Jason, avec un mec coincé, le 13 décembre 201*.
« Jamais entièrement blanc ou noir,
Le spectre des couleurs est aussi continu
Que mon espoir et mes sentiments ingénus. »
De base, j’étais super content que Greg vienne, même si j’ai dû le piéger pour y arriver. Dans ma tête, on allait enfin pouvoir passer du temps ensemble, discuter tranquillement de tous ces sujets qu’on n’aborde qu’à moitié parce qu’il a peur qu’on l’entende… Dans la réalité, je suis en train de me demander si c’était vraiment une si bonne idée. Peut-être que c’est encore trop tôt, qu’il n’a pas encore assez confiance en moi. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas l’air heureux d’être ici, et ça, même si je connaissais ses réticences, ça me fait un peu mal.
Sur le chemin jusqu’à la maison, il a été impossible d’en tirer quoi que ce soit. Je ne pense pas qu’il m’a boudé, il avait plutôt l’air absorbé par ses pensées. Quand je lui ai demandé si quelque chose le tracassait, il m’a regardé, l’air étonné, et a répondu : « Je me demande ce qu’il se passe chez moi. » Il n’a pas donné plus d’explications que ça, et je me suis contenté d’observer le bord de la route pendant qu’on marchait en silence. Parce que oui, normalement je prends le bus, mais on n’allait pas laisser son vélo à l’école, et je n’allais pas le laisser faire le trajet tout seul… Autant pour la discussion que j’espérais commencer… Bon d’accord, on n’a pas réellement marché en silence ; j’ai peut-être lâché de petites réflexions ou des soupirs d’ennui par moments, mais lui n’a rien dit.
Heureusement on a marché d’un bon pas, et je ne me suis ennuyé qu’une bonne demi-heure. Quand on est finalement arrivé devant chez moi, il a levé la tête, comme pour inspecter la propriété. J’ai cru qu’il allait dire quelque chose, mais il s’est contenté de renifler. Je ne sais pas comment il faut interpréter ça, ni même s’il faut en penser quoi que ce soit, sinon que ce mec est vraiment bizarre. En tout cas, j’ai décidé de laisser couler et me suis contenté d’aller ouvrir. Il m’a suivi jusque sur le perron, mais sur le pas de la porte, il a marqué un arrêt.
– Allez, rentre, on ne chauffe pas pour rien !
Il s’est exécuté, mais je voyais bien que quelque chose le perturbait.
– Allez, crache le morceau.
J’ai l’impression que si je ne l’y pousse pas, il ne dira ou fera rien. C’est lourd…
– Il n’y a personne ici. Mais à part toi… Il y a juste une femme qui habite ici. Tu ne m’as jamais parlé de tes parents ; ils sont séparés ?
– D’une certaine façon… Mon père est mort.
– Ah… Désolé.
– Non, t’excuse pas. C’est pas comme si c’était récent… Je l’ai à peine connu.
– Quand même, ça ne doit pas être facile…
– Ça va, ma mère travaille beaucoup, mais on s’en sort.
– Qu’est-ce qu’elle fait comme boulot ?
– T’as pas envie qu’on s’installe, avant de poursuivre l’interrogatoire ?
Il est toujours à deux pas de la porte, sac et veste sur le dos, comme s’il s’apprêtait à repartir. Je me suis déjà débarrassé de mes chaussures et tiens la porte vers la cuisine, mais il n’a pas l’air de vouloir bouger.
– On n’est pas trop mal, ici, non ? répond-il visiblement mal à l’aise.
– Alors, tu comptes passer tout le weekend sur le pas de la porte ?
J’essaie de ne pas trop me moquer, mais il ne me rend pas la tâche facile. Il se gratte la tête d’une main, un tic qu’il a souvent quand il est nerveux, et lève des yeux implorants vers moi.
– On peut rester encore, juste un peu ? Juste le temps de m’habituer un peu…
Je trouve ça complètement débile de rester dans le hall d’entrée, mais s’il y tient vraiment… Comment lui refuser quelque chose s’il le demande ainsi, en même temps ? La façon qu’il a de baisser la voix parce qu’il est gêné, est juste… mignonne ?
– D’accord, mais enlève au moins ton manteau et tes chaussures, ai-je insisté. J’ai l’impression que tu vas prendre la porte dès que j’aurai le dos tourné.
– Je devrais peut-être, marmonne-t-il en réponse.
– Pourquoi ? Je te mets mal à l’aise ?
Ça ne devrait pas être ça, vu le temps qu’on passe ensemble à l’école. J’ai l’impression qu’il supporte de mieux en mieux ma présence, et même s’il ne le montre pas souvent, je suis convaincu qu’il m’apprécie. Mais là c’est pire qu’au début. Je ne l’ai jamais vu aussi timide et inconfortable.
– C’est pas toi… Juste… Donne-moi un moment, d’accord ?
– Bon, comme tu veux. Si je vais nous préparer un goûter, tu seras toujours là quand je reviendrai ?
Je le balance en riant, mais il a l’air de saisir mon inquiétude, parce qu’il me rassure d’un sourire :
– Je ne m’enfuirai pas, promis.
Le cœur un peu plus léger, je vais vers la cuisine. Sur la porte du frigo, je trouve un petit mot laissé par Maman : « Je me suis arrangée pour finir plus tôt, je m’occupe du souper, amusez-vous ! PS : Il y a des muffins dans l’armoire ! xxx »
Alors que je verse un premier verre de jus d’orange, je me rends compte que je ne lui ai pas demandé ce qu’il voulait. À l’école, il a toujours une gourde d’eau. Est-ce que je lui mets quand même du jus ? Il serait bien du genre à être difficile pour la bouffe, en vrai, vu ses sens bizarres…
Mais lui servir de l’eau alors que je me prends un verre de jus, c’est pas ouf… Sa mère serait bien capable de l’obliger à boire uniquement de l’eau parce que c’est meilleur pour la santé. La mienne refuse bien d’acheter des sodas, et la sienne a l’air plus extrême…
Alors que je réfléchis au problème, j’entends des pas dans le hall. Est-ce qu’il s’impatiente ? Sérieux, quel hôte je fais, à le faire attendre comme ça alors que j’hésite sur quoi lui servir… Il suffit que je prenne les deux !
Trois verres et deux muffins chargés sur un plateau, je repars vers le hall. Je vais ouvrir la porte du coude quand une meilleure idée me vient.
– Greg, tu pourrais m’ouvrir la porte ? J’ai les mains pleines.
– Ah ! Oui, bien sûr !
Il entrebâille à peine la porte, alors je la pousse du pied. Le plateau est une bonne justification. Greg recule un peu, pour me laisser passer ou sous l’assaut des nouvelles odeurs ? Mystère. Je vais essayer de pousser un peu l’avantage, je n’ai pas super envie de passer la soirée dans le couloir.
– Tu ne viendrais pas t’asseoir à table avec moi ? J’ai nulle part où poser tout ça, ici…
Il pousse un soupir et me fait signe de reculer. Alors que je dépose le plateau, il tire une chaise de sous la table et s’assied.
– Désolé, je sais que ça doit te sembler bizarre, mais ça fait juste beaucoup à encaisser d’un coup, s’excuse-t-il alors que je lui tends un muffin.
Il ne le prend pas, alors je le laisse sur la nappe, devant lui.
– C’est un peu relou, mais bon, je connaîtrai bientôt les raisons, alors ça va.
– À ce propos, il joue avec une boucle de cheveux qui lui tombe dans le cou, je peux te raconter ce que je sais, mais à vrai dire, ce n’est pas grand-chose. J’ai un peu peur de te décevoir…
– Quoi ? C’est pas le moment où tu me racontes qu’en fait tu es un mi-vampire ?
Je le dis en tirant ma pire tête d’idiot étonné, et ça marche, il se détend et rigole.
– T’es con… Je me balade toujours en plein soleil, je ne peux pas être un vampire. D’office avec cet odorat, je suis un loup-garou.
– Attends, t’es sérieux là ?
La façon dont il grimace en louchant suffit pour me répondre, mais bien sûr il ne s’abstient pas d’enfoncer le clou.
– Mais oui, bien sûr ! T’as jamais remarqué les poils sur mes vêtements et comment je suis absent à chaque veille de pleine lune ?
– T’as raison, fous-toi de ma gueule…
Je fais semblant de bouder, mais je suis vraiment content de le voir se relâcher comme ça. Il y a de petits éclats ambrés qui étincellent dans ses yeux et des fossettes se creusent dans ses joues quand il sourit.
– Plus sérieusement, reprend-il. Il y a bien des choses louches dans ma famille. Je les ai toujours vues comme normales, mais à mesure que je grandis, je me rends compte que ma conception de la normalité est… Un peu décalée.
– Monsieur Evermore, dis-je en me levant, l’air solennel. Permettez-moi de vous octroyer le trophée d’euphémisme de l’année.
– Dommage que Maggie ne soit pas là, elle serait fière de t’entendre dire « euphémisme ».
Je me laisse retomber sur ma chaise et abandonne mon personnage.
– Je te signale que ce n’est pas parce que je ne prends pas la peine d’utiliser des tournures de phrase compliquées que je suis stupide !
– C’est juste une image que tu entretiens, alors ? demande-t-il alors que sa tentative de garder un air sérieux échoue.
– Dit monsieur « ça ne sert à rien de vous attacher à moi » alors qu’il fait de son mieux pour s’isoler. Je t’ai cerné, le beau mec ténébreux.
– Bon, j’avoue… Je suis nul en interactions sociales et…
– Hé, te sens pas obligé de te justifier, ce n’était qu’une pique.
Merde, je l’ai encore fait… Son sourire est parti. Pourquoi est-ce que je suis obligé de tout ruiner en balançant la pique qu’il ne faut pas ?
– On peut en parler. Je pense que tu as le droit de savoir, après tous les efforts que tu as fournis pour… bah pour que j’arrête de te repousser.
Je mords un coup dans mon muffin en réfléchissant à la bonne réponse. J’ai l’impression que c’est maintenant où jamais, si je veux en apprendre plus sur lui, mais que si je me trompe, il se refermera tout à fait.
Alors qu’il laisse le silence s’installer, pas tout à fait à l’aise avec ce qu’il vient de dire, je me lève, contourne la table, et m’assieds à côté de lui. Directement, il recule presque imperceptiblement.
– Ce n’est pas exactement arrêter de me repousser, ça, si ?
Je le dis d’une voix douce que j’espère dénuée de reproches. Je ne peux m’empêcher de me sentir un peu déçu de son attitude, mais je suis déterminé à ne pas le montrer.
Il me regarde, un sourire désolé sur le visage. Je sens son hésitation. Doucement, j’avance ma main vers la sienne, mes yeux plongés dans les siens. Il ne la retire pas, alors je l’effleure et finis par la saisir. Je le vois écarquiller les yeux, et un instant d’après, une vague d’odeurs, de couleurs et de bruits m’assaille. Il y en a tellement que je n’arrive à rien identifier. Tout vire au noir un instant, avant que je récupère mes sens.
Greg a retiré sa main et me regarde avec appréhension. Il doit s’attendre à ce que je parte en hurlant ou le foute dehors. Et franchement, mon corps lui donnerait bien raison. Ce qui vient de se passer n’a rien de normal, rien que je puisse rationaliser. Dire que l’expérience fut perturbante me vaudrait de directement récupérer ce trophée fictif que j’ai donné à Greg il y a quelques instants.
– Bon, je comprends mieux que tu évites les contacts, mais ce n’est pas toujours comme ça ; ce n’est pas la première fois que je te touche. Explique.
Il soupire, visiblement rassuré par ma réaction, et j’ai soudain l’impression de respirer plus facilement. La tension vient enfin de réellement se lever. Je suis déjà convaincu que ce qu’il s’apprête à me dire ne sera pas facile entendre, mais je me promets d’écouter du mieux que je pourrai. J’ai l’impression qu’il en a désespérément besoin.
Ce chapitre est très intriguant je trouve ! Bon, au début, on a quand même pas mal de peine pour Jason, j'imagine très bien le silence gênant et oppressant, Jason qui veut juste que tout se passe bien mais qui envisage de plus en plus d'avoir fait une bêtise ='D
L'arrivée de Greg est compliquée, mais bon, avec ses soucis de sens, ça se comprend. Ya juste une chose qui m'a un peu surprise, c'est que Greg devine très facilement qu'il vit seul avec une femme, et ça pose pas plus de questions que ça à Jason qui ne se demande pas comment il a su, alors que bon, deviner ça au nez, c'est quand même pas mal !
On comprend bien ensuite les réticences de Greg, qui a besoin d'un peu de temps pour assimiler tout ça, et Jason qui a peur de le voir fuir, et ça fait plaisir de voir Greg faire des efforts ^^ J'avoue que quand Jason va pour lui toucher la main, j'ai cru qu'il allait lui rouler une pelle ='D J'avoue que je ne m'attendais pas du tout à ce que Greg puisse transmettre son pouvoir par contact comme ça ! Je suis très curieuse du coup d'en apprendre plus, je trouve que tu doses bien le côté, je donne des infos mais je continue de faire tenir le mystère ^^
Je suis super content de te retrouver ici ! Tes commentaires (je les ai tous lus mais n'avais pas le temps de bien répondre tout de suite) sont super motivants !
J'ai peut-être raté quelque chose dans les réactions de Jason en effet, il faudra que je relise pour voir si j'ajoute une ligne de dialogue ou deux...
Pour ce qui est de rouler une pelle... T'as pas l'impression d'aller un peu vite, toi ? :P
Il va falloir que je brise le mystère à un moment... Mais t'as vu que ça peut durer x).
En tout cas j'aime beaucoup Jason qui est tour doux mignon et prévenant.
En tout cas, il est surpris de ressortir tout ça mais il est plutôt stoïque et logique !
Mais je l'aime comme il est <3.
Merci pour la dédicace, ça m'a fait tout bizarre (et chaud au cœur <3). En tout cas, je suis ravie de retrouver tes persos !
"Je ne pense pas qu’il m’a boudé" - > qu'il m'ait boudé ?
Sinon, il s'est passé quoi là ???
Va falloir que je te rebooste un coup pour le chapitre suivant, parce que j'ai envie de savoir la suite, tu peux pas nous laisser là-dessus XD.
Tout le début, j'avais vraiment peur que Greg parte en courant. Comme Jason en fait. Et c'est ça qui est bien, parce qu'en tant que lectrice, j'étais vraiment dans la même attitude que Jason, a avoir envie de le protéger et de le secouer en même temps, sans savoir s'il allait se barrer en deux secondes.
J'aime beaucoup comme leur relation évolue. C'est pas simple. Y a rien de simple avec Greg, mais tu sens qu'il ne faut pas grand chose pour qu'il bascule.
Bref, tu continues sur ta lancée ?
Ouf, tu n'imagines pas comme ça fait du bien de savoir que la scène marche bien. Je ne suis pas encore complètement à l'aise en écrivant Greg d'un point de vue extérieur, et j'ai toujours peur de faire Jason trop doux.
J'ai tellement été boosté par nos derniers échanges que j'ai déjà le prochain chapitre prêt et que je suis en train de travailler sur celui des révélations ^^. (Ouais, j'étais bien obligé de vous laisser sur un cliffhanger de temps en temps :P )
Je m'y remets de suite ! Merci d'être passée me lire !