1. Utile

Par -LF

Marilyn resta silencieuse un instant, et eut un petit rire gêné avant de machinalement caresser le chat venu quémander des faveurs. Elle secoua la tête avec un sourire triste, à la fois amusée et prise d’une nostalgie mélancolique :

— Toujours pas.

— Mais tu me manques ! protesta la voix à l’autre bout du fil. Et tu manques aussi à la brigade, c’est sûr !

La jeune femme sourit de nouveau, joua machinalement avec les cheveux qui tombaient sur son visage, délaissant le félin qui, dépité, tourna les talons et sauta silencieusement du lit. Gabrielle reprit :

— T'es sûre ?

Elle s'étendit sur le dos, se laissant tomber sur le matelas, et, jouant de nouveau avec ses mèches indisciplinées, ne répondit rien, un sourire fripon aux lèvres.

— Marilyn… insista l’interlocutrice d’un ton menaçant et plaisantin.

— Oui je suis sûre : c’est fini. Je préfère travailler seule et m’occuper des miens. La police ce n’était bien que parce que c’était avec toi, mais je suis passée à autre chose. Tu sais bien que je ne m’y plaisais pas, surtout après ce qu’il s’est passé avec Amo. Et puis, je suis bien plus utile qu’avant.

Gabrielle soupira sans grande conviction : elle savait que sa décision était prise, et que les enjeux de sa profession la dépassaient ; ses tentatives précédentes pour la faire revenir n’avaient été que des coups d’épée dans l’eau, alors pourquoi celle-ci aurait fonctionné ?

— Il y a quelques jours, j'ai eu affaire à un cas vraiment sordide, raconta Marilyn en roulant sur le ventre. C'était à Brighton, comme quoi on n’est à l’abri nulle part.

Gabrielle laissa échapper un rire de surprise. Marilyn poursuivit :

— On a retrouvé des corps dévorés un peu partout dans les égouts. Les gens pensaient à un animal sauvage mais en réalité, c’était un doué : le gars pouvait guérir de n’importe quoi mais seulement en se nourrissant de chair humaine. Il s’était fait poignarder à plusieurs reprises par un gang de dealers avec qui il avait eu des ennuis… du coup il a fait un massacre. En discutant avec lui, j’ai compris que les conditions de sa survie lui pesaient, et qu’il n’avait pas le choix. A sa place, j’en aurais sûrement fait de même.

Elle entendit son amie frissonner au bout du fil, et se mit à sourire malgré elle : donner des frissons à Gabrielle Jenkins revenait plus du miracle que du challenge.

— Quelle horreur, murmura-t-elle. J'imagine que Vaan n'a même pas été effleuré par le spectacle.

— C'est Vaan, répliqua Marilyn, tu le connais… jamais ébranlé par quoi que ce soit.

Elle se rassit sur le lit, dans l'impossibilité de tenir en place, et encore moins au téléphone, guettant la porte d’entrée malgré elle. Elle repensa au cannibale de Brighton, et son visage s’assombrit : comment en vouloir à un homme qui cherche juste à survivre ?

— Comment ça va, vous deux ? demanda Gabrielle, accompagnée d’un tintement de vaisselle à l’autre bout du fil.

Marilyn fut ramenée à la réalité, et secoua la tête pour remettre ses idées en place.

— C'est loin d'être parfait mais loin d'être détestable, répondit-elle franchement. Sa froideur me déstabilise parfois, mais… enfin, on sera encore obligés de cohabiter pour un moment, et ça me convient.

— Tu ne te mets pas en danger au moins ? Depuis l’incident…

Marilyn grimaça et essaya de ne pas repenser au sang qui avait coulé de son nez en quantité écœurante, tâchant ses vêtements et le sol, et au regard de son amie. Tout avait été chaotique et monstrueux, et la cicatrice qui parcourait la jambe de Gabrielle lui rappellerait à jamais les cris, la violence, la douleur et la mort.

— Je teste gentiment mes limites, enchaîna-t-elle pour ne pas laisser l’angoisse s’insinuer dans l’interstice du silence, j’évite les doués psychiques maintenant.

Les deux se mirent à rire doucement. Marilyn secoua la tête pour virer les cheveux rouges de son visage, avant de retrouver la compagnie de son chat noir, qui poussait sa main libre de sa tête. Elle sourit de nouveau, tendrement.

— Passe me voir bientôt d'accord ? conclut Gabrielle d’un ton anxieux.

— C’est promis.

 

Elles mirent fin à l'appel. Marilyn sourit tristement : encore une promesse en l’air, elle en avait perdu le compte. Elle était sûre que de son côté, Gabrielle savait qu’elle ne viendrait pas. Elle ne venait jamais.

Marilyn prit le chat dans ses bras pour se consoler : Baphomet était un chat noir aux yeux bleus, au poil court et brillant. Il aimait arpenter l'appartement et en faire son terrain de chasse. Il se blottit contre elle, ronronnant bruyamment, tandis qu'elle lui grattait l'arrière des oreilles, récoltant au passage quelques poils qui la firent éternuer.

Depuis l’incident, Marilyn avait quitté la police et son amie la plus proche : elle savait que ce choix était le meilleur qu’elle eût pu faire, non seulement pour la protéger, mais aussi pour se consacrer aux personnes qu’elle était plus à même d’aider ; puisqu’il fallait faire régner l’ordre dans un royaume invisible, elle avait décidé de s’en occuper car trop de vies y avaient été mises en péril.

La porte de l’appartement claqua et elle vit la silhouette de Vaan s’y mouvoir depuis l’entrebâillement de sa porte de chambre.

 

— Tu vois, murmura-t-elle à Baphomet en embrassant le haut de sa tête, je suis bien plus utile maintenant.

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