Tandis qu’elle refermait la porte, elle entendit son frère glousser derrière elle. Elle se tourna vers lui.
— Sérieusement ? C’est toi ?
Il hocha la tête en riant de plus belle.
— Les gens ne sont pas des jouets, Caïn, le réprimanda-t-elle.
— Oh, ça va, rouspéta-t-il. Il faut bien se distraire dans la vie, non ?
— Tu ferais mieux de t’occuper de ton travail.
Caïn retourna à son bureau en grognant. Éirinn soupira. Il était l’aîné mais parfois, elle avait l’impression d’être la grande sœur.
Il était terrible avec ça, cette manie de jeter son dévolu sur n’importe qui, homme ou femme. Une fois qu’il avait repéré sa proie, il ne la lâchait plus. Il avait d’ailleurs échappé de peu à la police une bonne paire de fois parce qu’il ne voulait pas comprendre que non, ça ne se faisait pas de suivre sa collègue jusque chez elle, ou que coincer son voisin dans un angle de mur « pour s’amuser », ça ne se faisait pas non plus.
Éirinn avait du mal avec certaines règles sociales mais pour son frère, c’était encore pire. Pendant qu’elle réussissait tant bien que mal à s’adapter aux nouvelles mœurs, lui restait coincé dans le passé et, par miracle, lorsqu’il acceptait enfin la nouveauté, il était déjà trop tard.
Le plus gros du problème n’était pas là : Caïn avait parfaitement conscience de sa position de dominant, se sentant invincible grâce à sa force et sa condition d’homme blanc. Il était comme ça depuis toujours ; Éirinn, tout comme leur mère, avait essayé maintes fois de lui faire entendre raison mais, ça rentrait par une oreille pour ressortir de l’autre.
— Au fait…, l’entendit-elle lancer depuis l’autre bout de la pièce.
Des bruits de pas s’en suivirent, puis, il apparût dans l’encadrement de la porte.
— Qu’est-ce qu’il foutait là ?
Il n’eut pas le besoin de nommer la personne, Éirinn sut très de qui il parlait. Elle se sentit penaude tout à coup, comme si elle venait de faire une bêtise et qu’elle devait s’excuser auprès de papa-maman.
— Ils sont amis avec lui. Il était là quand je suis allée chez Elijah (regard interrogateur de Caïn). Celui avec les yeux bleus.
— Et tu l’as autorisé à venir hier soir ?
— Non. Je n’étais pas au courant qu’il serait là.
Caïn bouillonnait. Il ne tenait plus en place. Les mains posées sur les hanches, il fit un tour sur lui-même, furieux.
— Tu te rends compte que tu nous mets grave dans la merde ? Le loup est entré dans la bergerie, fulmina-t-il.
— Je sais ! rétorqua Éirinn.
Le miroir du hall d’entrée se fissura.
— Bien évidemment que si j’avais su qu’il viendrait, je lui aurait interdit l’accès au Sangtuaire. Mais les autres parlent de lui comme quelqu’un qui ne les accompagne jamais en soirée ! Vraiment, je ne pensais pas qu’il mettrai un jour les pieds au bar !
Caïn se rua vers elle, collant ainsi son visage à quelques centimètres du sien.
— Tu t’acclimates un peu trop à mon goût.
Il soutint le regard de sa sœur jusqu’à ce qu’elle baisse les yeux.
— Tu n’es pas des leurs et tu ne le seras jamais, cria-t-il en s’éloignant.
Une jeune femme brune accouru auprès d’Éirinn pour la réconforter.
— On a un problème plus important à régler, tu ne crois pas ? rétorqua Éirinn.
— Justement. Si tu laisses entrer n’importe qui chez toi, on risque d’en avoir des plus gros. C’est pas juste toi et moi qui serons impliqués, mais tout le monde.
— Ça va ! tonna la jeune femme.
Le miroir se fissura davantage.
— Tu comptes me faire la leçon encore longtemps ? Tu sais, le laisser venir à nous peut être un atout. Je dirai même que ça nous facilite la tâche. Le loup qui se fait passer pour un mouton se trahit facilement.
Caïn soupira. Sa sœur faisait la sourde oreille. Elle était convaincue que ses nouveaux amis jouaient en sa faveur mais il était persuadé du contraire.
Il allait falloir surveiller tout ce petit monde.