Mélusine et Ephrem apercevaient enfin Yggdol à l’horizon. Dans peu de temps, ils seraient de retour. Leur voyage avait duré plusieurs jours, mais cette fois, aucune mauvaise rencontre n’était venue troubler leur avancée. Mélusine avait retrouvé son sourire habituel et sa bonne humeur. Elle avait repris son flot incessant de paroles, submergeant Ephrem sous une avalanche de réflexions, d’hypothèses et de digressions interminables.
De son côté, le jeune Humain s’était replié sur lui-même, enfermé dans un mutisme total depuis leur décision de rentrer à Yggdol. Mélusine savait que, même pour lui, c’était inhabituel. Elle avait bien tenté de l’amener à parler, mais ses efforts s’étaient heurtés à un mur. Alors, par dépit, elle avait décidé de parler pour deux, ce qui était loin d’être un exploit pour elle. Elle s’était donc lancée dans un monologue ininterrompu, abordant des sujets aussi vastes que les différences entre les peuples, les causes des guerres anciennes, ou encore la façon dont l’émergence d’une nouvelle espèce pouvait bouleverser un environnement et les dynamiques de survie. Elle enchaîna ensuite sur la logique défaillante des structures sociales avant de s’emballer sur un sujet particulièrement technique : la difficulté de trouver un produit naturel permettant une utilisation prolongée tout en garantissant à ses cheveux de conserver leur éclat et leur souplesse.
Ephrem ne l’écoutait qu’à moitié, perdu dans ses pensées. Une seule chose l’obsédait : savoir s’il retrouverait ses parents.
Enfin, ils posèrent le pied à Yggdol. Toute joyeuse, Mélusine gonfla ses poumons, comme si elle essayait d’aspirer tout l’air présent autour d’elle.
— Rien ne vaut son chez-soi ! cria-t-elle, s’attirant les regards réprobateurs des passants.
Une petite Elfe aux longs cheveux argentés la reconnut alors et s’approcha d’elle d’un pas hésitant.
— Bonjour Maitresse Mélusine, murmura-t-elle.
— C’est toi, Inza ! chantonna Mélusine en prenant la petite fille dans ses bras. Si tu savais à quel point tu m’as manqué ma petite chérie !
— Vous nous avez manqué aussi, mademoiselle, lui répondit la jeune fille. Monsieur Ewen est très gentil, mais c’est quand même vous que je préfère.
Flattée, elle déposa un doux baiser sur le front de la fillette, et la reposa ensuite sur le sol.
— Je suis de retour, et je suis bien décidé à reprendre ma classe dès demain ! annonça-t-elle. Je n’ai pas vu mon père depuis longtemps, alors je me dépêche d’aller le voir.
Mélusine dit au revoir à Inza, puis prit la main d’Ephrem. Elle parcourut rapidement la distance qui les séparait de leur maison, et une fois qu’ils furent arrivés, Mélusine frappa à la porte. Du bruit à l’intérieur indiquait qu’une personne s’y trouvait. Au bout de quelques secondes, ils entendirent des bruits de pas qui se rapprochaient de la porte, puis la voix caverneuse d’un homme se fit entendre.
— Qui cela peut-il bien être ? dit l’homme en tirant la porte.
Un homme très grand, svelte, avec un visage sévère, serrait une tigerette entre ses dents. En se rendant compte que derrière la porte se tenaient sa fille et son fils, il fut tellement surpris que ses traits habituellement durs se tordirent pour former une expression de joie. Sous le coup de la surprise, il fit tomber sa tigerette, qui s’éteignit toute seule en touchant le sol. Mélusine n’avait jamais vu son père avec une telle expression. Cela ne lui ressemblait pas du tout. Sur son visage, quelque chose clochait, comme si une émotion étrangère avait pris possession de ses traits. Cela lui donnait un air étrange… presque comique.
Alors, incapable de se contrôler devant l’air de son père, Mélusine se plia en deux, et laissa échapper un rire particulièrement sonore. Loin d’être vexé, Selfyn s’apprêtait à rire de bon cœur pour accompagner sa fille, quand il remarqua le visage d’Ephrem. L’inquiétude, la tristesse, la douleur, voilà tout ce qu’il y voyait !
— Pourquoi à t-il l’air si mal ? se demanda-t-il. Leur voyage ne s’est pas bien terminé ?
Le vieux sage s’éclaircit la gorge pour faire comprendre à sa fille adorée qu’il était temps de redevenir sérieux.
— Entrez mes chers enfants ! dit-il en se poussant pour leur laisser la place. Je crois bien que vous avez une longue histoire à me narrer.