Allongée sur le côté dans son lit, Marie regarde le mur, prostrée. Son esprit repasse les deux dernières heures de jeu, comme un cauchemar qui n'en finit pas.
Liem a organisé un match entre challengers. C'était censé être amical. Elle s'est vite rendu compte qu'elle avait sous-estimé la communauté. Ça a commencé par Draz, l'ADC adverse. Non content de l'avoir déstabilisée dans le canal vocal avant la partie, il a multiplié les piques dans le chat pendant cette dernière. Liem lui a dit de couper le canal de discussion, mais elle l'a fait trop tard, après avoir vu :
– J'espère qu'elle te rémunère en nature pour les séances d'entraînement !
Elle a eu un mal fou à rester concentrée, et, sans surprise, Draz lui a fait mordre la poussière. Liem avait sélectionné pour son équipe les membres les moins virulents, mais même ceux-là ont posé problème. Le midlaner s'est senti obligé de venir toutes les deux minutes sur la ligne du bas pour tenter de l'impressionner, déséquilibrant la partie. Le jungler s'est mis à soupirer qu'il devait passer son temps à surveiller le cadran du bas parce qu'il y avait clairement une « bot diff ». L'atmosphère était tendue, certains n'osant dire tout haut ce qu'ils pensaient tout bas, ce qui était presque pire que s'ils s'étaient exprimés.
Le débrief a été une torture. 2-0 en quarante-cinq minutes. L'équipe adverse a débarqué sur le canal en déclarant théâtralement que, si c'était ça le niveau des femmes aux jeux vidéos, elles pouvaient rester sur Candy Crush, ou dans la cuisine, ou toute autre allusion sexiste auxquelles ils ont pu penser. Liem n'a rien dit. Il s'est contenté de remercier tout le monde pour la partie et a quitté le serveur. Elle était furieuse contre lui, et n'a pas répondu à son invitation à rejoindre le vocal pour débriefer. Elle n'a pas lu les messages qu'il lui a envoyés après coup.
Elle étouffe un sanglot. Elle refuse que les larmes coulent. Pourtant, chaque fois qu'elle les combat, elle sait qu'elles vont finir par arriver. Mais pour l'heure, les sentiments sont cadenassés. Elle ne veut penser à rien, mais, bien sûr, elle n'y arrive pas. Les images repassent dans sa tête. Le premier sang contre elle. Draz qui lance des emotes sur son cadavre. Le toplaner adverse qui lui tombe dessus implacablement pendant les combats de groupe. Et ces mots qui font si mal, ces expressions de mépris qu'elle peut deviner sur les visages de chacun.
Il m'avait prévenu. Je n'ai pas ma place dans cette communauté.
Elle reste là pendant de longues heures, alors qu'elle devrait être en cours. Ou en train de réfléchir à l'université dans laquelle elle veut aller en double diplôme, ou le pays exotique dans lequel elle souhaite faire son année de césure. Elle reste là à se lamenter pour un jeu qui ne lui apportera rien de bon sur le long terme. Liem a mis un point d'honneur à lui expliquer. Même si elle avait le niveau mécanique, elle sait très bien qu'elle ne pourrait pas soutenir une telle pression extérieure.
Sauf que si tu abandonnes, tu leur donnes raison.
Une petite voix dans un coin de son esprit se rebelle, tente de décadenasser la frustration. Elle se demande si elle doit s'y accrocher. Elle revoit l'expression de Liem sur le quai du métro, le soir de leur rencontre, comment il lui a dit que son positionnement était hors norme. Hier soir, elle était trop troublée pour laisser son instinct s'exprimer. La pression a fortement altéré son niveau de jeu.
C'en est trop. Les vannes s'ouvrent. Les larmes commencent à couler, et avec elle la frustration. Et une fois celle-ci partie, il ne reste que la résolution, froide. Elle n'a pas dit son dernier mot. Elle se jure de travailler jusqu'à ce qu'elle soit en mesure de mettre sa pâtée à Draz, et qu'elle puisse lui faire remarquer que, si besoin elle peut lui revendre son compte Candy Crush. Elle se redresse résolument et prend le téléphone. Liem ne croit probablement plus en elle, mais elle doit essayer de le convaincre de continuer. Elle déverrouille le téléphone et se prépare à lui envoyer un message. Et lit les messages en attente de sa part :
– Si tu es encore en vie, et que tu crois toi aussi que ces types méritent l'humiliation, je serai connecté à partir de 18h30 ce soir.
C'est un plaisir de lire un tel commentaire après 15 scènes ! Merci beaucoup ! La suite arrive très bientôt, le roman est déjà presque complet ^_^"
Tu vas voir, la lutte contre les préjugés n'est pas finie.
Merci pour ce retour !
LX
Je suis super content que tu aies tout lu d'une traite, c'est parfaitement valorisant, justement ! Si tu ne peux/veux pas t'arrêter pour laisser un commentaire, c'est que l'histoire est prenante. Parfois l'absence de commentaire est un commentaire en soi ! :P
LX