12. Et rien ne va plus

Par Eurys

Armand avait passé une nuit toute sauf tranquille. Le sommeil, lourd mais entrecoupé de beaucoup trop d'éveils à son goût, ne l'avait pas réellement laissé se reposer et il se réveilla avec une fatigue toujours ancrée au corps. Le petit matin se levait mais il n'avait même pas la force d'ouvrir les yeux, rien que la faible lumière qui commençait à inonder la pièce lui donnait un début de maux de tête. Il remonta sa couverture, se replongeant dans l'obscurité la plus totale. Mais bon sang pourquoi était-il si mal ... .

Des coups furent frappés à la porte. Armand sorti sans douceur du petit sommeil qu'il avait réussi à grappiller en grognant contre le dérangement. Celui-ci se répéta, suivi de son nom à plusieurs reprises mais il n'avait même pas l'envie d'ouvrir la bouche pour hurler de le laisser tranquille.

Alors qu'il pensait que l'importun s'était retiré la porte s'ouvrit, laissant apparaitre Aramis, un air inquisiteur sur le visage.

« Armand, êtes-vous en vie ? »

Seul un bruit non identifié lui répondit. Aramis ria de l'état déplorable dans lequel se trouvait le jeune homme bien qu'il sentait la gueule de bois poindre le bout de son nez, comme tous ses amis d'ailleurs. On ne buvait pas ainsi sans conséquences et le garçon l'apprenait à ses dépens.

Un torchon humide s'échoua sur le visage d'Armand, le faisant enfin réagir et ouvrir les yeux. Il leva une main, attrapa l'objet et se redressa légèrement sur son oreiller, lançant un demi-regard décontenancé sur Aramis.

« C'est pour le mal de tête. Gardez-le sur le visage pour au moins arriver à reprendre tous vos esprits. »

En entendant cela le malade ne se fit pas prier et se recouvra le front et les yeux avec. Au bout d'une minute, il commença à sentir l'effet de l'eau froide sur ses maux de tête. Les mineurs qui lui martelaient la tête semblaient s'être calmés. Il ressentait toujours les effets de la gueule de bois, mais n'était plus dans le flou complet.

Il le retira quand la fraicheur du linge s'atténua tout en remerciant Aramis.

« Athos vous a amené ceci, Il désigna du pied un seau d'eau posé par terre. Plongez la tête dedans, cela dissipera un peu l'alcool. C'est un peu extrême mais ... c'est la méthode d'Athos et elle marche plutôt bien !

—Bien, merci de votre aide Aramis. » Croassa-t-il doucement.

Celui-ci lui répondit en relevant légèrement son chapeau du doigt et disparut.Armand souffla  , il ne comprenait même pas ce qui lui était arrivé, son corps n'était pas comme à l'accoutumée, il lui semblait qu'il ne lui répondait presque plus, ou sinon après un effort extrême. Il eut l'impression que son corps était rattaché à une pierre alors qu'il s'asseyait sur son lit et se laissa glisser à genoux, face au seau d'eau.

Il allait plonger sa fichue tête là-dedans. Dans d'autres cas il aurait sûrement hésité, mais là ; peu lui importait d'être mouillé jusqu'aux épaules dans ces températures fraiches, il voulait uniquement reprendre le contrôle de son corps, desserrer l'étau de sa tête et ne plus avoir l'impression que chaque muscle de son corps pesait une tonne.

Inspirant brusquement, il enfouit sa tête, accrochant ses mains aux bords du récipient de bois. Il resta ainsi plusieurs secondes, sans bouger puis se releva d'un coup, respirant une grande bouffée d'air. De l'eau éclaboussa le sol, formant plusieurs petites flaques autour de lui alors que les gouttelettes, qui ruisselaient sur ses cheveux désormais inondés et sa peau, s'écrasaient sur sa chemise salie.

Armand resta quelques seconds à genoux, reprenant un souffle plus régulier. Du revers de sa manche il essuya l'eau devant ses yeux, les idées moins confuses dans sa tête.

Une deuxième inspiration et il réitéra son geste, laissant cependant moins longtemps sa tête dans l'eau.

Désormais l'esprit clair il se laissa choir au sol, le dos contre le côté de son lit, l'eau gouttant encore et toujours autour de lui, la chemise désormais entièrement trempée. Sa respiration s'était calmée et il se sentait capable de réfléchir sans sentir à nouveau son mal de tête s'étendre dans sa boite crânienne.

Sandieu, il avait eu la gueule de bois, ou plutôt il l'avait toujours ! Il n'avait jamais bu plus que de raison, il n'était jamais arrivé à ce stade de déchéance où tout son être était aux prises de la boisson. Il devait reconnaitre l'efficacité de ses compagnons quand il s'agit de pousser quelqu'un à s'enivrer. Et Athos ! Bon sang Athos avait pris un malin plaisir à le battre et ses amis l'avaient laissé faire ! De tous, jamais il n'aurait cru que le comte de la Fère serait le plus amical à la taverne. Il se souvenait de tout désormais et comment il avait fini en loques alors qu'ils le ramenaient à la caserne. Oh bon Dieu ... Il avait vomi, en pleine rue ! Et Porthos ... Porthos avait assisté à tout cela. Il était resté avec lui et l'avait aidé, ou plutôt complètement porté jusqu'à leur logement. Il l'avait même monté dans sa chambre et délesté de ses bottes, sa veste puis ...

OH.

La respiration d'Armand s'accéléra et ses joues s'empourprèrent alors qu'il se rappelait TRÈS distinctement ce qu'il avait fait la veille. Il l'avait retenu, il l'avait tiré à lui et ...

Oh nom de Dieu.

« Non non non »

Son souffle devint complètement irrégulier en comprenant jusqu'où il avait été ... bonté divine qu'avait -il fait ! Complètement affolé Armand se tint la tête entre les mains, essayant de se convaincre que non il ... il n'avait pas embrassé Porthos !

Et de lui-même.

S'il n'était pas déjà en position assise il aurait senti ses jambes se dérober sous lui, tout son esprit en état de choc. Le corps soudainement moite, l'angoisse prit le pas après la surprise, lui nouant douloureusement l'estomac. Ses joues s'empourprèrent doucement en repensant à la façon dont il avait emmêlé ses doigts dans ses cheveux alors que le métis encerclait ses hanches de ses mains puissantes. Et il avait ... gémit ! Sur que son teint devait concurrencer celui d'une tomate mûre, Armand eu l'impression de perdre complétement pied, comme si le sol se mit à tanguer, sans aucun appui pour lui permettre de retrouver son équilibre. Sa plus grande interrogation n'était pas comment il avait osé faire une chose pareille mais le fait étonnant et étrangement réconfortant que Porthos avait répondu à son baiser. Mais la chaleur qui s'était infiltrée dans son cœur se glaça bien vite et se bloqua dans sa gorge en se souvenant comment tout cela avait fini. Il s'était détaché de lui en un instant, et s'en était allé sans un regard de plus.

Tout comme lui avait été guidé par la boisson, le métis devait également être sous son joug mais avait réussi à s'en extirper, alors que lui s'était laissé aller, baissant toutes ses barrières.

Mais même si cela faisait mal, il remercia intérieurement Porthos de la fin qu'avait prise la nuit. Lui avait été totalement inconscient ... . Armand souffla, les épaules avachies, soudainement las. S'il s'était rendu compte du risque que c'était de venir vivre ici, là il n'avait pas fait qu'entrer dans la tanière de l'ours. Il avait complètement agité le drapeau indiquant sa présence et s'il commençait à s'attirer des ennuis lui-même, il ne ferait pas long feu avant d'être découvert.

D'ailleurs et si Porthos ...

Le visage rougi devint livide alors qu'un frisson glacé parcourut son dos, remontant le long de son échine. L'angoisse s'empara à nouveau de lui, mêlée à une peur sourde qui lui vrilla les entrailles. Une pellicule de sueur froide se forma sur sa peau mais il s'efforça de contrôler le stress qui s'emparait petit à petit de ses membres, les faisant trembloter. Non c'était impossible, il n'aurait pas réagi ainsi sinon, c'était certain ! Il tenta de se rassurer tant bien que mal mais cela ne l'aida pas à grand-chose. Il n'avait pas le choix, il devait faire face à Porthos, même si cette simple idée lui donnait envie de se terrer dans cette chambre sans en sortir.

Il lui dirait qu'il était saoul, qu'il n'avait pas conscience de ses actes, qu'il s'en voulait et préférerait qu'ils enterrent cet évènement regrettable. Mais une piqure douloureuse lui traversa le cœur à cette idée. Il n'en pensait pas un mot. Il était forcé de reconnaitre l'évidence, il ressentait quelque chose pour ce géant aux mains calleuses, à la peau ambrée, au rire tonitruant et aux cartes truquées. Il aimait son odeur épicée et les effluves de cuir que dégageait son habit qu'il se faisait un devoir d'entretenir régulièrement. Ses manières bourrues et franches, sa joie de vivre. Mais malgré tout, il devait étouffer ses pensées. Il avait tendance à l'oublier ces dernières semaines mais il n'était pas ici pour être un parfait mousquetaire.

La culpabilité l'étreignit.

Il s'était forgé une nouvelle vie, jusqu'à oublier totalement par moments les raisons qui l'avaient poussé vers celle-ci. Il riait et buvait, passant ses journées à jouer aux cartes. S'il avait été un peu plus objectif il n'aurait pas été aussi dur envers lui-même mais le constat était là, il vivait heureux, et cette simple pensée lui suffit pour que des sillons humides dévalent librement sur ses joues, se mêlant à l'eau déjà présente. Il avait l'impression de trahir son père. De s'être trahi lui-même.

Il resta ici ainsi à même le sol, laissant des larmes silencieuses ronger son visage. Aucun son ne sortait de sa gorge, aucun tremblement ne s'en prenait à ses épaules, seul son visage grimaçant et ses pleurs trahissaient la tristesse de son âme.

La porte s'ouvrit dans un grincement quand le jeune homme sorti à contre-cœur de sa pièce et se dirigea vers l'escalier. Il avait attendu que ses larmes se tarissent, avait tenté de sécher ses cheveux et sa chemise mais de guerre lasse abandonna. Sa tête était à nouveau cotonneuse, il avait l'impression d'être perdu mais avait fini par se lever. Même s'il ne le voulait pas il n'avait pas réellement le choix. Il avait un service à assurer, le premier jour depuis qu'il fut officiellement nommé mousquetaire et s'absenter alors qu'il venait de recevoir sa promotion ne serait certainement pas très flatteur pour son image. Et s'il restait barricadé ses compagnons viendraient certainement aux nouvelles. Pourtant il aurait tant aimé rester roulé en boule dans son lit.

En proie à ses pensées, il percuta une masse et chancela avant qu'une main n'attrape son bras, le stabilisant. Il releva la tête d'un mouvement sec, lâcha une plainte quand son crâne se remit à le lancer. Armand tomba sur les yeux bruns de la seule personne qu'il aurait voulu éviter ce matin. Le métis se tenait devant lui, une expression étrange sur le visage, entre la gêne et l'étonnement, la main toujours serrée autour de son bras.

Le plus jeune eut la surprise de voir deux tâches carmin s'étaler sur le visage de Porthos qui ouvrit la bouche et la referma, semblant chercher ses mots. Il relâcha soudainement son bras, comme s'il l'avait brulé, et détourna le regard.

—Excusez-moi, souffla malgré lui le jeune homme. Je ne regardais pas devant moi.

Le métis bafouilla quelques mots qu'Armand n'arriva pas à saisir. La gêne était palpable mais aucun d'eux ne savait comment se défaire de cette fichue situation. Si Armand ne savait comment réagir et que dire en repensant aux derniers évènements, Porthos n'en menait pas large non plus, il était tout autant, si ce n'était plus, perdu que lui. Valait-il mieux engager le sujet dès maintenant ? Armand se posait la question, incertain. Il leur vaudrait peut-être mieux de s'expliquer directement, mais la tentation de prétendre l'oubli ou l'indifférence était grand, et tellement plus facile. Mais s'il s'engageait dans le cercle vicieux du silence, il savait que plus le temps passerait et plus il fuirait...

Ils devaient parler.

—Voici l'ivrogne !

Armand referma la bouche qu'il avait ouvert quand la voix d'Aramis retentit d'en bas, les faisant tous les deux regarder dans cette direction. Il reporta son attention sur Porthos qui passa devant lui sans un mot. La porte de sa chambre se referma violement et l'estomac d'Armand se contracta à nouveau. Il pensait déjà avoir tout perdu il y a des mois. Mais cette fois-ci la douleur était différente.

C'est lui qui avait tout brisé.

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L'entrain d'Aramis s'était rapidement étiolé en constatant l'humeur sombre et les yeux légèrement rougis de son confrère. Il n'ajouta rien, se contentant de cette prévenance qui lui était caractéristique. Armand était assis à la table de leur cuisine, un verre, d'eau cette fois-ci, devant lui. Athos le lui avait rempli deux fois, disant que cela dissiperait les effets restants de l'alcool. Ils l'avaient enjoint à manger mais l'idée seule d'ingurgiter de la nourriture lui retournait l'estomac. Porthos quant à lui n'était toujours pas ressorti de sa chambre, et il savait que c'était à cause de lui.

« D'Artagnan a déposé cela pour vous plus tôt, lui indiqua Aramis en tendant la main. Il tenait une petite clé en métal simple, Armand se demanda à quoi elle pouvait servir jusqu'à se rappeler la soirée avant la taverne. C'était la clé du tiroir !

—Bien, il est temps de se présenter à la caserne, amorça Athos. Vous feriez mieux d'aller vous changer Lacroix, prenez votre temps, je dirais au capitaine que vous avez eu... quelques déboires au réveil », ajouta-t-il avec un sourire complice.

Le principal intéressé acquiesça. Sa chemise était encore trempée et couverte de tâches dont il ne se rappelait plus l'existence, et il avait quelque chose à faire ; s'occuper de remplir enfin ce tiroir et de le sceller à double tour.

Ses deux amis avaient bouclé leurs rapières. Aramis était monté indiquer à Portos leur départ, au même moment Armand préféra s'éclipser dans sa chambre et éviter de croiser à nouveau le métis. Leurs chambres étaient voisines, il entendit des pas résonner, les deux mousquetaires dialoguer de sujets plus futiles les uns que les autres et finalement la porte claqua, et les sons s'éloignèrent jusqu'à ce qu'une nouvelle porte ne se ferme, annonçant le départ des trois hommes.

Armand souffla, relâchant la tension de ses muscles. Si au départ il voulait juste... oui il voulait juste épier Porthos, maintenant il avait tout intérêt à ce que les mousquetaires ne viennent pas faire irruption dans sa chambre.

Il se dirigea vers son lit, se baissa et extirpa la malle qui était terrée en dessous pour la balancer sur sa couche défaite .

 

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deb3083
Posté le 10/08/2020
Désolée mais je reviens avec ma question des cheveux. vu qu'Armand plonge la tête dans le seau d'eau, ma théorie de la perruque ne tient plus. donc la demoiselle se coupe les cheveux alors ? ça vaudrait vraiment la peine de faire un petit passage à ce sujet je pense.
aussi, au niveau conjugaison, j'ai vu plusieurs vois l'erreur du " il ria" au lieu de " il rit.
Eurys
Posté le 18/08/2020
Alors oui, elle s'est bien coupée les cheveux ! C’était avant d'arriver a Paris. Après dans le premier chapitre ou le deuxième je pense, j'avais expliqué qu'Armand avait les cheveux jusqu'au épaules et un peu plus longs, j'ai préféré les garder ainsi. Si jamais ca te parait incoherant n’hésite pas a me le dire, je le noterais pour le moment de la réécriture !
Eurys
Posté le 18/08/2020
Ah et pour "il ria" ... oui ... j'avais remarqué cette horrible et lamentable erreur il y'a quelques temps mis je n'ai pas pensé a vérifier les chapitres d'avant.. c'est nul T_T
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