14. Parle trois et tu liras quatre

Par Jowie
Notes de l’auteur : modifié le 16/04/2020

Eleonara garda l'affaire du Mizmar pour elle-même. Si Sebasha était une Vendeuse de Secrets, il y avait de fortes chances que ses tablettes de cire fussent des comptes-rendus de ses consultations. L'elfe ne voulait pas que les secrets des Nordiques finissent dans un registre mysticophile. Et dire que le code des tablettes renfermait le savoir des Troyaumes... Était-ce sûr ? Sur un continent avec autant d'analphabètes, c'était probable. Si ça se trouvait, les Mysticophiles utilisaient même plusieurs codes.

Tandis que Razelhanout préparait le couscous au milieu de sa végétation domestique tout en se plaignant de l'énième affront de Voulï, Eleonara, accoudée au comptoir du magasin, contemplait le contre-plat de son recueil de vocabulaire nordique, là où elle avait inscrit sa liste d'hypothèses.

 

I. Agnan et Sgarlaad – et Errmund, mais on s'en contrefiche – sont morts.

II. A. et S. sont encore en Opyrie, dans la même ville.

III. A. et S. sont encore en Opyrie, mais plus dans la même ville.

IV. A. et S. ont quitté l'Opyrie par la vallée du Rêve.

V. A. et S. ont quitté l'Opyrie par le désert de la Calavère.

 

Elle raya la deuxième et la troisième phrase et inséra, un peu plus bas :

 

VI. Agnan, Sgarlaad et/ou Errmund ont quitté Arènes à bord du Mizmar. Destination : un autre port opyrien.

VII. A., S. et/ou E. ont quitté Arènes à bord du Mizmar. Destination : l'Einhendrie.

 

Eleonara laissa reposer son calame de côté et soupira. L'avancée de ses recherches auraient dû la réjouir ; elle avait pourtant envie de pleurer. À elle seule, Arènes était une imposante place pour jouer à cache-cache ; l'aire d'investigation venait toutefois de s'élargir non pas à l'Opyrie, mais aux deux tiers des Troyaumes. Était-elle venue à Arènes pour rien ?

Elle se ressaisit. Il lui fallait un relevé de tous les ports auxquels s'arrêtait Le Mizmar. C'était le seul moyen d'avoir une idée d'où les Nordiques auraient pu débarquer. Ensuite, elle éliminerait les possibilités en se renseignant auprès des bateleurs – et des Mysticophiles, si besoin. Aussi, il lui faudrait s'assurer que « le type » qui avait offert le luth au bateleur était bien Sgarlaad et pas un chaînon supplémentaire.

Eleonara rangea son cahier et, se pliant sur son ventre gargouillant, posa son front sur le comptoir. Avoue-le, la nargua sa petite voix intérieure. Tu as autant peur de les retrouver que de ne plus jamais les revoir. Comment leur expliqueras-tu ce que tu as fait ? Et surtout, que penseront-ils de toi ?

L'elfe la congédia. Elle avait besoin de cette enquête désespérée ; chercher était se distraire, une ruse pour dévier ses peurs, ses doutes, ses remords. Chercher – que ce fût les Mikilldiens ou Hêtrefoux –, chercher donnait du sens à ses journées.

Mais la petite voix avait raison. Renouer avec ses amis signifierait dévoiler le pourquoi du comment elle avait atterri en Opyrie.

Tu t'es ramollie. Ne vois-tu pas que cette terre humaine te corrompt ? Il est grand temps de rentrer à la maison.

Oui, peut-être en était-il mieux ainsi : qu'ils ne se retrouvent pas. Ce serait moins douloureux ; elle garderait un bon souvenir d'eux et vice-versa. Elle s'informerait sur leur destination, puis focaliserait dès lors ses efforts sur le message de Hêtrefoux. Le plus vite elle quitterait Arènes, le mieux. Assombris par la nuit, ses portraits affichés dans toute la ville lui rappelaient que le temps était compté.

Sans le remarquer, elle s'était mise à triturer son pendentif, l'Œil de Diutur. Elle le considéra entre ses doigts. « Suis-je lâche ? »

Juste avant de jeter la fleur jaune dans la soupe aux lentilles des nonnes, Eleonara avait prié Diutur de fermer Son Œil. Une requête ironique pour un œil toujours alerte qui ne se fermait jamais. La désossait-il à l'instant même de Son regard, lisant les secrets de ses cellules, de ses entrailles et de ses pensées ? Insignifiante et éphémère devant une vie qui n'avait ni début ni fin, elle n'était qu'un voile infime pour Lui, qui pourtant ne l'avait pas foudroyée. Il n'y en avait pas eu besoin, puisqu'elle s'était foudroyée toute seule.

— Tout ce temps, je croyais que je devais mes boutons à Toi. Mais il n'en tient vraiment qu'à moi.

Sa spirale de ses pensées ne tarda pourtant pas à l'enserrer. Pourquoi diable la Dame lui avait-elle tu la fleur jaune et ses effets ? Elle aurait pu lui économiser tant de misère ! Ce que des jouvencelles auraient coincé dans leurs cheveux ou offert en gage d'amour avait creusé un fossé en elle. Quel usage les elfes avaient-ils prêté à ce renoncule d'or ? L'avaient-ils manipulé plus adroitement et à des fins plus nobles ? Avaient-ils expertement évité de se blesser pour ne pas en créer ? Ou alors...

Elle mourait d'envie de questionner les Mysticophiles à ce sujet, mais ne se le permettait pas. Ils la savaient Langue Alanguie et les visiter était suffisamment risqué en soi.

L'alchimiste avait été le seul à lui fournir de vraies réponses à ce sujet. Avait-il été plus informé que la Dame ? Les traits de cette femme-souvenir s'étaient déformés sous les outils du temps, tout comme ses mots qui se mélangeaient, changeaient de sens et dont l'exactitude larmoyait. Eleonara avait connu cette amie entre les quatre murs d'une prison, mais qui avait-elle été à l'air libre ? Avait-elle marché parmi les Hommes ou demeuré dans l'ombre de Hêtrefoux ? « Tu me remplaceras, avait-elle dit. Retrouve les tiens. » Avait-elle songé un instant à quel point ce serait difficile ? Hêtrefoux était gardée jour comme nuit et grouillait de Sylvains trop heureux de circonscrire la triste forêt avec des feux de joie.

Une fin à ses interrogations, Eleonara ne demandait que ça. Avait-on appointé une nouvelle Abbesse au Don'hill ? Qu'était devenue Sœur Melvine ? Si la Chouette venait à connaître la vérité...

L'elfe pressa ses mains contre ses tempes. Elle pensait à trop de choses à la fois.

En relevant la tête, elle surprit son reflet dans l'argent de la balance trônant sur le comptoir. Un reflet perdu et strié de rouge.

Les Taberné, les moniales, les humains : elle avait haï tant de monde ; or cette rancœur d'antan s'était rassie et secrétait à présent une saveur de décomposition sur sa langue.

Une odeur appétissante et salée émanait de la salle de préparation, causant un redoublement de borborygmes dans le ventre d'Eleonara. Bientôt, le repas serait servi. Malgré son allèchement et sa faim, l'elfe ne put s'empêcher d'imaginer une soupe aux lentilles.

« Tous les maudits sont les enchanteurs de leur propre malédiction. La malédiction ne dépend que de toi. » Elle s'était condamnée à se tracasser, à vivre pour regretter, à ne jamais connaître la paix à cause d'une faute indélébile. Mais ça ne devait pas être comme ça. Elle pouvait s'en libérer. Il ne restait plus qu'à savoir comment.

— Qui veut du mouton aux amandes ?

Razelhanout fit son entrée avec son plateau d'étuvées chaudes et de soupe aux pois chiches et, trouvant son assistante dans une position de fœtus tordu, le front collé au comptoir, il cligna des yeux.

— Tu ne viens pas m'aider à mettre les tapis et les cuillères ?

Avec un marmonnement, Eleonara se traîna jusqu'à lui et l'aida à dérouler les nattes et à disposer les plats et les couverts.

Dehors, les bourrasques s'enfilaient par les artères des quartiers en sifflant. La porte de la pharmacie vibra, s'agita, se secoua. Son rideau dansa et se souleva pour laissa entrer un coup de fouet qui souffla les lampes à huile, plongeant Eleonara et Razelhanout dans le noir absolu.

Le pharmacien se leva et, en grommelant, alla chercher des allumettes. Épaisse et cajoleuse, la nuit accueillit l'elfe dans ses bras froids, dans une bulle de vent la coupant du bruit d'une ville qui ne dormait jamais.

Elle scella ses paupières et s'imagina les visages de chacune de ses consœurs, une par une, supérieures comme novices, ainsi que des moines-soldats que la fleur jaune avait touchés.

— Pardon, sanglota-t-elle tout bas. Pardon.

La nuit lui promit que personne ne la verrait pleurer. Aussi Eleonara se dépêcha de sécher ses larmes à l'aide de ses amples manches. Quand elle soupira, sa poitrine lui sembla plus légère déjà.

Une à une, les lampes à l'huile reprirent vie, brillant comme des astres dans la nuit. Les ayant toutes rallumées, Razelhanout attrapa un bol de couscous et s'assit en tailleur, adossé au comptoir.

— Méchante brise, il ne manquait plus que tu me nuise. Oh, ça rime !

Les cils d'Eleonara ne tremblaient plus. Seul son cœur battait, fort et nerveux. Elle lâcha un rire discret. Le torse bombé, Razelhanout leva sa cuillère vers le toit tel un artiste inspiré. Le dos droit, les jambes croisées, une paume sous son bol et l'autre autour de sa cuillère, il ne manquait plus qu'il fermât les yeux pour méditer.

— Je dois être un génie, conclut-il.

— Pourquoi y a-t-il un poney mikilldien dans notre arrière-cour ? s'enquit soudain une voix rauque.

Les oreilles d'Eleonara tiquèrent et se seraient dressées si elle n'étaient pas étranglées. En lorgnant par-dessus son épaule, l'elfe s'offrit une vue contre-plongeante d'une Sebasha enveloppée dans un burnous grumeleux. Elle paraissait essoufflée, à croire qu'elle avait couru depuis le quartier opposé. Travaillait-elle dans le mysticopolium d'un secteur éloigné ? Ça aurait expliqué pourquoi elles ne s'étaient pas encore rencontrées au-dessus d'une table hexagonale. Et tant mieux.

Eleonara étira ses lèvres sur le plus grand sourire qu'elle put simuler.

— Oh, ça ? C'est un cadeau d'anniversaire. Que je me suis offert. Moi-même. Avec mon salaire.

D coin de l’œil, elle crut voir Razelhanout cacher son nez dans son bol.

— Je ne savais pas que tu avais un anniversaire, lâcha Sebasha, un sourcil arqué.

— Bonsoir toi-même, bougonna le pharmacien. On se pointe comme ça à l'improviste alors qu'on n'a pas donné de signe de vie depuis son déménagement ? Non mais !

— J'ai jugé plus sage de me séparer d'Eleonara quelques temps puisque nous sommes toutes deux recherchées.

Sebasha claqua des doigts, priant Eleonara de s'attabler au comptoir, pourvue de son matériel à écrire. L'elfe ne bougea pas ; continuant à engloutir son repas. Elle espérait que la Chevaucheuse de dunes ne remarquerait pas les bordures rougies de ses paupières. Elle savait ce que cette mâchoire tendue et ses cornées lustrées signifiaient. Une nouvelle tâche.

— Franchement, Sebasha, rouspéta Monsieur Razelhanout, ce n'est pas le moment de scribouiller. On allait entamer le souper ! Et pourquoi n'as-tu pas secoué ton burnous avant d'entrer ? Tu vas éparpiller du sable, de la poussière et je ne sais qu'elle autre cochonnerie partout !

La Peau Sombre soupira et sortit pour fouetter sa cape contre une façade. À son retour, ils se restaurèrent tous ensemble et Eleonara jugea cette convivialité fort agréable. Une fois les tapis débarrassés, les plats lavés et rangés, l'elfe reprit sa place au comptoir.

À défaut de tablettes, l'Opyrienne produisit une gourde de cuir qu'elle déboucha et inclina, goulot vers le bas. Eleonara s'étonna de ne voir aucun liquide en découler. Sebasha agita la gourde d'un coup sec, les canines serrées. Chuta alors sur le bois du comptoir un tube de papier enroulé. Elle l'étira et posa des poids sur ses extrémités afin de l'empêcher de se rembobiner.

— À toi de jouer, scribe.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda Eleonara, bien qu'elle crut savoir.

Sebasha abaissa sur elle un regard tel que l'elfe ne lui avait jamais connu. Ni incisif, ni moqueur, ni impatient,ni hilare. C'était un regard pétillant d'un semblant d'intérêt, de curiosité affamée, voire d'admiration. Le blanc de ses yeux était trop visible ; l'arche de ses sourcils redessinés trop courbe ; sa bouche tatouée trop dans l'expectative ; son front trop plissé.

— Tu te souviens du billet que je t'avais montrée alors que nous voyagions encore avec les Harassi ? Un deuxième nous est parvenu via le même qanat. Cette fois, je te confie l'original, tel que tu me l'avais demandé. Espérons que cela te donne plus d'indices.

La Chevaucheuse de dunes parlait comme si elle prenait un risque immense, un risque interdit. Restée pantoise, Eleonara murmura un « merci » et remarqua à peine quand l'Opyrienne s'isola avec Razelhanout dans son officine.

Une fois seule, l'elfe saisit le billet pas plus large qu'un auriculaire et pas plus long qu'une paume pour le retourner entre ses doigts. Ce n'était pas du parchemin, ou du moins, pas tel qu'elle le connaissait. Non, ce n'était définitivement pas du vélin, mais plutôt ce que les humains de l'Ancien Temps avaient baptisé « papyrus ». Tout de même, cet échantillon se différenciait des papyrus classiques. Sa surface grège était trop rugueuse, trop bossue, texturisée et parcourue de veinures. La matière, quelle qu'elle fût, était encore humide. Elle sentait le mouillé avec un vague soupçon de fumée. Eleonara approcha le message d'une bougie et comprit : les irrégularités étaient dues à la superposition de feuilles ovées et séchées, ainsi qu'à leurs nervures et leurs marges.

Lorsqu'un cercle de fumée s'éleva devant elle et que la senteur de brûlé lui piqua les narines, l'elfe éloigna le billet de la flamme, manquant tout juste de l'incendier. Heureusement, personne ne l'avait vue.

La lettre, si c'en était une – rien n'éliminait la liste de courses, après tout – avait été rédigée à l'aide d'une espèce de résine. Les symboles inspiraient une familiarité floue, comme pour le premier billet. S'agissait-il réellement d'un code ? Elle compara les deux missives. Il s'agissait bien du même alphabet et de la même écriture. À les observer côte à côte, elle avait presque l'impression de pouvoir saisir quelque chose, sans savoir quoi, exactement. Oui, elle en était convaincue : quelque chose dans la structure ou la syntaxe lui évoquait de la familiarité ; pas seulement les caractères opyriens. Elle retourna le deuxième billet et trouva, sans surprise : Parle trois et tu liras quatre.

L'elfe caressa la chair du papyrus de l'index, avant de placer le billet entre sa lèvre supérieure et la cloison de son nez. Espérant reconnaître le parfum vieillot, poussiéreux et boisé typique des manuscrits monastiques ou le ton animalier et épicé des rouleaux de Sebasha, Eleonara écarquilla les yeux, incapable de décrire ce qu'elle respirait et pourtant, elle aurait pu jurer de la connaître, cette odeur. Elle ferma les paupières et se concentra, exactement comme lorsqu'elle cherchait à focaliser son ouïe sur un seul son. Elle inspira, bloqua sa respiration pour goûter l'air, expira et recommença. Les éléments se séparaient, un à un. Roche. Eau. Sel. Froid. Temps. Fumée. Et, à la fin, une note sucrée qui, aussitôt humée, disparut.

Sous son turban, ses oreilles frétillèrent. Était-ce l’odeur de Hêtrefoux ?

Eleonara se retourna avec un sursaut. Sebasha et Razelhanout se tenaient à l'encadrement de la salle de préparation et l'observaient avec l'intensité d'enfants épiant un mulot dans les hautes herbes. Pris en flagrant délit, le pharmacien voulut se dissimuler avec le rideau de perles qui, manque de chance, se décrocha et s'écroula sur lui. Les colliers de bois se cassèrent et une centaine de boulettes se retrouvèrent à rouler-bouler dans toutes les directions, à se coincer dans les coins, à se cogner, à rebondir contre les murs et les meubles en ronronnant.

Un craquement aussi sourd qu'atroce parvint alors depuis l'armoire. Les frères Louroum s'étaient réveillés si soudainement que l'un d'entre eux s'était tapé la tête. Ils ronchonnèrent quelque peu, puis se remirent à ronfler.

Tandis que tous hormis les Louroum ramassaient les perles à genoux en les empilant dans leurs poches et le plis de leurs robes, Sebasha accosta sa scribe, assez proche pour lui frôler l'épaule.

— Mille pardons pour t'avoir déconcentrée. Ce sera la dernière fois, promis.

 

Entourée de feuilles de brouillon gribouillées d'essais ratés, de son tableau récapitulatif et de calames de diverses tailles, Eleonara puisait dans ses dernières heures éveillées pour étudier les billets. Ses doigts étaient maculés d'encre et la fatigue rendait ses gestes de plus en plus maladroits.

Tour à tour, Sebasha et Razelhanout lui souhaitèrent bonne nuit, à quoi elle répondit par la pareille, sans faire attention à l'absurdité de leur échange. Bon matin aurait été plus approprié : il serait bientôt cinq heures. Sebasha se retira chez elle et Razelhanout ouvrit l'armoire, prêt à négocier une place avec les Louroum, qui s'étiraient et s'accrochaient encore à leurs traversins. Peu désireuse d'être dans leurs pattes, l'elfe emporta discrètement ses affaires sur le toit.

Ce qui était sûr, c'était que les caractères étaient dérivés de l'opyrien ancien. Sauf que les symboles se reliaient d'une manière qui faisaient mal aux yeux à une fervente étudiante de la langue morte de l'Opyrie. Et si elle lisait ces billets à l'envers ? Elle tourna les messages dans ses mains, encore et encore. Effectivement, elle les lisait de droite à gauche, comme pour l'opyrien ancien « classique », or cette variante-ci devait se lire de gauche à droite, comme l'einhendrien.

Le bec de son calame demeura en suspens. Et dire qu'elle avait l'aptitude d'écrire grâce à Dalisa qui lui avait fait déchiffrer des phrases telles que « Je suis une pouilleuse et dégoûtante ordure » et « L'ail est mon parfum ». Par chance, elle avait pu raffiner ses compétences au monastère. Que la vie regorgeait d'ironie. Sans cette souffrance, elle n'aurait jamais eu accès à sa plus grande passion.

Les langues des Troyaumes la fascinaient. À quelle époque les avait-on inventées ? C'était comme si, un jour, derrière chaque frontière, une poignée d'autochtones avait tout mis en œuvre pour se distinguer au travers d'un art communicatif assez compliqué pour qu'eux seuls pussent se comprendre et s'exprimer sans fourcher. L'écriture de l'einhendrien et de l'opyrien était alphabétique ; le système mikilldien, lui, était syllabique. L'einhendrien s'écrivait de gauche à droite, le mikilldien de haut en bas et l'oyprien ancien de droite à gauche.

La clef commença à faire sens. Parle trois et tu liras quatre. Et si elle s'était égarée depuis le début ? Et si la phrase se référait non pas à des paroles ou des caractères, mais à des langues ? Après tout, les langues pouvaient aussi bien être parlées, lues et comptées... « Parle trois langues et tu en liras quatre », formula Eleonara pour elle-même. Ce n'était pas si absurde. Ça expliquerait pourquoi l'écriture lui évoquait une telle familiarité : ce n'était pas un code. Se pouvait-il qu'elle eût affaire à un mélange de plusieurs langues ! Des symboles opyriens, un sens de lecture einhendrien ; c'était possible.

Même dans le bon sens, hélas, le texte, bien que plus harmonieux, gardait son absurdité sans nom.

 

Le soleil pointa à l'horizon, saignant. Eleonara bâillait continuellement et sentait l'exténuation creuser autour de ses yeux. Elle ne connaissait que l'alphabet opyrien, einhendrien et mikilldien. Et si ce n'était pas le bon trio ? Et s'il lui manquait une langue, plus ancienne par exemple ?

Elle s'interdit de baisser les bras ; elle approchait le fin mot de l'affaire. Lorsque la vie des Diurnes prit le dessus, Eleonara dodelinait de la tête, mais ça lui était égal.

Dans un ultime effort contre l'assoupissement, elle remplaça dans un mot du premier billet – ou, ce qui lui semblait être un mot – chaque lettre opyrienne par la lettre einhendrienne qui correspondait au même son. Eleonara soupira et se frotta les yeux avant de les laisser se confronter à ce qu'elle avait retranscrit sur son brouillon. Encore une fois, le résultat n'avait ni queue ni tête. Grisée par la frustration et désinhibée par l'appel du sommeil, l'elfe lut son échec à haute voix, prête à rire de ce pseudo-mot.

— Elp-hicssillaa !

Elle ne rit pas du tout. Le ricanement de désespoir qu'elle avait préparé avait rendu l'âme dans sa gorge.

Elp-hicssillaa.

Son ventre se changea en brasero. Le soulagement la recouvrit comme une liasse de mouchoirs lancés au vent. Le sourire aux lèvres, elle se laissa tomber en arrière, s'affala sur sa natte et accueillit le sommeil avec gratitude. Sa trouvaille était si singulière que sur l'instant, elle se crut déjà en plein rêve. Elle avait lu des lettres einhendriennes qui, à haute voix, s'avéraient être une piètre phonétisation d'un terme mikilldien : Älbxila.

Elle n'avait pas décrypté un système d'écriture, mais presque.

Elle avait traduit un seul mot et ce mot signifiait « ELFES » en nordique.

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Aliceetlescrayons
Posté le 20/04/2020
Coucou Jowie,
je continue à faire deux chapitres d’un coup ;)
Je pensais que les Mysticophiles étaient une caste particulière d’Arènes, donc que tu naissais comme tel. Je ne sais pas trop pourquoi je me suis mis ça dans la tête mais du coup, je pense que ce serait peut-être pas mal de préciser que n’importe qui peut être un Vendeur de Secret? Ou d’expliquer comment on en devient un? (si tu l’as fait, mille pardons… je mets trop de temps entre deux lectures… -_- )
Pour la suite, je trépigne ^^ Comme prévu, Elé s’est mise dans le pétrin avec les Mysticophiles mais je trouve qu’elle ne s’en est pas si mal tirée (pour le moment). J’aime beaucoup la façon dont ils font de la rétention d’informations l’air de pas y toucher…
La baisse de forme d’Elé intervient au bon moment, je trouve, elle est cohérente avec la baisse de moral qui suit ses découvertes sur les Nordiques (un grand haut, puis un gros bas…)
Quant au nouveau message, rhaaa! Elle a trouvé le code mais tu nous lâche pile au moment où on pourrait en savoir vraiment plus ;p Mais c’est bien joué parce qu’on n’a qu’une envie, c’est sauter sur le prochain chapitre ><‘
A très bientôt du coup :D
Jowie
Posté le 23/04/2020
Salut Alice :)
Merci pour avoir partagé avec moi tes réflexions sur les Mysticophiles. C'est vrai que je ne l'ai pas expliqué. La vérité, c'est qu'il y a plusieurs façons d'en devenir un et j'en parle plus tard dans l'histoire ^^
Oui, Eleonara patauge toujours plus chez les Mysticophiles mais arrive encore a garder la tête au-dessus de l'eau ! Et oui, les Mysticophiles connaissent bien leur métier et leur matière; ils ne donnent jamais plus de ce qui leur convient ^^

L'humeur d'eleonora ressemble à des montagnes russes. Des fois je me demande si je ne devrais pas lui offrir des vacances à la plage, comme ça je peux me reposer de ce slalom émotionnel xD
Ahhh je vois que la révélation et le cliffhanger ont bien marché, c'est super !

Merci beaucoup pour ton commentaire ! J'espère que la suite te plaira !
Sorryf
Posté le 11/04/2020
J'ai été un peu débordée par ma PAL, je rattrape tous tes chapitres d'un coup, du coup je fais un seul commentaire sur les 4 derniers, désolée !

D'abord, le chapitre de Melvine, je l'ai vraiment beaucoup aimé ! Le coup de la poisse qui s'annule, je sais pas si c'est vrai ou quoi (cette histoire de poisse me parait un peu proche de la superstition) mais j'adore que ces deux poissards se portent chance xDDD C'est trop mignon !!

Retour a Arènes : ces 3 chapitres étaient plein de péripéties ! on en voie mieux sur les vendeurs de secrets, et je trouve ça fascinant, c'est vraiment une idée de génie, j'ai adoré toutes leurs apparitions !
(question : comment ils se financent ? Parce que un secret c'est beau mais ça remplit pas la marmite si ? En plus ils ont pas l'air de se faire une marge, vu que les secret demandés et fournis sont équivalents. Cela dit, ils peuvent vendre chaque secret autant de fois que c'est demandé, alors qu'ils ne les achètent qu'une fois, donc en secrets c'est rentable... mais en alimentaire ? Est-ce que les Vendeurs font ça bénévolement et ont un métier a coté? Est-ce qu'ils sont rémunérés par un fond public ? Comment je me suis retrouvée a me poser toutes ces questions ? O.o)

VOULIIIIIII \O/ Trop trop trop heureuse que Elé l'ait acheté, même si j'ai eu bizarrement un peu de peine pour lui, entre les mains d'une personne qu'il déteste ! mais Elé va lui retrouver ses maitres j'en suis sure !

"désilllusionait" -> je sais pas si ça se dit, mais meme si oui, je trouve que c'est pas très joli. C'est évidemment juste un gout perso

" -Qu'était-il est écrit sur l'objet recherché par l'ambassadeur du Nord ? "-> un "est" en trop

" La première est fastidieuse et ne garantit pas une paix d'âme définitive. Il s'agit du long chemin de la rédemption. La seconde est facile, rapide, efficace et absolue. C'est la mort" -> Woaaa ! *v* j'adore !
Jowie
Posté le 13/04/2020
Salut Sorryf ! Contente de te revoir par ici !
je suis dans la même situation que toi, je me noie dans ma PAL et j'essaie de tout rattrapper xD
J'avais peur que le concept particulier de "poisse" tel qu'il est décrit dans les Troyaumes soit un peu confus mais tout le monde a bien réagi ! *s'offre un chocolat comme récompense * Tu as raison, cette histoire de malchance n'est pas soutenue par des constats scientifiques mais elle est très très encrée dans les superstitions einhendriennes ^^ Même les personnages avec leur tête sur les épaules y croient !
Ta remarque à propos des Vendeurs est très pertinente ! C'est un point qui n'a pas été abordé pour l'instant. Je pensais en parler plus tard dans le tome, mais comme ce n'est pas un spoiler, je peux te le dire maintenant : certains Vendeurs ont une double vie, dans le sens où ils ont deux métiers, surtout pour cacher leur "vrai" rôle que pour recevoir des sous. La guilde reçoit énormément de dons, parfois sous forme d'argent, mais également sous forme de nourriture, objets, etc.

En effet, on pourrait si Voulï n'aurait pas mieux fait de rester chez l'éleveur xD

Oh et merci pour avoir soulevé les phrases qui t'ont particulièrement plues ainsi que les coquilles (je vais corriger ça tout de suite !)
Merci pour ton commentaire <3
Isapass
Posté le 11/04/2020
Alors déjà quand j'ai lu le titre du chapitre, j'étais surexcitée ! Enfin, Elé va décoder le message !
Bon, je me suis réjouie un peu vite puisque je ne sais toujours pas ce que dit le message (ni le second, du coup), mais ça y est, Elé a trouvé la clé et ce n'est qu'une question de temps ! Du coup, le temps va sembler long jusqu'au prochain chapitre !
J'ai dévoré celui-ci, encore une fois, même si finalement, il se passe beaucoup moins de choses que dans le précédent. Mais c'est pas grave, parce que tu l'as centré sur le décodage des parchemins et tu as réussi à faire monter la tension de façon géniale. Du coup, on a l'impression de lire une scène d'action avec un suspense insoutenable ! C'est très fort ! L'arrivée de Sebasha fait oublier ses états d'âme à Elé (d'ailleurs , le début est très bien pour montrer qu'elle est encore bien obsédée par sa "malédiction", et c'est aussi très intéressant qu'elle se demande si elle veut vraiment revoir ses amis ou s'il vaut mieux qu'ils ne se souviennent que de ses "bons côtés").
Et à partir de là, on est complètement focalisé sur l'espèce de combat que mène Elé contre le parchemin. J'ai adoré l'interruption avec le rideau de perles qui tombe sur Razelhanout ! C'était drôle mais frustrant aussi parce qu'on a l'impession qu'elle tenait quelque chose et que ça risque de lui échapper.
On voit aussi que pour la première fois, Sebasha lui fait complètement confiance et qu'elle compte même à fond sur elle !
Ensuite, il y a l'arrivée du jour et de la fatigue qui donne l'impression d'une course contre la montre. Mais en fait, ça illustre la vraie course contre la montre : Elé ne doit plus rester trop longtemps à Arène, sinon elle finira par se faire arrêter !
Bref, à part mes pinaillages habituels ci-dessous, je n'ai aucune critique à faire. J'ai A-DO-RE ce chapitre. Même après avoir écrit ce commentaire, je suis encore impressionnée et teeeeellement impatiente de connaître la suite ! Y a-t-il moyen de te soudoyer pour ne pas attendre une semaine ? XD

Détails :
"Aussi, il lui faudrait s'assurer que « le type » qui avait offert le luth au bateleur était bien Sgarlaad et pas un chaînon supplémentaire." : ah ! exactement mon hypothèse ! J'ai la même logique qu'Elé, il faut croire XD
"Renouer avec ses amis signifierait dévoiler le pourquoi du comment elle était atterrie en Opyrie. " : elle avait atterri
"Combien de temps leur résisterait-elle ?" : je ne suis pas sûre de comprendre à qui correspond ce "leur". A ses amis ? Du coup, pourquoi résister ? Ce n'est pas comme s'ils allaient la torturer. Je pense qu'il faudrait préciser.
"— Suis-je lâche ?" : cette réplique et la suivante laisse penser qu'elle se parle à voix haute. Est-ce le cas ? Est-ce qu'il n'y a pas Razelhanout juste à côté ?
"Il n'y en avait pas besoin, puisqu'elle s'était foudroyée toute seule." : Il n'en avait pas eu besoin ?
"Mais avait-on appointé une nouvelle Abbesse au Don'hill ?" : je ne comprends pas pourquoi cette phrase commence par "Mais". Je ne vois pas la logique par rapport à la phrase précédente.
"La nuit lui promit que personne ne la verrait ni l'entendrait pleurer. " : ni ne l'entendrait pleurer (oui, c'est moche, mais je crois qu'il faut le mettre comme ça)
"Le dos droit, les jambes croisées, une paume sous son bol l'autre autour de sa cuillère, il ne manquait plus qu'il clôt les yeux pour méditer." : il manque une virgule ou un "et" entre "bol" et "l'autre" + j'ai cherché l'imparfait du subjonctif du verbe clore parce que la concordance des temps me paraissait bancale dans ta phrase? Ce n'est pas "clôt" mais "closît", et il est très peu utilisé. Personnellement, je comprends pourquoi c'est très peu utilisé, vu que c'est quand même hyper moche. Sinon, il y a "fermât", qui est bien aussi... XD
"Travailler dans le mysticopolium d'un secteur éloigné ? " : pas super convaincue par cette phrase à l'infinitif à cet endroit-là. Pourquoi l'infinitif ?
"— Oh, ça ? C'est un cadeau d'anniversaire. Que je me suis offerte. " : que je me suis offert (tu dois accorder avec "cadeau d'anniversaire" : pour les verbes pronominaux, l'accord du participe passé se fait comme pour le verbe avoir. D'ailleurs, tu peux remplacer pour être sûre : C'est un cadeau d'anniversaire que j'ai offert à moi. Donc tu accordes avec le COD placé avant. Oui, je sais, c'est la merde, ces verbes pronominaux)
"Sa surface grège était trop rugueuse, trop bossue, texturisée et parcourue de vascularisations." : veinures ? vascularisations fait quand même très médical et moderne (mais c'est du pinaillage, on est d'accord XD)
A très vite !
Jowie
Posté le 13/04/2020
Hey Isa !
Oh oui pardon pour ce suspens qui se rallonge (et ce Razelhanout qui choisit le meilleur moment pour casser son rideau haha). Comme d’hab, je ne voulais pas tout révéler d’un coup, mais tu connaîtras le contenu des messages trèèèèès bientôt :D
Je suis ravie que la scène du décodage t’ait parue pleine de suspens ! C’est vrai qu’ici, rien n’explose et personne ne se court après, l’action étant plutôt intellectuelle, mais c’est un moment très important pour Eleonara ^^ Elle a ouvert une porte pour en apprendre plus sur Hêtrefoux mais elle a également confirmé qu’elle possède une compétence précieuse que Sebasha, malgré son savoir de Mysticophile, ne détient pas.
Merci beaucoup pour tous ces mots gentils <3 Tu peux me soudoyer en me donnant du fromage (j’ai un amour très prononcé pour le fromage xD). J’ai les cours cette semaine alors je ne sais pas si j’aurai le temps de relire/retravailler le prochain chapitre avant le weekend mais je ferai de mon mieux 😊
Merci infiniment pour tes pinaillages, moi je les aime bien, je ne peux pas m’en passer et ça me permet de rire de mon propre texte parce que certains de mes choix de mots sont…bizarres xD

A tout bientôt !
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