Il revint à lui lorsque retentit le carillon d’une sonnette. Il se tenait devant une porte d’entrée rouge qu’il connaissait bien puisqu’il l’avait déjà vue.
Il n’eut pas assez de temps pour reprendre ses esprits ; la porte s’ouvrait déjà. Éirinn ne sembla pas surprise de le voir sur son pas de porte. Derrière elle se faufila une femme brune à l’air effrayée, comme si elle n’était pas censée se montrer.
Il reconnue l’odeur de terre humide présente au Sangtuaire et qu’il avait déjà sentie chez elle la dernière fois qu’il s’y était rendu.
Shiloh fronça les sourcils. Ce n’était pas très avantageux, ce parfum, pour une femme…
La voix fluette d’Éirinn le tira de ses pensées.
— Eh bien, tu viens beaucoup me rendre visite pour quelqu’un qui ne m’aime pas. À moins que ce soit mon frère que tu viennes voir, supposa-t-elle avec un sourire en coin.
Sa petite taquinerie fit mouche.
— Mais non, râla-t-il. Je sais même pas ce que je fous ici.
— Ah ça, je ne peux pas le savoir à ta place mais je vais t’aider : tu avais peut-être quelque chose à me dire ?
Shiloh demeura pensif le temps d’une minute, cherchant dans sa mémoire le pourquoi il avait décidé de venir voir Éirinn. Trou noir.
Il secoua la tête.
— Non. Vraiment, je sais pas pourquoi je suis là. Je me souviens même pas m’être dit « tiens, je vais aller chez elle ». Je sais pas quand je suis parti, si j’ai fait d’autres trucs en chemin ou par où je suis venu. C’est comme si je m’étais endormi pour me réveiller ici. En fait, le dernier souvenir que j’ai, c’est le clin d’œil chelou de ton frangin, là.
Il s’arrêta un instant avant de reprendre.
— Attends, j’espère qu’il a rien mis dans mon verre, celui-là !
Éirinn ricana.
— C’est pas son genre. D’ailleurs, je suis même étonnée qu’il se soit montré. C’est assez rare.
Elle porta une main à son menton tatoué et prit le même air que Shiloh quand il réfléchissait. Elle se foutait de sa gueule ou bien ?
Un son de porte se fit entendre dans son dos. Les traits d’Éirinn devinrent alors plus graves.
— Tu ne devrais pas traîner ici, tu risquerais d’avoir des problèmes.
— T’es sérieuse, là ? s’écria-t-il pendant que la porte se refermait sur son nez.
Il entendit des bruits de pas. Quelqu’un s’approchait de lui.
— Ne le prenez pas pour vous. Cette fille est une vraie sauvageonne.
Il se retourna et découvrit Gloria Rosenberg, la cliente VIP du Manicomio. Elle le considérait tristement, comme s’il était un pauvre type qui venait de se faire rembarrer. Dans un sens, c’était un peu le cas.
— J’habite en face de chez elle, précisa la vieille femme. Ça fait plusieurs mois qu’elle est là et je peux vous dire qu’elle n’est vraiment pas commode. Je n’ai jamais eu droit à un bonjour ou ne serait-ce qu’un sourire. Enfin… il faut dire que je ne la vois pas souvent, non plus. Elle ne sort le bout de son nez que quand il fait nuit. Elle m’a expliqué qu’elle travaillait dans un bar mais je ne suis pas née de la dernière pluie. Vous savez, avec tous ces messieurs qui vont et…
— Je sais, intervint Shiloh.
Il se foutait royalement qu’il lui ai coupé la parole.
— J’étais là quand vous en avez parlé avec mon collègue.
— Ah. Oui, c’est vrai, dit-elle sèchement.
Shiloh sourit intérieurement. La vieille bique ne l’avait pas reconnu et d’un seul coup, à ses yeux, il n’était plus autant à plaindre.
— Enfin, quoi qu’il en soit, tu fais ce que tu veux.
— OK.
Il ne prit pas la peine d’y mettre plus de formes et de rester poli. Sous prétexte qu’il n’était qu’un simple serveur et que sa peau n’était pas aussi blanche qu’elle l’aurait souhaité, Gloria s’était permise de le tutoyer.
Elle prit congé. Shiloh, lui, resta aussi immobile qu’une statue sur le perron. Il n’avait aucune putain d’idée de comment il était arrivé jusque devant chez Éirinn. Il fallait qu’il en parle à quelqu’un.
Mais pas à Elijah.