16 : Des actes insensés

Par Eurys

Un tissu froid parcourait son front. Papillonnant des yeux, Armand se réveilla lentement. Il avait l'impression de sortir d'un sommeil de mille ans, dans lequel il avait était noyé. Les souvenirs aussi flous que sa vue, il ne bougea pas, profitant de la fraicheur bienvenue. Il vit un bras passer et repasser devant ses yeux puis distingua le visage apaisant de Constance.

—Bon retour parmi les vôtres, l'accueillit-elle en souriant.

—Constance ... .

Sa voix était plus faible qu'il ne l'aurait voulu, mais il se sentait encore fatigué.

—Vous nous avez quand même fait une belle peur vous savez. Et plus à une personne en particulier.

Armand ne décela pas la plaisanterie dans sa voix. Son esprit était soudainement occulté par une autre chose. Son visage pâlit et il se redressa d'un geste, ignorant la migraine qui en résultat. Le cœur battant, il tendit une main tremblante à la couverture sans pour autant la retirer. Il portait toujours la même chemise, mais sentait ses jambes nues. Il n'avait plus ni ses bottes et surtout pas ses hauts de chausse. Il se rallongea, le souffle erratique. La panique le gagna plus vite qu'il ne l'aurait cru. C'en était fini de lui.

—Ils ne savent pas, déclara Constance.

Le jeune homme la regarda, interdit, ayant peur de comprendre le sens de sa phrase.

—De quoi ... parlez-vous ? 

—De vous, très chère, répondit-elle plus doucement. Je les ai tenus à distance le temps de votre inconscience. Ce ne fut pas bien dur en vérité, le capitaine les garda un bon moment pour faire un point sur l'accident.

—Vous saviez ? demanda faiblement Armand.

—J'ai eu rapidement un doute. Le temps n'a fait que confirmer certaines choses. Quand je dis que les femmes ont un instinct que les hommes n'ont pas !

—Oh Constance ... . La voix de la travestie, bien plus fine et aiguë qu'à l'accoutumée se brisa. Une boule enflant dans sa gorge.

Constance sourit tristement et s'assit au bord du lit, enserrant les épaules de la jeune fille qui se mit à sangloter doucement. Un poids dont elle n'imaginait pas l'existence s'était envolé. Une personne savait. Autre que le capitaine, une amie, une femme, sur qui elle pouvait s'épancher.

—Vous...vous ne ...

—Bien sûr que je ne dirais rien, bougre d'idiote !

Armand rit avant de serrer la femme dans ses bras, se lovant contre sa poitrine.

—Cela fait tellement de bien, qu'une personne sache.

—Vous pouvez compter sur moi, mais il faudrait tout de même éviter de provoquer la jalousie de d'Artagnan !

—Pauvre homme, je m'en voudrais.

Constance caressa les cheveux châtains. Armand souffla, plus détendu qu'il ne l'avait été depuis longtemps. Ils restèrent un moment ainsi, à déblatérer de sujets décousus jusqu'à ce que Constance ne se lève.

—Il me faut prévenir le capitaine de votre réveil. En attendant n'hésitez pas à vous rendormir, vous avez besoin de repos. 

Armand hocha la tête mais la rappela avant qu'elle n'ouvre la porte.

—Constance, vous ... vous ne me demandez rien ?

La femme mit un instant à comprendre le sens de la question et sourit à nouveau, compatissante.

—On a tous droit à nos secrets. Je ne vous demande rien, vous me direz ce que vous voudrez quand vous en sentirez le besoin ou l'envie. Et je préfère ne pas connaitre votre vrai nom, imaginez, si je me trompe un jour !

Les larmes se frayèrent un nouveau chemin aux yeux d'Armand mais il les refoula, trop heureux d'avoir cette chance. La porte s'ouvrit et se fermera et dans le silence de la chambre, il suivit le conseil de Constance en laissant Morphée l'envelopper.

Il ne se réveilla que quelques heures plus tard. Le soleil avait complètement disparu, englouti par la nuit. Contrairement à la première fois, la douleur dans sa jambe se rappela à lui immédiatement, le faisant grimacer.

Ne pas bouger, grava mentalement Armand dans sa mémoire.

Son regard fut attiré par un moment à sa droite. Assis à une chaise à côté du lit, Porthos fixait un point invisible devant lui, l'air ailleurs. Vêtu d'une chemise blanche qui faisait ressortir le mate de sa peau, il ne semblait pas l'avoir remarqué. Armand laissa son regard errer encore quelques instants avant de le sortir de sa contemplation.

—J'imagine que maintenant, j'ai fait mes preuves, lança Armand d'une voix faible.

Porthos se retourna, étonné, avant de réaliser que le jeune homme était bel et bien éveillé.

—Arm...Heu quoi ?

Un rire franchit les lèvres du blessé. Il tira sur ses bras, de quoi s'adosser au mur derrière lui et grimaça au mouvement de sa jambe.

—Avec une balle dans la jambe, on peut dire que j'ai fait mes preuves, non ?

Porthos sembla enfin comprendre car un petit sourire fugace orna ses lèvres. Il rapprocha sa chaise jusqu'à être contre le lit et s'assit pour prendre la main blanche dans la sienne.

—Vous nous avez inquiétés. Tu m'as inquiété.

Toutes les belles phrases d'Armand moururent dans sa gorge face au regard profond de Porthos, ancré dans le sien. Son cœur se mit à battre frénétiquement alors qu'il savourait la peau rugueuse sous ses doigts. Ce n'était pas uniquement son regard et son toucher. Le tutoiement avait créé une intimité à laquelle il ne s'attendait pas, sans oublier qu'il avait eu peur pour lui.

Le pouce de Porthos passa et repassa, caressant le dos de sa main mécaniquement. Le métis avait baissé la tête, comme absorbé par leurs ongles. Le silence n'eut cependant pas le temps de s'installer.

—Je ne pense pas qu'il s'agissait d'un acte insensé.

La respiration d'Armand se bloqua alors qu'il saisissait sans difficulté de quoi parlait Porthos. C'était lui qui avait utilisé ces mots quand il avait fini par s'excuser, espérant inutilement éteindre de lui-même ces petits feux qui s'étaient allumés en lui.

Mais cela n'y avait rien changé. Et c'est lui qui revenait maintenant en lui disant que cela n'était pas, ou pas entièrement une erreur.

Armand referma ses doigts, comprimant la grande main qui retenait la sienne. Au bord de l'incompréhension aucun mot ne parvenait à franchir la barrière de ses lèvres. Et même si, qu'aurait-il pu dire ? C'est comme si sa vie s'amusait à le faire vivre entre espoir et désillusion et le pire c'est qu'il était presque prêt à accepter chaque parcelle d'espoir qu'il pouvait s'accaparer.

Presque.

—Ne dis rien si tu ne sais pas réellement, supplia le blessé. Ce fut déjà assez dur de nous réconcilier.

—Nous sommes-nous seulement réconciliés ?

Armand se mordit l'intérieur de la lèvre, reconnaissant la justesse de ces mots.

Porthos reprit.

—Regrettes-tu ?

C'était la question. Armand aurait voulu dire que oui, il regrettait. Cela aurait été tellement plus simple. Mais ce n'était qu'un mensonge : un mensonge envers Porthos et envers lui-même.

Alors il se contenta d'hocher négativement la tête. Si le geste en lui-même fut dur, il le libéra aussi d'un poids qu'il n'aurait pas imaginé. Dieu comme le fait de mentir avait été éprouvant.

—Alors nous avons tous deux un problème.

Armand se contenta d'un petit rire. Une partie de lui était heureuse de constater que Porthos semblait ressentir une once de sentiments plus qu'amicaux à son égard. Sa raison aurait dû l'alarmer ; rien de bon ne ressortirait de cette histoire, pas temps qu'il était empêtré dans ses mensonges mais rien n'y faisait, seule son cœur le guidait, à son grand malheur.

—Nous n'y pouvons rien, lanca Armand.

—Dans ce cas, puis-je commettre un autre acte insensé ?

Le métis se pencha lentement, laissant le loisir au jeune homme de l'arrêter. Rien ne vint interrompre son mouvement et délicatement il ravisa les lèvres rosées. Si Armand n'avait osé espérer, il décida de se saisir de sa chance,reléguant loin toutes les réflexions qu'il avait pu avoir. En ce moment-là il ne jouait pas avec le feu, il vivait, un point c'est tout. Un gémissement de douleur lui échappa alors qu'il tentait de se redresser sur ses coudes et Porthos se dégagea, la mine soucieuse. 

—Est-ce que ça va ? Tu as mal ?

—Ma jambe. Maintenant revient m'embrasser, répondit Armand le plus sérieux du monde.

Porthos émît un petit rire grave et revint donner un chaste baiser aux lèvres roses avant de s'éloigner à nouveau.

—Nous avons réellement un problème, constata Porthos plus amusé qu'inquiet. 

— En effet, mais je crois que n'y pouvons rien, répéta Armand.

Si Armand n'était pas si pris par ce moment, il se serait étonné lui-même. Depuis quand était-il si ... radical ?

—C'est... mal. Interdit.

—Mais nous n'avons encore rien fait d'interdit. Nous ne pouvons faire comme si de rien n'était... cela créera à nouveau une tension, surtout maintenant que nous le savons tous deux. Ignorer nous a menés à des semaines de froid et je ne souhaite pas revivre cela. Nous n'avons pas à franchir d'interdit, mais au moins arrêtons de faire semblant et voyons ce qu'il en découle ?

Pothos le scruta un moment, étudiant et repassant les mots dans sa tête. Armand le vit froncer les sourcils et se mordiller la lèvre.

—Cela me semble plus convenable, avoua Porthos du bout des lèvres.

Armand sourit. Le silence s'étira, de plus en plus gênant tandis qu'aucun des deux n'osait le briser.

Puis Porthos se leva.

—Constance m'avait demandé de la prévenir directement si vous vous réveilliez. Vous voulez que je vous ramène quelque chose ?

—Juste un verre d'eau, merci Porthos.

Après plusieurs minutes la femme arriva, amenant avec elle le verre qu'il avait demandé ainsi que des bandages et d'autres choses sur un plateau. Elle l'informa que le médecin repasserait le lendemain matin et qu'elle se chargerait de changer ses bandages durant sa convalescence.

—Pardonnez-moi de vous déranger ainsi. Et dans votre état, balbutia le jeune homme. 

—Ne dites pas de sottises ! Et cela nous donnera l'occasion de parler entre femmes, affirma-t-elle avec un clin d'œil.

Elle releva la couverture et la chemise de la jeune travestie et s'appliqua à décoller le bandage aussi soigneusement que possible avec un linge humide.

—Cela va faire mal, je suis désolée.

Armand retint une plainte et serra les poings. Il se mordit les lèvres pour éviter de sortir un quelconque son et lâcha un long souffle une fois que son infirmière de fortune eut fini.

—Les premières fois seront douloureuses mais la plaie finira par ne plus adhérer.

Cela ne le rassurait pas du tout !

Heureusement le bandage fut presque indolore à côté de la première étape et Constance relâcha sa cuisse, la couvrant à nouveau et lui passant un médicament réduit en poudre avec un verre d'eau.

—Qu'est-ce qu'a dit le médecin exactement ? demanda Armand en avalant le mélange au gout peu ragoutant.

—Vous avez eu de la chance ce n'est pas bien grave. Vous n'avez pas perdu trop de sang et l'os est intact. Les muscles ont été atteints mais vous devriez vous en remettre sans séquelles.

—J'ai cru que j'allais mourir, s'apitoya-t-il lamentablement.

Constance passa une main autour de ses épaules et l'attira contre elle. Ils restèrent ainsi jusqu'à ce que la femme enceinte lui ordonne de se rendormir au vu de l'heure tardive qu'il était.

—Bonne nuit jeune femme, je reviendrais demain.

—Bonne nuit Constance.

X

Le lendemain ce furent des coups à la porte qui le tirèrent du sommeil. La tête inquisitrice d'Aramis passa la porte, suivie de celle de Porthos et enfin d'Athos.

—Excusez nous, nous n'avons pas eu l'occasion de vous voir hier, commença Aramis en s'installant au bout du lit.

—Vous vous sentez mieux ?

Porthos s'était rapproché, Armand lui sourit et hocha la tête.

—A part ma jambe je vais bien, elle se rappelle encore à moi. 

—Cela va nous changer de ne pas vous avoir dans nos pattes ! dit Aramis

—Il dit cela, rétorqua Athos, mais au fond il est le premier à s'être plaint vous savez.

Les trois hommes rirent de la figure déconfite du coquet mais la porte s'ouvrit à la volée, les coupant dans leur élan.

—Que faites-vous tous ici ? Aller ouste, allez travailler et laissez-moi ce jeune homme en paix.

Leur rire partit de plus belle et Armand l'entendit résonner jusqu'à ce que les trois hommes quittent l'appartement. Constance posa le potage qu'elle avait entre les mains sur la petite table et s'installa sur le lit prendre des nouvelles du jeune homme.

—Le capitaine aurait voulu venir mais il est bien occupé pour le moment, je crois qu'il était aussi rassuré que je sois dans la confidence pour pouvoir me déléguer votre cas.

—Il le sait ?

Il ne savait pas pourquoi il était légèrement choqué. Après des mois à se cacher et se taire, voilà que son genre devenait un sujet de conversation.

—Evidemment ! Il a débarqué en trombe dès qu'il a pu quitter le roi. Il pensait votre couverture fichue. Je lui ai juste dit que je savais, il n'en fallut pas plus pour qu'on se comprenne.

—J'aurais en effet été fichue sans vous, Constance .

— Dans ce cas rappelez-vous que vous avez une dette envers moi ! Dit la femme fière d'elle. Le médecin arrive bientôt, il faudra surement rechanger vos bandages, après cela je vous ai amené de quoi reprendre des forces, vous en avez besoin vous n'avez pas mangé hier.

Comme prévu le médecin, qu'il comprit être tenu au secret par Tréville arriva peu après. Le bandage avait tout autant collé à la plaie et il devait admettre que Constance était bien plus délicate que lui. Après cela, il mangea le bol qui lui avait été amené et prit un des livres que Constance lui avait approchés. La journée passage en lecture et somnolence jusqu'au soir. Armand entendit la porte d'entrée claquer et des pas monter l'escalier en bois avant de s'arrêter devant sa porte. Après trois coups, il invita la personne à entrer et ne fut pas étonné de croiser le regard sombre de Porthos.

—Je voulais uniquement voir si vous alliez bien et si vous désiriez quelque chose.

Le blessé sourit de l'attention accrue que Porthos lui portait et tendit légèrement la main, de quoi l'inciter à se rapprocher. Le mulâtre ne se fit pas prier et avança pour s'asseoir sur le bord du lit.

—Les médicaments rendent la douleur très supportable, Constance m'a amené de quoi manger et j'ai à boire à côté de moi, je crois que ces attentions vont me manquer une fois rétabli ! Comment s'est passée votre journée ?

—Sans vous cela n'est plus pareil, tout le monde l'a affirmé. J'ai besoin de vous pour tricher aux cartes, Aramis a failli gagner !

Armand éclata de rire devant la mine indignée de Porthos . Ils passèrent tous deux le reste de la soirée à parler de son absence, de Tréville qui avait demandé de ses nouvelles et de son haut de chausse qui était désormais affublé d'un joli trou.  Armand dut retenir plusieurs fois son envie de tendre sa main pour caresser celle du métis assis face à lui. Ils avaient beau décidé de se rapprocher, autant que les mœurs leur permettaient, il ne savait pas comment le prendrait Porthos. Et franchement, il était déjà heureux de ce qu'ils avaient, même s'il ne pouvait pas encore le nommer. Les paupières d'Armand se firent de plus en plus lourdes, il lutait depuis plusieurs minutes contre le sommeil et fini sans s'en rendre compte par céder aux bras de Morphée. Porthos l'observa fermer et rouvrir les yeux dans un combat acharné qu'il fini par perdre. Il vit sa tête s'effondrer un peu plus sur l'oreiller, sa respiration s'approfondir. 
Il aurait du se lever et partir mais quelque chose le retenait encore ici, à observer le visage endormi. Il fini tout de même par se décoller de son siège, remonter la couverture et se permit de déposer un baiser sur les cheveux en désordre avant de filer lui aussi vers un sommeil bienvenu.

 

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deb3083
Posté le 11/08/2020
ha je me disais bien que Constance finirait par le découvrir ! par contre je ne comprends pas Armand ! il/elle joue à un jeu dangereux. c'est bien beau de parler avec Porthos mais il a un peu oublié que lui n'était pas un homme ! ça va être compliqué lorsque Porthos découvrira a vérité !
Eurys
Posté le 18/08/2020
Ah mais je l'ai dit, des fois il ou elle est con.ne . Comme avec l'emménagement il ne reflechi pas trop aux conséquences. et pourtant il sait bien que ca va etre de sa faute apres quand porthos le découvrira !
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