18 - Inspector Jones

Dans la cave, le tourne-disque chantait un air de solitude ; la voix chaude de Nina Simone flottait à travers la porte restée ouverte en haut des escaliers, mais personne ne s’y trouvait pour l’entendre. Assis dans son fauteuil de bureau, Lester ne quitterait pas le sous-sol avant plusieurs heures ; malgré l’heure diurne, il cogitait trop pour s’assoupir. Heureusement pour lui, l’importance du sommeil s’avérait très secondaire dans son hygiène de vie.

Une pensée en particulier tournait en rond dans sa tête, provoquant un tourbillon de plus en plus puissant : d’après les dires de la propriétaire du Lair of Biters, le Chasseur était apparu dans ce même bar juste avant la disparition de Kelly Angel.

Un étrange vertige le saisit lorsqu’il réalisa que le Lair of Biters avait probablement abrité un véritable vampire avant qu’il n’y entre lui-même : Kelly Angel. Pour quelle autre raison aurait-elle disparue dans le sillage d’un chasseur de vampires ? La coïncidence était trop flagrante pour en être une. Il devait absolument retrouver sa trace, et espérer qu’elle soit toujours en vie.

Son téléphone vibra contre le bois du bureau, réclamant son attention. Lester mit plusieurs secondes à la lui accorder, et fronça les sourcils lorsqu’il constata que l’appel venait de Cole. À peine deux jours après leur dernière rencontre au Oakes Antiques. Il décrocha.

— C’est important ? demanda-t-il. Je suis occupé.

— Je sais pas ce que tu fais mais je m’en fous, tu peux le faire en m’écoutant.

Le ton anormalement tranchant de son collègue l’interpella, et il garda le silence, le laissant poursuivre :

— J’ai parlé à Rachel et Eric. C’est quoi cette histoire d’agression ?

Lester se frotta la tempe d’une main. Peu de choses pouvaient lui donner la migraine, mais écouter Cole se plaindre allait sans doute réussir cet exploit.

— Tu m’as dit que Léonie était venue te voir juste avant son départ, je pensais qu’elle t’en avait parlé.

— Eh bien non figure-toi ! C’est Rachel qui m’a tout dit, et tu sais quoi ? Elle aussi, elle partait du principe que j’étais au courant. Bon sang, pourquoi personne ne m’a rien dit ?!

— Je n’en sais rien, mais si Léonie avait voulu que tu le saches, elle aurait abordé le sujet. Quant à moi, je n’en ai pas eu l’occasion ni l’intérêt.

Un silence flotta dans le combiné. Lester crut entendre Cole s’étouffer avec quelque chose.

— Pas l’occasion ?! On s’est vus il y a deux jours et on a parlé jusqu’à minuit ! Ne me dis pas que les occasions ont manqué ! Et au cas où t’aurais oublié, je suis toujours l’ami de Léonie et j’ai le droit de savoir !

— Laisse-la juger de ce que tu as le droit de savoir ou non sur sa vie.

— J’ai une question à te poser, Enfield. Réponds-moi franchement.

Malgré sa volonté d’en finir avec cette conversation, le vampire se fit attentif.

— Est-ce que tu lui as fait du mal ? lança Cole sans la moindre hésitation.

Si Lester avait été en train de boire, il se serait sans doute étouffé.

— Je te demande pardon ?

— Est-ce que tu as fait du mal à Léonie, oui ou non ?

Lester se leva abruptement de son fauteuil avec un regard sombre.

— Tu dérailles complètement, Burman. Tu sais très bien que je ne lui ferai jamais le moindre mal. Contrairement à toi.

— Putain arrête de me rabâcher cette vieille histoire avec Terry ! s’emporta Cole. Je commence à comprendre pourquoi elle était dans cet état la dernière fois que je l’ai vue. Elle a dit que vous vous étiez disputés, et elle avait peur. Tu t’es emporté et c’est allé trop loin, c’est ça ?

Lester perdait rarement patience, mais les accusations de Cole l’atteignaient sous un angle trop précis.

— Non, ce n’est pas ça. Comme d’habitude, tu réfléchis avec tes émotions du moment, et comme d’habitude, tu n’es pas arrivé à la bonne conclusion. Rachel et Eric t’ont forcément parlé de l’homme qui s’est introduit chez nous. Tu te trompes d’ennemi et tu le sais très bien.

Il entendit Cole pousser un long soupir, et un nouveau silence s’installa.

— Honnêtement Enfield, je sais pas quoi croire. C’est quand même important, et on dirait que t’as fait exprès de me le cacher. Quelle raison tu pourrais bien avoir de taire cette histoire, hein ?

— Laisse-moi te parler tout aussi honnêtement : si tu m’as appelé pour déblatérer ces inepties, tu peux raccrocher tout de suite. Je n’écouterai pas un mot de plus.

Pourtant, ils restèrent tous deux en ligne durant un instant de suspens. Ni l’un ni l’autre ne parla pendant plusieurs secondes. Lester ne pouvait pas dire que la colère de Cole le prenait au dépourvu ; il la comprenait. Cependant, même en sachant qu’il aurait tôt ou tard eu vent de cette histoire, le vampire n’avait pas pu se résoudre à lui en parler. Il avait été la cible d’un tueur, et Léonie avait découvert sa vraie nature, tout cela le même jour. Il ne voulait pas mêler une troisième personne à ses dangereux secrets.

— J’appellerai Léonie pour entendre sa version, déclara enfin Cole d’une voix un peu plus calme.

Lester soupira.

— Je vois que la confiance règne. Un conseil, laisse-la passer Noël en paix avec sa famille et attend qu’elle revienne à Londres avant de lui rappeler ce souvenir. Ce serait la moindre des choses.

— La moindre des choses aurait été de m’en parler.

Il tiqua. La tranquille rivière de sa patience venait de se tarir.

— Burman.

— Quoi ?

— Parles-en avec elle en temps voulu si ça peut te rendre moins insupportable. À partir de maintenant et jusqu’à ce que ce soit fait, va au Diable.

Il raccrocha et posa le téléphone sur le bureau d’un geste excédé. Il n’arrivait pas à croire que Cole venait de l’appeler pour formuler de telles accusations à son égard, sans aucune preuve. Sans doute avait-il simplement voulu exprimer sa colère de ne pas avoir été mis au courant. Lester était en mesure de le comprendre. Cependant, il soupçonnait aussi que Léonie ne lui en avait pas soufflé un mot pour éviter de laisser échapper la vérité à son sujet. S’il voyait juste, alors il lui en était reconnaissant.

Le vampire darda abruptement ses yeux pâles vers son téléphone lorsque celui-ci recommença à vibrer. Mais l’appel ne venait pas de Cole. C’était un numéro inconnu. Il saisit l’appareil d’une main ; son pouce hésita au-dessus du bouton "décrocher", puis l’effleura et glissa sur le côté pour accepter l’appel.

— Monsieur Enfield ?

Lester reconnut cette voix, et son attention s’aiguisa.

— Inspecteur Jones ?

— C’est moi. J’accepte.

Il y eut un instant de battement. Puis, un sourire de moins en moins humain étira ses lèvres pâles presque d’une oreille à l’autre. La chasse pouvait commencer. Il allait retrouver le tueur aux lames d’argent, lui extirper la vérité. Ensuite, Lester lui ferait payer le chaos qu’il avait semé dans sa vie. Et surtout, il ne referait plus l’erreur de redevenir la proie.

 

21 - Inspector Jones

 

Tandis qu’il rassemblait ses affaires et quittait les vestiaires du poste de police, William tentait de masquer sa nervosité. Officiellement, sa journée était terminée. Une journée passée à intervenir sur des cas d’agression, de litiges violents entre voisins, ou encore d’enlèvement. Officieusement, cette journée ne faisait que commencer. Désormais vêtu de son accoutrement civil, il s’apprêtait à faire cavalier seul sur une enquête très personnelle. Enfin, cavalier presque seul.

Sous le regard de certains de ses collègues, il traversa le couloir pour rejoindre la sortie. Dehors, il commençait déjà à faire sombre, mais il ne rentrerait sans doute pas chez lui avant le milieu de la nuit.

— On est pressé, Jones ? lança ironiquement Paula depuis le comptoir du hall. Oh, c’est vrai : Bailey vous a aménagé du temps libre.

William s’arrêta et prit une inspiration, gratifiant sa collègue d’un regard froid. La nouvelle avait fait le tour du poste. Tout le monde savait que l’inspecteur en chef l’avait évincé de l’affaire des balles d’argent, pour nulle autre raison que l’identité du suspect numéro un : son illuminé de géniteur.

— Et je compte en faire bon usage.

Sans plus de cérémonie, il quitta le hall d’un pas décidé et s’engouffra dans l’air glacial d’un crépuscule précoce. Sur le parking, il rejoignit sa voiture. Pas exactement la sienne, mais une location ; un véhicule citadin noir assez banal, mais aux vitres latérales teintées. Hors de question de prévoir une filature dans sa voiture personnelle. Et puis, le journaliste aurait ri de sa Fiat Panda verte. Non pas que cela ait une grande importance, bien sûr.

Lester Enfield. L’étrange partenaire qui allait le rejoindre d’ici peu dans cette voiture. Celui-là même que son père prenait pour un vampire, car il avait apparemment attenté à la vie du jeune homme à deux reprises en usant d’armes en argent. À moins que ce ne soit bien plus, et que William n’ait tout simplement jamais entendu parler des autres tentatives.

Il soupira et secoua la tête. Son père avait besoin d’aide. Il devait absolument le retrouver. À ce stade, être interné semblait se présenter comme la fin heureuse de l’histoire. Cela lui éviterait de passer le restant de ses jours en prison. Pour cela, il allait devoir être jugé. Et tout d’abord, retrouvé.

Après une demi-heure de route, William immobilisa le véhicule en bordure de Regent’s Park, sur un arrêt minute. Laissant le moteur tourner, il surveilla les alentours, y compris à travers ses rétroviseurs. Certains passants arpentaient les trottoirs dans les deux sens d’un pas pressé, d’autres flânaient devant les vitrines illuminées, à travers les rues scintillantes de Londres. Tous étaient emmitouflés dans leurs vêtements d’hiver. Les routes voyaient défiler la dernière intensité d’une circulation remplie de travailleurs libérés qui n’avaient qu’une idée en tête : rentrer chez eux. William en aurait volontiers fait autant.

Deux petits coups discrets le firent légèrement sursauter tout en attirant son attention sur la vitre passager ; une silhouette enveloppée d’un caban noir se tenait tout près de la voiture. Elle se pencha, et le visage de Lester apparut dans son champ de vision. William le salua d’un signe de tête et se détendit ; il ne l’avait pas vu approcher. Une brève bouffée d’air froid pénétra dans l’habitacle chauffé tandis que le journaliste prenait place à côté de lui. Quelques flocons de neige saupoudraient son manteau et ses cheveux négligemment plaqués en arrière, le blanc tranchant avec leur noirceur.

— Vous êtes en avance, lança William.

— Il est important pour moi de retrouver cet homme avant qu’il ne me retrouve, rétorqua calmement Lester. Et vous l’êtes aussi. En avance.

— C’est vrai.

Tandis que Lester bouclait sa ceinture, William quitta sa place de stationnement et s’engagea dans le trafic. Il se sentait nerveux ; désobéir à ses supérieurs en acceptant une collaboration ombrageuse avec un journaliste sans aucune expérience policière avait de quoi mettre ses nerfs à l’épreuve. Certes, durant leur dernière entrevue, il avait été quelque peu pris de cours par l’assurance aussi tranquille que solide qui émanait du jeune homme. Mais il fallait se rendre à l’évidence : il risquait beaucoup plus que lui. William veillerait à ce qu’il reste en arrière.

— C’est prudent de votre part d’avoir pris une voiture de location, ajouta soudainement Lester.

— Comment vous savez ?

Son passager lui adressa un léger sourire.

— L’odeur de matériaux neufs, les vitres teintées, l’habitacle impersonel. Et honnêtement, passer outre ce genre de précaution n’aurait pas été sérieux de votre part.

William le dévisagea sans savoir s’il devait y percevoir un compliment. Cependant, l’intervention le rassura, et il hocha la tête avec l’ombre d’un sourire.

— J’aime bien les gens qui ont le sens de l’observation, monsieur Enfield.

— Et j’aime ceux qui en ont un peu moins que moi, plaisanta son interlocuteur. Appelez-moi Lester.

— Appelez-moi William.

 

# # #

 

La voiture noire se fondait autant dans l’obscurité que dans la file de véhicules garés en créneau sur le bas-côté. Les deux passagers, sous le couvert de la nuit et des vitres fumées, observaient le grand manoir couvert de lierres grimpants. Contrairement aux maison alentours, dont les fenêtres perçaient des trous de lumière dans l’étoffe nocturne, l’imposante demeure restait désespérément sombre. Et silencieuse.

— Êtes-vous sûr que cet endroit n’est pas abandonné ? demanda Lester sans quitter des yeux la rangée de fenêtres du premier étage.

— Certain, répondit William. C’est du moins son adresse actuelle.

— Cela ne l’empêcherait pas d’aller ailleurs.

— C’est vrai. Mais c’est le meilleur point de départ auquel je puisse penser. Même s’il ne s’y trouve pas actuellement, il pourrait y revenir.

Lester balaya lentement la propriété du regard, sur toute la largeur. La cour était en friche, les murs sales, le crépi fissuré. Même la boîte aux lettre était en piteux état, et aucun nom ne s’y laissait lire. Un ruban jaune et noir barrait la porte en une grande croix, vestige du précédent passage d’une unité policière.

— L’avez-vous déjà vu rentrer ici dernièrement ?

— Non, avoua William. Pourtant, la maison a été surveillée et fouillée. Aucune trace de lui, et aucune arme n’a été retrouvée.

Cela aurait grandement étonné Lester. Le Chasseur gardait certainement son arsenal dans un endroit plus sécurisé, moins évident ou moins facile d’accès. Il suffisait de trouver son antre. Il devait encore s’y terrer pour guérir de ses blessures.

— Que savez-vous sur cet homme ? demanda-t-il.

L’inspecteur garda un moment de silence durant lequel il fit mine d’observer le manoir plus attentivement. Lester devinait sans peine que William rechignait encore à lui livrer la moindre information.

— Il est connu des services de police, répondit-il enfin. Pour agression, troubles à l’ordre public, détention d’armes… Alors oui, nous savons qu’il vit ici.

— Quel est son nom ?

— Ulrich Engelstein.

Le vampire se figea. Engelstein… Comme Manfred Engelstein. Ce soldat qui l’avait percé à jour durant la guerre. Cet homme qui avait juré de le pourchasser, à cause de qui il avait dû déserter. Avait-il transmis sa haine et son sacerdoce à sa lignée ? Lester ne parvenait pas à expliquer la situation autrement. Manfred Engelstein aurait donc fait de la mort du vampire une affaire de famille en confiant ce fardeau à son fils, Ulrich. Il serra les dents, regrettant de ne pas avoir éliminé Manfred tant qu’il en était encore temps. S’il l’avait fait, le Chasseur n’aurait jamais existé.

Voilà donc pourquoi et comment Ulrich Engelstein avait eu connaissance de sa nature avant même de le rencontrer en personne, au Lair of Biters. Lester repensa à cette étrange poignée de main ; le Chasseur avait jaugé sa température et son pouls par ce simple contact. Qui savait combien de coups d’avance il avait encore sur lui ?

Son visage blême se tourna vers l’imposante façade du manoir. Les fenêtres étaient comme les orbites d’un crâne, béantes et remplies de ténèbres plus profondes encore que celles de la nuit. Pourtant, ses yeux perçurent un mouvement derrière une vitre. Une silhouette large d’épaules passa devant, puis disparut, et ne réapparut pas.

Il n’en fallait pas davantage. Une douleur sourde commença à poindre dans sa mâchoire, mais il se força à rester immobile et silencieux. William attendait toujours de voir Ulrich arriver par la rue déserte pour se réfugier dans son manoir. Lester savait qu’il s’y trouvait déjà. Il n’avait qu’à sortir de cette voiture, enfoncer la porte du manoir et se jeter sur le Chasseur sans lui laisser le temps de réaliser ce qui était en train d’arriver.

— Lester ?

L’intéressé cligna des yeux et détourna le regard de la façade du manoir. Son visage fit volte-face pour accorder son attention à William. Ce dernier lui indiqua d’un menton nonchalant le paquet d’arachides qu’il avait ouvert et posé sur le tableau de bord de la voiture, lui signifiant ainsi de se servir. Lester lui adressa un léger sourire aimable, et dépourvu de l’ironie qui l’aurait habité s’il ne devait pas se faire passer pour ce qu’il n’était pas.

— Non, merci.

La seule et unique chose qui le faisait saliver d’envie, en cet instant suspendu au beau milieu de la nuit, c’était le sang du Chasseur devenu proie, tout autant que d’assouvir sa soif de vengeance et de réponses. Tout cela se trouvait là, à sa portée, juste derrière ces vieux murs de pierre. L’opportunité était trop belle, si belle qu’il hésita à se débarrasser de William pour ensuite s’occuper de sa cible principale. Cependant, la précipitation faisait manquer bien des victoires aux prédateurs. Il ne pouvait pas agir tout de suite. Il lui faudrait revenir. Seul.

 

# # #

 

William fut de retour chez lui vers quatre heures du matin. Montant au deuxième étage par les escaliers plongés dans la pénombre, il déverrouilla la porte et entra dans un appartement vide et silencieux. Du moins, presque vide ; Poe, un chat noir et blanc qui avait élu domicile chez lui deux ans auparavant, trottina jusqu’à lui et se frotta dans ses jambes. Après avoir enlevé son manteau et ses chaussures, William se pencha pour le prendre dans ses bras et s’avança dans le salon. Il avait toujours préféré les chiens, mais son travail ne lui laissait pas assez de temps libre pour en adopter un.

Déposant Poe sur le sol de la cuisine, il lui ouvrit une boîte de thon et se prépara une infusion à la menthe qu’il alla déguster sur le canapé du salon. La soirée avait été beaucoup plus calme que prévue. Bien sûr, il ne s’était pas vraiment attendu à apercevoir son père dès le premier soir, mais avait espéré un signe. Un signe lui indiquant qu’il allait dans la bonne direction, qu’il faisait ce qu’il y avait de mieux à faire. Son étrange acolyte avait l’air de le penser. Du moins, être observateur ne le dérangeait pas. Il semblait même en avoir l’habitude. Mais ses idées inquiétaient l’inspecteur ; il était réticent à laisser Lester jouer le rôle d’un "appât" pour attirer leur homme hors de sa cachette.

Poe atteignit d’un bond le dossier du canapé et s’assit au sommet pour faire sa toilette. William posait un oeil distrait sur lui, plongé dans ses pensées. Malgré lui, il considéra l’option de laisser le jeune journaliste faire ce qu’il voulait. Si son père le poursuivait encore avec le même acharnement, cela permettrait à William de le retrouver avant ses collègues policiers. À ce moment-là, il pourrait enfin lui parler face à face. Essayer de lui faire entendre raison, même si des années à ses cotés n’avaient pas suffi pour cela. Et s’il persistait dans ses folles fantasmagories, alors William n’aurait aucun autre choix que de le livrer aux autorités.

Ses pensées revinrent à Lester. Il ne le connaissait pas, mais tentait néanmoins de percevoir en lui des détails qui donneraient raison à son père. Il ignorait si sa peau était froide au toucher, mais sa pâleur n’avait rien d’alarmant. Ses yeux n’étaient ni blêmes, ni excessivement cernés, comme son père le lui avait décrit. Pas le moindre signe de dents pointues, ni de griffes tranchantes semblables à de l’obsidienne. Il lui trouvait certes une aura étrangement ombrageuse et solennelle, surtout avec ses cheveux noirs, ce manteau et ces Doc Martens sombres. Mais considérer cela comme des preuves tangibles était ridicule ; sa propre soeur était une gothique des pieds à la tête, possédait un chat noir et un caractère qui dissuadait plus d’une personne de l’importuner, mais elle ne se repaissait pas de sang frai pour autant.

Ils prennent visage humain et se fondent parmi nous.

William soupira et descendit une gorgée de son infusion à la menthe. Pourquoi pensait-il à cela, alors qu’il s’évertuait à dire que son père avait l’esprit dérangé, brisé par un traumatisme trop violent pour que les morceaux épars ne forment à nouveau un tout cohérent ? Sans doute parce qu’il avait vu cette figure paternelle sombrer, se détourner de sa famille pour se dévouer corps et âme à cette morbide obsession. Peut-être qu’une partie de lui-même refusait de croire que son père l’avait délaissé pour des chimères qui n’existaient que dans les contes d’horreur, et dans son imagination torturée.

Une sous-enquête se profilait. Sa priorité restait de retrouver Ulrich Engelstein. Mais sa proximité avec Lester Enfield lui permettrait d’en apprendre davantage sur le jeune homme. Sous cette apparence inoffensive, il pouvait s’avérer dangereux. Pour William, le loup dans une peau de mouton était du déjà-vu. Crier au vampire était peut-être la manière dont son père l’avertissait de ce danger. Si ces créatures ressemblaient vraiment à la description qu’il lui en avait faite, alors William espérait trouver en Lester un être humain tout à fait banal. Il l’était forcément. Il le fallait.

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MrOriendo
Posté le 21/08/2025
Hello Ra(p)ture !

Quel plaisir, comme à chaque fois, de retrouver cette histoire !
Voilà Lester qui a localisé sa proie, ça promet un face-à-face dangereux s'il décide de retourner au manoir tout seul. Comme d'habitude, la lecture est parfaitement fluide, ton style est bon, toutes les infos dont j'avais besoin pour suivre le chapitre me sont revenues directement, malgré le délai entre les publications, signe que leur quantité est très bien dosée et que tes personnages sont assez marquants pour qu'on s'en souvienne.
J'ai beaucoup aimé tes descriptions d'ambiance aussi, notamment celle du manoir que tu compares à un crâne empli de ténèbres.
Bref, je suis toujours à fond, et si tu n'achèves pas ce récit avant que PA ne ferme ses portes, j'espère avoir le loisir de suivre les aventures de Lester sur une autre plateforme :)

Au plaisir,
Ori'
Ra(p)ture
Posté le 23/09/2025
Salut Oriendo !
C'est toujours un plaisir de te voir dans les commentaires de cette histoire, merci pour ça ! Je suis ravi que l'histoire te reste en tête malgré mon irrégularité dans la publication des chapitres ='D

Je vais accélérer le rythme de mise en ligne pour que le premier jet soit entièrement posté ici avant la fermeture de PA, mais n'hésite pas à venir vers moi si tu veux suivre la progression de l'histoire =)

A bientôt !
Uluno
Posté le 19/08/2025
On ne peut pas dire qu'avec la fermeture prochaine du site, je m'attendais à beaucoup de mises à jour, mais celle-ci est une très bonne surprise.
Je crois que j'en avais déjà parlé à propos d'un chapitre précédent, mais tout les éléments dont on a besoin reviennent à l'esprit au fur et à mesure. Aussi, j'aime beaucoup l'idée d'un personnage capable d'identifier des êtres surnaturels, mais qui n'essaierait même pas, parce qu'il y a 15 millions d'options plus logiques que d'envisager le surnaturel, ou qui serait en permanence sur la retenue pour les mêmes raisons. Comme d'habitude, le style est très fluide, avec quelques fulgurances : "Les routes voyaient défiler la dernière intensité d’une circulation remplie de travailleurs libérés qui n’avaient qu’une idée en tête : rentrer chez eux", qui donne vraiment l'impression d'un passage de l'observation à la réflexion, de la constatation que la circulation est chargée, à la compréhension de ce qui cré le phénomène ; ou bien "Les fenêtres étaient comme les orbites d’un crâne, béantes et remplies de ténèbres plus profondes encore que celles de la nuit", qui me donne un peu l'impression de retomber dans les nouvelles fantastiques du XIXème qui essaient de faire sentir la présence de l'étrange à grand renforts de personnifications et de subordonnées relatives, sauf qu'ici, seules quelques phrases sont dans cette veine, ce qui les rend beaucoup plus impactantes.
Tout ça pour dire que j'ai beaucoup aimé ce chapitre, le duo Lester-Jones et que je suis totalement fan du nom du chat.
Ra(p)ture
Posté le 23/09/2025
Merci beaucoup pour ton commentaire, ça fait plaisir de voir que malgré la fermeture prochaine du site l'histoire est encore suivie !

Ravi que l'histoire te plaise, je ne m'attends jamais à ce que le style soit particulièrement remarquable.

A bientôt et bonne lecture !
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