Clara, Claire, Clarence, mon nom n’a pas d’importance et je change quand ça me plait de changer. Ce qui compte, c’est qu’il commence par un « C ».
« C ». Je fais des listes. Calfeutrer carambolages craindre crépitements cymbales - je fais des listes de mots, jolis, qui commencent par « C », que mon cerveau classe - classement - par ordre alphabétique et je me rends compte, tout de suite, que ces mots parlent à ma place.
Chez mes parents, il fait sombre. On étouffe. De grands rideaux gris séparent leur normalité du monde extérieur, des rideaux gras et pesants, qui tombent du plafond au sol en vagues stériles. Quand j’étais petite je jouais à leur taper dessus, je leur rentrais dedans, je les cognais, la poussière me prenait aux yeux et à la gorge, mon père se plaignait du bruit sourd de mes poings contre le tissu lourd. Ça n’avait pas de sens. Je ne comprenais pas, et comme je ne comprenais pas je faisais des listes de mots – cogner crier craindre – en pensant qu’au moins, les mots, je pouvais les faire et les défaire, les placer et les déplacer pour créer les mondes que je voulais.
Clara, Claire, en ce moment c’est plutôt Clarence, j’aime l’androgynie de ce prénom. Mes parents n’aiment pas, ils disent que je suis une fille, rien qu’une fille, qu’à la place de cogner leurs rideaux je ferais mieux d’avoir des cheveux longs et des talons aiguilles. Je suis pas d’accord. Alors ce matin, leurs rideaux, j’ai fait plus que les cogner : je les ai arrachés, d’un coup sec, ça a fait clac ! – un autre mot en « C », une onomatopée pour dire la force du carambolage, les crépitements qui enfin deviennent explosions, ultimes coups de cymbales, et je suis partie avec.
Il y a une manif au bout de la rue. Ça tombe bien, il y manque des banderoles.
Je suis tellement heureuse de te voir re-débarquer sur Plume d'argent ! Et en me complimentant, en plus !
A très vite ;-)
Les mots pour exprimer, pour expliquer, pour s'opposer, défier... Dans la bouche de Clara, Claire ou Clarence, ils sont une réalité tangible, un jeu de défense, une arme de révolte.
C'est un texte qui a beaucoup de force, de caractère.
A très bientôt
Les mots comme arme de révolte, ça me parle énormément... !
J'aime bien le concept de ce recueil de mini-nouvelles. Je trouve l'écriture de ce premier texte très rythmé, on sent que les pensées de la narratrice vont à mille à l'heure et un peu dans tous les sens.
Mon paragraphe préféré est celui sur l'androgynie du prénom Claire.
Je poursuis ma lecture !
Rythmé, ça me fait plaisir : je cherchais à retranscrire une forme de staccato, pour marquer notamment l'état de semi-urgence et de confiance dans lequel se sent le personnage.
Ils pourront maintenant laver les rideaux ou plutôt les changer vu qu'ils serviront de banderoles lol
Belle découverte, je vais continuer ma lecture.
ça avait l'air très sympa ce petit challenge! Le C devait en être la consigne non?
Tu joues merveilleusement avec ce C percutant qui rebondit de mot en mot, de phrase en phrase et devient un véritable hymne au féminisme... Bravo!
(La consigne était très simple : choisir un portrait photographié et raconter ce que cette personne venait de vivre. J'ai choisi le portrait d'une manifestante avec un grand drapeau entre les mains)
Très bon exercice que tu as relevé haut la main!
On est tout de suite dans la tête de cette héroïne, on sent sa frustration, sa malice, son intelligence et son désir d'ailleurs.
Bravo !