Bon, petit problème.
Lazarus était vraiment beau.
Il n’avait pas même le mérite de l’être selon des critères propres, ou tout du moins, de manière peu conventionnel, non. Sa beauté, elle était classique, voir universelle. Des traits net et fin, à la symétrie exaspérante, des yeux bruns en amande, piquant dans leur manière d’être, une certaine impertinence dans les lèvres. Il était bien plus grand que dans mes souvenirs, mais se déplaçait avec une aisance presque gracieuse, complètement scandaleuse, le tout avec un costume bleu nuit sans aucun doute fait sur mesure.
Une statue étrusque vivante, somme toute.
Je me répétais, mais c’était vraiment exaspérant.
Heureusement dans cette affaire, il en avait particulièrement conscience, ce qui me rendait son sourire assez insupportable et probablement me permettait de garder les pieds sur terre. De toute manière, je n’avais pas le choix, je refusais de lui donner cette satisfaction là.
Il se donna pourtant un malin plaisir à tenter de me faire craquer, se montrant particulièrement avenant à son arrivée, baise-main à la clé, formules de politesse en veux-tu en voilà. C’était étudié ça, et une habitude, de toute évidence. Je devais avouer que ce dernier point me surprenait un peu. Toutes ces attentions étaient une montagne de preuves en matière d’intérêt féminin, et il aurait du en découler des petits ragots croustillant dans la presse à scandale. Toutes les feuilles de choux n’appartenaient après tout pas à Commodore, et cela m’étonnait que les petits papiers de la Vox populi ne s’y soient pas donné à coeur joie.
Ou alors n’avais-je pas prêté assez attention. Il y avait après tout bien eu ces quelques rumeurs au moment de son exil politique, qui peut-être n’étais pas entièrement à imputer à sa disgrâce, en fin de compte.
Mais quand on y réfléchissait bien, il n’Y avait jamais rien de Lazarus dans la presse, des résumés de discours et de votes mis à part, pas même un croquis.
Étrange- bref.
Je débattais un instant si j’avais intérêt à entrer dans la danse, à faire la chatte comme Madame Catherine appelait cela, peut-être jouer avec une mèche de mes cheveux, élever légèrement mon ton de voix. À sourire enfin. Il y avait des choses à revoir sur mon visage, mais je trouvais que mon sourire n’en faisait pas parti. À minima, cela le perturberait assez-
Maman n’aurait jamais fait ça de sa vie.
Il fallait dire, pensais-je en prenant place dans un fauteuil, que Maman n’avait que très rarement souris de son vivant. Les quelques exceptions avaient presque toute été réservées à mon père. Quand je lui avais demandé la raison, elle m’avait simplement répondu qu’on n’avait à disposition qu’un nombre limité de sourires, et en conséquence il était nécessaire de les utiliser avec parcimonie.
Au final, elle les avait tant économisé qu’elle s’en était allée avec un bon nombre en réserve mais j’avais fini par comprendre ce qu’elle voulait dire. Sourire à certaines personnes, c’est gâcher, et le gâchis, c’est mal.
De toute manière je n’arrivais jamais à sourire sur commande, donc si cela avait déstabilisé l’intéressé, cela aurait été de surprise, face à une grimace digne du meilleur des épouvantails.
« Comment souhaites-tu prendre ton thé? » Il demanda aimablement et mon estomac se tordit par réflexe.
Du thé, encore.
« Un peu de sucre, et du lait si possible. » Je répondis, de manière polie. Peut-être que cela masquerait le gout amère, voir le rendrait agréable. Madame Silverine avait déjà tenté une approche similaire, mais même par des temps meilleurs, le sucre avait été une denrée assez rare qu’elle utilisait prudemment.
Tout du moins as comme ce zigoto là, qui retira nonchalamment le couvercle de porcelaine de la sucrière et en retira une cuillère, pleine. Il ne tenta pas même d’en jauger le poids, ni même d’en évaluer le contenu du regard. On aurait dit que cela lui importait peu, et s’il n’en renversa pas, c’était davantage par habilité que par prudence.
Du sucre, il traitait du sucre blanc comme de la vulgaire farine de seigle.
Scandaleux.
« Tu sembles avoir un commentaire à me faire. » Il dit alors, en souriant.
« Rien d’intéressant, Monsieur Lazarus. » Je discar l’éclat dans son regard me remémora les paroles de Madame Regiris. Ma situation s’était relativement amélioré, inutile de le provoquer outre mesure.
Il eut un petit rire, avant de retirer de sa poche un petit flacon bleu nuit-
« La confiance règne, ma parole. » Je m’entendis ricaner à mon tour après avoir reconnu le mexo.
Bien.
Ma résolution de me calmer avait donc durée trois secondes.
On allait aller loin ma foi.
« Je crains que, précisément, ta parole soit un problème. Tu sembles déterminée à me prouver, continuellement, que je ne dois pas te faire confiance. » Il répliqua.
« Vous êtes arrivés depuis cinq minutes, il vous en faut peu quand même. »
« Je suis assez observateur pour être capable de rapidement me faire une idée de mon interlocuteur. Il est assez rare que je me trompe. » Il dit alors, avant de me tendre ma tasse au contenu argenté.
Il devait probablement éviter les miroirs alors, et Cassini merci, ça, je ne l’avais pas dit à voix haute. Je faisais des progrès, pas très folichons, mais à ma décharge, cet homme me hérissait la nuque. C’était comme si un petit murmure au fin fond de ma tête me hurlait.
J’en vins alors à me concentrer sur ma tasse et d’en boire une gorgée. C’était bien chaud, et le sucre adoucissait l’affaire, mais pas au point de faire disparaitre l’amertume des feuilles de thé, et donnaient même un gout métallique à la mixture. Ou bien était-ce le mexo qui réagissait mal avec le sucre.
Lazarus apparut satisfait de me voir boire sans broncher et se servit à son tour une tasse. Sans sucre, sans lait, sans rien, hormis du thé. Il existait donc des gens capables d’apprécier ça.
Fascinant.
« Alors, c’est quoi le programme? » Je demandais, quand pour ma plus grande surprise, Lazarus prit place en face de moi.
Non pas que je m’en plaignais, mais je ne voyais pas en quoi prendre le thé ainsi lui servirait, de quelques manières que ce fut, et tant qu’à faire, je préférais être un minimum prévenue de ce qui m’attendait.
« Tu es bien impatiente. »
« Je pensais que votre temps était limité. »
« C’est le cas, nous sommes en pleine campagne septentrionale, comme tu n’es pas sans l’ignorer. »
Ah, c’était probablement à cause de cela qu’il avait mis tant de temps à revenir. Cela devait être compliqué de rendre visite à sa kidnappée alors que le pays entier le scrutait sous tous les angles. C’était, en y réfléchissant bien, surprenant qu’il soit venu tout court. Nous nous trouvions, il me semblait bien, à une semaine du premier scrutin.
Et pas une seule cerne.
Scandaleux.
« Je suppose que cela se passe bien pour vous. » Je demandai alors.
« Qu’est-ce qui te fait dire cela exactement? »
« Vous avez l’air ravi. »
« Nous avions de grand espoirs pour ces élections, et jusqu’à présent, nous ne sommes pas déçu, en effet. » Il répondit « Es-tu déçue? »
« Déçue ne serait pas le mot que j’emploierais, mais l’esprit est là. »
« Quel terme employerais-tu alors? »
Je me mordis un instant la gorge. C’était tout de même assez injuste. Monsieur me demandait mon avis pragmatique et trouverait le moyen de s’en offenser. D’ordinaire j’aurais dit tant pis pour lui, mais, bien que cela me fasse mal, je n’étais pas la seule concernée.
Il fallait se calmer, ou prétendre le faire, en trouvant un mot assez proche du ‘ça fait chier’ qui souhaitait ardemment sortir, sans pour autant être aussi vulgaire.
« Dépité. Cela ne devrait pas vous surprendre outre mesure, vous êtes un parti hécatarchiste et je suis une omeg après tout. »
« En es-tu certaine? »
« C’est un peu votre ligne directive quand même, tout ce que vous dites- quoi? » Je tiquais, alors que je réalisais ce qu’il venait de dire.
Ma face dût être assez comique car il ne se retint pas de rire.
« Ma question est-elle si surprenante? » Il répéta alors.
Je ne comprenais pas.
« Vous n’avez pas arrêté de le dire, de le répéter, la dernière fois. » Je fronçais les sourcils, et je devais l’avouer, j’étais sincèrement curieuse d’entendre la logique farfelue qui l’Avait amené à cette conclusion, malgré toutes les preuves.
« Il m’arrive de me tromper. Il doit bien y avoir quelque chose pour que tu résistes de la sorte à la Voix, le fondement ne peut qu’être magique. »
Ma nuque se hérissa, la faute à une révolte sourde dans mes tripes. Évidemment, évidemment, il fallait probablement pour sa logique nulle que cela fut magique.
Quel blague.
«Non, impossible. »
« Oh c’est une certitude. »
« Peut-être vous vous trompez, vous avez vous même dit que cela vous arrivez. »
« Pas sur ce point, car il ne s’agit pas uniquement de moi, mais de générations de magiciens, des ésotériciens, érudits dans leur domaine. »
« Mais ils ont également tous dit que rien ne pouvait permettre de lutter contre la Voix, donc visiblement eux aussi se sont trompés. » Je protestai, et mon argument fit assez mouche pour que Lazarus tique.
C’était une victoire triomphale, tout du moins le début.
Le tout petit début.
« Pourquoi es-tu tant opposée à l’idée d’être magique exactement? »
« Je n’ai aucun problème avec ça. » je protestai, et n’eut pas fini de prononcer ces mots qu’une douleur jaillit à ma tempe, suivi très rapidement de petits picotements désagréables aux lèvres.
« Et bien, tu auras au moins tenu cinq minutes, je suppose que c’est un progrès. »
« Je n’ai pas le problème que vous vous imaginez. » je répliquai sèchement.
« Alors quel est-il? » Il répliqua sur le même ton.
« Vous. Vous vous imaginez que tout ce qui a un minimum d’importance ou de valeur doit être magique. Que mon truc ne le soit pas, c’est un contre-argument pour vous, et une victoire personnelle pour moi. »
« Qu’est-ce qui te fait croire cela exactement? Que je méprise les omegs? »
Tout, littéralement tout. Son costume pour commencer, bleu nuit à souhait, cette fichue couleur que les mages s’étaient auto-attribués, supposés représenter le sang-bleu, le sang royal. Ses discours, également, bien que ces derniers temps il mettait un coup de cravache des aspects plus pratique, comme le prix du lait.
Mais dire cela n’aurait pas été productif.
« Pour être franche, je ne sais pas quoi répondre à ça, non pas par manque d’arguments, mais parce que justement, il y en a tellement je ne sais pas lequel choisir. »
« Pourquoi ne prends pas tu le plus pertinent? » Il susurra, et une sueur froide se glissa le long de mon dos.
« Je ne vois pas en quoi cela serait productif. Nous étions tous les deux présents, et le rappeler ne sert personne, ni vous, ni ma tranquillitéé d’esprit.»
Un petit sourire se dessina sur tes lèvres, suivi très vite d’un ’tss’ vraiment insultant. Pense à quelque chose d’autre que ce regard insupportable, condescendant, cesse de t’imaginer en train de le gifler, cela ne servirait à rien… hormis lui siffler le caquet, pendant trois secondes.
Ce après quoi il me ferait transité de Sidonie-sur-fauteuil à tas-de-cendre-sur-fauteuil.
« Madame Regiris ne t’a-t-elle pas invité à la prudence me concernant? » Il demanda, espérâtes ruiner mes efforts de silence. Un éclat zébra son regard, de manière si fugace mais si intense que cela me fit l’effet d’un bain glacial.
Je pris une brève inspiration, expirant lentement et chassant ce sentiment désagréable mais mon coeur s’obstina à s’emballer. Ce regard…
Je devais demeurer calme, logique même.
« Si ce que je vous dis ne vous plait pas et que vous souhaitez que je l’enrobe un peu, il faudra cesser de glisser du mexo dans ma tasse et de sous-entendre que je ne fais que mentir. » Je finis par dire d’un ton posé. Assez tout du moins, pour qu’il ne puisse pas se plaindre.
À la manière ton il hocha le tête, je sus alors que cela avait été un succès.
« Ce n’est pas une question de mépris, mais de pragmatisme. La Voix est absolue, et même les contre-sorts eidolasi les plus aboutis ne peuvent pas faire face. Mais je suppose que cela mérite réflexion. » Il dit alors « Dans ce cas, il y a de bonnes chances que tu l’aies hérité. »
On notera tout de même qu’il m’estimait assez pour que ce truc soit ou bien magique, ou bien de mon sang, mais dan tout les cas, n’était pas de mon fait.
Tant mieux.
Sous-estimes moi donc, petit mage de pacotille, et tu ne pourras t’en prendre qu’à toi même quand tu auras mon genoux dans les bijoux.
« C’est possible. » Je haussais les épaules « Mais je ne vois pas vraiment comment vous pourriez vous en assurer. Je n’ai plus un seul membre de sang encore en vie. »
« Pas un seul? »
« Non. »
« Tu m’en vois désolé. » Il dit et pour la première fois depuis le début de cette entrevue, je le sentis sincère. « Si cela n’est pas indiscret, comment cela s’est il produit? »
Ah.
Il faisait grand meriel au dehors, pourtant je pouvais presque entendre le vent sifflant la sérénade au rivage, l’agitant sans cesse. Le mer enfin, si sublime, si cruelle, au caractère si instable. Le vert du dégel, le gris blafard de l’hiver, le bleu étincelant des beaux jours. Et le sel, partout, du sel, contre la falaise blanche, déposé en écume à même le sable, dans l’air enfin. Peut-être y avait-il des restes du large dans ce vent là-
« Et bien? » Lazarus répéta avec une certaine d’impatience dans la voix.
Et dans le regard, comme je le découvris quand enfin je détournais la tête de la vitre, et du ciel, qui s’obstinait à ne pas être tout à fait bleu, tout du moins, il manquait une teinte violette.
Cette pièce était si vide, et cet abruti avec ces sourcils froncés, il m’apparaissait insignifiant face à la musique des collines du pays.
« Vous avez vraiment fait tout ce trajet pour m’entendre parler de ça? » je dis alors, d’un ton glacé, dédaigneux au possible, mais à ma décharge, j’avais froid à l’âme.
Même l’éclair dans ses yeux ne parvint pas à me des-engourdir le coeur.
« Je t’ai posé une question. » Il dit simplement, d’un air en apparence aimable mais que je reconnaissais de la cave.
« Et je l’ai entendu. » Je répliquai du même air.
Lazarus me toisa pendant une seconde, ou une éternité, ej m’en fichais. Mes lèvres demeureraient scellées, c’était un fait. Je ne pouvais pas, je refusais de le laisser les atteindre. Personne ne le pourrait jamais, pas même moi, mais je ne le laisserais pas faire pour autant.
Ils étaient bien en sécurité avec moi.
Sa mâchoire se tendit et son regard se troubla alors. Je me préparais sans véritable intérêt à la suite, quand l’horloge du salon sonna encore, et encore, et encore-
Douze fois.
« Regardez-moi ça, sauvée par le gong, c’est là ma parole une habitude! » Lazarus s’exclama avec cynisme, le regard électrique, au point que lorsqu’il me prit la main -m’écrasant les doigts au passage- afin de me faire le baise-main, mes lèvres se déformèrent d’elles même en grimace.
« À charge de revanche, Monsieur Lazarus. »
M. Charmant ce Lazarus, sont une bonne couche de sociopathie. Pour quelqu'un de pressé, je trouve qu'il prend bien son temps à discuter avec Sidonie. Il s'intéresse réellement à sa famille? Ou bien essaie-t-il de l'apprivoiser ? Je me demande.
En tout cas le coup du mexo est bien trouvé, et je rêverai qu'elle parvienne à son tour à lui en faire boire ! Bon, ça ne le forcerait pas à dire la vérité, mais je suis sûre que le résultat serait tout de même intéressant.
Quant à moi, la phrase "Ils étaient bien en sécurité avec moi" m'intrigue ! Est-ce une image ? Dans un monde magique, il me semble que tout peut être réel, à un certain degré ! Mais elle a l'air de ne pas être consciente d'un potentiel magie chez elle donc bon je me trompe sûrement.
Je me demande bien comment ces petites sessions de thé vont évoluer !
Quelques coquilles relevées :
" Je discar l’éclat" -> ??
"Un petit sourire se dessina sur tes lèvres" -> ses ^^
"À la manière ton il hocha le tête" -> dont
À très vite :D
Oh oui, Lazarus ne fait rien sans raison, ne traine jamais en discussions inutiles. 🥸
Ahahah oui, ça serait pas mal qu'il puisse en boire, vas savoir 😇!
Alors cette phrase c'est une image. Tout ce qui lui reste d'eux, ce sont des souvenirs et que Lazarus aille y mettre son nez, c'est comme s'il les menaçait. Dans mon système de magie, on ne peut pas ramener une âme une fois qu'elle a traversé le nécromidon. Même les conjurateurs ne le font pas vraiment. Les esprits et les créatures nécromantiques sont des petits morceaux, plus ou moins gros -c'est pour ça d'ailleurs que les fantômes sont rarement bienveillants, une âme va plus facilement tolérer de 'prêter' sa colère que d'abandonner sa joie à un parfait inconnu pour un temps indéterminé (de toute manière ce serait rarement utile pour ce qu'un conjurateur veut en faire).
encore merci pour tes retours et à bientôt (impatiente de la suite d'Ajax!!)
Je poste mon chapitre suivant d'ici quelques minutes, je suis venue faire un petit tour mais je me suis bloquée le dos hier soir et là c'est une torture de rester devant l'ordinateur (héhé - rire douloureux). À très vite !