

Tandis que le démon blanc aidait le vieillard à se relever, et lui murmurait des paroles inaudibles à l’oreille, je décidai que je m’occuperais personnellement de cet esclave-là. Et peu m’importait que ce fût la possession la plus précieuse de ma future belle-famille. Personne n’avait le droit de me faire perdre ainsi le contrôle de mon humeur. Durant de nombreuses années, j’avais besogné à dompter mon naturel orageux, à faire de la mer déchaînée en moi une étendue étale. Je n’accepterai pas que tant d’efforts puissent être ruinés aussi facilement.

Je saurais me venger.

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Bookmonster
Posté le 17/05/2022
Cela faisait un moment que je n'avais pas lu mais la simple vue de tes chapitres m'en a redonnés l'envie : encore une fois ton univers est très bien ficelé, on en comprend pas tout pour le moment mais j'imagine que les explications viendront après.
EnzoDaumier
Posté le 29/05/2022
Merci :-)
Groehe KACI
Posté le 24/10/2021
Bonjour Enzo
Je découvre ton roman. le style est plaisant à lire et très fluide, les personnages se mettent en place petit à petit et on comprend bien l'intrigue : bravo !
mettre des personnages gay en héros donne un peu plus de piment à une histoire qui aurait pu sembler conventionnelle.
EnzoDaumier
Posté le 24/10/2021
Merci pour ce retour. :-)
CM Deiana
Posté le 21/09/2021
Kaecilius il va falloir lui apprendre la vie et le respect...
Déjà tellement de Unsolved Sexual Tension et tu me dis que ce sera un slow burn.. Bon ok je vais continuer à lire.
Plus sérieusement, cette histoire a un énorme potentiel et très entrainante. Tu ne t'égares pas dans des détails inutiles et pourtant on n'est pas perdu dans le flou à la lecture. J'imagine tout à fait le palais, les serviteurs, la tension.
It's perfect.
Merci pour cette lecture.
EnzoDaumier
Posté le 26/09/2021
J'imagine Lao comme l'incarnation d'un grand coup de pied aux fesses pour Kaecilius.
Je promets que c'est du slow burn. Ils ont des questions plus urgentes à régler pour le moment, et il va falloir bcp de temps à Kaecilius pour comprendre ce qui lui arrive.
Merci d'avoir pris le temps de me lire et de laisser un commentaire 🙏
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