Théodorus, Écuyer et d’autres blouses blanches s’étaient perdus dans une conversation enflammée et avaient abandonné l’alycien. Katy les laissa d’abord parler avant de commencer à s’impatienter. Elle se planta au plus près des deux scientifiques pour leur signifier qu’elle attendait leur attention, mais ils ne la remarquèrent même pas. Excédée, elle se plaça entre eux, interrompant un débat qui était très certainement passionnant pour demander d’une voix fort à Théodorus.
— Que dois-je faire ?
Il échangea un regard avec le professeur Écuyer.
— Et bien je suppose que tu peux… commença Théodorus.
— Je vais demander à un de mes assistants de vous faire visiter, annonça son nouveau collègue. Si je le trouve…
Il tendit le cou et fouilla le laboratoire des yeux, avant de se pincer les lèvres d’un air gêné.
— Je n’en vois aucun pour l’instant, promit-il.
Théodorus lui posa alors une question et il n’en fallut pas plus qu’ils repartent dans leur conversation. Katy poussa un grognement et patienta à leurs côtés. Elle perçut soudain une personne approcher silencieusement derrière elle. Elle se retourna d’un bond en position de défense.
— Ouh la, doucement ! s’exclama un jeune homme.
— Qui êtes-vous ?
Elle avisa sa blouse et se détendit.
— Je m’appelle Roy, je suis l’assistant du professeur Écuyer. Je venais lui faire un rapport mais je vois qu’il est occupé…
— Le rapport attendra. Je suis nouvelle et le professeur voudrait que vous me fassiez visiter.
— Pas de problèmes ! Mais tutoie-moi, s’il te plaît, j’ai que vingt ans ! Comment tu t’appelles, au fait ?
— Katy Pumbleton.
— Mmmmh, ce nom me dit quelque chose.
— Ma mère était connue dans le milieu.
Roy haussa les épaules.
— Je suis pas très bon élève, le professeur se désespère de mes piètres capacités de mémorisation.
— Pourquoi te tolère-t-il comme assistant, alors ?
Le jeune homme lui jeta un œil amusé.
— On peut dire que tu n’as pas la langue dans ta poche, toi. Et c’est quoi cette voix bizarre, tu essaies de te donner un genre ?
— Toi non plus tu n’as pas la langue dans ta poche.
— C’est pas faux. Bref, suis-moi, on va monter à l’étage.
Ils contournèrent les innombrables paillasses pour accéder à un escalier étroit en fer rouillé.
— Le laboratoire n°5 est un hangar aménagé mais les installations commencent à dater… tu verras, ça fait un boucan pas possible quand il y a du vent. J’ai hâte de voir les nouvelles installations qu’on nous prépare aux Sables d’Onyx.
Ils arrivèrent dans un couloir étroit percé à intervalle réguliers de portes en bois fin.
— Voici l’aile des assistants. Tu sens cette bonne odeur de moisissure ?
Elle fronça le nez pour toute réponse.
— Tu verras, on s’y habitue. Y a pas beaucoup de chambres de libre, du coup je suppose que tu vas prendre celle-là.
Il la mena au bout du couloir et ouvrit une des portes, dévoilant un espace minuscule à peine suffisant pour contenir le lit de camp et l’étagère qui le meublaient.
— Les horaires de réveil et de repas sont précis, le couvre-feu dure de 23 heures à 5 heures. Le petit déjeuner est à 6 heures, le déjeuner à midi pile et le dîner à 20 heures. Bref, on est réglé comme des horloges. Et crois-moi, on trime comme des forçats.
Une lamentation résonna soudain dans le couloir.
— Ne fais pas attention, c’est Gaby qui a voulu se prendre du rabe au marché noir et qui est tombé sur des biscuits périmés. Ses intestins la remercient.
— Au marché noir ?
— Toutes nos portions sont rationnées et calibrées selon notre poids. Certains aiment bien s’offrir des friandises en provenance de l’extérieur.
— C’est légal ?
— Bien sûr que non ! Gaby m’offre son matelas pendant un mois en échange de mon silence. N’est-ce pas ma gourmande ?
— Je t’emmerde ! répondit une voix inégale.
Il eut un sourire.
— Pour répondre à ta question de tout à l’heure, Écuyer me garde parce que je fais ce qu’il attend d’un assistant : je suis rapide, efficace et polyvalent. Nous les assistants, on est pas là pour réfléchir, mais pour servir de mains aux cerveaux délicats des docteurs. Des chiens-chiens en fait. Et la parfaite illustration c’est l’étage d’au-dessus où dorment les diplômés. Viens voir.
Katy suivit le jeune homme à la démarche nonchalante jusqu’aux chambres plus spacieuse et équipées des scientifiques.
— Scandaleux, n’est-ce pas ? fit Roy avec un sourire revêche.
Elle haussa les épaules.
— Ça ne me dérange pas, j’ai connu pire comme conditions de vie.
— Ah oui, comme quoi ?
— L’esclavage.
Roy eut un instant d’hésitation. Elle avait réussi à faire disparaître tout sourire de son visage. Quelque chose d’infiniment sombre passa dans ses yeux mais se résorba vite.
— Désolé, lâcha-t-il.
— Ne le sois pas, ce n’est pas de ta faute.
— T’as quel âge ?
— Douze.
— Je vois.
Il eut un toussotement gêné mais finit par retrouver son entrain.
— Par ici, on a la cantine. En fait, ici y a pas beaucoup de logements pour les grands pontes, la plupart habitent à l’extérieur du labo. Y a les sanitaires au fond, mais je te conseille d’y mettre les pieds le moins possible.
— C’est si sale que ça ?
— C’est ignoble. La Résistance a pas les moyen d’y maintenir une hygiène convenable. Faut aller aux sanitaires du QG pour pouvoir se laver, du coup c’est pas souvent. Moi je me lave qu’une fois par semaine, mais je sens pas si mauvais, si ?
Katy eut un mouvement de recul quand il souleva les bras.
— Jusque-là, ça allait.
Il se mit à rire. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas entendu quelqu’un rire de manière si libérée. C’était comme si les émotions négatives glissaient sur Roy. À le regarder, on avait du mal à croire que la ligne de front se trouvait à quelques kilomètres. Elle aurait aimé pouvoir oublier la guerre, elle aussi.
— Allez, dernier étage. Après t’auras droit à une visite plus précise du rez-de-chaussée, ça va être assommant. Mais là, je vais te montrer mon endroit préféré.
Il la mena dans un troisième escalier, ils débouchèrent sur ce qui semblait être un gigantesque grenier. Sous un toit légèrement incliné étaient entreposés des centaines d’objets étranges. Empilés les uns sur les autres, ils formaient des montagnes et des allées hétéroclites. Katy s’avança, intriguée.
— Ce sont toutes les expériences et prototypes ratés. Normalement, on les jetterait, mais plus question de gaspiller maintenant. Du coup on les met là en attendant de les réutiliser. On dirait la caverne de Babi Ala, tu trouves pas ?
— C’est vrai. J’aime bien.
Roy se mit à contempler les monticules d’inventions délaissés.
— À chaque fois que je viens, déclara-t-il d’une voix soudain lourde, je me prends à philosopher. Je pense à tous ces objets qui ont incarné un espoir fou, avant d’être une terrible désillusion pour leur inventeur. Ils sont abandonnés au milieu d’autres carcasses qui ne sont plus utiles à personne. Ils patientent là, entre envie de servir à nouveau et peur d’être détruits. Puis, un jour, on vient les chercher. On les désosse, on les fond. Ils meurent, en quelque sorte. Et puis on crée à nouveau. Le pire, c’est ce qui nourrit l’espoir qui motive les inventeurs à les construire : le désir de tuer des gens. Tu ne crois pas qu’ils sont contents, ces objets, finalement ? Tu crois qu’ils préférèrent être abandonnés plutôt que de servir à des massacres ?
Roy soupira. Un coin de ses lèvres était toujours soulevé en sourire, mais son visage s’était paré d’une profondeur abyssale.
— C’est stupide, hein ? De personnifier ces inventions. C’est juste des bouts de ferraille.
— Non, tu as raison. Ces babioles sont un peu comme nous, broyées par la guerre. Encore et encore, jusqu’à ce qu’on ait tout utilisé. Je te comprends.
Le jeune homme sourit tristement.
— Je sais pas toi, mais moi j’aurais préféré être tué plutôt que de servir d’arme de destruction massive.
— Tu ne sers pas qu’à produire des armes, tu protèges les habitants de la Terre Libre.
Roy se détourna.
— Certes. Bon, on descend ? J’ai encore toutes les installations scientifiques à te montrer.
Katy pénétra dans la cage d’escalier, non sans jeter un dernier regard aux inventions délaissées qui semblait la lorgner.
- pour demander d’une voix fort (forte) à Théodorus
- — Je n’en vois aucun pour l’instant, promit-il. (Promit ? C’est bizarre dans le contexte non ?)
- et il n’en fallut pas plus (pour) qu’ils repartent dans leur conversation.
- jusqu’aux chambres plus spacieuse (s)
- un dernier regard aux inventions délaissées qui semblait (semblaient) la lorgner.