Plans de vacances
— Je m’ennuie.
— Occupe-toi.
— Mais depuis qu’on nous a dégagés de notre chambre de décontamination, je sais plus quoi faire. Tu vois, ma vie était simple. Je regardais les âmes arriver par la petite fenêtre verte, je les regardais se faire nettoyer par les jets oranges et je les regardais repartir par la grande fenêtre rouge. C’était bien.
— Je sais, j’étais là.
— Et maintenant ? Maintenant, notre existence a plus aucun sens.
— Elle en avait déjà pas beaucoup avant, va.
— Je m’ennuie !
— Lis un livre. Tiens, il y a celui-là que j’ai récupéré dans les archives. Il parle de…
— Je sais pas lire.
— Moi, j’ai demandé à l’archiviste s’il voulait bien m’apprendre. J’avais un peu de temps libre et lui, il semblait s’ennuyer. Du coup, il m’a appris les lettres.
— C’est compliqué. Ça me donne mal à la tête.
— Mais non, regarde.
— Tu veux pas me raconter plutôt ?
— J’étais sur un passage à propos des âmes. Tu savais que toutes les formes de vie sans exception arrivent tôt ou tard à l’apocalypse.
— C’est quoi, ça ?
— C’est quand il y a un truc qui déconne avec les âmes. Soit il y en a trop et les formes de vie se retrouvent avec plusieurs âmes. Soit il y en a pas assez et ils finissent pas se tuer entre eux. T’imagines ? Ils essaient de terminer leur existence.
— Ouais, et… ?
— Enfin, c’est quand même fou. On dirait que les âmes, c’est vraiment le truc qui fait tout tourner.
— Bah… ouais. C’est sûrement pour ça qu’on les nettoyait à longueur de journée. Non ?
— Ouais, mais je pensais pas qu’elles avaient autant d’importance. Je veux dire, si on arrête de fournir des âmes, tout se finit. Plus de formes de vie, plus rien.
— Hum. Et cette apo-truc ?
— L’apocalypse. C’est quand les formes de vie deviennent bizarres. Les gens de chez nous descendent là-bas. Sur leur planète, tu vois. Et ils leur font passer un super mauvais quart d’heure.
— C’est quoi un quart d’heure ?
— Je sais pas. Mais ça a l’air vraiment pas cool. Bref, ils descendent et ils envoient des trucs mauvais. Genre, les formes de vie se font noyer ou un truc comme ça.
— Ouais, pas cool.
— Enfin voilà. C’est là que j’en étais.
— C’est ce qu’ils vont faire maintenant, tu crois ? Descendre pour les noyer ?
— Je sais pas. Peut-être. Enfin, c’est comme ça que ça marche.
— J’aimerais bien voir les formes de vie.
— Les voir ?
— Ouais, les approcher, tu vois ? Voir comment elles font pour vivre. Ça fait un moment que ça me travaille.
— Tu m’en as jamais parlé.
— Oh, c’était pas vraiment une discussion à avoir. On est des nettoyeurs, on descendra jamais sur une planète ou quoi. Mais voilà.
— Peut-être qu’on pourrait.
— Dis pas n’importe quoi.
— Je dis pas n’importe quoi. Mais j’ai entendu parler de ces mecs de la chambre de décontamination 775, eh bah, un jour, on leur a juste dit « Les mecs, vous avez mérité votre repos. On va vous envoyer en vacances sur une planète. » et ils sont partis.
— Ils ont raconté comment c’était ?
— Non.
— Pourquoi ?
— Parce qu’ils sont jamais revenus. Mais c’est pas une raison de pas tenter, pas vrai ?