Solal était sur le palier. Bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles, une écharpe pendue légèrement de travers et les joues rougies par le froid. Dans sa main, un sac en papier froissé d’où dépassait une bouteille de vin et un sachet de bonbons, des crocodiles.
— Je passais dans le coin, dit-il.
Elle ne répondit pas tout de suite. Ses yeux le dévoraient en silence. Son manteau était ouvert et laissait apparaître un pull encore plus affreux que tout ceux dans ses souvenirs. Un truc vert avec un énorme sapin qui chantait Ho-Ho-Ho. Elle eut un rire nerveux. Son coeur ne savait pas s’il devait bondir ou se serrait. De joie et du manque qu’elle avait senti ces dernières semaines. Il la regardait comme lui seul savait le faire, effaçant le bruit autour d’eux. En un regard, le monde s’était tu.
— Je suis contente de te voir, dit-elle simplement.
Sa voix se brisa. Les larmes vinrent sans prévenir. Il était là. Réel. Il entra sans un mot, referma doucement la porte derrière lui. Elle s’écroula presque contre lui, le front contre son torse, ses bras autour de sa taille. Il la laissa faire puis doucement, la serra contre lui. C’était leur premier vrai contact. La première fois qu’elle se retrouvait contre lui. Et pourtant, la chaleur de son corps lui était étrangement familière.
— J’ai essayé de faire semblant que je m’en fichais, murmura-t-elle. Mais ça n’allait pas. Je n’aurais pas du te laisser partir.
Il recula un peu pour la regarder. Ses yeux à lui aussi semblaient plus brillants que d’habitude.
— Je suis là maintenant.
Il la reprit contre lui. Quelques secondes. Une éternité. Elle ne saurait dire.
— Il ne reste que deux jours, tu sais.
Il prononça ces mots presque à contre coeur. Un compte à rebours qu’il subissait autant qu’elle. Elle sentit un picotement dans le ventre. Deux jours pour quoi, au juste ? Elle leva la tête.
— J’ai pas réussi le test ?
Il sourit, pencha un peu la tête.
— Tu as réussi à me faire revenir.
Et il sourit. Sa fossette apparut. Et en un geste qu’elle ne comprit pas elle-même, sa main alla caresser sa joue. Son pouce se posa délicatement sur ce creux familier. Il ferma les yeux et inspira lentement.
— Pardon, murmura-t-elle.
Mais il lui attrapa la main avant qu’elle ne la retire, appuya un peu plus le visage contre ses doigts, les yeux toujours clos. Ils restèrent comme ça, longtemps. Devant sa porte. Elle, dans son hoodie gris trop grand et son short de pyjama. Lui qui sentait encore le froid de dehors, mais qui, en quelques secondes, avait enflammé tout son être.
— Merci, dit-il en rouvrant les yeux.
Il la regarda. Elle, elle frissonna de ce regard qui savait lire en elle. Et, en un demi-sourire :
— Tu me fais rentrer ou je suis puni devant la porte ?
— J’hésite.
Mais, avec sa main toujours dans la sienne, elle le guida à l’intérieur. Ils s’installèrent sur le canapé. Il posa la bouteille et les bonbons sur la table. Elle s’assit en tailleur, face à lui, les yeux accrochés aux siens. Elle ne voulait pas le quitter des yeux. De peur qu’il s’évapore d’un battement de cil. Il perçut son trouble.
— Je ne bouge pas de ce canapé pour toute l’heure à venir, promis.
L’heure à venir. Il posait doucement un autre compte à rebours. Elle se mordit la lèvre. Elle hésitait. Une question lui brulait la langue. Une question qu’elle trouvait stupide de penser. Mais elle devait lui poser.
— Est-ce qu’on se connaîtrait déjà ?
Son rire jaillit. Grave et chaud. Elle fut surprise.
— Ne me dis pas que tu vas me faire le coup de celle qui m’a oublié ?
Elle leva les yeux au ciel, même si elle ne put réprimer son sourire.
— Mais non, nigaud. Est-ce que… Est-ce qu’on se connaîtrait d’une autre vie ?
Les yeux de Solal s’illuminèrent d’un coup. Il détourna la tête, trop tard. Elle avait vu. L’éclat. Comme quand vous demandez la bonne carte à votre adversaire dans une partie des 7 familles. Elle se tapa mentalement le front pour sa référence aussi nulle.
— C’est encore trop tôt pour t’en parler, dit-il sérieusement. Avant… avant la fin, je te dirai tout.
— La fin ?
— Du contrat.
Il y avait dans sa voix, un léger tremblement. De l’espoir. Il avait autant envie de lui en parler, qu’elle de savoir. Elle le regarda. L’observa. Le goûta des yeux. Il était là.
Mais elle devait lui dire. Il sentit son trouble. Pencha la tête, patient. Elle ouvrait la bouche, la refermait. Puis souffla :
— Je ne sais même pas pourquoi mais j’ai l’impression que je dois t’en parler… J’ai vu quelqu’un.
Elle regretta aussitôt. Il n’avait rien demandé. Ils n’étaient rien l’un pour l’autre. Pas vraiment. Pourtant, c’était sorti.
— Non, répondit-il dans un souffle, les yeux baissés.
Elle arqua un sourcil.
— “Non” genre… interdiction ?
Son rire grave vibra dans sa poitrine.
— Non… genre… j’espère que c’est pas vrai. Même si… je serais heureux pour toi.
C’était sincère. Mais pour la première fois, elle le vit chercher ses mots, presque gêné.
— Tu veux me faire regretter d’être parti. C’est ça ?
— Je ne sais pas à vrai dire. Peut-être. Un peu… Ça marche ?
— Déjà, je n’avais pas envie de partir. Mais, tu m’y as forcé.
— Tu ne réponds pas à la question.
Il pinça les lèvres.
— Oui. Très bien même.
Elle ne put s’empêcher de sourire. Un sourire à moitié coupable. Il était parti. Et elle avait réalisé enfin ce qu’elle souhaitait vraiment. Ça. Cet échange. Ce regard doux. La certitude d’être vue et entendue. Sa tendresse. Lui. Il fit mine de bouder, attrapa un crocodile dans le sachet et le lança en l’air, bouche ouverte. Raté. Ils rirent ensemble, mais une tension résistait.
— Il est comment alors, ce « quelqu’un » ?
— Il s’appelle Mael… Doux. Drôle. Un peu cassé, comme moi. S’il avait un chat, il l’appellerait Nietzsche. Il joue à des jeux pour éviter de penser mais il est aussi… profond.
— Très séduisant, souffla Solal, faussement dramatique. Et ce Mael, il sait que tu parles dans ton salon à propos d’âmes réincarnées et de contrats mystiques imprimés par une imprimante possédée ?
Elle éclata de rire. Lui, l’observait, l’air presque inquiet. Alors elle coupa court :
— Il n’y a que toi que j’ai envie de voir.
C’était sorti tout seul. Le visage de Solal s’éclaira, s’apaisa. Il la regardait comme on regarde un miracle. Elle se sentait mise à nu. Elle se trouvait devant lui, plus vulnérable que jamais. Lui qu’elle ne connaissait pas, qui sortait tout droit d’un rêve ou de l’esprit tordu d’un auteur en manque de magie de Noel.
— Et il n’y a que toi que je veux sur ce canapé, en face de moi. Alors, merci d’être revenu.
Elle le pensait. Entièrement. Ses yeux. Elle aurait pu signer tous les contrats du monde en cet instant. Elle donnerait tout. Tous ces souvenirs, s’il y avait une garantie de pouvoir rester à ses côtés. Juste à ses côtés. Les battements de son coeur résonnaient si fort qu’elle en rougit.
— Et je suis vraiment heureux d’être en face de toi, répondit-il. Tu as franchi une sacrée étape, même si tu ne le sais pas encore.
Un silence. Doux. Chargé. Ses joues brulaient d’une chaleur, d’une émotion qu’elle ne contrôlait pas. Ils étaient seuls, à quelques centimètres l’un de l’autre. Elle pouvait sentir l’électricité de son corps traverser le sien. C’était insensé. Toute cette histoire était complètement folle. Et tellement évidente à la fois. Cet homme devant elle, il ne l’avait pas séduite. Il n’avait pas chercher à la charmer, il avait été là. Un phare apparu par magie dans le chaos de sa vie.
— J’ai envie de te montrer.
Elle se leva d’un coup. Ce léger déclic qui s’était opéré en elle quelques heures plus tôt. Ses pages qu’elle avait noircies d’un coup. L’émotion qui l’avait fait vibrer au rythme de ses mots. Oui, elle voulait lui montrer. Elle lui tendit le carnet.
— Voilà ce que j’ai écrit.
Il le prit. Solennellement. Elle tremblait. Elle avait aligné toutes ses phrases sans trop savoir ni pourquoi ni où elle allait mais elle était curieuse de ce qu’il allait dire. C’était le début de leur histoire qui était sorti de sa plume. Leur rencontre dans cette même pièce. Il le feuilleta. Et sourit.
— J’aime beaucoup ton personnage au pull de Noël. Un regard à désarçonner un mur porteur, hein ?
— Pure fiction.
Elle avait oublié qu’elle avait écrit ça sur lui. Ils rirent. C’était doux.
— Très sérieusement, c’est une super idée.
Elle pensait aussi et ça la fit sourire, un sourire intérieur qui irradiait dans tout son corps, une sensation qu’elle n’avait pas senti depuis une éternité.
Solal reposa doucement le carnet sur la table basse. Il ne disait rien, mais ses yeux parlaient pour lui.
— Ce soir… je ne reste pas, dit-il doucement.
Elle releva la tête, un peu surprise.
— Pourquoi ?
— Parce que tu as une grosse matinée demain. Et que si je reste…
Il se racla la gorge, un instant gêné. Le bout de ses oreilles devinrent légèrement rouges.
— Tu ne dormiras pas. Pas vraiment.
Elle pinça les lèvres, ses joues finirent par s’enflammer complètement. Elle lutta contre l’envie de protester. Mais il avait raison : elle en avait besoin de cette nuit. Une nuit pour peser ses doutes. Une nuit pour elle, pour réfléchir à sa confrontation avec Sophie, pour ne pas se perdre quand elle sera face à elle.
— Mais je reviens demain. Je te le promets.
Il se leva, lentement. Lui aussi aurait aimé rester. Elle le raccompagna jusqu’à la porte, une main encore posée sur son bras, pour le retenir un peu. Juste un peu.
Il se tourna vers elle, approcha la main de son visage et caressa doucement sa joue. Sa paume était chaude, étonnamment chaude. Au contact de ses doigts sur sa peau, un frisson la traversa. Un courant. Comme si ses cellules, une à une, se souvenaient de lui.
Il se pencha et l’embrassa sur la joue. Longtemps. Un baiser ancré. Un baiser qui disait plus que n’importe quel mot.
Elle ferma les yeux. L’odeur de son écharpe qu’il avait remise, la chaleur de sa peau contre la sienne, sa respiration douce proche de son oreille. Tout s’imprima.
— T’as intérêt à revenir demain, murmura-t-elle en rouvrant les yeux. Sinon je remue l’univers pour te retrouver.
Il rit. Un rire franc, fort, si sincère que ça la désarma.
— Quoi ? C’était pas si drôle, protesta-t-elle en souriant.
Mais il secoua la tête, les yeux brillants.
— C’est juste que… je crois que t’en serais capable. C’est plus compliqué que ça en a l’air. Mais… je suis sûr que tu y arriverais. Mieux que moi.
Elle fronça les sourcils. Il restait énigmatique. Comme toujours. Mais elle lui faisait confiance. Une totale confiance à son inconnu de Noël. Ils auraient cette discussion. Demain. Solal recula d’un pas, ouvrit la porte sans quitter son regard. Il fit un pas sur le palier. Puis un autre.
— Bonne nuit, Nora.
— A demain, Solal, souffla-t-elle.
Et il disparut dans l’escalier. Elle resta un moment sans bouger. Puis referma la porte doucement. L’appartement lui parut soudain trop calme, trop grand. Elle posa sa main sur sa joue, là où il l’avait embrassée. Un sourire étira ses lèvres, lentement.
Et alors, sans prévenir, elle éclata de rire. D’un rire qui monte du ventre, qui nettoie, qui vibre de gratitude. Puis elle pleura. Des larmes claires, des larmes de joie. Quelque chose avait changé. Il reviendrait demain. Et elle, elle se sentait prête à tout. Même à remuer l’univers.
J'avais raison, c'était bien S. de l'autre côté de la porte. On le retrouve avec son goût prononcé pour les téléfilms de Noêl sur M6. Par contre... des crocodiles ? Vraiment ? Non, c'est refusé. Vu la tenue de Nora, c'était une situation digne de fraises Tagada. Si, à la limite, la bouteille de vin était débouchée pour fêter la grande étape franchie par Nora, j'aurais toléré ces choses gélatineuses. Mais là ?
Contrat, deux jours, pas de nuit sans dormir, une promesse, des confessions. S. lui dira tout à la fin sans avoir initié le premier verre de vin partagé. Non mais, que nous fais-tu, Foxy ? Ils ont évolué dans leur relation, passant du café au vin et nous n'avons le droit qu'à une discussion ne durant pas plus d'une heure ? Nan, il manque du croustillant, une profondeur plus importante que celle du Mael qu'on aime bien !
On va reprendre la scène :
- La contemplation. Le vin est servi, les pensées sont déversées. Elle meurt d'envie de lui dire qu'elle est heureuse de le retrouver, il meurt d'envie de tout lui révéler. L'instant présent fait que les regards et les caresses remplacent les mots,
- L'humour et la subtilité à l'évocation du contrat. Un autre engagement, un interdit qui n'attend que d'être brisé doit être plus que relevé. Il y a ce qui est attendu mais surtout ce qui est redouté. Insiste sur le dilemme moral entre la soirée à savourer et le lendemain à affronter,
- La tenation, plus forte. Tu sais faire, alors fais ! Ils doivent encore laisser les paroles de côté et agir sans réfléchir. Non, pas un baiser sur la joue et il part. Non. Il dépose un baiser au coin des lèvres, elle l'enlace et appose un baiser sur le cou. Là, tu passes au climax,
- Les aveux, le manque, la frontière qui est définie d'un accord commun. C'est encore trop tôt. Là, tu peux les faire miamer les bonbons et tu enchaînes sur les vrais éclats de rire : les blagues sont de nouvelles promesses, les rires des réponses aux doutes et surtout... le geste le plus attendu,
- Un baiser partagé, un aperçu du futur. S. doute ? Il sombre. Elle, elle veut affronter Sophie ? Elle attendra.
Le paquet est fini, les verres vidés. La suite demain "That's all folks".
Ok ?
Tss, je retourne sur Tekoïa !
:p