17. Mouton

Cher Léon,

Je te remercie pour ta lettre, c’est toujours un plaisir de te lire. J’ai informé tes parents de votre organisation pour les fêtes de fin d’année. Ils en ont profité pour me charger de te transmettre en retour leurs pensées les plus douces. Ils sont très fiers de toi et de tous vos projets, tu vas beaucoup leur manquer. Je dois aussi te communiquer quelques nouvelles, l’une triste et l’autre plus heureuse.

La première, c’est que le mouton que tes parents avaient adopté pour se consoler de ton départ à l’Université est mort de vieillesse il y a peu. Oncle Jasmin en est sûrement soulagé de là où il est, ce mouton bien mal-élevé venait sans cesse grignoter ses jardinières. Pour ce qui est de tes parents, ils ont tout de suite eu dans l’idée de remplacer cet étrange substitut à ta présence par un nouvel agnelet. Je les ai accompagnés le jour où ils ont décidé de se rendre chez le berger de la vallée. C’est là que survient l’heureuse nouvelle : au lieu de recueillir un mouton, l’occasion nous a été donnée de sauver deux chiots. En effet, l’une des chiennes qui garde le troupeau avait eu une portée, or le berger ne comptait garder qu’un petit sur les trois. Pour leur éviter un sort tragique, tes parents ont promis d’en adopter un, et j’ai accepté de faire de même. Nous sommes donc repartis les mains vides, mais avec l’assurance de revenir dans deux mois chercher les chiots qui auront alors suffisamment grandis pour être séparés de leur mère. J’ai donc quelques semaines encore pour me faire à l’idée d’accueillir un animal domestique à la maison. Avec un peu de chance, sa présence fera fuir les chats clandestins qui viennent faire la sieste sur les fauteuils en semant leurs poils partout.

C’est tout ce que j’avais à te dire de la part de tes parents. J’ajouterai que leur santé ne leur faillit pas, j’ai même parfois l’impression qu’ils sont moins vieux que moi. En ce qui me concerne, je te renvoie à la lettre ci-jointe adressée à Hermine : comme tu l’avais prédit, j’ai reçu son courrier peu de temps après le tien, et je vous réponds donc dans un même élan. En dernier lieu, je tiens tout de même à te parler de son cadeau.

Je ne pourrais pas assez te remercier de t’être déplacé et entendu toi-même avec le propriétaire du magasin parisien. Oncle Jasmin m’en avait toujours dit le plus grand bien, j’ai été rassuré d’apprendre de toi qu’il ne s’était pas fourvoyé. J’espère sincèrement qu’Hermine sera aussi ravie que tu le laisse entendre. Je tiens aussi à te rassurer, mon bon ami, du caractère ô combien erroné de tes idées. Sois certain qu’aux yeux de ma cousine, je n’ai jamais pu rivaliser d’éclat avec toi, peu importe si mon mérite excédait le tien. Ce n’est pas aujourd’hui que cela commencera, crois-moi. J’aurai beau te surpasser brillamment, cet amour ridicule qui la consume depuis tant d’années continuera de l’aveugler et elle restera désespérément admirative de tes adorables efforts pour lui plaire. Une pitié, vraiment, mais bel et bien la réalité.

D'avance je te souhaite de belles fêtes, 

Avec mes meilleurs sentiments,

Ton ami

Basile