13 - L'apocalypse

L’apocalypse

— Vous avez toujours voulu être archiviste ?

— Ce n’est pas une question, ça, jeune homme. Vous savez bien qu’on ne veut rien du tout.

— Oui, vous avez raison. Je ne sais même pas pourquoi j’ai demandé ça.

— Vous l’avez demandé à cause des archives.

— Des archives ?

— Oui, tout ça, autour de nous.

— Mais quel rapport ?

— Le rapport, c’est que ce ne sont pas seulement des morceaux de papiers ordonnés de manière pas toujours compréhensible. Les archives sont vivantes.

— Comme l’archive timide qui se cache sous l’étagère ?

— Exactement comme l’archive timide qui se cache sous l’étagère.

— Je crois que je l’ai vue sortir tout à l’heure.

— Oui, mais après, elle a pris peur et elle est retournée se cacher.

— Quel rapport avec mes questions ?

— Les archives ne font pas que vivre. Elles débordent d’énergie, elles contaminent tout ce qui les entoure. Voyez, elles parlent de mondes que vous n’avez certainement jamais vus, de formes de vie dont vous ne connaissez même pas le nom. Et pourtant, ici et maintenant, vous avez l’impression de les connaitre comme votre voisin de palier. Même mieux. Les voisins de palier sont rarement des gens qu’on apprécie. Ils mettent toujours la musique trop fort et ils claquent les portes.

— C’est quoi, un palier ? Et un voisin ?

— C’est exactement ce que j’essaie de vous dire. Attendez quelques secondes et vous allez me dire vous-même ce que c’est. Parce que les archives vous l’auront chuchoté à l’oreille.

— Je n’ai pas d’oreilles.

— C’est une expression.

— Oh ! Oh, je crois que je viens de comprendre ! Là, comme ça, j’ai su ce qu’était un voisin de palier. C’est… Ca fait ça tout le temps ?

— Souvent. Enfin bref, revenons à nos moutons. Ou plutôt à nos âmes stagnantes.

— Oui, revenons-y. Le sergent attend que je lui fasse mon rapport. Il y a un point que je n’ai pas compris. Si les âmes qui bloquent les autres sont périmées, pourquoi personne n’est au courant ? C’est complètement la panique là-haut.

— Ils ne sont pas au courant parce que ce n’est pas arrivé depuis un très long moment. Nous étions dans une phase où les âmes vivaient leur vie sans toucher personne. Et quand c’est aussi calme, on a tendance à oublier les difficultés.

— Donc c’est normal ?

— Parfaitement normal. Une âme qui se bloque de temps en temps, ce n’est vraiment pas la fin du monde. Vous avez la panique facile, jeune homme.

— Une âme ? Oh non, vous m’avez mal compris. Il s’agit de bien plus que ça. Depuis que ça a commencé, nous avons recensé au moins sept cas d’âmes bloquées.

— Sept cas ? En même temps ? Ça, jeune homme, c’est impossible.

— Impossible ?

— Oui, ça ne peut pas arriver.

— Je connais le sens de ce mot. Mais pourquoi c’est impossible ?

— Parce que les âmes vivent très longtemps et il n’y a aucune chance que deux âmes aient exactement le même âge. Comprenez ?

— Donc ce que vous dites, c’est que ça serait normal si on avait une âme qui se bloquait pas décennie ?

— Plutôt par siècle.

— Pourtant, c’est ce qui est en train d’arriver. Et j’ai entendu dire que les formes de vie commencent aussi à le ressentir. Les plus perceptifs sont déjà en train de crier à l’apocalypse. Bon, comme les plus perceptifs sont généralement enfermés dans les asiles, personne ne les prend au sérieux. Mais quelque chose est en train de se passer avec les âmes. Quelque chose de grave.

— Oui. Oui… Laissez-moi chercher. Et revenez… Demain ?