19. La détermination d’Ephrem et de Mélusine.

Par FloCes

Après la révélation de Selfyn sur les circonstances de son « apparition lumineuse », Ephrem se sentait encore plus perdu que jamais. Au lieu d’éclaircir les choses sur sa naissance, sur ses parents, sur lui, Selfyn lui révélait qu’en réalité, personne ne savait d’où il venait. Trud ne l’a pas mis au monde grâce à un quelconque miracle, elle l’avait juste trouvé dans la nature !

             Mélusine l’observait, inquiète. Elle le sentait sur le point de s’effondrer.

« Ephrem ? appela-t-elle doucement, est-ce que ça va ? »

            — Pas vraiment, répondit-il d’une voix aiguë et enrouée. Après tout, je découvre que je suis seul !

            — Tu n’es pas seul Ephrem, s’empressa de corriger Selfyn. Tu ne l’as jamais était et tu ne le seras jamais, crois-moi.

            — Vraiment ? murmura-t-il avec un petit sourire ironique. Admettons. Je me retrouve avec plus de questions qu’avant : les deux personnes qui m’ont élevé au début de ma vie, et que je pensais être mes parents il y a encore quinze minutes, que sont-ils pour moi dorénavant ? Mes parents sont peut-être des Dieux ? plaisantât-il. Une divinité, ayant pitié de pauvres Humains m’aurait déposé sur leur chemin ? Pourquoi ? Est-ce pour cette raison que j’ai des pouvoirs ? Est-ce pour cette même raison que j’entends parfois des voix ? C’est la voix de ma maman céleste ? Je devrai être le plus heureux des hommes ! J’ai des parents Humains, des parents Elfes, et des parents divins. Ridicule ! Qu’est-ce que je suis censé faire maintenant ? Dites-le-moi !

...

« Mais bon sang, que suis-je à la fin ? finit-il par hurler en regardant Selfyn d’un air désespéré. »

            Les larmes montaient aux yeux de Mélusine. Voir son frère si… vivant, était inhabituel. Dans d’autres circonstances, cela aurait été une avancée. Car il était important qu’il s’ouvre, qu’il s’exprime. Mais que ce soit à cause de la souffrance, de l’angoisse, de la détresse… cela l’affligée. Elle en avait même oublié sa propre douleur et sa propre peine de savoir que le départ d’Ephrem était proche. Elle n’était concentrée que sur l’état émotionnel du frère qu’elle allait bientôt perdre. Elle ne l’avait jamais entendu élever la voix et perdre le contrôle de lui-même, mais là, à cet instant, elle le voyait, le visage enfoui dans ses mains, le dos se soulevant de façon régulière. Elle s’approcha de lui et lui tapota maladroitement l’épaule. Elle ne savait pas quoi dire pour le réconforter, et supplia son père du regard pour qu’il lui vienne en aide.

            Selfyn fit disparaître sa tigerette quelque part dans ses vêtements, et il était à présent légèrement penché vers l’avant, les coudes sur les genoux et les mains jointes devant ses yeux.

            « Je suis désolé Ephrem, dit-il honnêtement, je n’ai aucune réponse à te donner. Mais je suis sûr d’une chose, tu ne trouveras pas la réponse ici. »

            Mélusine et Ephrem levèrent la tête en même temps et aussi brusquement.

            « Non papa, gémit Mélusine, pas toi aussi ! »

            — Ce qui fait avancer un homme, assura Selfyn, c’est sa détermination à suivre un but. Tu t’étais fixait un but, je crois ! Je pense que tu devrais aller jusqu’au bout.

            — Papa ! pleura Mélusine à son tour.

            — Ma fille, tu es intelligente. Je suis sûr que tu comprends parfaitement bien qu’Ephrem ne peut pas rester. Il a des choses à faire. Nous ne pouvons et nous ne devons pas l’empêcher de grandir ! Je t’assure que pour moi aussi c’est difficile. Je pensais que les membres du Conseil avaient tort…, mais ce n’est pas le cas, ils ont raison. Mais pas pour les prétextes qu’ils ont avancés en revanche ! Ephrem doit quitter Yggdol. Pas parce qu’il n’est pas un Elfe. Pas parce qu’il n’est pas de notre famille. Mais parce qu’il a une mission à accomplir ! Et aimer, c’est aussi laisser partir !

            Mélusine réfléchissait à ce que son père venait de lui dire. Elle lui avait toujours fait confiance, et savait qu’il agissait toujours pour le bien de tous. Elle se releva. Observa son père puis Ephrem dans les yeux, puis fini par dire :

            « S’il doit retrouver ses parents, car vivants ils le sont toujours dit-elle avec force et conviction en fixant sévèrement Ephrem, il doit au moins savoir à quoi ils ressemblent. »

            Mélusine commençait à retirer ses gants, quand son père lui demanda ce qu’elle s’apprêtait à faire.

            « Je vais aider mon frère, dit-elle d’un air résolu. Je vais chercher les visages de ses parents dans son passé, puis je les lui dessinerais afin qu’il sache à quoi ils ressemblent. Ainsi, sa tâche sera plus simple. »

            — Ça ne sera pas nécessaire Mélusine, dit Selfyn en lui tenant le bras, j’ai une solution beaucoup plus rapide. Mais j’apprécie le geste, Ephrem aussi j’en suis convaincu.

            La jeune Elfe vit effectivement qu’Ephrem avait retrouvait un semblant de sourire. Certes timide, mais sourire quand même ! Il était en fait ému devant l’initiative de Mélusine. Alors qu’elle s’était battue bec et ongles pour ne plus jamais être le témoin du passé des autres, elle avait d’elle-même proposé de l’aider, et pour Ephrem, cela était un merveilleux cadeau.

            Il continuait d’observer et d’écouter son père et sa sœur du monde Elfe, sentant son courage lui revenir peu à peu, ainsi qu’un autre sentiment agréable qu’il n’arrivait pas encore à déterminer.

            « C’est quoi la solution plus rapide ? questionna Mélusine d’un air digne en remontant ses lunettes. »

            — Attendez-moi ici, leur demanda Selfyn en disparaissant dans sa chambre d’un pas vif et gracieux.

            Mélusine et Selfyn n’eurent pas à attendre longtemps. Selfyn les rejoignit, tenant dans ses mains ce qui semblait être une sorte de petit médaillon d’un beau violet améthyste. Il leva haut la main qui tenait le petit objet pour que Mélusine et Ephrem puissent le voir correctement.

            « Cet objet a été créé par Enithya, commenta-t-il. »

            — Maman ! s’étonna Mélusine.

            — En effet, confirma Selfyn. Comme tu le sais, elle était un véritable génie ! Elle créait des objets de toute sorte, et même des formules magiques. C’est grâce à elle par exemple que les Elfes n’ont plus à porter de lunette, dit-il en faisant un clin d’œil à Mélusine, qui redressa aussitôt les siennes sur son nez. D’autant plus que ceux-là ne sont pas à ta taille !

            — Je sais, dit-elle en faignant l’exaspération, mais elle me rappelle maman.

— Ce petit objet que je tiens dans le creux de ma main est l’une de ses créations.

            — Et à quoi sert-il ? demanda Ephrem dont la curiosité avait été piquée.

            — Ce médaillon est capable de capter les souvenirs d’une personne, expliqua Selfyn, et de les projeter sur l’une de ses surfaces réfléchissantes.

            — C’est curieux, commenta Ephrem, mais on ne dirait pas un peu ce que Mélusine fait ?

            — Oui, répondit Selfyn un peu hésitant, un peu. Tout comme Mélusine, Enithya était capable de plonger dans le passé d’une personne ou d’un objet grâce au touché. Ce médaillon ne voyage pas dans le passé, mais il reçoit et affiche les souvenirs qu’on lui déverse. C’est un peu comme une fenêtre sur nos souvenirs. Mais il a une particularité : il ne nous montre que des visages !

            — Ha ! s’écria Mélusine tout excitée, j’ai compris ! Comme tu as déjà rencontré les parents d’Ephrem, tu vas utiliser le médaillon de maman pour nous montrer leur visage !

            — C’est bien mon intention, approuva Selfyn avec un sourire ravi.

            Le visage de Selfyn se durcit un instant, juste le temps nécessaire pour se concentrer et retrouver les visages qu’il recherchait dans sa mémoire. Mélusine et Ephrem, qui avaient cessé de respirer, fixaient intensément le médaillon ouvert dans la main de Selfyn, et attendaient fébrilement que des visages s’y dessinent dans chaque partie. Des formes commençaient à se dessiner : dans la partie de gauche, on pouvait voir le visage d’un homme, dont les quelques rares cheveux d’un blanc terne étaient éparpillés sur le sommet du crâne. Le front, tombant et ridé, lui donnait un air déçu. Ses lèvres, épaisses, ressemblaient à des petites saucisses. Trud, quant à elle, avait gardé les traces d’une beauté depuis longtemps disparut. Son visage rond et son nez fin étaient assez proches de ceux d’Ephrem. On aurait en effet pu les faire passer pour une mère et son fils !

            En revoyant le visage de ses premiers parents pour la première fois depuis très longtemps, un sentiment de bonheur lointain, appartenant presque à un autre monde, gagna Ephrem. Et il s’illumina. Selfyn, qui n’avait pas souvent eu l’occasion de voir cette expression sur son visage (il n’en aurait d’ailleurs plus jamais l’occasion), la grava profondément dans sa mémoire. Le plus profondément possible.

            « Tiens, dis Selfyn en tendant le médaillon vers Ephrem, il est à toi ! »

            — Quoi ! s’exclama Ephrem. À moi ?

            — Prends-le. Enithya l’avait fabriqué pour que je puisse voir son visage à loisir. Pour quand elle ne serait plus là. Je pensais l’offrir un jour à Mélusine, mais si tu es d’accord, demanda-t-il en la regardant, je préfère que ce soit Ephrem qui l’ait. De cette façon, il pourra revoir le visage de ses parents aussi souvent qu’il le souhaite, et même les montrer à autrui, ce qui te sera utile dans tes recherches.

            — En plus, ajouta Mélusine, tu pourras nous voir chaque fois que tu en auras envie. De cette façon tu ne nous oublieras jamais.

            Ephrem accepta volontiers le cadeau. Selfyn avait raison, il lui serait sûrement d’une grande aide. Par contre, il ne pensait pas être capable d’oublier Selfyn ou Mélusine un jour. Il ne le voulait pas.

            Il rangea le « médaillon d’Enithya » dans sa ceinture, à côté de son épée, et recula d’un pas pour observer cette famille-ci une dernière fois.

            « Avant que tu partes, je voudrais t’aider davantage. »

            — Tu en as déjà beaucoup fait papa, dit Ephrem reconnaissant.

            — Oui, mais cet homme pourra sans doute en faire beaucoup plus, je pense.

            — De quel homme tu parles papa ? demanda Mélusine.

            — D’un Humain que j’ai rencontré il y a très longtemps. Il s’appelle Mellas…

            — Du royaume de Lognis ! s’exclama Mélusine surprise.

            Maintenant que Mélusine le disait, Ephrem se rappelait avoir entendu ce nom quelque part sur le chemin qui les menait vers Luctès.

            « Les personnes qui parlaient de lui, l’appelait le roi immortel, se rappela Ephrem. »

            — Effectivement, acquiesça Selfyn, c’est un Humain immortel. Mais ce n’est pas le plus important. Ce qui compte à l’instant, c’est qu’il soit…, une connaissance dirons nous. Dis-lui que tu viens de ma part, il sera obligé de t’aider.

            Mélusine et Ephrem répondirent en même temps :

— Pourquoi ? demanda l’une.

            — D’accord ! acquiesça l’autre.

            La question de Mélusine ne fut jamais entendue !

 

            Après avoir remercié son père et sa sœur une énième fois, Ephrem décida qu’il était temps de partir. Quant à Mélusine, elle faisait des efforts pour se contrôler.

            « Je suis une adulte, et je me dois d’être exemplaire, de montrer le bon exemple, dit-elle d’une voix chevrotante en redressant ses lunettes d’un mouvement saccadé. »

            Selfyn, qui avait déjà tout dit, ne trouva rien d’autre à rajouter. Pour sa part, Ephrem était envahi par des émotions contradictoires, comme l’angoisse, la tristesse, l’excitation, la détermination… Il partit donc sans un regard en arrière, car il était parfaitement concentré sur l’avenir.

 

Selfyn et Mélusine avaient (non sans effort) repris leur routine, quelques heures seulement après le départ d’Ephrem :

            « Bonjour les enfants ! »

            — BONJOUR MAITRESSE !!! répondirent-ils tous en cœur.

            La joie se lisait sur chaque visage. Ou presque ! Pour faire comme son père Lowell, membre du Conseil des Elfes, Ansig voulait montrer qu’il n’appréciait pas beaucoup Mélusine.

« Vous nous avez beaucoup manqué », entendit la maitresse un peu partout. Mélusine s’efforçait d’afficher son habituel beau sourire. Elle était sincèrement heureuse d’être à nouveau là. Heureuse de devoir recommencer à remplir ces nombreuses têtes de savoir précieux. Mais quelque chose pourtant n’aller pas. Elle ressentait un manque. Elle ne mit pas longtemps à comprendre que c’était l’absence d’Ephrem qui lui causait cette sensation désagréable au creux de l’estomac. Ne pouvant plus rien n’y faire, elle essaya de se concentrer sur la leçon du jour : « La création des Elfes par l’Alkast Atria ». Peine perdue ! Au tableau elle dut s’interrompre d’écrire encore une fois. Les élèves lui avaient en effet fait remarqué qu’une fois de plus, elle écrivait la même phrase. Elle remarqua que les élèves se regardaient les uns les autres, inquiets.

« Si nous faisions un peu de sport ! Il serait dommage de rester enfermer par un temps si magnifique, n’est-ce pas ? »

Mélusine n’avait pas remarqué que comme elle, le temps était maussade. Elle fit courir les élèves en file indienne. Bien qu’elle soit face à eux, elle ne les voyait pourtant pas. Les yeux vides, elle pensait à Ephrem. La mission qu’il s’était imposée était risquée. « Que lui arrivera-t-il s’il tombe aux griffes des Traneks ? », murmura-t-elle. Elle continua à rêvasser ainsi pendant longtemps. Trop longtemps ! Les élèves commençaient à se fatiguer, et l’un d’eux finit par chuter : « Inza est tombé ! Inza est tombé ! » criaient les enfants affolés.

            Mélusine revint brutalement à la réalité. Elle se précipita vers l’enfant qui était à présent au centre d’un cercle formé par ses petits camarades.

            « Maitresse, gémit Inza en tendant une main vers elle, j’ai mal. Aidez-moi s’il vous plaît ! »

            Tout se passa en une fraction de seconde. À la place d’Inza se trouvait une autre petite fille. Une fille qu’elle avait presque oubliée. Une fille qu’elle avait vue pour la première fois dans un écho du passé. Une fille qui possédait, comme Inza, de longs cheveux argentés, et qui tendait une main, suppliante.

            « À l’aide ! supplia la petite fille d’une voix faible, fantomatique, avant de disparaître. »

Haletante comme si elle avait couru pendant des heures, Mélusine observait quelqu’un qui n’était plus présent. Mal à l’aise, Inza se retourna lentement pour voir ce que sa maitresse pouvait bien voir à travers elle et qui lui donnait ce drôle d’air qu’elle ne connaissait pas, à la fois triste et épouvanté. Quand elle regarda de nouveau Mélusine, elle remarqua avec stupéfaction, en même temps que ses camarades, que de grosses larmes coulaient sur les belles joues blanches de celle-ci.

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