On raconte que les chats ont neuf vies. Je suis contre la souffrance animale alors je n’ai jamais vérifié. Même si ceux qui laissent leurs traces de pattes sur ma voiture ou leur grosse commission au milieu de mon potager me donnent parfois une furieuse envie. Quand on y réfléchit deux minutes, neuf vies ce sont des petits joueurs.
L’humain moderne fait beaucoup mieux que ça. Et ça n’a rien de confortable. Je pense que la maturité nous fait découvrir une infinité de vies. Beaucoup sont subies. Faisons les comptes. Quand je regarde le Thibaud de l’année 2024, c’est avant tout un père de famille. Oui, car avoir des enfants nous met sur les épaules une lourde responsabilité. Mis à part pour quelques psychopathes, il est hors de question de se débarrasser de cette charge. Depuis que je pratique au quotidien cette vie de papa, je confirme que je vis désormais pour ma fille. A côté de ça, j’ai bien sûr une deuxième vie dite professionnelle. Il faut bien manger et payer les factures alors je loue mes services d’esclave modernes et une quantité d’heures de vie à un employeur du CAC40. Il est illusoire de penser que je ne ramène pas à la maison mes soucis du boulot. A la maison justement, j’entame ma nouvelle vie de co-responsable d’un foyer. J’ai la chance de vivre sous un toit, qu’il faut entretenir et réparer, ranger et aménager. Sans oublier de faire des courses puis de faire à manger, de justement payer les factures et d’organiser au mieux le quotidien. Les années passent et le quotidien m’étouffe. J’en oublie parfois que j’ai une vie de couple et de mari. Il est trop facile de la considérer comme un acquis et non prioritaire. Si jamais elle s’écroulait, elle emporterait mon équilibre et toutes mes autres vies. Est-ce que j’en oublie de nourrir ma vie d’humain, d’être sensible à l’art et de culture. Probablement oui, je la néglige en pariant sur la retraite lointaine qui rattrapera une partie de tout ce temps perdu.
Il reste peu de place pour le sport dans tout ça. Je ne parle pas du minimum que chacun devrait faire pour entretenir la merveilleuse machine du corps humain. Non, je suis un coureur avec un objectif ambitieux. Et pour espérer atteindre cet objectif, je dois m’astreindre à un programme d’entrainement chargé. Et terriblement chronophage. S’entrainer à tenir pendant presque deux jours entiers de course, ça demande plus que de petits footings d’une demi-heure deux fois par semaine. Beaucoup plus. On raconte sur Internet que pour préparer un ultra-trail, pour un amateur, il faut de 10 à 15 heures d’entrainement par semaine. Ouch ! Actuellement j’ai du mal à caser 6 heures dans ma semaine et ça râle pas mal au boulot et à la maison. Il faudrait que je trouve le double ?
Quand j’évoque six heures par semaine, je suis sur une semaine standard, sans évènement particulier, la banalité du quotidien. Sauf qu’il y a d’autres choses que le quotidien dans une vie, et heureusement. A l’heure où j’écris ces lignes, je suis en déplacement professionnel et j’attends que la prochaine conférence démarre avec mon ordinateur sur les genoux. Je passe donc une semaine sans pouvoir m’entrainer, à fabriquer du lard avec tous ces repas et ces apéritifs dits conviviaux. Pour l’heure, je prends un kilo par jour, j’espère que ça va se calmer. Ce n’est pas fini. J’enchaine sur une semaine de vacances, plutôt orienté culture et capitale Européenne. Les baskets ne font pas partie de mes bagages. La montagne est bien loin.
Bref, deux semaines sans pouvoir faire du sport, qu’est ce que je fous là au lieu de m’entrainer ?
J’assume comme je peux mes multiples vies. Et j’ai beau avoir fait de cette préparation à l’UTMB mon objectif de l’année. Le trail reste une occupation secondaire. A la bataille, l’entrainement perd à chaque fois. On appelle ça de la gestion par priorité.