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Par -LF

— T’es qui toi ? demanda Arian en penchant la tête sur son épaule et dévisageant l’Atlante.

Ce dernier jeta un regard méfiant à Xiom avant de finalement grogner :

— Kassandr. Allez viens Xiom, on se tire.

L’Elfe ne broncha pas, mais baissa les yeux vers l’autre main de l’Atlante, celle qui ne tenait pas la lanterne, mais plutôt un parchemin de taille moyenne et bruni aux extrémités, noué par un ruban bleu. Il fronça les sourcils et le pointa du doigt.

— T’es pas supposé le trimballer partout ! protesta-t-il discrètement en balayant suspicieusement les alentours de la rue vide.

— Je l’ai pris avec moi dans le doute où ton vacarme d’ogre était une diversion pour le voler en mon absence à l’auberge !

— Qui aurait envie de voler ce bout de papier de toute manière, soupira Xiom. Il est illisible.

— Je peux essayer moi, proposa Kanku très calmement en retroussant les manches à larges pans de sa mante prune.

Kassandr eut un rictus condescendant qu’il eut du mal à dissimuler. Il concerta Xiom du regard, puis haussa les épaules, posa la lanterne au sol et tendit le rouleau de parchemin à l’Orc, profitant de sa main libre et la gardant sur l’épée qu’il tenait dans son dos. Kanku prit délicatement le morceau de peau séchée entre ses grandes mains et le déplia avec soin, attachant le ruban bleu à l’une de ses tresses pour ne pas le perdre. Arian, qui ne perdait pas une miette du spectacle, s’était assise en tailleur sur les pavés inconfortables de la rue et attendait avec impatience la suite des évènements. Le silence devenant trop inconfortable pour l’Elfe, il finit par déclarer :

— Sinon c’est pas grave, on comptait aller à Clitham pour trouver un traducteur. On nous a dit qu’on trouverait un clérique à la capitale.

— C’est du Haut Betlandien, déclara Kanku en rendant le parchemin à Kassandr. Plus personne ne le parle de nos jours, et encore moins ne l’écrit. J’arrive à comprendre les mots qui sont écrits, mais ils n’ont aucun sens mis entre eux. Mais si j’étais vous j’irais à Betland

Kassandr fronça les sourcils et reprit le parchemin, en plissant suspicieusement les yeux pour essayer de le déchiffrer lui-même, en vain. Kanku dénoua le ruban bleu de sa tresse et lui tendit, aucune émotion ne traversait son visage. Elle détendit ses manches jusqu’à ses poignets, et les salua d’un signe de la tête. Elle tourna les talons et s’éloigna à pas lents. Xiom la regarda s’éloigner puis se mordit la lèvre, hésitant. Il tourna la tête vers l’Atlante qui la regardait aussi partir. Arian était toujours assise et se gratta la nuque. Kassandr croisa le regard embarrassé de Xiom, et comprit qu’ils pensaient à la même chose.

— Attends ! s’écria-t-il. Est-ce que tu veux bien attendre ici cinq minutes ?

L’Orc se retourna, l’air surpris, et hocha la tête avant de revenir sur ses pas, intriguée. Xiom et Kassandr l’éloignèrent des deux femmes pour discuter à l’ombre d’un arbre qui longeait la rue. Loin de la lumière de la lanterne que l’Atlante avait laissée près des autres, seules ses écailles luisantes comme de minuscules méduses trahissaient sa présence. S’étant très vite habitué à l’obscurité, Kassandr, quant à lui, percevait très bien chaque trait de Xiom, des pointes de ses oreilles jusqu’au bout de chacun de ses doigts. Il murmura :

— Qu’est-ce que tu en penses ?

— Je pense que l’Orc peut nous être très utile, chuchota l’Elfe. Elle a réussi à déchiffrer notre premier indice, et à nous dire quelle langue c’est.

— Il faudrait voir avec notre envoyeur, réfléchit Kassandr, mais je suis d’accord avec toi. Le risque étant qu’elle nous trahisse, ou qu’elle soit un poids pour la mission.

— Pour l’instant elle nous a été bénéfique, sans quoi on aurait perdu deux jours à chercher un foutu clérique de Clitham, qui n’aurait peut-être même pas eu la réponse à notre question. Pour moi y a pas de hasard, si on est tombés sur elle, c’est un signe.

Kassandr eut un petit ricanement cynique qu’il refoula, puis porta la main à son menton.

— Et l’autre ? reprit-il en lui adressant un regard discret.

Elle était en train de discuter avec Kanku, qui la fixait en silence. L’Orc semblait avoir du mal à tout comprendre, tant Arian parlait vite et densément.

— Je m’attendais vraiment à passer une soirée merdique, confessa-t-elle en s’étirant vers l’arrière. Je suis très contente que tu sois entrée dans le Golem. Où tu vas comme ça ? Personne ne reste à Gamont, même pas moi, et encore moins une Orc.

— Je ne sais pas encore, répondit Kanku en détournant le regard vers le ciel.

— C’est vrai ce qu’on raconte des Îles Boverland ? reprit Arian. Que la mer autour est peuplée de monstres ? De dieux ?

Kanku haussa un sourcil et eut un soupir. Kassandr, qui les observait de loin, reporta son attention sur Xiom qui souriait, amusé en les regardant.

— Je pense qu’Arian peut nous être utile, répondit-il finalement. C’est une voleuse plutôt douée, il faudra juste éviter de l’amener à Hignan parce que sa tête est mise à prix.

Kassandr leva les yeux au ciel en soupirant. Ils se regardèrent un instant puis hochèrent la tête avant de revenir près d’elles. Malgré l’air détendu que Xiom arborait, l’Atlante ne put s’empêcher de remarquer que ses doigts tremblaient. Sans doute redoutait-il de devoir parler à leur employeur.

— On a une proposition à vous faire, annonça l’Elfe en les observant toutes les deux. Vous êtes libres de refuser, mais sachez que ça implique de l’or. Pas mal d’or.

Arian leva immédiatement la tête vers lui.

— J’écoute, dit-elle attentivement.

— On a été engagés par un homme qui se fait appeler le Dispatcheur, expliqua l’Atlante. On ne connaît ni son visage, ni son vrai nom. En revanche, on sait qu’il est prêt à nous payer très cher pour remplir notre mission.

— Qui consiste à ? demanda Kanku, méfiante.

— Un de ses amis les plus intimes a disparu il y a plusieurs années, poursuivit-il. Sans laisser de trace. Son cadavre a été retrouvé très récemment, et il y avait ce parchemin dans sa veste. Il veut que l’on apprenne ce qui lui est arrivé, et qui l’a enlevé.

— Et ça ne peut pas juste être un groupe de bandits ? l’interrogea Arian, de plus en plus intriguée par la mission.

— Il avait aussi d’étranges marques sur le corps, précisa Xiom. Estompées par l’état du cadavre, mais qui n’étaient pas là avant.

Le silence tomba, et le vent fila entre les cheveux d’Arian, se soulevant légèrement. Elle considérait. Kanku, quant à elle, scruta longuement les trois nouveaux visages qui constituaient les premières et seules connaissances qu’elle s’était faite depuis son arrivée sur le Continent Oriental. Peut-être que ce n’était pas l’œuvre du hasard, mais du destin. Peut-être qu’ils étaient la clé qui lui permettrait de trouver ce qu’elle était venue chercher dans les Terres.

— D’accord, concéda-t-elle. Je viens.

— Je viens aussi, enchaîna Arian. J’espère qu’il y aura beaucoup d’or à la clé, je ne travaille pas pour rien.

Kassandr lui adressa un regard subtilement méprisant, avant de hocher la tête.

— Il faut que l’on prévienne le Dispatcheur, prévint Xiom en se tournant vers l’Atlante. Tu t’en charges ?

— Le Dispatcheur est ici ? demanda Kanku en observant les alentours.

— Non, répondit Kassandr, il est bien plus au sud. Mais il nous a donné un cône de transmission.

— C’est une technologie Orc, s’étonna-t-elle. On ne trouve ces coquillages que sur les Îles Boverland…

— Je peux t’assurer que le Dispatcheur n’est pas un Orc. Un conseil : évite de te poser trop de questions à son sujet, ça ne peut que t’attirer des ennuis.

— Génial… maugréa Arian, qui ne s’était toujours pas levée des pavés sur lesquels elle s’était mise.

Les mains de Xiom tremblaient toujours légèrement, fermées en poings. Son visage ne laissait rien transparaître : la ligne de sa mâchoire serrée ressortait subtilement, et ses oreilles étaient calmes. Il fixait de ses petits yeux les lignes blanches tracées sur le visage de Kanku, et notamment celles partant de sa lèvre inférieure jusqu’à son menton, et étiraient son visage pourtant rond. Les points et les lignes autour de ses yeux, donnaient à ces derniers des airs félins, en dépit de la couleur très sombre de leurs prunelles. Xiom eut un rictus, et décida de détourner le regard pour ne plus se faire de mal. Kassandr se courba pour attraper la lanterne, restée à se consumer par terre. Il la souleva dans un bruit métallique.

— Une fois qu’on sera à Betland, commença Kanku en observant l’Atlante à l’œuvre. Qu’est-ce qu’on y fera ?

— S’il y a bien quelqu’un qui peut nous aider avec du Haut Betlandien, intervint Arian nonchalamment, c’est le président Gosling.

— Son président ? s’étonna Xiom. C’est plus une monarchie ?

— Depuis longtemps ! Enfin, depuis l’arrivée de Nehemia, quoi. Nehemia Asa Gosling… il faut toujours que les leaders aient des noms à coucher dehors.

Xiom esquissa un sourire.

— Je vous conseille d’aller dormir, déclara Kassandr. On a du chemin qui nous attend demain, et pour les prochains jours. On prendra des chevaux à l’écurie de Gamont, je demanderai au Dispatcheur de nous les financer. Sur ce, bonne nuit.

Il tourna les talons et laissa les trois autres observer les petites écailles de sa nuque disparaître dans la pénombre. Arian se leva en poussant un petit grognement fatigué, et s’étira en tendant ses bras vers le ciel.

— Mesdames, salua ironiquement Xiom en s’éloignant à son tour pour rejoindre l’Atlante à grands pas silencieux.

Kanku observa l’Elfe s’éloigner, en remarquant que le cuir de sa tenue était si souple qu’il ne produisait aucun son parasite lorsqu’il se déplaçait, et que les reliefs qu’elle remarquait étaient ceux de dagues. Cette fois, elle en était sûre, Xiom était un assassin, et il fallait qu’elle s’en méfie. Arian, au contraire, semblait roublarde, mais plus avenante, et il fallait plus prendre garde à ses biens qu’à sa vie. Elle pencha la tête sur le côté.

— Tu couches où ? demanda-t-elle finalement.

— A l’auberge, déclara Arian et réalisant qu’ils auraient aussi bien fait de partir en groupe.

Kanku réfléchit un instant, puis se décida.

— Je vais réserver une chambre aussi alors.

— Tu ne l’avais pas fait en arrivant ici ? s’étonna Arian en se mettant à marcher.

— Ce n’est pas exactement une tradition là d’où je viens, confessa l’Orc en la suivant. On ne paye pas pour avoir un endroit où dormir, on considère que c’est normal.

— Bienvenue dans les Terres, Kanku ! s’exclama la voleuse avec un rire sarcastique.

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