Madame Regiris avait dit cinq minutes, et si elle ne l’entendait pas de manière littérale, j’acceptais de manger mon beret.
Voilà pourquoi je ne comptais pas tenter le destin sur ce point, même si cela impliquait de ne pas attendre que les sortilèges de chaleurs fassent leur effet sur l’eau avant d’y plonger.
C’était un peu dommage, car cette salle d’eau méritait le coup d’oeil. Elle était visiblement conçue pour l’hiver, comme en témoignait l’absence de fenêtres et le bassin en lui-même. D’ordinaire positionné en hauteur afin de prévenir tout ruissellement stagnant, ce dernier était ici en mosaïque bleu sombre sur lesquelles se dessinaient des arabesques dorées, et était taillé à même le sol. Il en manquait quelques unes, mais cela n’en était pas moins beau et de toute manière, pas important. Ce qui l’était, c’était la température de l’eau, et sans le sol pour la maintenir fraiche, elle aurait été glacée. J’avais en horreur le froid, et d’ailleurs, avait froid facilement. Daniel disait toujours que-
Bref.
Alors que je me savonnais à la vitesse de l’éclair, je pouvais tout de même apprécier le haut plafond, les moulures bien entendues et les lueurs. Elles n’étaient pas bleu agressif, comme elles auraient dû l’être mais jaune et douces. C’était un signe de fin de vie du cristal, et tout surprenant que cela fut, je m’en réjouissais. J’avais passé trois jours à la lueur des cristaux ésiops, cela m’avait guéris du bleu pour quelques temps. Ces lueurs-ci, si je faisais un effort, je pouvais prétendre qu’il s’agissait d’un petit nuage de lucioles, virevoltant au grés du vent. Lizzie avait une fascination marquée pour les lucioles, au point que Mathurin lui avait sculptée une veilleuse en bois à cet effigie. Madame Catherine avait remué pieds et mains pour trouver un cristal en assez bon état, bien entendu y était parvenu, et j’avais réussi à dénicher un petit peu de peinture, et bien sur Mistigri s’était dépêché de tremper ses pates dedans, au premier moment d’inattention-
Mais bref à la fin! C’était pas possible, la situation était déjà bien assez compliqué ainsi, je n’allais pas non plus en rajouter une couche inutile! À quoi cela servait, d’être mélancolique, quand je toute manière je rentrerais bientôt chez moi? À rien, rien du tout. Il fallait donc se ressaisir, ne pas se laisser è la tristesse inutile et sortir de ce bain. Ma toilette était finie après tout.
Si glisser dans l’eau n’avait pas été très compliqué, se hisser hors de l’eau en revanche, le fut. La faute à cette fichue épaule et ce genoux de merde. Se changer fut également un peu compliqué. Je trouvais sans mal une tenue de rechange dans la petite commode en pin massif, choisissant une chemise simple et douce, une jupe sombre me tombant jusqu’aux chevilles et des petites bottines assorties. Les boutons en revanche, se révélèrent assez embêtant, pour ne pas dire exaspérant, tout comme mes cheveux, désormais propres mais humides et particulièrement difficile à démêler.
Quand j’eus enfin fini et levais la tête, le miroir poli me renvoya une image assez perturbante. On aurait dit que j’étais une magicienne, tout droit sortie des années 1900. J’eus un frisson, entre la peur, le rire et la fatigue.
Quand je sortis enfin, je découvris que j’avais passé non pas cinq mais quinze minutes. Je me préparais à protester, à blâmer tous ces petits boutons avant de me rendre compte que personne ne m’attendait.
Personne.
Le manoir était plongé dans un silence assez inquiétant, et si je n’avais pas fini par retrouver Madame Regiris, j’aurais cru être ne plein rêve.
Elle se trouvait sur cette causeuse défraichie, les paupières closes et une bouteille vide supplémentaire à ses pieds. Elle ne devait cependant pas l’avoir bu d’une traite, car son verre était au sol et avait fait une tâche piquante sur le tapis. La tâche était encore humide.
Madame Regiris n’esquissa pas le moindre geste, pas même lorsque je m’approchais d’elle, et pourtant à cause de mon genou je n’étais pas un exemple de discretion. Elle était, en vérité, si immobile que je me mis à avoir un peu peur pour elle et posait doucement un doigt contre sa gorge. Non, elle était bien- bon, son rythme cardiaque était un peu bas, mais rien de bien méchant. Elle respirait normalement et la pression de mon doit lui fit se racler la gorge.
Bon.
Elle s’était assoupie, voilà tout, l’alcool avait du aider, mais elle semblait avoir conservé ses réflexes, sa respiration était normale… bon?
Si on résumait la situation, j’étais laissée dans un Manoir perdu dans la lande -un coup d’oeil à l’extérieur me le confirma- noyé dans la brume, et la personne supposée me surveiller était actuellement en train de décuver. Même si elle se réveillait disons au bout d’une heure, je serais déjà loin. Les traces ne tenaient pas sur la végétation, aussi, si je prenais la poudre d’escampette maintenant, à moins de faire une connerie, jamais on ne me retrouverait.
Je refusais d’y croire pendant une bonne minute. C’était impossible, Petite Merde était trop méticuleux pour ça. Je ne comprenais pas comment il avait pu se tromper à ce point là.
Mais c’était visiblement le cas, comme la porte le confirma. Madame Regiris avait laissé la clef dans l’entrée, et la serrure se déverrouilla, sans le moindre problème. La porte s’ouvrit, m’offrant un spectacle brumeux, pour ne pas dire mystique… je devinais à peine le Meriel à l’horizon, peinant à se lever, échouant à percer le brouillard épais… c’était l’occasion rêvée. Par tous les Saints, Mon Esprit Familier ne m’avait pas abandonné.
Alors pourquoi ne pas y aller? Pourquoi ne m’élançais-je pas dans ce voile si réconfortant?
Je tournais brièvement la tête, fixant la porte de la bibliothèque.
Elle était toujours profondément endormi, alors que je n’avais vraiment pas été discrète. Et un sentiment désagréable se répandit dans mon torse, au point que je rebroussais chemin. Je la fixais pendant une bonne minute, me demandant quel piège elle pouvait bien me tendre là.
« Votre maison prend feu. » Je dis alors d’une voix claire, m’attendant à la voir sursauter, briser l’illusion, mais il n’en fut rien. J’enchainais alors, passant part divers stade d’absurdités mais elle demeura immobile, même quand je m’abaissais à insulter son fils.
Rien.
Elle dormait… elle dormait vraiment.
Bon, ce n’était donc pas un piège, et je devais m’enfuir. Je n’avais plus qu’à franchir la porte. J’allais le faire, j’allais-
Non, je n’avais pas le droit de ressentir la moindre once de culpabilité! On m’avait enfermé dans ce manoir, on m’avait fait mal et maintenant que je leur rendais la monnaie de la pièce, ils osaient en plus me donner l’impression d’être ingrate?
Certes, elle avait été correcte, et elle m’avait un peu protégée, mais elle avait du le faire parce qu’elle les avait laissé m’enfermer et me massacrer la tête quand même! Aucuns d’entre eux ne cueillaient des fleurs, alors ils ne devaient pas s’attendre à ce que je leur en fasse une, pas même elle-
Elle fut saisi d’un petit spasme, un petit tremblement. J’avais après tout laissé la porte ouverte et l’air s’était rafraichis. Elle avait froid.
Personne ne devrait avoir froid.
J’attrapais alors un plaid, l’épousseta un peu, et pris ma décision.
« Allez, sans rancune. » Je maugréais, avant de la couvrir d’une couverture, elle cessa alors de trembler, et sa respiration se fit plus régulière. Voilà, j’avais fait ma bonne action, maintenant je pouvais partir tranquillement.
Petite Merde n’oserait pas s’en prendre à elle, c’était une mage, et quand bien même, peu importe leur relation, quelque chose me disait que jamais Scetus Regiris ne tolèrerait que l’on touche à sa génitrice.
Non?
Bref, bref, tant pis, ce n’était plus mon problème. Le mien, c’était de m’enfoncer dans ce brouillard de manière assez chaotique pour que l’on ne puisse pas me suivre, sans trop forcer le trait et me perdre. La liberté, enfin, rentrer chez-
Un énorme fracas retentit dans la cuisine, et si rien ne semblait pouvoir réveiller Madame Régiris, moi, je manquais de tomber à la renverse tant je bondis. Mon coeur se mit à battre à nouveau la chamade, je me mis à imaginer une autre goule, ou un spectre, voir quelque chose de pire encore. Il fallait que je prenne mes jambes à mon cou avant que-
Il y eu un autre fracas, comme si quelqu’un venait de casser de la porcelaine, voir plutôt un ensemble de porcelaine.
Bon.
Avoir peur et se recroqueviller dans son coin, ça ne servait à rien, et quitte à me faire manger la cervelle, je préférais faire face. Aussi je me dirigeai à pas de loup vers la cuisine, avançant prudemment, m’attendant à un fantôme, ou à un voleur, voir un animal, mais il n’en fut rien.
Dans cette vaste pièce aux carreaux blancs, aux meubles sombres, se tenait un petit garçon.
Je demeurais interdite pendant une bonne minute, n’osant en croire mes oreilles, qu’un enfant puisse vivre ici, et qu’il soit occupé à retourner de fond en comble la pièce, cherchant visiblement-
Il s’arrêta net, et tourna lentement la tête dans ma direction.
« J’ai rien fait, c’était déjà comme ça. » Il s’écria, les joues écarlates. C’était d’ailleurs un simple détail. On aurait dit qu’une tornade était passé dans la pièce. Cache tiroir avait été ouvert, le contenu de quelques tiroirs avaient été renversés sur le sol et on avait poussé une caisse contre une lourde porte ne bois.
« Tu cherchais quelque chose? »
« C’est pas moi qui ait fait ça, c’était déjà comme ça! » Il répéta, le visage obstiné, le regard fuyant. Prudemment, je m’avançais vers la porte qui refusa de s’ouvrir malgré mes tentatives.
Je jetais à nouveau un regard au petit garçon. Il était dans une tenue raccommodée, peu soignée, des cheveux bruns en épis un peu gras, des yeux bleus ciel actuellement terrorisés et des joues creuses. D’ailleurs, sa tenue semblait trop grande pour lui, ou plutôt, il semblait vraiment, vraiment, maigre. Il y avais dans son regard une lueur trop familière, et je commençais à comprendre ce que j’avais interrompu.
« Tu sais ou est la clef? » Je demandais doucement.
« On peut pas rentrer sans permission. » Il dit alors, l’air tout malheureux et mon coeur se serra.
« J’en prends la responsabilité. »
« La serrure est magique. » Il dit, avec un brin de désespoir et se mit à se tordre les mains, révélant au passage une fourchette toute tordue.
Bien, ça suffisait. Les Esprits aient pitié, ma fuite allait devoir un peu attendre. Je ramassais un petit couteau du sol et me mis à dévisser les gongs.
« Attention, éloigne-toi. » je le prévins, quand ce fut fait, avant de tirer sur les partis métalliques. La prote grinça, protesta, et le sort étincela de protestation, mais l’effet de levier me permit d’avoir le dessus et la serrure alla se ficher dans le mur opposé.
« Ouah! » il s’écria, tout stupéfait.
« Ne fais jamais ça. » Je ne pus m’empêcher de dire.
« Mais tu viens de le faire toi. »
« Moi, je suis autorisée. »
« Par qui? »
« Par ma Tante Lydia. » Je répondis d’un air convaincu et absolu, en espérant que cela suffise.
Ce fut visiblement le cas car il n’ajouta rien, se contentant de me suivre dans le garde manger. C’était une petite pièce sombre et sèche, aux murs blancs craies et contre lesquels s’adossaient des étagères en bois sombre. À mesure que je balayais la pièce du regard, je compris pourquoi la pièce était scellée. Il y avait bien quelques caisses pleines, mais elles contenaient toutes des bouteilles identiques à celles aux pieds de Madame Regiris. Le reste était vide et triste, voir non comestible.
« Alors? » Le gamin demanda, non sans tirer sur ma manche.
« Alors, on va se répartir les tâches, je propose que tu ramasses ce qu’il y a au sol, et je m’occupe de la cuisine. »
« C’est pas moi qui l’ait fait. » Il protesta à nouveau.
« Je sais, mais même si cela avait été le cas, ce n’est pas bien grave. Simplement ne les remets pas dans les tiroirs, il faudra les laver avant de les ranger. Mets les dans un coin. »
Il poussa un petit sourire de soulagement et s’en alla hors du garde manger, l’allure un peu plus gaie. Je passais en revue une seconde fois les étagères. Le problème c’était que mes talents de cuisinières étaient plutôt inexistant, alors si en plus on me compliquait la tâche… ah, des flocons d’avoine, et du lait, des oeufs, des épinards…
Bien, cela allait partir en bouilli et en omelette tout ça. Et quelques pommes, il fallait des fruits.
Je me mis donc derrière les fourneaux, en commençant par prendre la casserole noircie et de l’envoyer sur la pille de vaisselle de l’évier. Je m’en occuperais plus tard, peut-être. Pour l’heure, il fallait trouver des ustensiles propres, ce que je finis par dénicher.
Derrière moi le petit garçon courrait dans tous les sens, non sans jeter de temps à autre un regard étincelant à la nourriture. Je mis donc tout en oeuvre pour ne pas bruler la pitance, tâchant de me rappeler des petits conseils de Madame Catherine, me maudissant intérieurement de ne pas avoir davantage écouté.
Le résultat n’était pas trop mal. Bon, ce n’était pas de la grande cuisine -mes talents derrière les fourneaux étaient au mieux médiocres- mais cela serait assez mangeable. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’il ne ferait pas trop le difficile.
Mes craintes s’évanouirent quand il me vit déposer l’omelette dans son assiette et verser les flocons d’avoines encore fumant -probablement un peu trop cuis- dans son bol.
« Tout ça? » Il s’écria avec toute la candeur de monde et par tous les Saints, je me fis violence pour prendre sur moi et ne rien laisser paraitre.
« Attention c’est chaud. » Je dis doucement alors qu’il se saisit de sa cuillère. Elle apparaissait énorme, tellement sa main semblait fine et petite. Il la plongea dans la bouillie, les yeux presque exorbité et je m’apprêtais à lui répéter à quel point c’était chaud quand il s’arrêta net.
« Mais, et toi? » Il dit alors.
« Comment ça? »
« Tu manges pas? »
« Je mangerai après. » Je dis, mais il secoua la tête et sauta de sa chaise pour trottiner vers un petit meuble, en extirpa un bol, une assiette, ajouta en équilibre un verre et des couvert.
« On va partager.» Il dit d’un air autoritaire qui me laissa un peu pantoise, mais je me rendis compte que moi aussi j’avais faim et je rendis les armes. Je finis donc par m’installer, et me versais un peu de bouillie et d’oeuf dans mon bol.
« C’est pas égal. » Il dit d’un air sentencieux, mais son ventre se mit à gargouiller.
« Parce que tu es un petit garçon, tu as besoin de nourriture pour grandir, moi c’est déjà fait. » Je dis simplement, et cela apparut lui paraitre raisonnable car il se jeta sur son assiette.
Il devait avoir vraiment faim, parce qu’il n’arrêta pas de répéter que c’était bon, et si j’admettais volontiers que cela demeurait mangeable, vraiment, ce n’était pas le summum de la gastronomie. J’en vins même à me demander s’il ne jeunait pas depuis quelques jours car il eut fini le tout en dix minutes, et la lueur creuse dans son regard ne s’était pas éteinte.
Je retournais alors dans le garde manger afin d’étendre mes recherches, et finis par dénicher une miche de pain, du lait encore potable, quelques pommes, du beurre d’amandes et un peu de confiture. Bon, à nouveau, ce ne serait pas du grand art, mais la confiture était aux groseilles, avait bon gout, et avec le beurre cela devrait offrir un dessert potable.
Je revins donc me mettre à table et entrepris de lui préparer quelques tartines.
« Comment tu t’appelles? » Je demandais.
« Britannicus. » Il dit, l’air solennel, un peu trop pour un gamin.
« C’est joli. »
« Nan, c’est nul, moi j’aime pas. » Il grommela, et je retins un petit rire.
« Tu n’aimes pas ton prénom? » Je demandais en lui tendant une tartine -j’Avais peut-être un peu forcé sur le beurre, mais plus le temps passait, plus ce petit me semblait maigre.
« C’est pas mon prénom, c’est comme ça qu’on m’appelle. » Il renchérit, avant de mordre à pleine dent dans son dessert. En y regardant bien, j’avais vraiment mis beaucoup trop de beurre et de confiture, si bien que le pain en devenait un ingrédient secondaire.
Tant pis, il avait les joues creuses, et je n’aimais pas ça. Il avait maximum sept ans, personne à sept ans ne devrait avoir des joues pareilles, ni cet air ci, ni ce regard là.
« Alors il faut te trouver un surnom. »
« Ya pas beaucoup de choix et tout fait trop fille. » Il renchérit.
« Je vais y réfléchir. »
« Faut pas que ça fasse fille. » Il répéta, à nouveau le regard impérieux.
« Promis, un surnom pas fille. »
« Et toi, tu t’appelles comment? » Il demanda, alors que j’inspectais de plus près le lait. Il avait l’air potable, mais je ne voulais pas trop prendre de risque, mieux valait le chauffer.
« Sidonie. » Je dis alors que je partais à la recherche d’une petite casserole. Ce fut un échec d’ailleurs, il m’apparut très vite que elle des flocons était la seule encore propre. Je me dépêchais donc de la nettoyer.
Il siffla.
« Tu vois, ça c’est trop joli, pas besoin de surnom.» Il soupira.
« Tout le monde a besoin d’un surnom. » Je répliquai en versant le lait, avec un tout petit peu de sucre et de cannelle.
« C’est quoi ton surnom? »
« Oh, ça dépend des gens, c’est tout l’intérêt des surnoms. »
« Dodo. » Il s’écria alors, avant d’éclater de rire « Moi je vais t’appeler Dodo! »
« Comme tu veux, mais rappelles-toi que je te cherches un surnom, et que Tata, ou Brita sont à portée de main. »
« Ah non! Tu avais dit que ça ferait pas fille! »
« Je te fais marcher. »
« Sisi? » Il dit alors, de manière un peu plus calme.
« Dodo ça me va, ma meilleure amie m’appelle comme ça. »
« Elle s’appelle comment? »
« Berthe. »
« Ah, c’est presque aussi nul que Britannicus! » Il rit à nouveau, avant de me jeter un petit regard apeuré « Enfin, c’est très bien, j’veux dire, m’appelles pas brita. »
« J’ai promis que ça ferait pas fille. » Je versais le lait dans son bol car après une brève inspection, cela se révéla également être le dernier contenant potable et je jugeais des restes de flocons d’avoines préférables à des traces oranges indéterminées.
Il huma le tout d’n air gourmand -et enfin ce fut une réaction normal, car sans vouloir me vanter, cela ne sentait pas trop mal. Après, il aurait vraiment fallu y aller pour rater un lait chaud à la cannelle.
Britannicus abandonna toute tentative de conversation après cela, et se concentra intégralement sur son bol et son assiette -j’en avais profité pour lui préparer quelques quartiers de pommes et deux ou trois tartines supplémentaire. Je demeurais un moment interdite, jusqu’à ce qu’il me fut impossible d’ignorer cette pile de vaisselle ragoutante. Je remontais alors mes manches et commençais à laver ce qui pouvait être sauvé.
Cela impliquait cependant de trouver un torchon encore net, et non pas cette chose lourde posée sur le plan de travail. Je retins un frisson et partis explorer la pièce adjacente, espérant y trouver sinon une serviette, à minima un drap propre. J’étais en équilibre quand un courant d’air frais caressa mon visage, très vite suivi d’une porte fermé et-
« Bonjour Britannicus. » On dit, à quelques pas de moi, et mon sang se glaça dans mes veines. Cette voix, par tous les Saints, cette voix-
« M’sieur. Ça va bien vous? » Britannicus demanda de manière assez familière et détendue pour me calmer. Légèrement. C’était après tout l’homme, ce mage, rien ne pourrait étouffer le frisson douloureux de mon dos.
« Tu t’es fait un sacré festin. » Il dit alors, d’un ton désinvolte mais quelque chose en moi hurla à mort.
« C’est pas moi, c’est Dodo. » Britannicus répondit tranquillement, et je balayais la pièce du regard. Pas une seule fenêtre. Pas une seule cachette. Rien. Il me faudrait passer par la porte.
La suite n’allait pas être jolie.
« … Dodo. » Il répéta, et son ton commençait à se durcir, assez pour que l’idée de laisser le gamin seul avec lui me fasse l’effet d’une décharge éso. Contre les recommandations de tous mes instincts possibles et inimaginables, je descendis donc du tabouret, un torchon blanc en main, et rejoint la cuisine.
« Ah, Dodo, regarde qui est là! » Britannicus dit joyeusement « M’sieur, Dodo, Dodo, M’sieur. »
« On s’est déjà rencontré. » J’articulais péniblement, en essayant de garder mon calme.
Le mage semblait tout aussi stupéfait que moi, et demeura pétrifié une bonne seconde, avant de jeter un petit regard au coin à Britannicus.
« Dodo? » Il articula, comme si le garçon s’était mis à danser de la karanka sur la table.
« C’est Berthe qui l’appelle comme ça, sacrée Berthe, mais vous savez comment elle est. » Il leva brièvement les mains en l’air, tout heureux, tout fier de lui, et ne sembla pas voir le regard aigue que l’homme me jeta.
Je lui rendis bien.
Il était hors de question que je retourne dans cette cave miteuse et hantée, et cette certitude m’apaisa. Peu importe ce qu’il faudrait faire, il ne m’y jetterait plus, il devrait me tuer avant. Cette issue était d’ailleurs la plus probable, et si je souhaitais avoir la moindre chance, je devait me saisir de ce couteau et lui sauter dessus avant qu’il ne puisse invoquer ses runes.
Ses mains tiquaient d’hors et déjà, à la manière nerveuse des mages quand ils invoquent leurs runes, et une fine odeur d’ozone s’installa tranquillement dans la pièce. Son visage était impassible, mais la lueur dans son regard indiquait une toute autre histoire.
Maintenant, une voix hurla dans ma tête, attrape ce couteau et plante le, maintenant.
Je devais le faire, j’allais le faire, je m’apprêtais à le faire, mais…
Mes yeux eurent le malheur de se poser sur la silhouette frêle de Britannicus. Le gamin ignorait complètement l’affrontement qui était sur le point de prendre place devant lui. Il devait avoir entre six et sept ans. L’âge de Lizzie, mon âge quand-
L’idée qu’il en soit témoin, qu’il voit quelqu’un mourir de manière si violente -car cela ne pouvait qu’être la seule issue de cet affrontement- me fut tout bonnement insupportable. C’était comme si mes mains étaient brulées et que le couteau se révélait brulant, l’idée même de le prendre m’était insupportable. Il ne pouvait pas voir ça, on n’était pas supposé voir ça à son âge et je refusais de le lui infliger. Cela devrait attendre qu’il soit parti.
Une fine odeur d’ozone s’installa dans la cuisine, et l’air se troubla au niveau de ses index.
Mon inaction le rendait de toute évidence perplexe et il alla même jusqu’à fme jeter un regard interrogateur. Je glissais alors discrètement mon regard sur le petite garçon et le mage haussa les sourcils de surprise. Il était probablement impatient à la perspective de me réduire en poussière, mais il allait devoir attendre. De toute manière Britannicus engloutit son sandwich en quelques bouchés et poussa un soupire d’aise.
« Bah c’était super bon! » Il s’écria, en s’essuyant les mains sur son bavoir.
« Tu veux autre chose? » Je demandais alors calmement, et il secoua sa petite tête, l’air un peu béas, les paupières lourdes.
« Et bien il est l’heure d’aller dormir. »
« Mais chui pas fatigué. » Il gémit tout en se frottant les yeux de fatigue, se tartinant un peu de confiture au passage. Cela me fit sourire, un peu douloureusement. À ma décharge, il ressemblait beaucoup à Lizzie en cet instant, et je n’avais pas souri depuis une bonne semaine, ou plus. Une éternité en somme, mes lèvres n’avaient plus l’habitude.
« Bien sur. » Je dis tranquillement et il tombait tant de fatigue qu’il me laissa le prendre dans mes bras sans la moindre protestation. Il était étrangement léger, trop, pour un petit garçon de son âge, assez pour qu’une rage sourde me hérisse la colonne vertébrale. Bref, bref, ce n’était pas le moment.
J’entrepris de sortir de la cuisine, et si le mage ne m’arrêta pas, je marquais tout de même un temps d’arrête car je n’avais strictement aucune idée ou l’escalier-
« C’est à droite, il me semble que sa chambre est la troisième à gauche premier étage. » L’homme dit alors, le ton étrangement calme, et je hochais brièvement la tête.
Il m’apparut très vite que tout dans cette maison était à l’image de cette cuisine, pour ne pas dire de la cave. Si nous avions laissé derrière nous l’odeur rance de brulé, il y avait dans l’air une odeur de… vieux. Un terme plus correcte serait probablement défraîchi mais je n’était pas d’humeur à être correcte, pas quand cet escalier en bois noir, au vernis écaillé se révéla devant moi. On avait dépassé le stage de désuet, là, c’était de l’abandon, pur et simple. Certaines marches étaient cassées ou semblaient sur le point de céder, et le tapis de velours bleu nuit devait avoir un jour été très cher, mais était désormais rongé par la vermine.
Britannicus dormait désormais contre moi, emmenant des petits ronflements de trompette, aussi je gravis les marches en essayant de faire le moins de bruit possible -tache difficile quand on doit faire face à un bois grinçant au possible. Nous passâmes devant une fenêtre grise, laissant à peine filtrer quelques rayons du Meriel et révélant la quantité insupportable de poussière en suspension dans l’air. L’idée que quelqu’un habite ici m’apparaissait auparavant triste, mais désormais, c’était scandaleux. Ils laissaient un gamin grandir dans ça. Sérieusement.
Nous atteignîmes enfin l’étage, silencieux à souhait et je me mis à appréhender la chambre. Ce couloir n’annonçait aucun entretient régulier, et je me demandais sincèrement ce que donnerait la chambre d’un enfant. J’agrippais péniblement la poignée ronde et la porte se délogea dans un clac sonore avant de s’ouvrir en grinçant.
C’était une petite pièce assez biscornue et pour mon grand soulagement, assez propre. Il y avait un peu de désordre, bien entendu, mais le tapis circulaire n’était pas tout neuf mais semblait frais. Les murs étaient d’un gris souris triste à en mourir mais étaient net et vu ce que j’avais vu dans le couloir, ce n’était pas si mal que ça. Je pus donc glisser la petite silhouette endormie dans les draps de son lit, et si le matelas grinça un peu, les draps sentaient le savon.
À nouveau, mes standards pouvaient paraitre faibles, mais il fallait garder en tête que j’avais vu certaines pièces positivement ragoûtantes.
Je bordais le plus doucement ses draps, et après un dernier regard, parti sur la pointe des pieds. Le tout était de surtout ne pas le réveiller et de ne pas trop penser à ce qui adviendrait de ce gamin quand mon cas serait réglé en bas. Lors de mon ascension, je m’étais rendue compte à quel point l’homme avait rapidement invoqué ses runes, et l’air trouble…
J’en avais vu des mages, et s’il n’était pas rare que leurs flux influence la perception de leur environnement, un halo trouble comme ça, cela puait. Il n’était très certainement pas un petit ésotéricien de pacotille, et je me faisais peu à peu à l’idée que lors que je descendrai, je serais réduite en charpie. Il me vint vaguement à l’idée de sauter par la fenêtre et de courir, avant que mon genoux ne se rappelle à moi. Si je pouvais à peu près me déplacer désormais, la moindre acrobatie me faisait mal d’avance, quand à courir…
Bon, il faudrait faire ça à l’ancienne en fin de compte.
Super.
« Dodo, tu seras encore là quand je me réveillerai? » une petite voix m’arrêta net et je me tournais alors.
Britannicus faisait un effort surhumain pour ouvrir un oeil, et me fixer derrière sa peluche -un petit lapin blanc assez basique et assez peu magique pour être franche.
Je demeurais interdite un bon moment, ne sachant pas trop quoi répondre à ça. Mentir, c’était nul, mais en même temps, je me voyais difficilement lui expliquer que je n’en avais aucune idée car je m’apprêtais à tenter de casser la gueule d’un mage hors de ma catégorie.
Mon hésitation ne lui échappa pas, et il poussa un soupire.
« Tout le monde s’en va. » Il maugréa et par tous les Saints, on m’aurait plongé un couteau dans le coeur que cela aurait été moins douloureux. Tout mon être hurla à la mort, face à cette phrase, et ce n’était pas possible, ce n’était pas possible.
« Dors, je serais là à ton réveil. » Je dis alors, et l’assurance de ma voix me surpris, mais je fus loin d’être la seule.
Il écarquilla les yeux -enfin, l’oeil visible- et serra davantage sa peluche.
« Promis? » Il demanda d’une voix dure. C’était la voix de quelqu’un qui se prépare à être déçu, et ce n’était pas supposé sortir d’un si petit corps ça. Il devrait y avoir des lois contre ça, on ne devrait pas autoriser les enfants à sonner comme des adultes fatigués et désappointés.
« Promis, maintenant, on dort, sinon je ne vais pas être contente. » Je dis d’un ton catégorique avant de fermer la porte.
Un beau chapitre, particulièrement émouvant. Le petit Brittanicus est hyper touchant je trouve... Dans sa façon de faire, dans sa façon d'être, j'aurais vraiment eu envie de le serrer contre moi et de le consoler, aussi ! C'est crève-cœur comme scène, et ô combien touchant.
Je me demande si ça émouvra le mage... J'espère. Je ne sais trop qu'en penser, mais vraiment, rien que pour le petit... Il n'avait pas l'air méchant avec le petit, lui non plus.
Bref j'ai beaucoup aimé ce chapitre, et je te laisse sur mes notes prises au cours de la lecture !
"au grés du vent" -> gré
"quand je toute manière" -> de toute manière
"tout droit sortie des années 1900." -> du coup je me fais la réflexion... En quelle année sommes-nous, justement ? Je sens que ça sonne ancien à l'intonation, mais je ne me rends pas compte à quel point ancien.
"Non, je n’avais pas le droit de ressentir la moindre once de culpabilité!" -> oui, franchement, je vois pas pourquoi elle hésite !
"Cache tiroir avait été ouvert" -> chaque
" Je m’en occuperais plus tard, peut-être." -> ah oui, donc elle part plus.
"cela apparut lui paraitre raisonnable" -> apparut paraître? ^^
"que elle des flocons" -> celle?
" d’n air gourmand" -> d'un
"cela ne sentait pas trop mal." -> ne sentait pas trop mauvais, plutôt ?
"et rejoint la cuisine" -> rejoignit
"d’hors et déjà" -> d'ores et déjà
"Une fine odeur d’ozone s’installa dans la cuisine" -> tu as déjà dit qu'elle s'installait un peu plus haut, donc je crois qu'il faudrait plutôt "continuait de se répandre" ou quelque chose comme ça.
"un peu béas" -> béat
"un temps d’arrête" -> d'arrêt
"-tache difficile quand on doit faire face à un bois grinçant au possible." -> et avec un genou en vrac !
Aaaaah ravie que ce chapitre t’ai plu, en particulier Britannicus (pauvre chouchou il ne demande qu’à être aimé 💔 au point de réagir de la sorte avec une PARFAITE INCONNUE au lieu d’aller se cacher/ chercher un adulte…).
Concernant tes notes, j'avais un peu mis à jour les chapitres précédents, aussi petite précision: le prologue de passe en 1918, le chapitre 1-suite en 1925. 1900s, ce sont les dernières années de la Royauté Medelvique (bon ça j’e parle plus tard), assez ostentatoire pour les mages mais criblées de problèmes (au point qu’une révolution ait lieu en 1905 et conduise à la chute de la royauté en 1907 après laquelle la République de Medelvinique fut fondée mais à nouveau je l’expliquerai plus tard en détails).
Pour ce qui est de son hésitation à s’enfuir… comment dire. Sidonie avait mal calculé sa réponse à Scetus, la situation allait vraiment dégénérer, et Madame Regiris est intervenue. Peut être pour des propres raisons, mais quand même. Si elle s’enfuit, il y aura des conséquences pour Madame Regiris, et c’est assez dure pour Sidonie à accepter alors que dans sa tête « elle lui en doit une ». Je vais développer ça dans la réécriture je pense.
Pour le genoux… on dira que c’est étrange ? :)
Encore merci de tes retours 🙏