2.Boulevard of broken dreams – Green Day

Le soir venu et avec, la fin des cours, Iris franchit les grilles du lycée avec un sentiment de délivrance. Thomas passa son bras sur ses épaules et d’un pas accordé, ils marchèrent en silence en savourant la caresse du soleil. Bien vite, la conversation tourna autour de leur sujet de prédilection : l’avenir. En grandissant dans une petite bourgade, il leur avait fallu de grands rêves pour envisager la liberté. Thomas voulait voyager, et Iris ne pensait qu’à la musique. Et un seul lieu faisait assez battre son cœur pour qu’elle envisage de quitter sa mère : Juilliard, la fameuse école que tout mélomane rêverait d’intégrer. Thomas était la seule personne à connaître ce désir et le fait qu’il soit convaincu de son talent la remplissait de confiance.

             Au carrefour où ils se séparaient habituellement (Thomas l’appelait la Croisée des Chemins), le jeune homme marqua un temps d’hésitation.

             – Tu ne m’avais pas dit que ton violoncelle était mal en point ? S’enquit-il. Je peux passer vite fait si tu veux.

             – Rien d’urgent, t’inquiètes.

             – Allez, dis oui… J’ai aucune envie de rentrer chez moi, là tout de suite.

             Iris plongea son regard bleu dans les yeux de son ami. Ces derniers mois il avait passé plus de temps chez elle que chez lui.

             – C’est Roger c’est ça ? Thomas, ça ne peut plus durer : il faut que tu en parles à ta référente.

             Roger était le nom du substitut de père de Thomas depuis des années. Leur relation qui n’avait pas toujours été rose, s’était considérablement dégradée à l’adolescence du jeune homme.

             – Pour qu’elle m’envoie à l’autre bout de la région ? Non merci, s’écria furieusement celui-ci. De toute façon ça va. Du moment qu’on se croise le moins possible.

             – Bon… Soupira Iris. Ok, tu viens. Et puis en vérité, mon chevalet a vraiment besoin d’être réparé. Tu as vraiment de la chance que je n’aie pas les moyens d’aller chez un luthier.

             Néanmoins, Thomas avait un don pour réparer les objets. Iris était impressionnée par la façon dont ses mains semblaient savoir comment agir pour leur rendre leur fonction.

             – Tu vois que ça m’arrive d’être utile !

 

             Il lui fallut seulement quelques secondes pour détecter le problème de l’instrument d’Iris et quelques minutes de plus pour trouver une solution. Il s’appliquait à recouvrir une face du chevalet d’une fine couche de colle quand Iris prit sa guitare. Comme chaque fois, son ami remarqua qu’un sourire involontaire éclaira son visage à l’instant où elle s’était saisie du manche.

             Elle s’assit sur son lit, prit une respiration, ses doigts effleurèrent amoureusement les cordes et elle commença à jouer. Sans même regarder ses mains, comme si c’était plus instinctif que la parole, la mélodie s’échappa de l’instrument.

             Thomas reconnut Fade to black de Metallica aux premiers accords. Concentré sur sa tâche, il n’échangea pas un regard avec son amie mais ils partageaient à travers la musique bien plus que par leurs yeux. Chaque grincement métallique d’un doigt sur une corde, chaque pincement qui résonnait, lui était familier. Il pouvait deviner les mimiques d’Iris durant tout le morceau : tous ses froncements de nez, toutes ses tentatives pour rejeter ses cheveux derrière son épaule. Il la connaissait par cœur. Et pourtant, cette fois-ci ne faisait pas exception, le talent d’Iris le laissait bouche bée, il ne pouvait l’expliquer, elle donnait vie à la musique. Comme si par ses mains, le morceau prenait du relief : était-ce possible de jouer en 3D ? Iris en semblait capable.

             Quand les dernières mesures s’achevèrent, elle rangea avec amour sa guitare dans son étui. C’était frustrant pour Thomas mais c’était comme ça : la magie n’était jamais aussi merveilleuse que lors des 3 minutes qu’elle occupait.

             En voyant son air déçu, Iris lui sourit :

             – N’abusons pas des bonnes choses, Burcet.

             – C’est de la torture, Iris. Pourquoi tu n’intègres pas le conservatoire ou un cours ou un orchestre, ou quelque chose ?

             – Tu demandes une réponse différente de celle d’hier et d’avant-hier ? Parce que j’aime travailler par moi-même.

             – Comme tu veux. Mais…

             – Thomas ! stop !

             – Ok, ok, dit Thomas en levant les mains en signe de reddition. Je dis juste que c’est dommage que personne ne profite de ton talent.

             Iris eut un sourire indulgent et l’aida à se relever. Mais Thomas ne tenait pas à s’en aller. Il jeta un coup d’œil à la pièce comme s’il la découvrait. Dans un coin, reposait une basse argentée qui paraissait avoir vécu, et une vieille Gibson reliée à un ampli. Pendant qu’Iris vérifiait son violoncelle, Thomas saisit délicatement la guitare électrique et la fit pivoter. Il caressa son dos du bout des doigts, retrouvant les mots qui avaient été gravés dans la résine noire des années auparavant.

             – Arrête, Thomas, dit Iris d’une voix ferme.

             Le jeune homme croisa son regard dur et serra la mâchoire en pensant à ce qu’il était inscrit sur l’instrument. Il l’avait découvert par hasard seulement quelques mois auparavant et cela avait mis Iris dans une colère incompréhensible. Il pouvait parler de tout avec elle, sauf de son passé. Et la Gibson en était un témoin indésirable. Il y était inscrit : « Pour ma Princesse Maya ». Après s’être énervée, Iris l’avait renseigné. Il s’agissait d’un cadeau que son père avait offert à sa mère avant sa naissance.

             – Avant qu’il ne s’enfuie, avait-elle ajouté.

             En apprenant qu’il était papa, le père d’Iris était parti du studio qu’il occupait avec Maya sans laisser de trace ni même un mot. Ça avait bien entendu anéanti sa mère et le sujet n’était jamais abordé. Iris savait seulement de ce fantôme qu’il était musicien et qu’elle tenait de lui ses cheveux blonds.

             Thomas secoua lentement la tête.

             – Je ne te comprends pas sur ce coup-là, confia-t-il.

             Iris ne répondit pas. Elle savait de quoi il voulait parler : lui-même n’avait pas le moindre indice quant à l’identité de ses parents biologiques. Il trouvait inconcevable qu’Iris ne veuille pas retrouver son père alors qu’elle en avait la possibilité.

             – Mais bon, je t’adore quand même, conclut Thomas d’un air sérieux.

             Iris lui sourit avec tendresse.

             – Moi aussi, tu es le meilleur.

             Le bruit de la clé qu’on tourne dans la serrure les interrompit. Au cas où ils n’auraient pas entendu le fracas des sacs de courses renversés par terre, Maya Tanner signala sa présence en criant du rez-de-chaussée :

             – Iris ! Je suis rentrée !

             – On est là-haut avec Thomas !

             Ils l’entendirent monter les escaliers. Elle frappa rapidement à la porte de la chambre d’Iris et y entra avec enthousiasme.

             – Tu as passé une bonne journée, ma chérie ? s’enquit-elle. Comment vas-tu Thomas ?

             – Bien, merci, répondit ce dernier. Mais je ne vais pas vous déranger plus longtemps…

             – Allons ça nous fait plaisir ! reste donc diner !

             – Thomas a une maison, aussi, intervint Iris. Une maison où il doit un minimum dormir pour qu’elle le reste.

             – Iris a raison, je dois y aller. Au revoir Maya, ce fut un plaisir, comme toujours, ajouta Thomas avec un clin d’œil.

             – Merci pour le violoncelle, et… Bon courage, dit Iris.

             Thomas hocha la tête et se laissa raccompagner jusqu’à la porte.

             – A demain Jimmy Hendrix ! lança-t-il en partant.

             – A plus Macgyver, répondit Iris en riant.

             Elle l’observa un instant s’éloigner les mains dans les poches de sa démarche nonchalante. Il était vraiment le meilleur. Le sourire railleur de Maya qui était descendu à son tour l’arracha à ses pensées.

             – Quoi ? questionna-t-elle avec méfiance.

             – Oh rien.

             – Alors c’est quoi cet air ?

             – Lequel ? Celui qui signifie : « Je connais quand même un peu ma fille et je sens qu’elle a drôlement le béguin » ?

             – N’importe quoi !

             – Ne t’en fais pas, avec-moi ton secret est bien gardé. Et je tenais à ce que tu saches…

             – Quoi ?!

             – Thomas, je le trouve très mignon.

             – Maman !!

             – Quoi ? Il vaut mieux que je cautionne tes petits amis, non ?

             – Thomas n’est PAS mon… Ce n’est pas… On n’est pas ensemble !

             – Non non… Et moi je trouve Anthony Casani tout juste passable.

             – Maman !

             Le dénommé Anthony était un collègue et pour le coup, c’était de notoriété publique que Maya Tanner était sérieusement obsédée par son « charisme méditerranéen ».

             – Tu ne peux pas envisager que j’aie un ami tout simplement ?

             – Mais pourquoi Thomas ne serait pas plus que ça ? Vous semblez faits l’un pour l’autre.

             Iris se retint de ne pas lever les yeux au plafond.

             – On ne vit pas dans une comédie romantique. Et on est très bien comme ça.

             Maya eut un regard espiègle.

             – Pour l’instant.

             Excédée, Iris tourna les talons et grimpa les escaliers quatre à quatre. Quand sa mère se mettait à lui inventer une vie amoureuse, ça devenait compliqué de lui faire changer de cap : elle préférait la fuite.

             Allongée sur son lit, les bras croisés derrière la tête, elle songea à toutes les fois où quelqu’un avait essayé de les caser ensemble, Thomas et elle. Ils avaient des raisons, il fallait le dire : car si Iris mettait un point d’honneur à rester une asociale de première, Thomas avait du succès. Il flirtait à tout bout de champ, avec n’importe quelle fille, n’importe quand, mais ça ne durait jamais plus de quelques jours. Il se lassait très vite, et revenait vers Iris. Puis quand l’envie lui en prenait, il recommençait. Mais il n’aurait risqué sa relation avec Iris pour rien au monde : elle était dénuée de toute ambiguïté. Ils étaient les meilleurs amis du monde, rien de plus, rien de moins. Tout ce que demandait Iris, c’était de ne connaître aucun détail des aventures de Thomas. 

 

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vincent Meriel
Posté le 07/11/2022
Bonjour,

Un chapitre sympathique qui nous permet d'en apprendre plus sur les personnages principaux. Le tout en plaçant quelques touches de mystère qu'on attend juste de voir éclore.

La relation d'"amitié" entre Iris et Thomas fonctionne bien (les dialogues pourraient peut-être gagner à être un chouilla plus naturelle, mais je suis trop nul pour dire comment ^^') sans que l'on sache où cela va aller, de même que celle entre la fille et la mère.

J'ai néanmoins trouvé le chapitre un peu plus difficile à lire, sans doute à cause de virgules baladeuses (plutôt en trop, mais parfois absentes). La première phrase notamment m'a donné du fil à retordre (je pense, sans certitude, qu'elle se structurerait plutôt ainsi "Le soir venu, et avec lui la fin des cours, Iris franchit les grilles du lycée avec un sentiment de délivrance").

Un autre point un peu étrange est la phrase "Comme chaque fois, son ami remarqua qu’un sourire involontaire éclaira son visage à l’instant où elle s’était saisie du manche." Puisqu'on se place du point de vue de Thomas dans un paragraphe pour Iris.

Et il y a deux choses que ne j'ai pas compris.

- La fuite du père d'Iris, est-il parti à sa naissance, en apprenant que sa mère était enceinte, ou en apprenant que sa mère avait accouché, mais sans l'avoir vu depuis 9 mois du coup ?

- L'arrivée de la mère d'Iris et le "Au cas où ils n’auraient pas entendu le fracas des sacs de courses renversés par terre". Je ne comprends pas si elle tombe avec ses courses, ou si elle les lâche bruyamment. Je pense que cela gagnerait à être reformulé.

Hâte de lire la suite ! A bientôt.
Lau_doria
Posté le 12/11/2022
Bonjour et merci pour tes retours!

Je retiens ta remarque sur la difficulté à lire ce chapitre. Je l'ai peu retravaillé et je ferai attention à mes virgules ;)
En ce qui concerne les points de vue, j'ai parfois du mal à me décider: j'ai sans cesse envie de parler du point de vue des autres personnages, mais si ça t'a gêné, je vais peut-être rester de celui d'Iris.

Le père d'Iris est parti durant la grossesse de Maya, mais les circonstances sont assez floues pour l'instant.
Les courses tombent par terre, mais pas Maya! Je vais reformuler ça.

Merci à toi et à bientôt!
Liné
Posté le 19/10/2022
Je continue ma petite exploration, et ce 2e chapitre est en parfaite cohérence avec le premier ! On y retrouve ton style, simple, clair et fluide, et les deux personnages principaux, déjà attachants.

Je me demande où va l'intrigue autour de la relation entre Iris et Thomas. Une partie de moi espère qu'elle restera amicale, parce qu'un homme et une femme ami-es, comme tu le décris si bien en fin de chapitre, ça fait jaser. Et à force de jaser, ces relations hommes/femmes deviennent impossibles, ce qui est bien dommage. Et en même temps, je ne serai pas non plus choquée si tu les faisais évoluer vers du romantisme !

Tu mentionnes Juilliard au début, du coup on est en Amérique du Nord ? Parce que si on est en France (ou en Europe), ça fait un paquet de démarches à envisager pour qu'Iris soit acceptée et vive à New York ! Ceci dit, peut-être que son obsession pour cette école relève du rêve impossible, ce qu'elle assume ?

A bientôt !
Lau_doria
Posté le 20/10/2022
Merci pour ces jolis qualificatifs! Je suis heureuse que tu trouves ça fluide et simple.
Pour ce qui est de Thomas et Iris, c'est super que tu t'attardes sur cette relation, elle est importante. Tu verras où elle va toute au long de l'histoire!

Et pour Juillard, en effet c'est un rêve pour l'instant inaccessible, et je pense qu'Iris le sait bien, au fond. On est en France, même si j'essaie de ne pas être trop claire et définitive là-dessus.

Bonne lecture et à bientôt!
A.W. Zephyrus
Posté le 06/06/2022
" Néanmoins, Thomas avait un don pour réparer les objets. Iris était impressionnée par la façon dont ses mains semblaient savoir comment agir pour leur rendre leur fonction."

C'est une capacité caractéristique des fils d'Héphaïstos/Vulcain, selon votre préférence.
Lau_doria
Posté le 19/10/2022
Oui tout à fait! Même si dans ce cas-là, cela peut induire en erreur sur les origines de Thomas.
Vous lisez