11. Joyeux Noël Elise

Notes de l’auteur : Décembre 1940

L'aube se lève à peine qu'Antoine me parle encore de notre départ. Nous ne sommes plus en sécurité ici. Depuis quelque temps, les opérations se déroulant autour du village, dans les quelques villes voisines, sont couronnées de succès. Le combat pour la liberté gagne du terrain. Faire sauter des bâtiments occupés par « eux ». Empêcher les trains de ravitaillement d'arriver en les faisant dérailler. Tuer ou être tué. Voilà ce à quoi se résumait le quotidien de ces hommes et parfois, de ces femmes, qui partaient se battre.

Parfois, ils étaient chanceux, parfois non.

Antoine partant tous les trois ou quatre matins me rappelle Thomas, s'élevant dans les cieux pour exactement la même lutte. En Antoine, je retrouve la bravoure et la témérité de Thomas. Je retrouve en lui un petit bout de ce que j'aimais chez Thomas. Antoine est une sorte d'aide-mémoire afin de ne pas oublier.

Il ne tombera pas dans l'oubli. Pas lui.

Thomas n'était pas juste un soldat, un enfant de la guerre, c'était plus que ça. C'était un homme avec toutes ses qualités et tous ses défauts. C'était un garçon avec toute sa naïveté, plaçant sa vie entre les mains d'hommes n'ayant pas vu l'aperçu d'un champ de bataille depuis bien des années. C'était quelqu'un qui avait la foi et la force de faire quelque chose de sa vie.

Ce que je n'ai pas.

Oui, j'ai dit que je me battrais. Oui, j'ai dit que, moi aussi, je me soulèverais. Oui, j'ai dit que j'aiderais. Mais je m'en suis détournée. Confrontée aux horreurs et aux drames, j'ai préféré oublier cette idée d'y aller. Je n'en avais pas le courage. Pas l'étoffe. J'avais trop peur. Peur pour moi.


Dans un monde où les gens auraient besoin de soutien plus que jamais, moi, j'ai eu la bêtise et la folie de me faire passer en priorité. J'ai pensé à moi au lieu de penser aux autres. J'ai privilégié ma sécurité plutôt que celle d'un autre. Rien que de le savoir, je me trouve horrible. Je ne vaux pas mieux que ceux qui ferment les yeux. Je ne vaux pas mieux que ceux qui « aident » ces monstres faits de chair et de sang.

J'en ai l'estomac noué. Le cœur retourné.

— Tu penses toujours à lui, n'est-ce pas ? Je le vois. Je le sais bien. Tes cauchemars sont toujours présents et son nom hante encore tes nuits. Dis-moi, Élise, ne puis-je rien faire pour t'aider ? Suis-je donc si impuissant que cela ? Pourquoi ne me laisses-tu pas t'aider au lieu de t'enfermer et de te complaire dans ce mal qui te ronge depuis tant de mois maintenant ?

Une nouvelle fois, je sens ses mains sur mes épaules. Il me retourne pour m'obliger à lui faire face et je fuis son regard. Je fuis ses grands yeux bleus glaciaux. Je fuis cette profondeur qu'ils peuvent avoir par moments, celle qui nous noie, qui nous submerge. Je ne veux pas me perdre dans Antoine. Je ne veux plus me perdre tout court. Ça fait trop mal. C'est pire qu'une douleur physique. Pire que n'importe quoi d'autre. On en souffre sans pouvoir en guérir.

— Ce soir, il y a un dîner chez Pierre et Laura. M'accompagneras-tu ou préfères-tu rester seule ?
— Je ne sais pas. Je n'ai pas le cœur à les voir.
— Pourquoi ? Ils ne t'ont jamais rien fait de mal. Tu sais, Laura aussi s'inquiète pour toi. Tout le monde s'inquiète pour toi. Je sais que tu ne veux pas l'entendre, mais... Il ne reviendra pas. Personne ne reviendra de ça, Élise. Tu le sais. Au fond de toi, tu en as conscience. 
— Crois-tu vraiment qu'il est nécessaire de me le rappeler ? Crois-tu que ça me plaît d'être comme je suis ? Crois-tu que j'aime ressentir tout ça ? Cette haine qui me ronge tant, ce chagrin qui me tue à petit feu ?! Dis-moi, Antoine, pour toi, la vie est-elle aussi simple qu'elle y paraît ?
— Laisse-nous au moins t'aider. 
— Ce n'est pas d'aide dont j'ai besoin.
— Alors, dis-moi ! Dis-moi de quoi as-tu besoin ? Je te l'obtiendrai ! Dis-moi ce que tu veux. Dis-moi ce qui ferait réapparaître ce si beau sourire que tu portais jadis ?!

Une part de moi le regarde avec mépris et colère. Je ne sais pas pourquoi. Je sais seulement que je me sens incomprise. Aller chez Pierre et Laura ne changera pas cet état. Je ne supporterai pas de les voir heureux. Pourquoi eux le sont et pas moi ? Pourquoi n'y avais-je pas le droit ? Pourquoi a-t-il fallu que l'on me prenne Thomas ?

Je demande à Antoine de m'excuser auprès d'eux, mais ce soir ils dîneront sans moi. Ce soir, je n'ai pas le cœur à festoyer ou à dîner. Je n'ai pas le cœur à voir les gens étaler leur bonheur. Ce soir, je veux être seule. Loin de tout ça.

Je veux que l'on m'oublie.

Il part, enfilant sa veste et une écharpe, refermant délicatement la porte derrière lui. Moi, je ne fais que refermer la porte de ma solitude. Il n'y a qu'avec elle que j'arrive à m'entendre en ce moment.

D'ailleurs, je n'entends pas la première fois qu'une main vient frapper sur la porte d'entrée. Je préfère l'ignorer. Je ne veux pas que l'on vienne m'embêter.

Ce soir, il neige. Les flocons recouvrent presque tout et l'ensemble du village semble immaculé de blanc. Un blanc taché de sang.

Peu de décorations en cette période de l'année. Peu de joie. Seules quelques prières adressées au ciel.

On frappe une nouvelle fois à la porte alors je descends, lâchant un râle. Je veux être seule.

Laissez-moi.

Je descends en peignoir, les pieds nus sur le parquet frigorifié. Je tends une main tremblante vers la poignée, finissant par la saisir. Par ouvrir.

Et puis, un sourire apparaît, sur le pas de ma porte d'entrée. 
Un sourire apparaît et mon souhait le plus cher semble soudain s'être exaucé.

— Je t'ai dit que je reviendrais, non ? Joyeux Noël, Élise.

Un miracle de Noël est né sur le pas de ma porte d'entrée.

 

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MissRedInHell
Posté le 06/08/2020
Hey o/

Tout d'abord, j'aime beaucoup l'idée du souvenir autour de Thomas, de ne pas le laisser être juste un nombre, qu'on se rappelle vraiment de lui. Je trouve ça très juste. :3

J'aime aussi beaucoup tous les sentiments que vit Elise. Elle passe par la colère, le dépit, l'impuissance... Ca se sent qu'elle est complètement perdue. Bref, j'aime beaucoup ! :D

Dans le dialogue entre Elise et Antoine, il y a quelques sauts de ligne qui ont sauté. Pas très grave, c'est juste que je suis pointilleuse sur la mise en page. :')

Et omg, ce cliffhanger ??? J'ai besoin de la suite. '-'
ManonSeguin
Posté le 06/08/2020
La suite arrive mon amie ! La suite arrive !

Va falloir que je revois ça sur le week end '_' bizarre cette mise en page !
MissRedInHell
Posté le 06/08/2020
Nice nice :D

C'est souvent un copier-coller qui foire. C'est assez récurrent en fonction du fichier d'où on copie. Perso, je mets sur Word et ça a l'air de passer ^^'
Zoju
Posté le 05/08/2020
Salut ! Cela ne va toujours pas mieux pour Élise même si elle reste dans la solitude, j’ai trouvé qu’il y avait peut-être un changement. Elle semble s’être radoucie envers Antoine, mais ça reste timide. Honnêtement, la fin amène beaucoup de questions. J’aimerais bien que ce soit Thomas, mais je crains qu’il y ait autre chose. En ce qui concerne le texte, je dois t’avouer que j’ai parfois eu un peu de mal avec les dialogues. Ce n’est pas ce qui est dit qui m’a posé problème (c’est plutôt bon), mais je n’arrive pas à bien visualiser la scène et la manière dont Élise et Antoine parle. Je n’arrive pas à définir leurs émotions. Mise à part cela, c’est un chapitre que j’ai pris plaisir à lire. Hâte de connaître la suite ! :-)
ManonSeguin
Posté le 06/08/2020
Eh non rien ne s'arrange pour Elise et encore moins sa relation avec Antoine. C'est vrai que quand j'ai essayé de les visualiser ensemble, il y avait quelque chose qui sonnait faux dans ma tête, comme si c'était une relation forcée et pas du tout naturelle et je crois que ça constrate pas mal avec le lien justement qu'elle a avec Thomas :) C'est sans doute pour ça qu'on a du mal avec eux deux comme duo.

Quant à la fin du chapitre ... La réponse se trouve dans le prochain chapitre ;)
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