12 - Three, four...

Notes de l’auteur : Désolé du temps que ça m'a pris ! Je n'ai pas beaucoup avancé sur l'histoire ces derniers temps et j'aime bien avoir des chapitres d'avance. Je reprends doucement. Bonne lecture et merci pour l'engouement partagé autour de cette histoire !

« Alcoolémie sanguine : bien que je ne supporte plus l’alcool, l’alcoolémie dans le système sanguin d’une victime peut être assimilée par mon organisme, et me procurer les mêmes effets sur une courte période, à moindre mesure. Je dois veiller à ne pas en abuser pour garder l’esprit clair. »

Lester Cromwell, 1902.

Alors que l’eau chaude de la douche réchauffait agréablement son épiderme blafard, Lester repensait à ces anciennes notes qu’il avait prises. Le sang de Matt Norton avait été particulièrement chargé en alcool. La brume que cela avait répandu dans la tête du vampire n’avait duré que quelques minutes, mais il s’en serait bien passé. La saveur du sang s’en trouvait altérée, et pas de la meilleure des manières. La drogue produisait le même effet. Malheureusement, même s’il en appréciait certaines de temps à autres, il chassait dans le monde interlope de Londres, après le coucher du soleil. Les substances planantes et enivrantes circulaient dans de nombreuses veines. Heureusement qu’il ne risquait aucune dépendance.

Peu importait ce qu’il faisait, il ne parvenait pas à faire dévier ses pensées d’Oliver Brown. Il ignorait pourquoi il s’était rendu à la commémoration, ni ce qu’il avait vraiment espéré en revoyant ce visage familier après plus de soixante-quinze ans de séparation. Il savait juste qu’il en avait ressenti le besoin. À sa connaissance, Oliver était la seule personne à l’avoir connu plusieurs décennies auparavant, et à être toujours de ce monde. Et le vétéran l’avait connu très personnellement. Intimement. Il savait beaucoup de choses sur lui, des choses que Lester n’aurait pas besoin de dire tout haut. Seulement, il ne pouvait plus faire partie de sa vie.

Le vampire baissa les yeux, observant l’eau qui prenait une teinte rosée en glissant sur ses plaies, avant de former une auréole tourbillonnante sur la faïence blanche. Il avait reçu seize coups de couteau. Ce qui s’échappait dans le siphon n’était que le sang séché sur sa peau ; la cicatrisation avait déjà opéré, et il ne saignait plus depuis longtemps. L’obscurité et le sujet culpabilisant de la conversation avec Cole avait détourné l’attention de ce dernier ; il n’avait pas remarqué ses blessures. Tant mieux.

Une fois sorti de la douche, il revêtit un T-shirt et un bas de pyjama, puis enferma ses vêtements poisseux et déchirés dans un sac poubelle. Il les cacherait dans la cave, puis les ferait disparaître à la première occasion, comme d’habitude. Lester fit aussi de son mieux pour rester silencieux afin de ne pas réveiller Léonie ; elle avait l’habitude de le voir rentrer au moment où elle se levait. Il n’était que trois heures du matin.

Alors qu’il passait dans le couloir à pas de loup, la porte de la chambre de sa colocataire s’ouvrit derrière lui. Jurant intérieurement, il se retourna ; debout au milieu du couloir et vêtue d’un chaud pyjama Walt Disney, Léonie le dévisageait d’un air ensommeillé.

— Désolé si je t’ai réveillée, souffla Lester. Il fallait vraiment que je prenne une douche.

— C’est rien t’inquiète, marmonna-t-elle d’une voix pâteuse. J’attendais pour aller aux toilettes en fait. Il est tôt non ? Tu rentres plus tard d’habitude.

— Oui, je sais. La nuit a été courte. J’ai envie d’aller dormir.

— Oh, d’accord. Alors je-

La brusque coupure de sa phrase interpella Lester, qui suivit son regard dans la pénombre. La lumière toujours allumée de la chambre permit à Léonie de remarquer le pan de T-shirt trempé dépassant d’un trou dans le sac que tenait Lester, mais surtout, la petite flaque de sang sombre qui s’étalait un peu plus à chaque goutte. Une nouvelle fois, il jura intérieurement et appréhenda la discussion à venir.

Soudainement réveillée, les yeux arrondis, Léonie en oublia de chuchoter, mais pas d’allumer la lumière du couloir. Aveuglé, Lester dut détourner la tête, les paupières serrées dans une grimace incommodée.

— Y a quoi là-dedans ?!

— Des vieux vêtements tachés.

— C’est du sang ?

— Non pas du tout, en fait j’ai-

— Tu es blessé ?! s’écria-t-elle en s’approchant d’un pas sans pour autant savoir quoi faire. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Voyant qu’elle ne croyait pas à sa réponse négative et ne sachant comment expliquer le liquide rouge sombre qui gouttait du sac, il ne chercha pas à lui persister dans ce mensonge.

— Rien de grave, la rassura-t-il d’une voix qui parvint à rester calme. J’ai fait une… rencontre un peu mouvementée.

Elle plaqua une main sur sa bouche.

— Oh mon dieu, tu as été agressé ?

Lester aurait apprécié l’ironie s’il n’avait pas été si embêté.

— Ça m’arrive. Sortir la nuit n’est pas sans risques.

La jeune femme resta interdite un instant, puis se dirigea d’un bon pas vers la salle de bain en attrapant la main de Lester au passage.

— Viens, on a la trousse de premiers secours dans l’armoire. Si c’est trop grave, on appellera les urgences.

— Non, laisse. Ce n’est vraiment pas grave et j’ai déjà fait ce qu’il faut.

— Ne fais pas ta tête de mule !

Il dégagea sa main d’un geste sec. Léonie se retourna pour lui faire face. L’incompréhension et la peur sur son visage se muèrent peu à peu en colère.

— Mais bon sang ! Tu vas me dire ce qui se passe à la fin ? D’abord tu te fais tirer dessus, ensuite tu rentres à la maison blessé. Ne me dis pas que ça a un rapport ?

— Non, aucun rapport. C’est la vérité, Léonie. Londres est dangereuse durant la nuit.

— Alors vis ta vie pendant la journée, comme une personne normale !

— Je ne peux pas.

— Tu te drogues, c’est ça ?

— Non.

— Alors qu’est-ce qu’il y a ?

Parfois, il aurait apprécié pouvoir lui dire, tout simplement, afin de pouvoir lui parler, combler le besoin de se confier. Mais il refusait de s’exposer ainsi, et plus que tout, il refusait de bouleverser autant les croyances et le monde de son amie.

— Rien de plus que ce que je viens de te dire.

Il n’était pas d’humeur à poursuivre cette conversation qui, de toute façon, ne mènerait qu’à l’impasse qu’il lui réservait. Sans ajouter un mot, il se détourna et descendit l’escalier, laissant Léonie seule au milieu du couloir de l’étage. Dans le hall, il récupéra au passage son téléphone portable, puis descendit encore plus bas pour s’exiler dans l’obscurité épaisse de la cave.

Il y resta toute la nuit. Et la journée, jusqu’à la nuit qui suivit. La nuit du 5 de Novembre. Une nuit spéciale pour Londres, spéciale pour Léonie, qui sortait d’habitude dans une humeur fêtarde avec Cole, Rachel et Eric. Lui, comme tous les ans, ne bougerait pas d’ici. Entre les feux d’artifices et les enfants lançant des pétards à travers les rues, Lester n’aurait pas passé un moment agréable. Et de toute façon, Léonie serait sans doute fâchée contre lui jusqu’à ce qu’elle obtienne des explications, que Lester ne pourrait pas donner. Pas cette fois. Il lui faudrait du temps pour concocter un mensonge crédible.

Il passa donc cette journée seul. Comme toutes les journées précédentes, et comme toutes celles qui suivraient. Son après-midi fut consacrée à ses articles et sa communication avec les différents journaux pour lesquels il les écrivait. Du moins, ceux avec qui il pouvait communiquer par e-mail ou téléphone. À la nuit tombée, il mit son ordinateur portable en veille sur le bureau de sa cave, et s’installa sur son lit pour accorder enfin son attention aux SMS non lus qui s’étaient accumulés. Lester fronça les sourcils : tous les messages venaient de Cole.

7h32 [Mec faut qu’on parle… Y a du sang sur le siège de ma voiture]

7h34 [Il peut que venir de toi]

8h12 [Tu vas bien ??]

8h30 [J’aurais pas dû t’écouter putain, j’aurais dû t’amener à l’hosto !!]

Lester fit une pause dans sa lecture pour se malaxer la tempe du bout des doigts en fermant les yeux. Pourquoi Cole ne pouvait-il pas passer à autre chose ?

10h14 [J’ai parlé à Léonie, même ELLE elle sait pas si tu vas bien !! Sérieux, elle a l’air inquiète]

Lester s’apprêtait à se demander pourquoi il devrait en dire davantage lui-même, lorsque son regard tomba sur le dernier message reçu :

21h47 [J’ai reparlé à Léonie à propos de l’accident d’hier, dsl mec mais je pense qu’elle va t’en reparler aussi]

Plusieurs jurons lui traversèrent simultanément l’esprit et il ne sut lequel prononcer à voix haute. Allaient-ils le questionner encore longtemps à ce sujet ? Ou bien finir par admettre qu’il avait simplement eu de la chance ?

Juste au cas où, le vampire commença à penser à un plan Z. Le dernier recours, la dernière issue, lorsque toutes seraient condamnées. La fuite, la disparition, le changement de nom, de ville, tout cela dans cet ordre ou presque. Peut-être aurait-il à simuler sa mort, comme il l’avait fait à certaines occasions. De toute façon, ce moment viendrait, il le savait. Peut-être viendrait-il plus tôt que Lester ne l’avait imaginé. Dommage. Il s’était beaucoup attaché à cette vie.

Son estomac émit une plainte qui le rappela à l’ordre. Il valait mieux qu’il s’alimente avant que Léonie ne revienne ; cela lui permettrait de retourner dans sa cave afin d’éviter de la croiser, et donc d’esquiver les interrogations imminentes au sujet de l’accident, au moins jusqu’au lendemain. De plus, cette nuit, il allait prendre son repas sans quitter le confort de la maison. Il s’était toujours arrangé pour que sa colocataire n’assiste jamais à cela.

Le vampire ouvrit la trappe de pierre dissimulée par le tapis de la cave. À l’intérieur du congélateur qui y siégeait, il saisit deux poches en plastique. Le sang qu’elles contenaient était gelé ; une fois dans la cuisine, il les plongea longuement dans une casserole d’eau chaude. Ce ne serait ni aussi savoureux, ni aussi chaud que ce dont il profitait durant la chasse, mais il savait s’en contenter. Avoir des réserves sous forme de poches s’avérait toujours utile lorsqu’il rentrait bredouille ou qu’il ne pouvait pas sortir.

Au loin, les échos des feux d’artifices provenant du Parlement commencèrent à aiguiser ses angoisses. Après avoir vidé les deux poches dans une bouteille thermique opaque, Lester se retira rapidement dans la cave et en verrouilla la porte ; les murs épais le protégèrent du vacarme lointain de la fête.

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Hortense
Posté le 05/06/2023
La situation se tend pour Lester, comment va-t-il se sortir de se pétrin ? Il est fort probable que l'agression du chapitre précédent ait été découverte et si Cole se mettait en tête d'effectuer une analyse sanguine ? Non.... il n'en est pas encore arrivé à un tel degré de suspicion. Pour l'instant, il est comme Léonie et se préoccupe uniquement de son état de santé. Cependant les derniers évènements pourraient bien alimenter quelques doutes.... Tout repose sur la personnalité de Lester et sa capacité à gérer le paradoxe de sa propre existence et des amitiés volontaires ou involontaires qu'il suscite.
A suivre
A bientôt
MrOriendo
Posté le 28/04/2023
Hello Rapture !

Quel plaisir de retrouver Lester, même si la situation devient de plus en plus intenable pour lui. Je confirme le retour de Péridotite et Altaïr concernant les lettres rouges, j'étais passé lire ce chapitre il y a quelques jours déjà et je les avais eues aussi. Maintenant tout semble revenu à la normale, je ne sais pas si c'est parce que tu as retiré/modifié ce passage ou si le bug a simplement été corrigé.

En tout cas, on sent bien que Léonie s'interroge et qu'elle se rapproche de la vérité concernant son mystérieux colocataire ! J'aime toujours autant la manière dont tu nous plonges dans le passé de Lester, dans ses autres vies passées sous forme de souvenir. L'idée de contrebalancer les sens sur-développés et la force inhumaine du vampire par la sensibilité aux stupéfiants consommés par ses proies est originale, c'est bien vu !

Au plaisir de lire la suite :)
Peridotite
Posté le 15/04/2023
Youhou la suite ! J'avais tellement peur que l'histoire reste inachevée !

Léonie commence à avoir de sérieux doutes et Lester est pas dans le caca. Quand il dit qu'il va bientôt devoir fuir, changer d'identité, je veux bien le croire, car qui accepterait de partager son appartement avec un meurtrier ?

J'aime bien la personnalité de Lester, partagé entre sa vie d'assassin et de colocataire modèle.

Je me demande ce que tu nous réserves pour la suite.

J'ai relevé quelques petites coquilles, mais le texte est globalement bien fluide et très agréable à lire :

"il ne chercha pas à lui persister"
> Tu peux enlever le "lui"

"Londres est dangereuse durant la nuit."
> Tu peux enlever "durant"

"Parfois, il aurait apprécié pouvoir lui dire, tout simplement, afin de pouvoir lui parler, combler le besoin de se confier."
> "afin de pouvoir lui parler" n'est pas utile, ça répete le début de la phrase en mode paraphrase

"La nuit du 5 de Novembre."
> Tu peux enlever "de"

"De toute façon, ce moment viendrait, il le savait."
> On s'attendrait à une suite de la phrase après viendrait. Comme "viendrait bientôt", mais ce n'est pas ce que tu veux dire. Je mettrais un truc du genre "De toute façon, ce moment finissait par arriver, comme toujours" (quelque chose comme ça qui montre que c'est de toute façon sa vie, c'est inéluctable, il y est preparé quoi)

Au plaisir de lire la suite 🙂
Peridotite
Posté le 15/04/2023
PS : je confirme : il y a soucis avec les très grosses lettres rouges au début que je n'ai pas pu lire sur mon portable (un bug ?)
Ra(p)ture
Posté le 15/04/2023
Merci d'être resté dans la course malgré mon rythme chaotique haha

Je suis ravi que l'histoire te plaise ! Et merci pour les coquilles ;)

Par contre je suis toujours perplexe, que ce soit sur portable ou sur PC, je ne vois pas de lettres rouges anormales ._.
Altaïr
Posté le 12/04/2023
Hello Ra(p)ture,
je retrouve la suite de ton histoire avec grand plaisir ! Bon les lettres en gros caractères rouge de l'incipit m'ont quelque peu sauté aux pupilles ^^ mais je suppose que la taille de police n'était pas volontaire xD
Je trouve très astucieux de nuancer la force phénoménale de Lester avec le fait qu'il soit sensible aux substances contenues dans le sang de ses proies, c'était bien amené dans le chapitre précédent et cela trouve une continuité toute logique dans ce nouveau chapitre.
J'ai aussi beaucoup aimé ta façon de briser la barrière taboo et souvent infranchissable des générations : on a souvent du mal à imaginer qu'une personne âgée a pu avoir une vie amoureuse, c'est très touchant de lire que Lester est toujours troublé par sa relation très ancienne avec Oliver.
Quant à la situation délicate face à Léonie, mais fichtre il suffirait de prétexter un saignement de nez, c'est souvent impressionnant mais bénin ;)
Je plaisante bien entendu, il est bien aisé de trouver des alibis tranquillement assise sur son canapé...
Belle continuation !
Ra(p)ture
Posté le 12/04/2023
Coucou Altaïr !

Ton enthousiasme fait plaisir, surtout en considérant que cette version n'est qu'un premier jet :'D (par contre je m'avoue perplexe quand tu parles de gros caractères rouges, sur mon écran tout le texte est en noir avec une taille de police constante de partout).

Lester est tellement âgé que c'est encore compliqué pour moi pauvre mortel d'appréhender tout ce qu'il a pu faire dans sa longue vie, mais l'amour et la famille font partie de ces choses ! Je trouve ça intéressant à traiter :)

Il a déjà servi beaucoup d'excuses à Léonie et à vrai dire elle commence à se montrer plus attentive xD ça se complique pour lui.

Merci à toi et à bientôt pour la suite !
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