12. Plus fort qu'une intuition

Par Dédé

— P’pa ! Comment t’as su que M’man était la femme de ta vie ?

Accoudé à son balcon, Anton déglutit.

Son fils aîné vient de lui poser une question surprenante. Eux qui n’ont pas l’habitude de vraiment parler. D’échanger à cœur ouvert. Il faut dire que Théo s’est montré distant ces derniers temps. Lui aussi, avec tous les problèmes familiaux à gérer.

Cette question sort de nulle part.

Anton a envie d’interroger son fils sur le pourquoi du comment. Sauf qu’il a peur de le braquer :

— Comment j’ai su ? Je n’ai jamais raconté cette histoire ?

Théo secoue la tête de gauche à droite.

— Nope…

Le père de famille constate que son fils ne veut pas lâcher le morceau. Il est vraiment curieux d’avoir la réponse à sa question.

Est-il en train de vivre une histoire d’amour ? Serait-ce sa première histoire ? Il craint de ne pas connaître Théo aussi bien que ce qu’il aurait voulu.

— Un jour, je ne sais pas trop quelle mouche m’a piqué… Je me suis réveillé et j’avais un drôle de sentiment. Je me sentais comme perdu dans ma propre vie…

Théo se mordille la lèvre inférieure. Apparemment, il ne s’attendait pas à un tel début d’histoire.

— Alors, je suis allé marcher… courir… je ne sais plus… Et j’ai vu ce gros rocher qui avait presque la forme d’un menhir. J’avais trouvé ça très cocasse, je me souviens. J’ai grimpé dessus, je me suis assis. J’ai regardé droit devant et j’ai réfléchi.

— Tu réfléchissais à quoi ? se demande Théo.

— Je pensais à ma vie, à la direction que je voulais prendre. C’était un moment très étrange. C’est difficile à expliquer…

Son fils se montre gêné de sa grande curiosité. Il ne souhaite pas non plus mettre son père mal à l’aise.

— Pour faire simple, j’avais l’impression que là, sur ce rocher, je pouvais entièrement me permettre d’être moi-même. Comme un ange qui déploie ses ailes le plus largement possible. J’ai étiré mon âme, ma conscience et d’un coup… D’un coup… Tout m’est apparu clairement. J’ai eu comme une intuition. Une intuition… c’était plus fort que ça, même.

— Ah oui ? s’étonne l’adolescent.

Le discours de son père est vraiment surprenant.

Au fond, il s’attendait à une réponse un peu banale à la « tu le sais et puis c’est tout ».

Ce récit est très confus. Surtout qu’il n’est nulle part question de Prune, sa mère.

— C’était quoi comme… euh… comme forte intuition ?

— Il fallait que j’aille au cinéma. Je ne sais pas pourquoi j’ai pensé à ça. Mais, ça a été comme une idée fixe. Sur le coup, je ne l’avais pas réalisé. Je suis descendu du rocher. Je suis rentré. L’idée du cinéma était encore là. Comme si quelque chose m’attendait là-bas…

Théo commence un peu à s’impatienter.

Il avait oublié à quel point son père pouvait prendre plaisir à raconter des histoires, quitte à traîner en longueur. L’impatience de l’adolescent grandit au fur et à mesure que le temps passe.

— Et… ?

— Et, je suis allé au cinéma. Je ne sais même plus quel film c’était. Par contre, je me souviens que c’est là que j’ai croisé le regard de ta mère pour la première fois. Un regard que je ne voulais plus jamais quitter.

Théo aussi n’a pas envie de quitter le regard de Danaëlle, sa camarade de classe. Il est comme hypnotisé par elle. Il ressent comme des papillons dans le ventre. Dès qu’elle s’approche, il perd tous ses moyens.

— Pourquoi tu voulais savoir ? ose demander son père.

— Je suis pas sûr… Tu crois que… ? Non, rien. Oublie.

Anton sent la frustration monter en lui. Il ne veut pas que son fils se referme à nouveau dans sa coquille.

— Quoi, donc ? Tu peux me parler de tout, tu sais.

— Tu crois que tu pourrais me conduire jusqu’à ton rocher ?

Cette demande surprend le père de famille. Mais, il ne voit aucune raison de refuser.

— Bien sûr. Qu’est-ce que tu veux faire là-bas ?

— Je veux voir si ma vie prend le même chemin que la tienne. Je veux voir si moi aussi, je vais avoir une révélation sur la femme de ma vie que je crois avoir trouvée…

L’adolescent marque une pause.

— Vas-y ! Tu peux te foutre de moi, si tu veux…

Au contraire, Anton le fixe du regard, très sérieusement. Il cherche même à cacher l’émotion que lui provoque ce moment père-fils.

— Jamais je ne me foutrai de toi ! Au contraire ! Je suis fier du fils et de l’homme que tu deviens.

Anton et Théo se prennent dans les bras quelques secondes, se tapotent l’épaule et retournent dans le salon retrouver les autres membres de la famille.

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