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Par Brook
Notes de l’auteur : Nouveau chapitre ! Pas grand chose à dire, alors je vous souhaite une bonne lecture :)

         Il se réveilla à cinq heures du matin, quoi qu’il n’était pas encore totalement endormi. Les yeux qui piquaient et l’estomac troué, il se leva, se prépara rapidement (jamais plus de trente minutes) pour se rendre à son job. Il travaillait dans une déchèterie quatre fois par semaine, une heure trente, parfois plus lorsqu’il avait besoin de s’acheter de nouveaux vêtements ou qu’il devait se fournir du nouveau matériel scolaire.  

 

            Le matin, au travail, il passait son temps à rêvasser. Il triait les déchets avec une vitesse et une précision qui laissait tous ses collègues, ayant chacun plusieurs années d’expérience, sans voix. C’était comme si ses bras bougeaient tous seuls. Son esprit était ailleurs, loin, souvent dans des mondes régis par les folies enfantines qui lui avaient manqué. Il n'adressait la parole à ses collègues que pour les saluer et lâcher un "au revoir" à peine audible. 

 

            Après deux heures de labeur, il échangeait sa combinaison puante et ses chaussures de travail contre une tenue basique : un sweat à capuche, un jeans et des baskets. 

 

            Au lycée, les élèves formaient naturellement leurs groupes, retrouvaient leurs amis. Il voyait les sourires, entendait les rires, et avait l’impression que tous étaient dirigés vers lui, contre lui. Il fendit la foule, le regard toujours accroché à ses lacets. 

 

            Il arriva le premier en classe et passa les quelques dizaines de minutes qui restaient avant le début du cours à regarder le ciel, ou à griffonner des choses dans son cahier que lui-même ne comprenait parfois pas.

 

            Ses camarades arrivèrent tous en trombe après la première sonnerie du matin. Certains lui lançaient des regards teintés à la fois de curiosité et d’une certaine forme de mépris ; les autres l’ignoraient tout simplement. Personne ne lui adressait la parole, il n’adressait la parole à personne, en dehors des travaux de groupe, dans lesquels il voulait se faire petit, jusqu’à se faire oublier. Il y arrivait sans difficultés.

 

            Il n’était pas spécialement doué pour les études, ni particulièrement intelligent, mais trouvait chaque cours plus assommant que le précédent. Les voix mornes des professeurs étaient soporifiques, les formules de maths lui donnaient le tourni. 

 

            Le cours de philosophie allait commencer : le tourni devint nausée. Le prof entra dans la salle après tout le monde. Il bavarda avec les élèves quelques minutes avant de taper dans ses mains pour capter l'attention de la classe. Il s'empara d'un feutre et nota au tableau, en lettres majuscules : "LE BONHEUR".

 

            Il sortit une liasse de feuilles de son sac, la divisa en autant de paquets qu'il y avait de rangées et les élèves les firent passer à ceux de derrière. Il leur expliqua cette notion dont lui était convaincu de tout ignorer. 

 

            Il passa le reste du paquet à ses camarades de derrière et regarda ce qu'il y avait d'écrit. Il était tapé en lettres capitales : "QUELLE EST VOTRE CONCEPTION DU BONHEUR ?". Le reste de la feuille était vierge. Les élèves, qui chuchotaient, se mirent à parler, de plus en plus fort, comme une brise qui  rapidement se transforme en une tornade. 

 

            Lire cette question et son dernier mot le fit tressaillir. Ce dernier s'illumina sur la feuille, devint rayonnant. Il prit un relief démesuré, monta haut dans le ciel, comme une tour de glace de laquelle il ne pouvait que chuter, s'écraser. Ce mot était pourtant toujours vide de sens à ses yeux, la tour était creuse. Et le monde du dedans fut pris de secousses, se craquela. La tour se brisa. Il se demanda s'il savait même ce qu'était le bonheur. Il chuta, revoyant son reflet sur l'eau du lac.

 

         

         Et comme sorti de nulle part, un parachute s'ouvra :

- Hé! T'es là? Réveille toi! Réveille toi!

 

 

           Ses mains crispées broyaient la feuille. Sa respiration s'était faite haletante, et son champ de vision, comme taché d'encre, s'était assombri. Il était paralysé, le regard vissé au vide. 

 

            La voix qu'il avait entendu avait été celle de sa voisine de table. Elle l'avait secoué pour le ramener à la réalité. Évidemment, elle ne pouvait pas comprendre, cette fille qui menait la belle vie avec ses amis,  sa famille parfaite : le genre de famille où tous les petits déjeuners et les dîners étaient faits ensemble, où on se disait "je t'aime" pour ponctuer chaque phrase. Les discussions avec sa famille, ces gens avec qui il vivait et qu'il croisait quelques fois dans la semaine, ne se résumaient qu'au strict nécessaire. 

 

            Tous les regards étaient rivés sur lui, contre lui. Il n'avait rien à faire ici. Comment pouvait-il avoir une conception du bonheur, s'il ne l'avait jamais connu, ce bonheur ?

 

            Il prit son sac d'une main, écrasa la feuille de l'autre et s'évapora. Il fila dans le couloir, à la recherche d'une échappatoire. Il ne savait pas où il allait. Tout était vide. Les portes, les casiers, le sol avaient disparu.Personne ne venait le chercher. Il n'attendait personne non plus. La sonnerie qui annonçait la fin de l'heure le réveilla doucement. Il se leva et s'en alla avant que la vague d'élèves ne vienne l'emporter. 

 

 

            Lorsqu'il arriva chez lui, la maison était vide, toutes les ampoules éteintes. Il ne savait pas à quelle heure rentreraient ses parents. En fait, il ne savait pas s'ils rentreraient. Parfois, ça lui arrivait de passer plusieurs nuits seul. Ce soir en faisait partie. Il détestait l'ambiance qui régnait dans la maison, aussi lorsqu'il était seul. Il alluma la télé et monta le volume à fond, même s'il ne la regardait pas. Ce bruit de fond était d'assez bonne compagnie.

 

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Baron Saturnien
Posté le 25/01/2023
Bonjour ! J'ai beaucoup aimé suivre cette histoire. La précision et la concision du style permettent de jolis effets de montée en tension que j'ai beaucoup appréciés. Les images utilisées sont également très inspirantes. Pour ne citer qu'un exemple, la façon dont la tour imaginaire et angoissante s'écrase, avec ce rythme, est vraiment intéressante. Bonne continuation !
Brook
Posté le 26/01/2023
Bienvenue à toi, Baron Saturnien ! Content de voir encore une fois que les effets recherchés ont fonctionné !
Je dois t'avouer que ce passage n'est pas mon préféré... Sûrement parce qu'il y en a d'autres encore meilleurs par la suite, en fait XD.
À très vite !
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