17. Les décisions.

Par JFC

Le jour se levait. Assis sur le sol dur et froid, Ephrem observait Mélusine, dont les longues mèches de cheveux blonds bougeaient au rythme du vent. Il avait réfléchi toute la nuit et attendait avec impatience que celle-ci se lève, afin de décider avec elle de la marche à suivre. Il continuait à penser que d’une manière ou d’une autre, ses parents avaient réussi à s’en sortir. Il se disait également que la vision du passé, dont sa sœur avait été témoin la veille, pouvait contenir un indice leur permettant de retrouver ses parents. De plus, ne sachant plus à quoi ces derniers ressemblaient, il devait d’abord trouver un moyen de se rappeler leur visage. Ou alors de faire en sorte que Mélusine les voit !

            Enfin, Ephrem vit les yeux de sa sœur s’ouvrir lentement. Il avait attendu des heures qu’elle se réveille pour pouvoir lui poser sa question :

            — Est-ce que tu pourrais voir mon passé ? Mes parents y sont sûrement, expliqua-t-il.

            Émergeant avec difficulté d’un sommeil mouvementé, l’Elfe à la peau blanche comme neige se sentait toujours épuisé. Elle fit répéter à Ephrem sa question pour être sûre d’avoir bien entendu.

            — Mon passé, insista-t-il, mes parents y sont.

            Les souvenirs de la veille lui revinrent rapidement et aussi violemment que si on lui avait donné un coup de poing dans l’estomac. Le but de ce voyage était de retrouver les parents d’Ephrem et de vivre une aventure enrichissante et agréable. Mais depuis le début il n’avait connu que combat, mort et autres désagréments. Elle savait à quel point cela était important pour son frère, mais contrairement à lui, elle ne voyait aucune raison de croire que ces personnes âgées aient survécu à l’attaque des Traneks. Elle aurait accepté n’importe quoi d’autre, mais pas ça ! De toute façon, à chaque fois qu’elle avait été catapultée dans un passé, cela avait toujours été à son insu. Elle ne pensait pas être capable de le faire sciemment.

            — Tu pourrais au moins essayer, implora Ephrem, qu’est-ce que ça peut bien te coûter ? C’est important pour moi. Retrouver mes parents était le but de notre voyage, je te rappelle!

            Tout en ignorant les arguments de son frère, Mélusine se leva et ramassa ses affaires. Elle n’avait pas faim, mais lui demanda s’il voulait manger quelque chose. Contrarié, celui-ci refusa de manger quoi que ce soit, et continua d’essayer de convaincre Mélusine.

— Ephrem, je comprends ce que tu ressens… Mais réfléchis un peu. Ce que tu veux faire, ne servirait à rien. Tes parents ne sont plus de ce monde, souffla-t-elle en posant une main sur son épaule.

— Non, rectifia le jeune homme en se dégagent, ils sont vivants. Si tu voulais bien…

            — Ça suffit ! Le coupa-t-elle excédée. Ne vois-tu pas que ce voyage n’a servi à rien ! Je regrette que tes parents soient morts. À ta place, j’aurais également du mal à l’accepter. Pourtant, il va falloir que tu le fasses.

            — Tu as tort ! murmura Ephrem. Ils sont en vie. Si tu voulais au moins m’aider, je suis sûr que nous pourrions les retrouver.

            — Les retrouver ! Explosa l’Elfe. Tu n’as donc rien suivi ? Les personnes âgées sont mortes et les autres ont étaient fait prisonniers par les Traneks. Des créatures sanguinaires qui ne feraient qu’une bouchée d’une Elfe incapable d’utiliser la magie pour se battre, et d’un Humain armé d’une belle épée. Car même si tu sais l’utiliser, ça ne suffira pas à battre une tribu entière !

            — Et s’ils étaient leurs prisonniers ! Tu me dis de les laisser tomber ?

            — Tu ne les laisses pas tomber, puisqu’ils sont morts ! hurla-t-elle, en tremblant de colère et de peur en pensant à la créature en capuche noire.

            — Je ne te comprends pas, Ephrem en baissant la tête.

            — Je n’en reviens pas, s’offusqua Mélusine en redressant ses lunettes sur ses yeux. C’est toi qui dis ça, alors que chaque situation est pour toi l’occasion de changer de personnalité et de devenir un escrimeur de talent ! Tu cachais bien ton jeu, n’est-ce pas ?

Ils restèrent là un moment, Ephrem, le regard implorant, et Mélusine semblant plus effrayée qu’en colère.

— Tu sais Mélusine, marmonna Ephrem, les yeux fixaient dans ceux de sa sœur, j’ai toujours admiré les héros de tes histoires. J’ai toujours voulu leur ressembler. Être fort, sans peur, sûr de moi, invulnérable… J’ai peut-être changé pendant ce voyage. J’ai appris des choses. Sur moi. Même si je ne les comprends pas toutes. Et si je souhaite retrouver mes parents, c’est parce qu’ils sont d’abord mes parents. Mais aussi parce qu’ils m’aideront à comprendre certaines choses qui m’échappent ! Tel que tu me vois, je suis submergé par la peur. Peur de me mettre à la recherche de mes parents. Peur de me rendre compte que je me suis trompé au sujet de leur sort. Peur de devoir faire face à des ennemis plus forts que moi. Peur de rester à jamais incomplet… Pourtant, je dois agir. Et je ne m’imagine pas pouvoir y arriver seul. J’ai besoin de toi. Je ne suis pas un héros. Aide-moi !

            Mélusine se disait que finalement, Ephrem ressemblait bien plus qu’il ne le pensait aux héros de ses histoires. Alors qu’il avait peur, et qu’en toute logique ses parents étaient morts, il gardait espoir, mais surtout, d’après ce que Mélusine avait compris, il était prêt à aller les secourir s’il le fallait. Mais elle, ce n’était pas son cas ! Elle n’était pas prête à aller en guerre contre des monstres. Mais par-dessus tout, elle ne voulait pas prendre le risque de croiser la route de l’homme à la capuche noire. Elle le sentait au plus profond d’elle. Le véritable danger, c’était lui !

            Incapable de faire taire sa peur, et convaincue de l’inutilité de l’expédition suicidaire à laquelle Ephrem semblait vouloir la faire participer, Mélusine répondit à sa demande par de rapides mouvements de tête de gauche à droite, faisant voleter ses deux longues tresses.

— Je suis désolé, affirma-t-elle les yeux humides, mais je rentre à Yggdol. Je t’invite à faire de même. Je t’assure que c’est pour ton bien.

            — D’accord, soupira Ephrem, les bras ballants.

            Tous les muscles de Mélusine se relâchèrent. Ils allaient regagner la sécurité de leur foyer.

            — Cependant, ajouta Ephrem, je n’abandonne rien ! Je vais demander des conseils et de l’aide à papa, souffla-t-il en regardant ses pieds. Je te l’ai déjà dit : je ne m’imagine pas pouvoir y arriver seul. Il nous faudra donc rentrer aussi vite que possible.

Ephrem ramassa ses affaires et partit devant. Mélusine, restée sur place, s’en voulait d’avoir été si dure, mais elle ne voulait pas qu’Ephrem se berce d’illusions. Ses parents étaient morts. Point. La dernière chose dont il avait besoin, c’était d’aller à la rencontre de dangereuses créatures sanguinaires.

Mélusine fouilla dans son sac, et avec un sourire satisfait, en retira une paire de gants d’un blanc immaculé, presque aussi blanc que la peau de ses propres mains, et les enfila… Elle les regarda pendant quelques secondes ! Il était difficile d’un premier coup d’œil de dire où finissaient les gants et où commencer ses mains. Elle redressa ses lunettes, prit ses affaires, et courut après Ephrem, heureuse à la pensée que bientôt elle serait chez elle, auprès de son père. Ce dernier réussirait à faire accepter à Ephrem la disparition de ses parents Humains. Puis, tout redeviendrait comme avant. Un père aimant et protecteur, un frère qui aurait besoin d’elle, plus d’excursion involontaire, et encore moins, volontaire, dans un quelconque passé. Pas d’Humain violent les accusant à tort d’acte barbare, plus de vision d’horreur ni d’odeur de mort… Tout sera comme avant.

 

            Non loin de là, Odran et ses soldats se préparaient également à rentrer au château, au royaume d’Isbergue. Ils avaient décidé de monter leur campement à Luctès pour s’assurer que le feu du bucher ne cause pas davantage de dommage à un village qui avait suffisamment souffert. Alors qu’il lisait la dernière feuille d’un épais rapport, le général s’interrompit pour accueillir dans sa tente, l’homme qu’il attendait depuis un moment déjà.

— Entre ! ordonna-t-il.

Kleds, un soldat à l’air féroce, avec des cicatrices sur le visage et les bras, était le lieutenant d’Odran. Contrairement à ce dernier, Kleds ne souriait jamais et avait toujours l’air d’être de mauvaise humeur. Comme tous ses soldats, celui-ci avait énormément de respect pour son général, en qui il avait une confiance aveugle. Cependant, cela ne l’empêchait pas de donner son avis sur certains choix qu’il trouvait parfois discutables. Mais en définitive, lui, comme tous les autres, finissait par suivre leur chef, qui se révélait être un général efficace, autant dans ses commandements en pleine bataille, que dans ses rapports avec ses hommes. En effet, pour Odran, la vie de chacun de ses hommes était importante. Jamais il n’établirait de stratégie où l’un d’eux serait obligé de se sacrifier. Chaque soldat le savait. Et grâce à cela, un climat de confiance régnait parmi eux. Les uns comptant sur les autres, les uns protégeant les autres, rendant inutile l’utilisation de bouclier. Ainsi, les soldats du royaume d’Isbergue étaient craints par les autres royaumes, car ils étaient les seuls à pouvoir utiliser deux épées sans se soucier de leur propre protection, causant chez leurs ennemis, deux fois plus de dommage !

Kleds entra dans l’humble tente de son général, et le salua rapidement. Souriant, Odran observa son lieutenant, et remarqua qu’un petit serpent aux écailles rouges cuivrées était perché sur l’une de ses larges épaules.

— Le message est arrivé, grogna Kleds en prenant le reptile.

Le lieutenant tendit sa main, laissant le petit reptile s’élancer dans le vide. Mais au lieu de s’écraser au sol, deux ailes membraneuses jaillirent de ses flancs, lui permettant de planer en silence. Il traversa ainsi la pièce, et vint se poser avec précision dans la paume d’Odran. Le général passa ses doigts le long du corps froid de la créature, qui ouvrit grand sa gueule, et cracha un petit tube métallique couvert de salive. Sans un mot, Odran s’en empara, fit glisser le couvercle et en extirpa un parchemin enroulé. Silencieux, Kleds observait son supérieur tandis que celui-ci parcourait les quelques mots tracés par Méo. Soudain, son expression se figea.

— Nous levons le camp immédiatement ! ordonna le général d’Isbergue. Je dois voir le roi au plus vite.

            — Un problème ?

            — Un vieil ennemi veut régler ses comptes.

Devant l’air perplexe de Kleds, Odran précisa :

— Les Traneks sont de retour !

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