10. Fantôme

Notes de l’auteur : Novembre 1940

Un mois depuis que la France s'est alliée à l'Allemagne. Deux mois depuis que l'on m'a annoncé, par courrier, que Thomas était décédé. Deux mois. Longs et interminables. J'ai compté les jours, j'ai espéré, j'ai prié. J'aurais tout fait. J'y aurais cru jusqu'au bout. Peut-être même, qu'au fond, j'y crois encore. Si je ne crois pas en ça, alors, que me reste-t-il ?

— Tu ne viens pas te coucher ?

Antoine. Toujours Antoine. Antoine s'est attaché à moi comme une huître à un rocher. Je ne peux lui en vouloir, mais je ne comprends pas son affection. Ou plutôt je ne la mérite pas. Ces deux derniers mois et avec tous les événements, j'ai été particulièrement horrible. Je le sais. J'en suis consciente. J'ai l'impression que personne ne peut comprendre ma haine et ma douleur. Que personne ne peut m'aider. Que personne ne peut rien y faire. J'en veux au monde de m'avoir enlevé ce que j'avais de plus précieux.

Mais Antoine est resté là. Il m'a attendue et m'attend encore. Je le sais. J'en ai conscience.

Antoine a toujours eu sur moi ce regard tendre et bienveillant. Il m'a toujours regardée différemment des autres filles du village. Nous n'étions pas amis ni compagnons de jeux, mais de temps en temps, au détour d'un croisement, nos mères se saluaient. On se connaissait sans vraiment se connaître. On était « les enfants de... ». Aujourd'hui, ce temps-là est révolu. Nous partageons le même lit. Par contrainte ou par sécurité, je n'en sais rien. Il n'y a pas vraiment de place ici et d'un certain côté, il faut l'admettre, le savoir ici me rassure.

Antoine est l'un des derniers visages de mon enfance.

Un des derniers.

D'ailleurs, nous sommes sûrement tout ce qui reste de notre village. Ça me fait mal de le dire, mais je n'ai pas eu de nouvelles de mes parents depuis un mois. George s'est enrôlé dans l'armée, comme tant d'autres et depuis, plus rien aussi. Il serait parti pour l'Afrique. Mon Dieu... l'Afrique. Là aussi, un nouveau front. Une nouvelle guerre. De nouvelles pertes.
Mais quand tout cela cessera-t-il enfin ?

Alors je me retourne vers Antoine, le cœur en miettes et ce même regard triste, endeuillé, celui que je porte mieux que mon collier.

— J'arrive.

J'avais pour habitude de regarder les étoiles. Habitude que j'ai perdue au fil des jours. J'ai l'impression que même les étoiles ont fugué. J'ai l'impression que le ciel n'est que noirceur. Ténèbres. Exactement en phase avec ce qui se passe. Jour ou nuit. La guerre ne s'arrête pas. La guerre ne se stoppe pas.

Elle n'en finira sans doute jamais.

Nos rêves s'effritent, nos espoirs s'effondrent. Au final, la guerre nous aura tout pris. Famille, amis, amants. Tout. Nous ne sommes plus que des coquilles vides. Nous levant chaque matin pour un combat qui n'a pas de fin.

Je craque.

Me couchant aux côtés d'Antoine, il attend que je me glisse totalement sous la couverture pour éteindre la lumière, me souhaitant « bonne nuit ». La nuit ne sera pas bonne. Je rêverai encore de « lui ». Je rêverai de Thomas. Je rêverai de son rire.

Je sens aussi alors son bras s'enroulant autour de moi. Bras que je repousse en lui disant sur un ton cassant :

— N'abuse pas.

Le fantôme de Thomas me hante tellement que je ne suis pas prête à laisser à Antoine la moindre chance. Malgré toutes ses tentatives et tous ses vains essais. Il ne le remplacera jamais.

Il le sait et d'un certain côté, j'admire sa persévérance. Car Antoine mène un combat sur deux fronts :

Le jour, il se bat avec ardeur et la nuit il se bat pour mon cœur.

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deb3083
Posté le 05/08/2020
la première phrase n'est pas correcte à mon sens. La France s'est alliée à l'Allemagne ? Non. Ok il y a le gouvernement de Vichy mais techniquement tu ne peux pas dire que la France s'est alliée à l'L'Allemagne. Cela signifierait par exemple que l'armée irait combattre aux cotés des allemands sur le front. Alors oui des français se sont enrôlés côté allemand mais d'un point de vue historique, le terme allié ne me semble pas approprié. De plus à l'époque, toute la France n'était pas occupée par l'Allemagne. La zone libre existe toujours.

J'ai de la peine pour Antoine...
Par contre j'ai un peu de mal à comprendre Elise : elle ne l'aime pas mais elle partage son lit ? Je ne sais pas, ça me choque un peu. j'ai du mal à comprendre
deb3083
Posté le 05/08/2020
e du coup ça se termine ainsi ? C'est un peu brutal je trouve. ça pourrait être bien de faire un chapitre genre en 1945 ou 1946 après la fin de la guerre pour savoir ce qu'Elise est devenue.
En ce qui concerne Thomas, j'aurais aimé avoir un peu plus de lettres où il parle de son quotidien de soldat, notamment son arrivée en Angleterre. on reste un eu sur notre faim.
ManonSeguin
Posté le 05/08/2020
Je n'ai jamais dis que c'était terminé non plus :') Un peu de patience voyons !
deb3083
Posté le 05/08/2020
ah ok pardon!
MissRedInHell
Posté le 04/08/2020
Hey !

Ce chapitre est extrêmement tragique et en même temps, je le trouve pas pesant. J'ai beaucoup aimé le lire et j'adore toujours comment tu exprimes les émotions d'Elise. :3

J'ai d'ailleurs percuté pour le titre. C'est au passé, j'aurais dû m'y attendre dès le début que sa mort finirait par arriver. Je crois que je me suis laissée emporter par ma naïveté, ou juste que j'étais à fond dans l'histoire. :')
ManonSeguin
Posté le 05/08/2020
"Il s'appelait Thomas" et oui ! En fait dès le départ je me suis auto saboté mais ça passe crème, personne ne fait attention aux titres des histoires généralement ;) La preuve ...
MissRedInHell
Posté le 05/08/2020
En fait, il peut clairement y avoir plusieurs interprétations possibles. Et le fait que ça se situe dans le passé, c'était une évidence l’imparfait dans le titre, ne serait-ce que pour le côté souvenirs... Donc au contraire, je pense pas qu'il n'y ait d'auto-sabotage ^3^
Zoju
Posté le 04/08/2020
Salut ! On se doutait bien qu’Antoine occuperait une place importante pour soutenir Élise. Malheureusement pour lui, leur relation n’est pas comme lui le désir. Il semble tenir à elle. Toutefois, on comprend aisément que pour le moment Élise est encore trop bouleversé pour entrevoir une autre possibilité. On lui découvre une autre personnalité plus sombre. On espère sincèrement qu’elle va se reprendre. Reste à savoir comment. Quoi qu’il en soit, hâte de lire la suite ! :-)
ManonSeguin
Posté le 05/08/2020
C'est ce que j'aime beaucoup chez Elise c'est qu'elle vit elle-même ses propres expériences qui la change progressivement et elle essaye malgré tout ça de s'adapter et de continuer à vivre ... Je trouve ça...humain en fait d'essayer d'avancer malgré tout mais en retenant certaines choses du passé ou de ce que l'on peut vivre.
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