17 septembre 2015 – New York
Se réveillant avec une énorme gueule de bois, Wyatt peina à lever sa tête de l'oreiller qui lui était inconnu. Il promena son regard sur les quatre coins de la pièce, à la recherche d'un déclic, de souvenirs pouvant expliquer comment il avait atterri dans cet appartement. La chambre aux murs violets ne lui rappelait rien. Ni même l'homme nu qui dormait à ses côtés. Un simple drap blanc enveloppait ses parties intimes. Ce dernier, dormant à poings fermés, à plat ventre, ronflait légèrement. Quand il se retourna, Wyatt put apercevoir que l'inconnu avait au moins une dizaine d'années de plus que lui ainsi qu'un crâne rasé et une barbe bien prononcée.
Le serveur voulut partir sur la pointe des pieds. C'était un rituel matinal depuis quelques jours. Pour être précis, depuis son vingt-huitième anniversaire. Une nouvelle conquête, la gueule de bois au réveil... Il ne supportait plus la solitude, le fait de rester enfermé chez lui. Il ruminait énormément, hanté par les fantômes de son passé.
Sa réflexion s'arrêta net, tout comme sa tentative de s'habiller en toute discrétion. Une sonnerie d'alerte retentit. Ce fut assez bref mais suffisant pour que l'inconnu commence à émerger. Wyatt avait reconnu ce son : le site de rencontres sur lequel il s'était inscrit la veille au soir. En effet, l'application Adam4Adam venait de lui envoyer une notification. On avait repéré une nouvelle conquête, non loin d'ici. Wyatt parcourut son profil. Un certain «vicks56». D'un premier abord, le jeune homme mentait clairement sur son âge. Il déclarait sur son profil avoir vingt-cinq ans. Wyatt lui en donnait à peine dix-huit. En temps normal, le mensonge était rédhibitoire pour le serveur. Sans pouvoir en expliquer la raison, le fait que «vicks56» soit plus jeune que ce qu'il prétendait lui plaisait. Cela attisait sa curiosité. Absorbé par son portable, il n'avait même pas remarqué que celui qui l'avait invité à coucher avec lui la nuit dernière venait de se lever. Il commençait même à s'habiller, en bougonnant :
— Mmmh... T'es encore là, toi ? Tu fous quoi ?
— Bye, euh... c'est quoi ton nom déjà ? lança Wyatt, tout en étant faussement poli.
— Je m'appelle Jasper, rappela-t-il. Tu me regardes vraiment bizarrement. Tu es sûr qu'on a couché ensemble cette nuit ? Tu n'es tellement pas mon genre...
Il marqua une pause avant de rajouter :
— Les mecs paumés et dépressifs, j'évite...
Un sentiment de rage bouillonnait dans la poitrine du serveur. Il savait au fond que c'était l'image qu'il renvoyait aux autres dernièrement. Qu'il n'était pas dans son assiette. Qu'il touchait peut-être le fond. Qu'il sombrait, noyé dans des émotions loin d'être joyeuses. Pour autant, il ne pouvait pas laisser ce Jasper avoir le dernier mot. Son auto-suffisance l’insupportait au plus haut point.
— Les mecs désagréables le lendemain matin, j'évite aussi pour ta gouverne, n'a-t-il pas pu s'empêcher d'exprimer sur un ton de dégoût.
— Les médocs et l'alcool m'ont sacrément ravagé pour que j'en vienne à faire l'amour avec toi, putain...
Mettant la main sur son portefeuille qu'il vérifia rapidement, Wyatt se saisit de son manteau de cuir :
— Allez, salut ! Bonne continuation... ou pas.
Il quitta l'appartement, prenant soin de ramasser son porte-feuille tombé sur le tapis du salon lors de leurs préliminaires de la veille. En claquant la porte de l'appartement, il se rendit compte de quelque chose. Il fichait de cet homme. Tout ce qui l'intéressait, c'était ce nouvel profil. Ce jeune homme qui l'attirait. Jasper n'était qu'une distraction d'un soir qu'il oublierait bien vite.
Alors qu'il errait dans le couloir de l'immeuble de son dernier amant en date, l'hésitation s'empara de lui. Devait-il entrer en contact avec ce jeune homme ? N'était-il pas en train de faire n'importe quoi avec cette «thérapie par le sexe» ? L'envie, le désir étaient plus forts que ses scrupules. Wyatt envoya un bref message dans lequel il fit preuve de séduction :
«Salut, mon beau gosse ! Dis-moi, t'es dispo aujourd'hui ?»
Au fond de lui, il ressentait le besoin de faire de «vicks56» sa nouvelle compagnie d'un soir. La perspective d'entrer en séduction avec lui le fit frisonner de plaisir. La photographie lumineuse, mettant en valeur le corps svelte du jeune homme l'avait charmé. Cela avait réveillé en lui un profond désir. En y réfléchissant, l'amant qu'il venait de quitter... Il ne l'avait pas désiré tant que cela. L'alcool avait dû le rendre plus séduisant qu'il ne l'était en réalité. Wyatt ne recherchait peut-être que du sexe mais il traitait ses partenaires avec respect.
L'ami de Juliet et Harry quitta l'appartement, prit l'ascenseur de l'immeuble et se mêla à la foule avant de héler un taxi pour l'emmener jusqu'au restaurant. Revoir brièvement Brian faisait remonter en lui de vieux souvenirs très douloureux. Cependant, il mit cette brève rencontre sur le compte du mirage. Il était impossible que Brian soit en ville. Son esprit, encore traumatisé par ces événements, devait lui jouer des tours. Son inconscient avait dû percevoir un détail ce jour-là qui lui avait rappelé le camp de redressement. C'était plus logique que de croiser Brian pour de vrai dans les rues bondées de New-York.
Le trajet en taxi dura environ une demi-heure. Comme il s'y attendait, ses amis s'inquiétèrent de son retard :
— Tu étais avec un mec, je parie ? devina Juliet.
— Et depuis hier, ça n'a pas changé... Tu n'es toujours pas ma mère, répondit froidement Wyatt.
— Hé ! Du calme... C'était juste une question...
Harry avait tenté de prendre la défense de son amie et collègue auprès de Wyatt. Ce fut un échec cuisant.
— Je vais très bien. Je suis un grand garçon. Je me débrouille parfaitement bien tout seul, merci bien.
— On sait tout ça, rassura Harry.
— Si je suis sexuellement actif, que je profite de ma vie de célibataire, ça ne fait pas de moi un homme en détresse qui appelle à l'aide en lançant une bouteille à la mer.
— C'est toi qui parles d'appel à l'aide, Wyatt, pas nous...
Wyatt voyait bien que ses amis le voyaient comme une pauvre fleur fragile. Il détestait cette image. Il n'avait pas besoin d'aide. Il voulait simplement qu'on le laisse gérer les choses à sa manière. Les deux serveurs n'insistaient pas. Juliet s'éloigna pour servir une table, une larme au coin des yeux. Elle ressentait la douleur de Wyatt. Elle le savait au plus mal. Elle se sentait à court d'options pour aider son ami qui se refermait un peu plus chaque jour. Depuis la soirée karaoké, le serveur parlait peu ou bien avec froideur. Soit il travaillait en traînant des pieds, soit il agissait comme un robot en se contentant d'effectuer une série de gestes automatisés.
Une notification retentit à nouveau sur son portable. Il s'isola dans un coin du restaurant et constata que «vicks56» lui avait répondu :
«Libre de suite, si tu veux.»
Le serveur lui envoya l'adresse de son lieu de travail suivi d'un nouveau message :
«Viens vite ! On fera ça vite et bien. Je suis en feu...»
L'homme derrière le pseudonyme de «vicks56» se montrait particulièrement réceptif à la proposition de Wyatt. Constatant que l'attirance était réciproque, il laissa échapper un petit sourire en coin, tel un chasseur ravi de voir sa proie courir naïvement en sa direction. Rapidement, il put lire la réponse qu'il attendait :
«T'es trop canon ! Je suis en route, tiens-toi prêt...»
Pendant que «vicks56» devait arpenter les rues de New York en courant à toute vitesse, le serveur se résolut à servir quelques tables. Son service avait officiellement commencé depuis vingt minutes et il ne s'était pas encore mis au travail. Il entendit déjà Juliet lui rappeler qu'il pouvait être viré. Au fond, de ce travail, il s'en fichait éperdument.
Tenant deux milk-shakes à la fraise sur son plateau, il avança en direction d'une table autour de laquelle se tenaient deux adolescentes. Il amena une Heineken Light à un homme d'une quarantaine d'années qui semblait ne pas vouloir lâcher des yeux la mallette qu'il tenait entre ses deux genoux. Puis, un cappuccino, deux latte et trois thés à un groupe de femmes. Alors qu'il posa le dernier thé en face d'une trentenaire en vêtements de jogging, un coup d’œil rapide à la porte d'entrée suffit au serveur pour reconnaître le fameux «vicks56». Le jeune blond aux yeux bleus portait un débardeur et une paire de jeans. Il semble d'ailleurs repérer également le serveur parmi la foule de clients et de serveurs. L'inconnu s'approcha avec anxiété :
— Rendez-vous aux toilettes. J'arrive ! chuchota Wyatt à son oreille, le faisant frissonner.
De loin, Juliet observa la scène en levant les yeux au ciel. Elle attrapa Harry par le bras pour lui montrer leur ami suivant un parfait inconnu jusque dans les toilettes du restaurant.
Prenant soin de refermer la porte derrière lui, sans aucune discrétion, Wyatt entraîna le jeune homme vers lui, en direction d'une cabine. Une fois à l'intérieur et la porte fermée à clé, il déshabilla vivement l'inconnu du regard. Ce dernier en fit de même, comme s'il éprouvait des difficultés à refréner son désir. Ils se retenaient difficilement de se toucher sensuellement l'un l'autre.
— Fais-moi l'amour, susurra «vicks56».
— Parce que tu fais l'amour, toi ? s'étonna le serveur.
Pour Wyatt, le jeune homme était bien plus jeune que l'âge annoncé sur le site. «Vicks56» hocha timidement de la tête.
— Bon, d'accord, concéda Wyatt.
À ces mots, l'ami de Juliet et Harry embrassa fougueusement l'inconnu à peine majeur qui se laissa faire dans un premier temps. Soudain, il se recula, désireux de ralentir le rythme soutenu de son partenaire. Il se mordait la lèvre inférieure, comme pour marquer une hésitation.
— Euh... J'ai... J'ai dix-sept ans... Ça te pose un problème ?
Souriant à moitié, Wyatt s'en doutait depuis le début. Il trouvait adorable cet aveu avant le passage à l'acte. Il n'avait aucune intention de s'arrêter pour autant. Pour réponse, il l'embrassa de plus belle. Au moment d'ôter le t-shirt sans manches de son amant, le serveur recula d'un pas, s'arrêtant sur son visage. Il n'avait plus «vicks56» en face de lui mais Brian Felton, l'adolescent devenu homme qu'il avait connu au camp de redressement pour adolescents.
Voulant masquer sa surprise, il prit soin de ne pas s'arrêter dans son élan et déshabilla le jeune homme. Il lui ôta son débardeur et caressa fougueusement son torse. Le fait qu'il ait vu le visage de Brian l'avait excité encore plus. Pour autant qu'il s'en souvienne, il avait toujours trouvé mignon. Il avait été attiré par lui presque depuis le début de leur rencontre. Il avait mis un moment avant de se l'avouer.
Le jeune «vicks56» enleva à son tour les vêtements de Wyatt avant de gémir et de l'embrasser dans le cou. Contrairement à sa relation de la nuit dernière, le serveur avait l'intention de prendre du plaisir avec ce jeune homme. Il voyait toujours le visage de Brian au lieu de celui du garçon de dix-sept ans. Wyatt s'imagina, le temps d'un instant, avoir une relation sexuelle avec le véritable Brian Felton.
Revoir ce visage aussi proche du sien fit décrocher un sourire à l'employé du restaurant. Ce sourire dura jusqu'à ce que ce visage ne se transforme. La tête de son partenaire virant au bleu, Wyatt émit un cri d'horreur qui perturba son amant. Reprenant ses esprits, le serveur se rappela de l'adolescent de dix-sept ans. Il reprit ses esprits, réalisant qu'il était en compagnie du jeune homme. Le jeune homme n'était pas Brian. Malgré toute sa bonne volonté, il échoua à s'abandonner dans les bras de son amant. Il était hanté par ce visage bleuté. Brian avait de nouveau envahi son esprit et venait de lui gâcher un moment supposé lui procurer du plaisir.
— Dégage ! hurla Wyatt à l'attention de l'adolescent.
Surpris, l'adolescent fébrile resta immobile.
— Dégage, je te dis ! Va voir ailleurs ! Je veux plus te voir ! Dégage !
En larmes, «vicks56» sortit des toilettes sous le regard inquiet de Juliet et de Harry. En entendant la porte claquer, Il n'eut pas fallu très longtemps avant que Wyatt ne sanglote à son tour dans la cabine, torse nu et les cheveux décoiffés.
C'est terrible ce qui se passe dans ce chapitre, on voit très bien que Wyatt pete un câble, et ses amis inquiets, c'est très bien fait !
Enchainer les coups d'un soir, en temps normal j'ai pas d'opinion sur la question, j'imagine qu'il y a un tas de raison de faire ça, pas forcément toutes malsaines... mais l'absence de respect entre les deux au début du chapitre montre clairement qu'il y a un souci (+ meme pas encore parti il repère le prochain), et puis faire venir un inconnu pour s'envoyer en l'air sur son lieu et pendant ses horaires de taf alors la ça craint ! j'aime beaucoup le désarroi des 2 collègues, qui savent vraiment pas quoi faire dans cette situation, et je les comprends ! ce qui m'a fait penser : est-ce qu'il y a une hiérarchie entre eux ? ou ils ont un boss qu'on voit jamais ? parce que ce serait à lui de dire a Wyatt "pas sur ton lieu de travail" (a défaut d'oser aborder le problème de face)
très bien écrit aussi quand Wyatt voit Brian a la place de ce pauvre vicks56
(au passage, j'ai beaucoup aimé la phrase "fais-moi l'amour, sussura vicks56", le pseudo qui jure tellement avec l'intimité de la phrase :-( il a l'air bien bien paumé aussi ce vicks56, et purée cette histoire a du bien lui faire du mal aussi, ébranler sa confiance... en meme temps il est si jeune, j'avais pas envie de les voir aller plus loin et j'étais un peu soulagée que Wyatt le vire... mais lui il a du rien comprendre le pauvre ! Est-ce qu'on le reverra ?
Là, je voulais montrer que derrière l'enchainement, il y avait quelque chose de pas clair, toxique. C'est quelque chose que j'avais eu du mal à mettre en évidence dans la première version car c'est quelque chose qui ne ressortait pas dans les retours. Dans le "passé", j'étais bloqué parce que j'étais pas sûr de la direction que j'avais choisi. Et là, parce que je voyais que le message n'était pas passé. Alors, si tu as pu déceler ça, je suis content.
C'est vrai que je ne l'ai pas précisé mais dans ma tête, non il n'y a pas de hiérarchie entre eux. Et on ne voit pas la direction, c'est vrai. Ni même les autres collègues, tu me diras. Il faudrait que je remédie à ça.
Pour "vicks", figure-toi qu'en postant le chapitre, je me suis posé la question. Au départ, j'étais parti que non. On en avait fini avec lui. (snif) Mais en postant, j'ai douté et je doute encore. Je vais voir ;)
Un grand merci pour ton retour, Sorryf ! ça fait vraiment super plaisir ! :D