Lisandra avait fini de recoudre Kylian et de panser ses plaies. Il gisait toujours, inconscient, drapé sous une cape de voyage. Lorsque Saru et Hayalee rejoignirent le groupe, Lisandra releva les yeux des instruments qu’elle nettoyait.
— Tu as besoin de soin ?
Elle examina Hayalee avec détachement, comme s’il s’agissait d’un meuble.
— Ça va aller, marmonna celle-ci.
Son poignet était sûrement foulé et elle se sentait pousser des hématomes un peu partout, sans parler du mal qui palpitait sous son crâne et dans sa mâchoire, mais Lisandra n’y pouvait pas grand-chose. Et puis elle semblait plus encline à lui enfoncer ses ciseaux dans le nez qu’à lui passer de la pommade… Elle n’insista pas et se détourna vite d’Hayalee, à croire que sa simple vue la rendait malade. Le cœur lourd, Hayalee se laissa tomber aux pieds d’un arbre et se tassa sous sa pèlerine pour étouffer ses grelottements.
— Comment il va ? demanda Saru en désignant Kylian.
Lisandra haussa les épaules tout en rempaquetant ses affaires.
— J’ai fait ce que j’ai pu avec ce que j’avais. Qu’il soit en état de voyager ou pas, il faudra qu’on reparte à la tombée de la nuit.
Son regard se tourna vers Yasuo, en quête d’assentiment.
— Ce serait préférable, dit-il.
Assis en tailleur, il avait l’air aussi détendu que s’ils s’étaient arrêtés pour un pique-nique. Ses prunelles orangées glissèrent du côté de Mìr.
— Qu’en est-il de vous ?
Ce dernier se débarbouillait le visage avec un linge humide. Il suspendit son geste.
— Rien ne vous oblige à nous suivre, développa Yasuo, mais si vous le faites, l’Alliance pourra vous aider à vous cacher.
— Nous cacher ? répéta Mìr, avec un petit rire qui trahissait l’angoisse que cette idée lui inspirait. Bien sûr… j’imagine qu’on ne peut rien faire d’autre…
Comme rentrer chez eux. Retrouver leur famille, leurs amis et crier au monde entier les mensonges du gouvernement. Ce n’était pas une option. Ça semblait si évident, vu de l’extérieur. Quelques heures plus tôt, pourtant, Hayalee entretenait encore les mêmes illusions.
Mìr paraissait désorienté, terrifié. Nahïs prit sa main dans la sienne et le regard papillonnant de son père se posa sur son visage. Elle le fixa longuement, sans ciller ni frémir. Les épaules de Mìr se relâchèrent et son souffle se calma. Un sourire fleurit sur ses lèvres et il chassa la mèche de cheveux qui barrait le front de sa fille. Hayalee se surprit à tourner la tête.
— Vous en avez déjà tant fait, dit Mìr. Rien ne vous oblige à nous aider.
— C’est notre mission, déclara Yasuo, comme s’il répétait une leçon apprise par cœur.
Si l’absence d’émotion déstabilisa un peu Mìr, il finit par acquiescer.
— Très bien. Dans ce cas, nous nous en remettons à vous.
D’un commun accord, ils partagèrent ce qu’il leur restait de provision. Le vulgaire quignon de pain et la tranche de viande séchée qu’Hayalee avala furent juste bons à lui faire réaliser combien elle avait faim. Lisandra, Saru et Yasuo discutaient de l’itinéraire quand Hayalee se roula en boule dans un carré de soleil, son sac à dos calé sous la joue en guise d’oreiller. Elle n’avait plus la force d’écouter, encore moins de participer. Elle ne pensait pas pouvoir dormir après tout ce qu’ils venaient de vivre, avec la menace qui planait toujours sur eux, mais la fatigue était si écrasante qu’elle sombra en quelques secondes.
Hayalee courait, sa main serrée dans celle de Nahïs. De chaque côté du couloir, les cellules défilaient, pleines de prisonniers dont les bras jaillissaient entre les barreaux. Ils appelaient à l’aide, suppliaient Hayalee de les sauver, mais elle ne pouvait pas. Les soldats les poursuivaient. Elle entendait le claquement des bottes, les menaces, la clameur des combats qui se rapprochaient. Si elle s’arrêtait, même une seconde, ils les rattraperaient. Elle devait protéger Nahïs, elle avait promis. Elles devaient se sauver. Elles tournèrent à droite, puis à gauche, puis encore à gauche. Où était cette fichue sortie ? L’escalier. Il fallait qu’elles trouvent l’escalier.
Elles franchirent une porte et dévalèrent les marches. Une troupe de soldats vint leur barrer la route. Des soldats noirs. Hayalee resserra sa prise sur les doigts de Mylina. Les soldats se ruèrent en avant, brandissant leurs épées, levant leurs arbalètes.
« Non ! » songea Hayalee et les armes s’enflammèrent, fondirent entre leurs mains. La satisfaction gomma la peur. Il n’y avait pas à s’inquiéter. Hayalee pouvait tout affronter.
— Hayalee…
Hayalee se tourna vers sa sœur, un sourire triomphant aux lèvres. Mylina ne souriait pas. Ses yeux écarquillés exprimaient l’horreur. La hampe d’une flèche dépassait entre ses côtes. Le sang d’Hayalee se glaça et son cœur chuta en même temps que sa sœur.
Les doigts de Mylina glissèrent des siens et elle bascula, dégringola au bas des escaliers. Hayalee hurla et se précipita. Serrant les dents pour étouffer les sanglots, étouffer la folie qui menaçait de l’engloutir, elle s’agenouilla près de Mylina. Elle bougeait encore, hoquetait de souffrance. Hayalee voulut la prendre dans ses bras, appuyer sur la plaie pour stopper le saignement mais, à son contact, Mylina cria. Hayalee était brûlante.
Elle essaya de ravaler la chaleur, en vain. Le Feu rugissait et elle n’arrivait pas à le calmer. Elle n’y arrivait pas. Au contraire, elle se sentait sur le point d’exploser.
— Pardon, sanglota Hayalee, pardon, je… ça va aller… je vais arranger ça, je vais…
Les grands yeux pâles de sa sœur la dévisageaient, inondés de larmes. Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit, seulement du sang. Mylina était en train de mourir. Elle était en train de mourir et Hayalee ne pouvait rien faire. Non, elle refusait que ça arrive. Elle ferma les paupières et le refusa si fort que tout vola en éclat.
Hayalee était seule, à genoux au milieu d’un désert de roches noires sous un ciel rouge. Les émotions qui la déchiraient une seconde plus tôt s’étiolèrent, emportées par le silence. Ce n’était qu’un cauchemar. Juste un cauchemar.
Elle n’était pas seule. Le chat était là, avec ses cornes écarlates et ses yeux de braise. Il la fixait, le regard accusateur. Mylina n’était pas morte cette fois, mais ça arriverait tôt ou tard si Hayalee s’obstinait à fuir.
Elle ne fuirait plus. Elle se leva en même temps que le chat, qui trottina vers elle et la dépassa. Elle se retourna. Ils étaient au bas de la montagne.
Le paysage était le même qu’à chaque fois, à un détail près. La fissure qui défigurait le relief était plus longue, plus large. À présent, elle courait du sommet jusqu’au pied du mont et exhalait des panaches de fumée. Le chat vint se pencher au-dessus du gouffre et poussa un miaulement grave et caverneux. Hayalee le rejoignit. Il fallait faire vite. Les lumières ne tarderaient pas à apparaître.
Elle s’agenouilla près de l’entrée. La chose qui se cachait sous la montagne avait le pouvoir de tous les sauver. Hayalee rassembla son courage, pria Dieu, les anges, puis s’enfonça dans la terre. Les ténèbres se refermèrent sur elle.
Elle n’était pas seule. Il y avait quelqu’un dans le tunnel. Quelque chose. Une présence… plusieurs, qui se mouvaient dans son dos, chuchotaient, se rapprochaient.
Ils approchaient.
La terreur monta comme un raz de marée. Où était le chat ? Où était la sortie ? Un hurlement d’effroi coincé dans la gorge, Hayalee voulut faire demi-tour. Trop tard. Il n’y avait plus d’issue.
Bien qu’il fasse déjà noir, elle ferma étroitement les paupières et pria de toutes ses forces, supplia les anges. Mais c’était inutile. Elle réalisait seulement.
Il y avait bien quelqu’un à ses côtés et ce n’était pas Dieu.
Elle se réveilla en sursaut, accueillie par le silence et la pénombre. Les yeux écarquillés, le cœur battant, il lui fallut quelques secondes pour retrouver pleinement ses esprits, se souvenir pourquoi elle était roulée en boule sur le sol glacé, au beau milieu de la nature.
Sa pèlerine fumait. Tous ses muscles protestèrent lorsqu’elle se redressa et tapota le vêtement pour éteindre le feu. Il mourut en laissant derrière lui de jolis petits trous. Autour d’elle, l’herbe avait roussi. Hayalee enfouit son visage dans ses mains. Elle n’arrivait pas à croire qu’elle en soit encore là… c’était presque aussi honteux que de faire au lit, et définitivement plus dangereux.
Combien d’heures avait-elle dormi ? Si son mal de crâne s’était dissipé, le reste de son corps irradiait. Où étaient les autres ? Hayalee balaya le bosquet du regard et s’aperçut qu’ils dormaient tous. Un instant, ce constat la déboussola. N’auraient-ils pas dû reprendre la route ? Puis elle comprit. S’ils devaient passer la nuit à chevaucher, profiter de quelques heures de sommeil n’était pas une mauvaise idée. Fallait-il les réveiller ? Il ne faisait pas encore complètement noir, mais le soleil avait disparu à l’horizon. Le ciel s’assombrissait à vue d’œil. Elle se demandait qui secouer en premier quand elle remarqua que certains manquaient à l’appel.
Elle reconnut la silhouette et les cheveux désordonnés de Saru, non loin d’elle, la longue queue de cheval de Lisandra qui dépassait de son sac de couchage, Mìr et Nahïs blottis l’un contre l’autre entre les racines d’un arbre… Mais où était passé Yasuo ? Plus inquiétant encore, Kylian n’était pas là non plus. La cape qui lui avait servi de couverture avait été abandonnée sur le sol.
Hayalee se leva, non sans mal. Ses jambes et ses bras étaient aussi raides que du bois. Quelque chose cliqueta près des chevaux ; l’un d’eux renâcla. Le cœur battant en sourdine, Hayalee força ses membres rouillés à se mettre en marche. Pas de doute, il y avait quelqu’un qui s’affairait entre les bêtes.
— Kylian… ?
Le jeune homme lâcha les étriers qu’il était en train d’ajuster et pivota, se retrouvant nez à nez avec Hayalee.
— Ah, c’est toi.
Il enfonça les mains dans les poches de son pantalon rapiécé, le dos rond. Le soulagement de le trouver conscient et debout s’éclipsa vite.
— J’t’ai réveillée ? Désolé. J’allais juste pisser un coup. Tu peux retourner te coucher.
— Ah.
Il y eut un silence, puis Hayalee releva dans le plus grand des calmes :
— Et il te faut un cheval pour aller pisser ?
Kylian dansa d’un pied sur l’autre. Il sentait fort le désinfectant et la sueur.
— Écoute, je sais de quoi ça à l’air, mais c’est pas exactement ça.
— Je vois. T’étais pas exactement en train de nous voler un cheval, alors ?
Il se pencha pour jeter un œil aux silhouettes assoupies, dans le dos d’Hayalee.
— Tu veux vraiment pas aller te recoucher ?
— T’es pas obligé de partir de ton côté. L’Alliance peut t’aider.
Kylian émit un début de ricanement qui mourut aussi sec. Le souffle soudain rauque, il s’agrippa d’une main à la selle du cheval, de l’autre à son ventre. Il était difficile de distinguer son expression entre l’obscurité grandissante et les contusions de son visage, mais Hayalee n’en eut pas besoin pour comprendre qu’il était encore très mal en point. Il frissonnait.
— Tu devrais l’écouter, ajouta une voix au-dessus de leur tête.
Hayalee et Kylian sursautèrent. Perchés dans les branches du frêne qui les surplombait, Yasuo les observait.
— Qu’est-ce que tu fais là-haut ? s’étonna Hayalee, une main sur le cœur.
— Je fais le guet.
— Dans un arbre ?
— C’est un bon point de vue pour surveiller le ciel.
— Et ça fait combien de temps que tu nous espionnes ? osa demander Kylian.
Yasuo se garda de répondre. À la place, il sauta et atterrit sous le nez du jeune homme, qui recula d’un pas.
— Si tu veux partir de ton côté, libre à toi, dit calmement Yasuo. Mais on ne peut pas te laisser prendre un des chevaux.
— C’est bien gentil, railla Kylian, mais sans moyen de transport, j’ai aucune chance d’échapper aux soldats.
— C’quoi le problème ?
Hayalee pivota. Saru s’était réveillé et il ne fut bientôt pas le seul. Si Kylian avait espéré leur faire faux bond sans rendre de comptes, c’était raté.
— Qu’est-ce qui se passe ? interrogea à son tour Lisandra en se frottant les yeux. Qu’est-ce que vous fabriquez, tous les trois ?
Hayalee n’eut pas le cœur à dénoncer Kylian. À sa surprise, Yasuo laissa également les détails aggravants de côté.
— Il semblerait que Kylian ne veuille pas venir avec nous.
Acculé par les regards, prit la main dans le sac, le concerné s’éloigna des chevaux en ruminant.
— Le prenez pas mal, je préfère me débrouiller seul, c’est tout.
— Vraiment ? releva Lisandra. Tu ne tenais pas le même discours, dans le Donjon.
— Les options étaient limitées.
— Parce que tu t’imagines que c’est différent maintenant ? Regarde-toi. Seul, tu n’iras pas bien loin. Les soldats te rattraperont en un rien de temps, si tes blessures ne te tuent pas avant.
— Qu’est-ce que ça peut vous foutre ?
— Oh, à part le temps et l’énergie qu’on aura perdus à essayer de te sauver, personnellement, ça m’est égal.
— C’est bien ce qui me semblait.
Hayalee ne partageait pas l’indifférence de Lisandra.
— Tu vas pas partir comme ça, maintenant ? C’est de la folie !
— Je comprends pas bien où est le problème, renchérit Saru. Tu nous fais pas confiance ? Tu crois qu’on s’est donné tout ce mal pour… quoi ? T’égorger à l’arrivée ?
— Ça risque bien de finir comme ça, marmonna Kylian.
— Parce que tu as été soldat ? dit Yasuo.
Kylian se raidit au milieu du bosquet. Hayalee ouvrit la bouche en O. Elle avait oublié ce détail.
— T’as été soldat ? releva Saru.
— Hum, fit Lisandra. Ça explique beaucoup de choses.
— Tu penses que l’Alliance te fera mauvais accueil, poursuivit Yasuo.
Kylian hésita.
— Je… ouais. Je pense pas que vos copains voudront m’aider.
— Alors là, tu t’inquiètes pour rien, dit Saru. L’Alliance compte un paquet de soldats qui ont déserté l’armée. Tant qu’elle est sûre que t’en fais plus partie – et vu l’endroit où on t’a trouvé, on peut difficilement en douter – l’Alliance t’aidera.
— J’aime autant pas prendre de risques.
— En… prenant plutôt le risque de te faire rattraper par les soldats ?
Kylian inspira profondément, visiblement excédé.
— Vous tenez vraiment à m’aider ? Filez-moi des fringues et un cheval alors !
Saru faillit s’étrangler de rire.
— Et ce sera tout ?
— D’accord. Tant pis. Merci quand même.
Kylian fit mine de partir de son côté. Il n’eut pas fait trois pas qu’il chancela. Hayalee se précipita pour le rattraper, mais il s’arracha à sa poigne et finit à genoux dans l’herbe, haletant.
— Tu as de la fièvre, réalisa-t-elle.
Son corps dégageait une chaleur plus intense que d’ordinaire. La différence était subtile, mais en cet instant, Hayalee avait assez froid pour y être sensible.
— La blessure a dû s’infecter, dit Lisandra.
Elle voulut y jeter un œil, mais Kylian la repoussa également. Elle n’insista pas, se contentant de le toiser, bras croisés sur la poitrine.
— C’est ça, fais sauter tes points. Comme ça, l’hémorragie te tuera avant l’infection.
Kylian grommela quelque chose de peu aimable, se releva, tituba jusqu’à un arbre, puis s’effondra à nouveau. Si ses craintes vis-à-vis de l’Alliance étaient compréhensibles, les proportions que tout ça prenait l’étaient moins. Les risques qu’il encourait en partant avec eux semblaient moindres comparé à ce qui l’attendait dans le cas contraire.
— Soit pas con, dit Saru. Tu vas faire quoi, là ? Ramper à travers les champs ?
Pas de réponse.
— Viens au moins jusqu’en ville avec nous. T’as besoin d’un doc. Y sera toujours temps de partir de ton côté à ce moment.
Glissant contre le tronc, Kylian poussa sur ses jambes pour se redresser.
— Tu tiens vraiment à finir ta vie en prison ? surenchérit Hayalee.
Elle s’attendait à le voir s’entêter, protester. Les membres frissonnant, la tête basse, il acquiesça, vaincu.
— C’est bon, je vous suis… mais seulement jusqu’en ville.
— Fantastique, lâcha Lisandra.
Comme leurs uniformes risquaient de les trahir, Hayalee, Saru et Yasuo cédèrent leur pèlerine à Nahïs, Mìr et Kylian. Pour faire bonne mesure, Yasuo prêta également un haut à Kylian, qui n'avait plus rien à se mettre sur le dos. Une fois qu’ils furent tous plus ou moins présentables, ils remballèrent leurs affaires et reprirent la route sans s’offrir le luxe d’un repas. Ils n’avaient plus rien à manger, de toute façon.
Ils s’élancèrent dans le ciel, sous la lueur du croissant de lune. Hayalee avait retrouvé sa place derrière Saru. Yasuo et Lisandra, quant à eux, menaient le groupe, aussi versé l’un que l’autre dans l’art de se repérer grâce aux étoiles.
— Ils se sont bien trouvés, commenta Saru en les regardant planer côte à côte.
Hayalee pouffa de rire.
— Qui au juste ? Lisandra et Yasuo ? Ou Lisandra et Kylian ?
Saru ricana à son tour. Dans un souci de répartition du poids, l’ex-détenu montait avec la jeune femme. Une décision qui les ravissait autant l’un que l’autre.
— Une milhilite qu’elle attend le bon moment pour le pousser dans le vide.
Ils passèrent la nuit à alterner vol et pas, dans une ambiance qui oscillait entre tension et somnolence. Ils ne s’accordèrent qu’une unique pause, le temps de se dégourdir les jambes, se soulager et changer les bandages de Kylian.
Son état se dégradait de façon inquiétante. Yasuo dut presque le porter pour le descendre et le remettre en selle et il se laissa soigner sans protester. Il était brûlant de fièvre. D’après Lisandra, Takmas n’était plus qu’à trois heures s’ils maintenaient le rythme, mais entre les chevaux qui se fatiguaient de plus en plus vite et Kylian, ils durent se résigner à finir le trajet sur terre. Le jeune homme était si proche de l’inconscience qu’il n’aurait pas eu besoin d’un coup de main pour basculer dans le vide. Comme personne n’avait de quoi le ficeler au dos du cheval, ils jugèrent préférable de rester près du sol.
Ils empruntèrent les chemins qui serpentaient entre les pâturages et les champs, à bonne distance de la grand-route et de ses patrouilles de soldats. Hayalee passa la dernière partie de la nuit à piquer du nez sur l’épaule de Saru, qui piquait lui-même du nez sur l’encolure de son étalon. Doucement, les hululements des chouettes laissèrent la place aux chants des oiseaux, les étoiles s’estompèrent sur le ciel de plus en plus clair et la lune disparut. Ce n’était plus qu’une question de minutes avant que le soleil ne crève l’horizon, droit devant. Les yeux gonflés de sommeil, Hayalee guettait son arrivée. Elle avait toujours aussi froid, malgré les couches de vêtements qu’elle avait enfilées. Le petit bouquet que lui avait offert Nahïs se balançait sur sa poitrine, coincé dans la chaîne de son matricule. Les fleurs avaient flétri, mais leur parfum lui donnait du courage.
Yasuo aussi fixait le ciel, le regard tourné vers le nord. C’était le seul à ne montrer aucun signe de fatigue. Mìr s’était endormi sur l’épaule de sa fille qui fredonnait pour se tenir éveillée. Lisandra se frottait régulièrement les yeux et avait renoncé à presser les chevaux depuis longtemps. Derrière elle, Kylian dodelinait de la tête, avachit. La voix de Yasuo les tira de leur torpeur.
— Nous allons peut-être avoir des ennuis.
— Que… quoi ? bafouilla Lisandra, ce qui était une première chez elle.
Yasuo pointa le doigt vers le nord. Hayalee tendit le cou en même temps que les autres. Cinq petites taches s’y égaillaient en compagnie des nuages. Des oiseaux, à en juger par la façon dont ils se déplaçaient. La fatigue les déserta tous – sauf peut-être Kylian, qui battit à peine des cils.
— Des soldats ? souffla Saru.
— Possible. Ils se dirigent par ici.
— Si on prend la fuite, on aura l’air suspect, dit précipitamment Lisandra.
— Nous le sommes déjà, lui fit remarquer Yasuo.
— Qu’est-ce qu’on fait ? s’étrangla Hayalee.
En supposant qu’ils ne soient pas déjà repérés, il n’y avait que des champs de blé aux alentours, pas l’ombre d’un bosquet dans lequel se cacher.
— Soit l’on fuit sans tarder, dit leur coéquipier, soit l’on attend de voir quelle sera leur réaction, mais si ce sont bien des soldats, il faudra probablement se battre.
Ils se regardèrent, la même réticence teintée de panique dans l’œil. Hayalee ne pensait pas avoir la force de marcher, alors se battre…
— En volant à pleine vitesse, on peut atteindre les faubourgs de Takmas en trente minutes, dit Lisandra.
— Les chevaux tiendront pas trente minutes à pleine vitesse ! dit Saru.
— Tu as une meilleure idée ?
Il ouvrit la bouche, mais rien n’en sortit. Au loin, les silhouettes des oiseaux se précisaient, cinq en tout. Interprétant le silence comme un assentiment général, Lisandra ordonna à Kylian de s’accrocher, puis talonna son cheval qui partit au galop et décolla. Les autres s’élancèrent à sa suite.
Ils restèrent près du sol, guettant la réaction des nouveaux venus. Pendant quelques minutes, il fut impossible de dire s’ils se dirigeaient vraiment vers eux ou simplement vers le sud. Une chose était sûre : ils se déplaçaient vite. Les chevaux avaient beau battre des ailes à pleine force, les oiseaux continuaient de grossir. Finalement, le doute ne fut plus permis.
— Ils nous ont pris en chasse ! s’écria Lisandra.
— Nan, tu crois ? renvoya Saru.
Le cœur d’Hayalee s’était remis à tambouriner. Bientôt, ils purent discerner les pattes griffues et les becs des aigles, ainsi que leurs cavaliers : tous vêtus de noir. Saru talonna Neri avec plus de force encore. Dangereusement à la traîne, Lisandra menait Ikar à une main, retenant Kylian de l'autre.
— Posez-vous ! tonna une voix.
Personne ne l’envisagea. Qu’allaient-ils faire ? Leur foncer dessus pour les forcer à atterrir ? Attendre que les chevaux s’épuisent ? La réponse ne tarda pas. Les aigles les survolèrent et une première volée de flèches siffla autour d'eux. Hayalee étouffa un hurlement et rentra la tête dans les épaules.
— Ça va ? lui cria Saru.
— Hum hum ! gémit-elle.
Les anges soient loués, personne n’avait été touché. Pour l’instant.
Hayalee leva la visage. Les soldats les surplombaient, en plus de les encercler. D’ici, elle voyait à peine leurs bottes. Elle songeait à brûler les plumes des volatiles quand Saru grogna :
— Accroche-toi !
Il tira un grand coup sur les rênes et l’étalon s'éleva à droite, en plein vers un aigle. Hayalee eut le temps d’apercevoir le soldat qui rechargeait son arbalète avant que l’oiseau ne fasse une embardée. La collision fut évitée, mais l’arme échappa des mains de son propriétaire.
Saru n’en resta pas là. Poussant Neri à donner toute la puissance de ses ailes, il les fit monter en chandelle. Hayalee glissa vers l’arrière et se cramponna en gémissant. Saru les emmena flirter avec les nuages, puis se pencha à gauche. Ils prirent un virage en épingle et le vide s’offrit à eux dans toute son ampleur ; la campagne qui s’étirait à l’infini, leurs compagnons et les soldats réduits à de minuscules points près du sol. Dans cette terrible seconde suspendue avant la chute, Hayalee se jura de ne plus jamais monter avec Saru. L’étalon plongea vers la terre et elle hurla à s’en déchirer les pommons.
Ils redescendirent vers le groupe, fendant l’air comme une flèche lancée à pleine vitesse. Les soldats brisèrent leur ligne pour s’écarter de leur trajectoire. L’un d’eux se retrouva au coude à coude avec Yasuo. L’aigle poussa un cri suraigu et s’écrasa dans un champ de blé. Un coup de sifflet retentit.
Deux choses se produisirent alors : un petit oiseau se détacha du groupe et s’en alla à tire d’aile – un messager ? – et les soldats se mirent à voler en tous sens comme une nuée d’abeilles enragées. Attaqué d’un côté, puis de l’autre, Saru vira, zigzagua pour éviter les coups de serres et de bec. Il menait Neri avec aisance, mais l’animal était à bout. Un aigle surgit de front et Saru eut beau se pencher de tout son poids, cette fois, l’étalon ne suivit pas le mouvement.
Les serres arrivèrent à toute vitesse. Hayalee leva le bras et lâcha le Feu. L’oiseau poussa un piaillement à fendre l’âme et s’écarta d’un battement d’ailes. Ses pattes leur rasèrent la tête, laissant derrière elles une odeur de roussi. À bout de souffle, Neri finit de perdre de l’altitude et se posa au milieu d’un pâturage. Au même moment, un hennissement retentit. Hayalee se retourna.
Le cheval de Lisandra s’était renversé sous l’assaut d’un aigle. Ses deux passagers tombèrent comme des pierres tandis que l’animal s’écrasait plus loin dans une gerbe de terre et de plumes avant de terminer sa course dans un fossé. Nahïs et Mìr s’en sortaient à peine mieux. Effrayé, Pat avait regagné le sol et galopait à droite à gauche, hors de contrôle.
— Saru ! appela Hayalee.
Il tourna la tête, aperçut Lisandra et Kylian à terre. D’un vif coup de mors, il força Neri à changer de cap et trotta jusqu’à eux. Arrivée à leur hauteur, Hayalee sauta de selle. Ses jambes courbaturées se dérobèrent sous son poids et elle atterrit à plat ventre dans l’herbe. La douleur se réveilla dans son poignet, ses épaules, ses cuisses… Elle l’ignora et se précipita sur Lisandra.
— Ça va ?
Elle voulut la retourner, mais Lisandra hurla entre ses dents serrées. La respiration lourde, elle roula sur le flanc en se cramponnant à son bras. Sa figure était livide et ses traits crispés, mais elle était consciente. Vivante. Étendu dix pieds plus loin, Kylian, lui, ne bougeait pas. Hayalee courut s’agenouiller près de lui.
— Kylian ? Tu m’entends ?
Elle glissa une main tremblante contre sa gorge tout en approchant son visage de sa bouche. Elle perçut son souffle ténu, rauque. Le sol vibra. Hayalee releva la tête. Yasuo venait d’atterrir. Pat se rabattit également vers ses compagnons. Dans le ciel, les soldats s’étaient mis à décrire un large cercle autour d’eux, comme une bande de vautours affamés.
— Qu’est-ce qu’ils attendent ? cracha Saru, avec autant de rage que de frayeur dans la voix.
— Les renforts, dit Yasuo, aussi calme qu’à l’accoutumée. L’oiseau qu’ils ont libéré tout à l’heure est dressé pour revenir là où il a été lâché. Les patrouilles de soldats noirs s’en servent pour signaler rapidement la position de leurs ennemis. Ils ont compris qui nous sommes, ils ne se risqueront pas à approcher tant qu’ils ne seront pas plus nombreux.
Une nouvelle volée de carreaux s’abattit sur eux. L’un d’eux passa au-dessus de Yasuo et se planta juste à côté d’Hayalee. Le cheval de Saru n’eut pas autant de chance. Le trait se ficha dans le cuir de son aile. Il se cabra en hennissant, manquant de piétiner Lisandra. Par miracle, Saru réussit à se maintenir sur son dos et à contenir ses ruades. Nahïs et Mìr, en revanche, n’avaient pas sa maîtrise. Effrayé – peut-être blessé ? – Pat détala. Aussitôt, un aigle plongea pour lui barrer la route. Serres et ailes déployées, claquant du bec, il força Pat à repartir dans l’autre sens. Pas de fuite possible.
— Ils visent les chevaux, dit Yasuo sur le ton de la conversation. Ils veulent nous immobiliser.
— Sans blague ? rugit Saru, dont la monture se débattait toujours.
Hayalee était tétanisée. Sa respiration se coinçait dans sa gorge, son cœur cognait comme un damné contre ses côtes. Ses yeux écarquillés passèrent du visage contusionné de Kylian à la silhouette gémissante de Lisandra. De Mìr, qui entourait sa fille de ses bras pour la protéger, à Saru et Yasuo, dressés sur leurs chevaux. Hayalee puisa dans ces images pour transformer la terreur en fureur.
Malgré les tremblements incontrôlables de ses genoux, elle se redressa, leva le nez vers les oiseaux et laissa le Feu lui monter à la tête. Les muscles bandés, le sang en ébullition, elle les suivit des yeux, bien décidée à leur brûler les plumes.
Sans succès.
Soit la distance était trop grande, soit les aigles bougeaient trop vite. En tout cas, la chaleur qu’elle déversait semblait se perdre aux quatre vents. Avec un grondement, Hayalee suspendit ses efforts et tituba, à bout de souffle.
— J’arrive pas à les atteindre !
D’ici, Yasuo était tout aussi impuissant. Lisandra, à genoux, avait l’air à deux doigts de vomir, Kylian était dans les vapes et ils n’avaient plus que trois montures pour sept, dont une qui ne pouvait plus voler. Alors qu’Hayalee songeait que la situation ne pouvait pas être pire, un nouveau groupe d’oiseaux se profila dans le ciel. Un bloc de glace lui tomba sur l’estomac. Les renforts. Déjà ?
— Qu’est-ce qu’on fait ?
— Peut-être que si on part dans des directions différentes… commença Saru, qui était parvenu à stopper les ruades de Neri.
Yasuo ne semblait pas les écouter, son attention entière portée sur le nouveau groupe qui approchait à vive allure : six rapaces, montés par des silhouettes drapées de noir.
— Yasuo !
— Hum… Je ne crois pas que ce sera nécessaire.
Il était fou ? Le temps qu’Hayalee et Saru se remettent de leur stupeur, il était trop tard. Les aigles étaient là.
L’un d’eux poussa un cri suraigu et, serres en avant, fondit sur le cercle des soldats.
Les rapaces s’empoignèrent par les pattes, bec grand ouvert, des coups d’épée retentirent, des plumes volèrent. Une flèche fusa, qui manqua de peu un soldat. Hayalee entrouvrit les lèvres. Avant qu’elle ait pu comprendre, les soldats noirs battirent en retraite. Ils récupérèrent leur camarade tombé dans le champ de blé voisin, puis décampèrent.
Les vainqueurs continuèrent à tournoyer dans le ciel jusqu’à ce que les fuyards aient disparu à l’horizon. Lorsqu’ils se posèrent, le soleil s’était levé.
— Quelle bande de poltrons ! s’exclama un grand gaillard, une hache en travers des épaules.
— À quatre contre six, c’est du bon sens, soupira un autre en tirant un cure-dent de sa poche.
Le soulagement fut tel qu’Hayalee tomba à genoux dans l’herbe. Ils ne portaient pas d’uniforme, mais de simples capes de voyage. Des membres de l’Alliance. Ceux-là mêmes qu’Hayalee avait rencontrés au Chalet, alors qu’ils faisaient route vers Takmas. Elle les reconnut tous : Ahsrin avec sa carrure d'ours et sa barbe, Salao qui mâchonnait son cure-dent dans une attitude flegmatique, Uo et son sourire jovial, Kaïen et son expression de calme absolu et, enfin, Asha et son regard complice… Il y avait également une seconde femme, avec qui Hayalee n’avait pas eu l’occasion de parler. Petite, les yeux bridés, de longs cheveux tressés et la peau tannée, elle scrutait le ciel comme un rapace à l’affût.
— Il y a des blessés ?
Passant son arc dans son dos, Asha descendit de son aigle et alla aider Lisandra à se redresser. De son côté, Kaïen vint s’agenouiller près de Kylian et Hayalee.
— Tout va bien ?
Son regard était aussi grave et profond que sa voix. Hayalee ne put que hocher la tête, encore trop secouée pour parler.
— Je me suis démis l’épaule, souffla Lisandra sans desserrer les dents.
Hayalee n’eut pas besoin de demander ce que ça signifiait. La bosse que formait son épaule était assez équivoque.
— Donne-moi la main, fit Asha.
Lisandra lui décocha un regard frileux entre deux inspirations heurtées.
— Vous avez déjà fait ça ?
Pour toute réponse, Asha sourit et lui prit délicatement le poignet.
— C’est une luxation antérieure, débita Lisandra avec effort. Le mieux c’est de plier le bras et d’appliquer une rotation en…
Crac. Elle poussa un hurlement à réveiller les morts, puis s’affaissa contre la jeune femme, qui l’allongea dans l’herbe.
— T’as le droit de te promener là, toi ? lança Ahsrin à l’adresse de Saru. T’as encore fait faux bond à Iltaïr ?
L’interpelé devint rouge tomate.
— C’est Iltaïr qui nous a envoyés en mission, rétorqua-t-il, et Hayalee aurait juré qu’il se retenait d’ajouter « pauv’ con ».
— Ah, fit Salao, alors c’est vous l’équipe envoyée à Psizun… Et on peut savoir qui sont les nouvelles têtes ?
Il désigna Mìr et Nahïs de son cure-dent.
— Des évadés du Donjon, répondit Yasuo.
Mìr grimaça un sourire poli. L’attaque des soldats l’avait laissé aussi pâle et tremblant que Lisandra. Nahïs, elle, observait les aigles de Bùsen, fascinée.
— Alors c’est vrai ? demanda Uo. Il y a eu une évasion ?
Salao grommela :
— Ne me dites pas que c’est vous qui avez provoqué ça ?
— Hum… la situation nous a un peu échappé, concéda Yasuo, sans une once de remords ou d’embarras.
— Les prisonniers sont innocents ! intervint Hayalee.
Elle avait voulu se relever, histoire de donner plus de poids à ses paroles, mais ne réussit qu’à tituber avant de retomber sur les fesses. Les autres eurent la délicatesse de ne pas rire.
— Ouais, ça me semble assez évident, dit Salao, l’œil fixé sur Nahïs. Faut prévenir le QG au plus vite, alors. On nous a envoyés en éclaireur, mais personne sait encore quoi faire vis-à-vis de ces évadés.
— Eh, les interpela Ahsrin, je veux pas dire, mais lui, il a l’air un peu crevé.
Juché sur son aigle, il lorgnait Kylian. Kaïen avait soulevé le haut du jeune homme, dévoilant ses bandages. De nouvelles auréoles carmin avaient fleuri sur le tissu.
— Ses blessures semblent graves.
— Ouais, il a perdu pas mal de sang, dit Saru. Et sa blessure s’est infectée.
Le visage en sueur, la respiration lourde et le corps grelottant, Kylian papillonnait des cils et dodelinait de la tête, comme s’il cherchait à reprendre connaissance. Ses lèvres remuèrent sur des mots qu’il n’eut pas la force de prononcer.
— Paix, lui intima Kaïen, de sa voix de baryton, et Kylian parut sombrer dans un sommeil plus apaisé.
— Il a besoin de soin au plus vite, dit Yasuo. Mais les chevaux sont épuisés, blessés…
— On s’en occupe, dit Salao. À dos d’aigle, on peut être à Takmas en vingt minutes. Indra ?
La jeune femme à la tresse se tourna vers lui. Il pointa Kylian du doigt.
— Tu peux le prendre ?
Elle fronça les sourcils, les yeux réduits à deux fentes et Salao mima le geste de ramasser quelque chose pour le jeter devant lui. Elle parut comprendre et se mit à parler dans une langue qu’Hayalee n’avait jamais entendue. Elle débitait les mots à toute vitesse, le ton excédé, tirant la masse qu’elle portait à la ceinture pour le brandir au-dessus de sa tête tout en regardant Salao avec insistance. Perplexe, ce dernier lança un appel au secours à ses coéquipiers.
— Je crois, commença Kaïen, qu’elle préférerait ne pas prendre le garçon avec elle, au cas où elle doive recourir à la foudre.
À ce mot, Indra sautilla sur sa selle et pointa le doigt vers Kaïen.
— Foudrre ! répéta-t-elle avec un fort accent. Dancher… Bam !
Recourir à la foudre ? Pourquoi pas. À ce stade, plus rien n’étonnait Hayalee.
— Je vais le prendre, dit Uo.
L’affaire entendue, Kaïen souleva le jeune homme comme s’il n’avait rien pesé et vint l’installer sur l’oiseau, devant Uo.
— Est-ce que c’est bien prudent d’aller à Takmas ? s’inquiéta celui-ci, après qu’ils eurent fini de sécuriser Kylian. Les soldats noirs vont nous y attendre.
— Ils auront aussi envoyé des messagers dans toutes les villes du coin, dit Salao. Autant aller à la plus proche – avec de la chance, on y sera avant qu’ils aient eu le temps de préparer l’accueil. Mais vous… ajouta-t-il avec un coup d’œil soucieux à Saru.
Ce dernier était descendu de Neri, qu’il caressait d’une main tout en essayant d’examiner son aile.
— Nous allons rester en arrière avec eux, déclara Kaïen.
— Ouais, on s’occupe de raccompagner les p’tits jeunes, renchérit Ahsrin.
— Dépêchez-vous de filer, leur intima Asha.
Sans plus de cérémonie, Salao, Uo et Indra décollèrent, emmenant Kylian avec eux. Hayalee pria pour qu’ils atteignent Takmas à temps.
Kaïen vint aider Saru avec son cheval tandis que Yasuo partait retrouver celui de Lisandra. La bête devait être mal en point, car elle n’était pas sortie du fossé dans lequel elle avait fini. L’expertise de Lisandra aurait été la bienvenue, mais elle semblait trop sonnée. Il lui fallut le soutien d’Asha pour se relever et quelques minutes pour réussir à mettre un pied devant l’autre. Heureusement, leurs nouveaux amis n’étaient pas en reste.
Le carreau d’arbalète qui avait touché Neri était planté dans le cuir de l’aile et Kaïen jugea qu’ils pouvaient le retirer sans provoquer d’hémorragie importante. Il confia la tâche à Saru, l’armant d’une paire de cisailles et d’un pot d’onguent. Ensembles, ils incitèrent l’étalon à se coucher et déployer l’aile, qu’Ahsrin se porta volontaire pour maintenir tendue. Kaïen resta accroupi devant l’animal et lui murmura des paroles en aravan. Sa voix était si apaisante qu’Hayalee eut envie de s’allonger par terre pour se laisser bercer. Neri se mit à battre lentement des paupières. Il ne réagit pas quand Saru se pencha pour couper l’empennage du carreau.
— Prends garde, le prévint Kaïen. La pointe est sûrement enduite de poison.
Hayalee frissonna. Elle n’était pas près d’oublier la sensation – ou plutôt la perte de sensation – qui l’avait laissée paralysée sur le sol de la forêt, à Karakha.
— Le cheval va pouvoir bouger ? s’inquiéta-t-elle.
Ce fut Asha qui répondit :
— Son aile sera sûrement engourdie, mais ça devrait aller. La quantité de poison n’est pas suffisante pour assommer un animal de cette taille.
Ahsrin souleva l’aile pour permettre à Saru de se faufiler en dessous. Il compta jusqu’à trois, puis tira sur la pointe. Cette fois, Neri sursauta, mais les paroles de Kaïen étouffèrent son agitation dans l’œuf. Saru tartinait la plaie d’onguent quand Yasuo revint au petit trot. Il avait récupéré les affaires de Lisandra et laissé Ikar derrière. Lorsque les autres levèrent le nez vers lui, il se contenta de hocher la tête en signe de négation. Le froid rampa sous la peau d’Hayalee, chassant le semblant de chaleur que la voix de Kaïen avait instillé.
Un instant plus tard, Hayalee reprit place derrière Saru, sur le dos de Neri – une partie d’elle était soulagée qu’il ne puisse plus voler. Lisandra, le bras en écharpe, monta avec Yasuo et ils repartirent au galop. Haut dans le ciel, Kaïen, Asha et Ahsrin leur firent comme une garde d’honneur, deux d’entre eux planant sur les flancs, le troisième ouvrant la voie.
Ils avaient décidé de se diriger vers les faubourgs sud de Takmas, sur la côte. Le Troll Radieux, d’où Hayalee, Saru et Lisandra étaient partis, se situait au nord-ouest de la ville, non loin de la grand-route : une zone qui ne manquerait pas de grouiller de soldats. Hayalee voulait bien croire que les mailles du filet seraient moins resserrées sur la côte sud, qui n’était pas un point d’entrée de prédilection, mais elle ne voyait pas comment ils pouvaient espérer se faufiler dans la Cité des Mers avec tous ces soldats et veilleurs sur le qui-vive. Pourtant, Asha, Kaïen et Ahsrin étaient confiants.
Hayalee aurait été incapable de dire combien de temps ils chevauchèrent. Une heure ? Deux heures ? La fatigue et l’angoisse la plongeaient dans un état second. Son cerveau – tout son corps – hurlait pour du repos, mais la peur de voir de nouveaux soldats débarquer forçait ses sens à rester en alerte. Une éternité ou un battement de cil plus tard, l’air s’alourdit, l’odeur de l’iode chatouilla les narines d’Hayalee et les silhouettes des premières habitations apparurent sur un coin de l’horizon.
Et avec elles, d’autres cavaliers.
Eh bien, il s'en passe des choses ='D Ils peuvent jamais avoir la paix les pauvres ^^'
Bon, je reste sur mon idée que Kylian n'est pas juste random soldat. Sinon, il insisterait pas autant pour fuir de son côté alors que c'est clair qu'il est pas en état. Il a vraiment peur de s'en prendre pleins la gueule chez les rebelles, plus qu'un soldat normal x) Je suis du coup curieuse de savoir ce qu'il y a de ce côté, pourquoi il faut mieux risquer bêtement la mort que rejoindre l'Alliance.
Les soldats sont vraiment très déterminés à les retrouver x) Parce que mine de rien, ils ont dû en envoyer un peu dans toutes les directions pour les retrouver, donc ça fait pas mal de monde mobilisé et sur beaucoup d'heure. Mais bon, en même temps, des Descendants, qui ont permis une évasion de grande ampleur, normal qu'on leur court après avec beaucoup d'acharnement, surtout qu'ils pourrait être une mine d'information ^^'
D'ailleurs, j'ai été surprise qu'on parle de laisser partir Mir et Nahis de leur côté tranquillement. Le but, ce n'était pas de récupérer des informations grâce à eux, et notamment grâce à Nahis qui sait ce qui arrive au mineurs et où ils sont gardés ? Certes, c'était qu'un prétexte à la base pour qu'Hayalee les sauve, mais bon, tant qu'à faire, autant au moins récupérer ces infos, non ?
Bon, j'espère quand même qu'ils vont enfin finir par avoir la paix à un moment, pour au moins pouvoir se reposer et vraiment pioncer un coup ='D Les rêves d'Hayalee sont toujours aussi intriguant, clairement, ya quelque chose à creuser là. Et le coup de brûler des trucs dans son sommeil, si un jour elle dort dans le même lit que quelqu'un, je plains cette personne, ça risque d'être compliqué ='D
Bon courage pour la suite !
Ils ont eu le temps de dormir, c’est pas mal !
Concernant Kylian, ta curiosité devrait pas tarder à être satisfaite !
Disons que la priorité des soldats noirs, c’est bel et bien d’attraper des Descendants. Après, faut aussi savoir qu’Haya & Co se dirigeaient vers Takmas, la plus grosse ville du coin et… ben les soldats venaient de là, tout bêtement, et se dirigeaient eux vers Psizun. Et ils savent qu’il y a des planques de rebelles à Takmas, donc ils savent qu’il y a de forte chance qu’Haya et les autres se replient dans cette direction. Tout ça pour dire qu’ils ne ratissent pas toute la campagne au hasard. Pas qu’ils veulent pas, mais ils ont surtout pas les effectifs. ^^’
Pour Mir et Nahïs, tu veux parler du moment où Yasuo leur demande ce qu’ils comptent faire ensuite ? Évidemment, l’idée c’était de les ramener à l’Alliance pour qu’ils puissent témoigner et apprendre ce qui arrive aux mineurs, Yasuo faisait surtout preuve de politesse en fait. Parce que, à moins de vouloir retourner direct en prison, Mir et Nahïs ont pas vraiment le choix, en réalité. Aussi, Yasuo, Haya et les autres ont décidé entre eux que ce serait bien de ramener Nahïs pour obtenir des info, mais Mir a jamais dit qu’il était d’accord pour ça (enfin, je crois Oo va falloir que je relise). Donc c’est quand même bien d’obtenir une confirmation, que les choses soient claires… non ?
Mais ouiii ils vont avoir la paix. Le temps de dormir deux heures et de manger un goûter. :p
En espérant que la conclusion te plaira !
Merci. <3