13 • Exilé

— Mon seigneur, que puis-je pour vous ?

— Installe-toi sur ce fauteuil Zafyra.

— Vous semblez contrarié. Ai-je commis une faute ?

— Non. Cela n'a rien à voir avec toi. Tu es ma servante la plus fidèle et la plus dévouée. Je me dois d'être honnête avec toi.

— Je suis à votre écoute, mon seigneur.

— Je n'ai pas réellement quitté les enfers. J'ai été exilé. Sais-tu pourquoi les démons ont besoin de sang humain pour nourrir leur puissance ?

— Non, mon seigneur.

— C'est parce que notre sang n'est pas vital. Une énergie circule dans nos veines, elle ne sert qu'à user de nos dons. Une blessure, aussi atroce soit-elle, serait certes très pénible, mais pas mortelle. Le sang humain, lui, n'est pas aussi ordinaire qu'on pourrait le croire. C'est pourquoi il renforce notre cœur si particulier et fait grandir en nos êtres des pouvoirs que nulle autre créature ne peut posséder. Seulement, aveuglé par mes rêves les plus fous, j'ai semé la crainte parmi mes congénères. Un démon aussi gourmand et presque sans aucun contrôle, ne risque-t-il pas un jour de s'en prendre à ses semblables ? J'ai alors été exilé. Comment ne pas les comprendre après tout... Ils ignorent tout de mon passé. Dans ce monde, ma chasse n'a fait que continuer. J'étais assoiffé de pouvoirs, et même si je dévorais toujours davantage d'humains, cela n'était jamais assez. Cette faim insatiable et constante n'a cessé de grandir en moi. J'ai donc poursuivi ma quête sans relâche. C'est en arpentant les vallées brûlées, les cités incendiées et les royaumes en ruine que j'ai rencontré deux âmes désespérées.

— Mon seigneur...

— Je sais que je suis atroce. Je sais que ta sœur me craint et me hait par-dessus tout.

— Je vous en supplie, pardonnez sa naïveté. Elle n'a pas conscience que votre générosité est immense. Notre gratitude envers vous est éternelle.

— De la générosité... Vous n'avez pas connu mon frère. Lui, il vous aurait bien traitées.

— Mais vous nous traitez avec bienveillance, mon seigneur.

— Tais-toi. Cesse de dire des sottises. Je ne pense qu'à une chose, de jour comme de nuit. Je n'ai qu'un seul et unique but, et je suis prêt à employer tous les moyens possibles afin de l'atteindre. Je n'ai jamais été généreux.

— Pardon mon seigneur... Vous aviez un frère ?

— Oui. Avant que mon injuste cruauté ne l'achève.

— Je suis désolée...

— Cela n'aurait pas dû se passer ainsi. Néanmoins, je compte bien me racheter.

— Mon seigneur est trop dur avec lui-même...

— Bientôt, cela n'aura plus d'importance, de toute manière.

— Que voulez-vous dire ?

— Les prêtres sont à notre recherche. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne nous trouve.

— Mais que peuvent-ils contre votre pouvoir ?

— Même si les enfers m'ont façonné, je ne suis pas invincible. Je ne suis pas infaillible. Ils nous trouveront et un long sommeil bercera nos existences jusqu'à ce que les humains oublient notre abominable présence. Mes pouvoirs n'ont aucun effet contre la magie céleste. Je les maudis...

— Que faire pour vous protéger, mon seigneur ?

— J'ai assez de puissance pour nous maintenir en vie. Leur arrivée est imminente. Tu ne peux rien faire, Zafyra. Je ne connais que trop bien ta férocité, qui parfois occupe mes insomnies. Toutefois, elle ne te sera d'aucune utilité face à nos ennemis.

— Je ne peux rien tenter ?

— Non. Maintenant va demander à cette petite idiote d'Ynes de se tenir prête pour les accueillir. Même si notre défaite est certaine, je lutterai encore contre ces stupides fidèles. Qu'ils savourent la victoire d'une bataille, car la guerre se poursuivre quoi qu'il en coûte. Se fondre dans leurs mœurs et leur peau. Les imiter pour mieux les tromper. Rien de tout cela n'aura été facile. Et pourtant, je ressens une grande joie d'avoir expérimenté tout cela. Qu'attends-tu ? File !

— Oui, mon seigneur.

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