2- La Papesse

Notes de l’auteur : Cette papesse Jeanne établie d’abord par quelques-uns, détruite par d’autres, ensuite rétablie, il la détruisait pour jamais, et il trouvait que cette fable ne pouvait s’être soutenue qu’à la faveur des ténèbres de la chronologie qu’il dissipait.

 

Vendredi 24 février 1989

 

D’après les informations glanées par l’intermédiaire de la petite radio à piles de la salle de bain, l’apocalypse, la vraie, n’était due que dans deux jours. Cette nuit n’avait été qu’un coup de semonce.

Aleph, après avoir regagné sa chambre à la lueur du poêle et d’une lampe de poche et passé une nuit agitée, s’était levé à 7 h sans grand enthousiasme.

La première opération fut d’éponger l’eau qui s’était glissée sous la porte. La seconde consistait à relancer le poêle et à poser dessus une bouilloire. La cuisine n’était équipée que de plaques électriques pour le moment hors service. Mâchonnant un croûton de pain, pieds nus dans ses bottes et sa parka

au-dessus de son pyjama, il s’aventura dehors, à la recherche du tableau électrique. Après quelques errements, il finit par trouver la boîte à fusibles dans une remise à bois attenante au bâtiment, la logique des lieux lui échappait, cependant, rien n’avait disjoncté. Le jour était timide. Il monta jusqu’à la route et scruta la pénombre. Quelque part, hors de sa vue, un pylône avait dû tomber. Il n’y avait rien à y faire. Profitant d’être dehors il alla vérifier l’état de l’estafette. Le hangar avait tenu, l’odieux véhicule était intact. Dommage.

De retour à l’appartement, il vérifia le téléphone. Rien. Pas un crépitement. La journée s’annonçait glorieuse.

Dans sa chambre, Guillermo ronflait. Aleph se débarrassa de ses bottes et de sa parka, attrapa un plaid, brun évidemment, qu’il enroula autour de ses épaules et se rendit dans la petite cuisine glacée. Une tasse Mickey Mouse copieusement remplie de Nescafé dans une main et une demi-douzaine de tranches de brioche industrielle sur une assiette vert pomme, il regagna le salon. La bouilloire sifflait. Il versa le liquide brûlant sur le café en poudre, touilla pensivement le mélange, et après avoir posé son déjeuner à portée de main sur la table basse, il s’installa en tailleur dans le canapé.

Une heure passa, studieuse, un crayon en main et son classeur sur les jambes, à annoter des relevés préliminaires.

Alors que la lumière du jour devenait plus franche, Guillermo sortit de sa chambre, enveloppé dans sa couette, traînant ses Charentaises sur le parquet. Il émit un grognement qu’Aleph accepta comme une salutation et disparut dans la salle de bain. Aleph l’entendit uriner bruyamment puis faire couler de l’eau. Une bordée de juron.

« Il n’y a plus de courant et le chauffe-eau est électrique ! » cria Aleph pour se faire entendre au travers de la porte et par-dessus les insultes fournies en espagnol.

Son chef de chantier émergea de la salle de bain toujours enveloppé dans sa couette rose pâle. Il présentait toujours des caractéristiques typiques d’un homme malade : le teint blafard, l’œil fiévreux et les cheveux en bataille.

« Je retourne me coucher. »

Aleph haussa les sourcils, puis les épaules et referma son classeur. Après quelques étirements et un bâillement sonore, il prit la bouilloire dont le contenu était encore tiède et se rendit à la salle de bain pour procéder à une toilette sommaire.

Guillermo étant officieusement en congé maladie, et officiellement incapable de le superviser pour la journée, il avait le champ libre et beaucoup à faire, à commencer par trouver un annuaire.

***

Exhumé de sous l’évier, le bottin un peu daté ne listait pas de bibliothèques municipales à moins de 30 km du bourg. Par ce temps et dans cette région, parcourir 30 km équivalait à risquer de prendre une demi-douzaine d’arbre et autres éboulis sur le capot. Restait le château-musée perché en haut du bourg. Un dépliant touristique aimanté au frigo de la cuisine y mentionnait une bibliothèque fournie.

Vérification faite, le dépliant indiquait également que le monument historique était fermé au public de janvier à mars.

Qu’espérait-il de toute manière ?

9 h. Il était temps d’aller vérifier si la grotte était toujours accessible et de prendre des dispositions pour la protéger pendant les jours de tempête à venir. Même si son emplacement, l’isolant par de hautes parois rocheuses de tout côté semblait la protéger du pire, quelques précautions ne seraient pas de trop. Restait à espérer que la route forestière qui y menait soit accessible.

***

Quelques branches avaient obligé Aleph à faire preuve d’ingéniosité sur le chemin, mais il s’était retrouvé sans encombre devant la caverne. 

Debout les bras croisés devant les planches qui condamnaient l’entrée, le visage caché sous sa capuche, il cogita. Commencer des relevés aujourd’hui n’avait aucun intérêt. Les prévisions météo s’annonçaient dangereuses. Il avait jusque midi pour retourner au bourg sans risquer de se faire écraser par un arbre. Mais retourner à l’appartement maintenant qu’il était là n’avait pas de sens. Surtout si c’était pour devoir annoncer à Guillermo que la gare était fermée et qu’aucun train vers Périgueux ne circulait.

Le mieux était de retourner au bourg et de se renseigner sur les dégâts de la nuit et la rapidité avec laquelle l’électricité et la ligne téléphonique seraient rétablies. Mais avant cela, il s’arma d’une puissante lampe torche et ôta une planche de l’entrée. Il longea le coude jusqu’à la peinture rupestre et examina l’interstice dans lequel il avait trouvé la lame de tarot. Le vent n’avait rien à se reprocher, la probabilité qu’une carte de cette taille parvienne à se glisser si parfaitement dans un espace si étroit et mal situé était infinitésimale. Par curiosité, il s’agenouilla et longea les parois glacées jusqu’au bout de la salle où un boyau à demi bloqué par un éboulement menait au reste de la caverne. Il aurait pu s’y faufiler, mais là n’était pas le but. Il continua au-delà de l’ouverture, vers l’espace que Guillermo avait identifié comme le dépotoir et les latrines des anciens occupants du lieu. Il s’agissait de ne pas trop piétiner l’emplacement dont la géologie tendait visiblement plus vers le capharnaüm que le reste de la salle : un bassin naturel dans le sol, empli de cailloux et de poussières, et sûrement de quelques étrons fossilisés, d’os et de pointes de flèche. 

Restant à une distance prudente, il examina les surfaces verticales. À la lumière blanche de la lampe, quelque chose ressortit, glissé cette fois dans une fissure à portée de main : une autre carte. Elle représentait une femme cette fois, installée sur un trône et portant des insignes chrétiens. Le dessin était toujours exécuté dans le même style naïf et colorié de couleurs primaires. Toujours un parchemin de qualité médiocre. Il ne s’attarda pas sur les détails et la glissa dans la poche de poitrine de sa parka. 

Guillermo avait passé les 7 derniers jours dans ce recoin de la salle, son regard expert n’aurait pas pu louper une telle anomalie. Sauf peut-être hier, lorsque la fièvre s’était déclenchée. Lui-même avait passé 3 jours à mesurer et examiner la peinture rupestre et son contour. Si la carte avait été là deux jours avant il s’en serait aperçu. Ça n’avait pas de sens, et cela signifiait surtout qu’aucun de ses collègues n’avait vraisemblablement placé ces cartes, puisqu’ils étaient partis depuis plusieurs jours. Restait Guillermo. Mais une telle lubie était en parfait désaccord avec son caractère.

Aleph passa encore une heure à examiner les parois de la salle, mais ne trouva rien de plus. Ses doigts rougissaient, ses genoux commençaient à protester et l’humidité du sol perçait au travers de son jean. La blague avait assez duré.

***

La porte de la mairie était grande ouverte et sur le parvis de l’église, en face, une dizaine de personnes, des hommes principalement, discutaient. Ils jetèrent à peine un regard à l’Estafette couleur caca d’oie maculée de boue qui se gara près d’eux. De ce qu’il put glaner des conversations animées en passant, Aleph apprit que la moitié du village était sans électricité. Les fermes environnantes avaient toutes leur générateur, mais c’était à peine suffisant.

La secrétaire de mairie, une femme d’une cinquantaine d’années qui, à en juger par l’impressionnant bob de cheveux teints en noir qu’elle arborait, n’avait vraisemblablement pas changé de coiffure depuis ses 20 ans en 1960. Elle accueillit Aleph d’un sourire aimable, mais tendu. C’est elle qui avait géré une partie des démarches administratives permettant l’exploitation de la grotte qui se trouvait dans la forêt municipale. Aleph, en charge de l’obtention des divers permis et autorisations, avait, les semaines précédentes, passé un certain nombre d’heures au téléphone avec l’aimable et efficace employée pour la guider dans des démarches obscures dont elle n’avait jamais entendu parler. De son côté, c’est elle qui avait trouvé ce grand corps de ferme converti en gîtes, pour loger au rabais une équipe complète, leur permettant de rester à proximité de la grotte sans exploser le budget alloué au projet.

Aleph lui offrit son sourire le plus affable.

« Madame Rousseau. Bonjour. Vous devez avoir du travail par-dessus la tête aujourd’hui.

— Pensez donc, plus d’électricité, plus de téléphone, les routes barrées. Le maire est parti en moto à la ville pour coordonner les réparations, en attendant, je suis bloquée ici à expliquer aux habitants que je ne peux rien faire pour eux. Heureusement, la départementale est en train d’être dégagée. L’épicerie va pouvoir faire venir plus d’eau avant la deuxième salve de tempête. Votre grotte va bien ?

— Elle est toujours sèche oui. Et l’appartement de la ferme aux trois veaux est lui aussi sans électricité, mais… 

Madame Rousseau leva les yeux au ciel. Aleph changea prestement de sujet.

Dites, je me demandais si quelqu’un ici avait un télex.

— À l’épicerie, ils ont celui du point poste, Monsieur le Maire s’en est servi ce matin. Ah, enfin quelqu’un que je peux renseigner ! s’écria-telle en tapotant satisfaite sa jupe en plaid.

— Et je me demandais, le musée du château… Est-ce que…

Le visage de madame Rousseau se ferma.

— Ah ça. Il faut voir avec Lejean, coupa-t-elle sèchement.

— Le Jean.

— Oui. Vous montez au château et demandez Lejean.

Sa manière de prononcer le nom en disait long sur le mépris qu’elle avait pour cette personne.

— Ah.

— Oui. Pour le château, je ne peux rien faire. »

Mais je n’ai encore même rien demandé, s’étonna Aleph en son for intérieur. Il remercia la secrétaire, lui assena de nouveau son plus charmant sourire. Elle oublia sa nervosité et le raccompagna à la porte de la mairie, non sans lui recommander de penser à prendre beaucoup de provisions lorsqu’il irait à l’épicerie envoyer son télex. Un jeune homme vigoureux comme lui ça devait manger par un temps pareil.

C’est un sourire amusé cette fois qu’Aleph présenta à l’épicier quelques dizaines de mètres plus loin, quand il entra dans le magasin.

Effectivement, il ne restait plus beaucoup d’eau dans les rayons. L’épicière, en l’amenant dans la réserve où se trouvait le téléphone, le fax, le minitel et le télex public pour le village, lui expliqua que leur fils avait réquisitionné deux camionnettes et deux garçons de ferme, en plus de leur camion, pour aller chercher des réserves avant les grandes pluies du week-end.

Aleph envoya un bref télex à l’attention de « Madame » au CNP, l’informant de l’état de Guillermo et des contraintes techniques qui les empêchaient de revenir sur Périgueux à court terme.

Il l’imaginait très bien blanche de rage, en pleine paranoïa, les voyant déjà en train de gaiement piller la grotte pour revendre les précieux artéfacts à des contrebandiers sans vergogne.

Exagérait-il ?

Non, Madame en était capable. Madame n’avait aucune confiance en Guillermo.

Peu importait.

Il envoya aussi un télex au bureau de son père, pour que sa famille ne s’inquiète pas. Dans la banlieue d’Orléans, il ne se faisait pas trop de souci pour eux.

Restait un message à transmettre à la femme de Guillermo. Il la savait habituée aux silences prolongés de son mari, mais un peu de prévenance ne ferait pas de mal. Il hésita. Un nouveau télex à Madame ? Un à son père ? En désespoir de cause, il renvoya un message à son père, et puisqu’il était là, il suivit les conseils de madame Rousseau et fit quelques courses, en gardant à l’esprit que les seuls moyens de chauffer la nourriture jusqu’à nouvel ordre étaient un micro-ondes capricieux et le poêle du salon.

***

Ses provisions calées à l’arrière de la camionnette, son devoir d’assistant accompli et l’estomac dans les talons, Aleph décida que la journée était finie. Il rentrerait et passerait l’après-midi à la table de la salle à manger à cataloguer les échantillons de Guillermo jusqu’à ce que la lumière manque.

C’est en passant devant une bifurcation où un panneau indiquait la direction du château qu’il changea d’avis. Il s’engagea sur la route et, quelques coudes plus loin, parvint devant les grilles du domaine. C’était ouvert. Il se demanda s’il pouvait rentrer dans la cour gravillonnée du lieu et décida plutôt de se garer le long du mur d’enceinte sur les places réservées au stationnement des véhicules de touristes.

Tout semblait fermé et, si le château, hybride de forteresse médiévale et de château renaissance, semblait dans un état de préservation optimal, rien ne laissait penser qu’il était habité par quoi que ce soit d’autre que ses collections et quelques fantômes.

Suivant docilement les panneaux, il se dirigea vers une petite porte du bâtiment principal, sur laquelle un panneau indiquait « Secrétariat — Billetterie. »

C’était fermé, par la fenêtre au verre teinté de la porte, aucune lumière ne semblait filtrer, mais l’électricité était peut-être coupée ici aussi.

En revanche, une conversation étouffée lui parvenait au travers du bois.

Il frappa.

Silence.

Un bruit de pas.

La porte s’ouvrit en grand et un homme d’une soixantaine d’années, portant une tenue similaire à la sienne, bottes et parka, le salua d’un bref hochement de tête. Il s’effaça pour le laisser entrer et sortit d’un pas lourd.

La pièce était spacieuse et toute en longueur, bien qu’un peu sombre. À gauche, un long comptoir servait sûrement de station d’accueil. Il était pour l’instant vierge de tout dépliant et personne n’occupait les deux sièges hauts derrière lui. Au fond de la pièce, dos à une fenêtre qui donnait sur la cour intérieure du château se trouvait une femme, elle l’observait, les épaules droites, la tête haute, les jambes bien alignées et les deux mains croisées devant elle.

Il ne fallut qu’un regard à Aleph pour lire son pedigree dans sa tenue et son cursus universitaire pouvait être déchiffré dans son comportement : col Claudine, collier de perles, mocassins à glands aux talons raisonnables, collants opaques et jupe de velours vert. Seul le cheveu lisse et tiré en arrière en chignon plutôt que coupé au bol avec un serre-tête laissait présager un esprit un peu moins bourgeois. Ou peut-être que les serre-têtes n’étaient réservés qu’aux mères de famille et que celle-ci était encore nullipare. Il maitrisait mal les codes de la bourgeoisie.

Elle le dévisagea de la tête aux pieds. « Khâgne, Hypokhâgne et enfer des instituts d’éducation supérieure privés », hurla une voix au fond du cerveau d’Aleph pendant que lui-même se faisait cataloguer par le regard tranquillement méprisant de la femme.

Aleph se sentit soudain le charisme d’une huître morte et son « sourire affable spécial difficultés administratives » ne vint pas sur commande. Il piétina un peu sur place, conscient que son embarras était aussi palpable que la boue qu’il laissait tomber sur les tomettes impeccables.

« Bonjour, je cherche… une personne.

— …

— …

— Vous souhaiteriez peut-être être un peu plus précis

— nommée… Le Jean.

Le ridicule ne tue pas, le ridicule ne tue pas, se répétait Aleph.

— Le Jean, répéta la femme lentement.

— C’est… peut-être lui qui vient de sortir ? bégaya Aleph. Je… je…

Ça devenait insoutenable, comment pouvait-il perdre ses moyens si facilement ?

La femme s’approcha. Son visage jusque là à contre-jour apparut. Elle tendit la main avec un sourire froid et pincé.

— Marozia Jeanne, curatrice du musée. Supposons pour le moment que je suis la personne que vous cherchez. »

Aleph serra mécaniquement, la poignée fut brève et sèche. Il avait les doigts glacés. La main qu’il serra était tiède. Et sa propriétaire spéciale. Il la dévisagea, rougit jusqu’aux oreilles et détourna le regard.

Quelle ironie du sort avait incarné une œuvre d’art dans une curatrice de musée ?

C’était affolant : blonde vénitienne, l’œil un peu globuleux, bleu azur, inséré dans une paupière épaisse et ciselée en une amande parfaite sous un sourcil en arc finement dessiné, un front typiquement marmoréen, un nez droit, la bouche rose et la lippe dédaigneuse, un menton un peu gras, légèrement fuyant. Quelqu’un avait ensorcelé un portrait de Lucrèce Borgia et l’avait ramenée à la vie. Aucune autre explication ne semblait valable.

Mme Jeanne, et non Le Jean. Il se souviendrait de faire remarquer à madame Rousseau que l’impliquer dans les querelles du village n’était pas très poli. Les secondes passaient, l’embarras montait. Chez lui surtout, la curatrice semblait attendre, impassible, qu’il parle, ou disparaisse.

Il déglutit.

« Aleph Kaplan. Assistant de recherche au Centre de national de Préhistoire de Périgueux.

—   Enchantée, mentit Marozia Jeanne sans aucune intention de le dissimuler.

Aleph inspira profondément et nonobstant l’invitation claire à ne pas poursuivre, il enchaîna :

—  À tout hasard, je me demandais si je pouvais abuser de votre hospitalité quelques heures et examiner les ouvrages de votre bibliothèque. J’ai quelques recherches à faire.

—   Aucun ouvrage ici ne traite de l’holocène, lui fit vertement remarquer la curatrice. Les plus récents faisaient partie de la collection personnelle du dernier habitant des lieux, mort en 1896.

Aleph ne put s’empêcher de sourire cette fois.

—  À vrai dire, tout ce qui est postérieur au pléistocène supérieur est déjà un peu trop moderne pour moi, mais je viens plutôt me renseigner sur des objets un peu plus récents. Des cartes à jouer anciennes. Les lames d’un tarot divinatoire, je pense.

La curatrice leva imperceptiblement un sourcil.

—   Puis-je les voir ? Il y a bien quelques écrits originaux d’Encausse dans la bibliothèque, mais dans l’immédiat, il est probable que ce soit mon matériel de paléographie qu’il vous sera utile d’emprunter. »

Aleph tira les deux cartes à jouer de la poche de poitrine de sa parka et les tendit à Marozia Jeanne. Elle les disposa sur le comptoir à l’endroit le plus lumineux et les examina. Pendant une minute, Aleph retint sa respiration. Il n’avait vue que sur le dos et les jambes de la curatrice, et la courbe ample de ses hanches et ses fesses larges et rebondies avaient un attrait qu’il aurait préféré ignorer. Quelque part dans sa tête une scène de Hair rejouait. Il se demanda si elle montait à cheval.

Marozia Jeanne se redressa, empila les deux cartes, se retourna et les tendit sèchement à Aleph.

« J’ignore si vous êtes un messager innocent ou un participant actif à cette mauvaise blague, mais vous pourrez signaler au maire que ses plaisanteries de mauvais goût ont assez duré. Même si je dois admettre que celle-ci est d’un niveau intellectuel que je ne lui aurais pas attribué. Elle n’en est que plus odieuse.

— Je ne comprends pas.

 L’expression de la curatrice lui fit bien comprendre qu’elle n’attendait pas de lui qu’il comprenne grand-chose à quoi que ce soit de toute manière.

— Partez s’il vous plaît, votre présence ne me rassure pas. »

Aleph, désemparé, prit les cartes, haussa les épaules et sortit sans un mot. Il était trop bien élevé pour rester en présence d’une femme qu’il incommodait, fut-elle le sosie de Lucrèce Borgia et donc certainement bien plus dangereuse que lui.

***

Guillermo avala son aspirine et entama du bout de la fourchette le cassoulet en boîte réchauffé par Aleph.

Leurs deux lampes torches et quelques bougies éclairaient relativement bien la pièce et le poêle ronronnant faisait son office.

L’ambiance était presque confortable.

« Tu as l’air soucieux. Tu n’as pas dit un mot depuis une heure. Ça ne te ressemble pas.

— Tu t’y connais en tarots ? Les atouts ? Tu saurais les citer.

— Ma femme s’y connaît mieux que moi, mais oui. Le premier atout c’est le Bateleur. Le magicien si tu préfères. D’ailleurs, il est souvent marqué d’un 1 en grec, ou d’Aleph la première lettre de l’alphabet hébreu. Je pensais que tu savais ça vu le prénom que t’ont infligé tes parents.

— Non. Je sais juste que personne d’autre n’a été assez idiot pour nommer son fils d’une lettre unique.

—  Pauvre enfant.

— Mouais. On s’y fait. Personne ne connaît l’alphabet hébreu. Le second atout ?

— La papesse.

—  Rien de spécial donc.

—  La papesse Jeanne ? Si, c’est une histoire spéciale. Tu ne t’intéresses vraiment jamais à ce qui se passe après l’invention de l’écriture ?

—  Jeanne ?

—   La légende veut que, vers 860, une femme ait réussi à se faire désigner pape. Elle serait parvenue à régner un certain temps, jusqu’à ce que mise en cloque par un moine un peu mieux au courant des choses de la vie que les autres, elle n’accouche en pleine cérémonie religieuse. La légende est apparue tardivement après les faits dans les chroniques religieuses. En 1200 si mes souvenirs sont bons. Ça a été par la suite parfaitement démenti : chronologiquement, il est impossible qu’elle ait existé, mais les théories sont allées bon train. La plus plausible pendant un certain temps était que ce surnom avait été donné à la maitresse autoritaire du pape de l’époque. Ou sa mère, ou les deux. Les sources sont peu claires et elle n’était pas vraiment monogame. C’était une noble catin, elle s’appelait Maria, Marise ?

— Marozia ?

— Voilà ! Je croyais que tu ne la connaissais pas.

— Pas jusqu’à ce matin non. Je crois que je vais aller me coucher. »

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VavaOmete
Posté le 10/07/2020
Effectivement les gens et les éléments s'allient pour lui en faire baver à ce pauvre garçon ! Je suis très curieuse de voir ce que tu vas faire pour les autres atouts !

Coquillettes relevées en passant :
« Aleph, après avoir regagné sa chambre à la lueur du poêle et d’une lampe de poche et passé une nuit agitée, s’était levé à 7 h sans grand enthousiasme. » → peut-être modifier le « et passé » par « puis passé », histoire de ne pas avoir l’enchaînement de « et » qui rend la phrase difficile à lire.
« La première opération fut d’éponger l’eau qui s’était glissée sous la porte. La seconde consistait à relancer » → « la seconde consista », si tu veux garder ta continuité temporelle
« il finit par trouver la boîte à fusibles dans une remise à bois attenante au bâtiment, la logique des lieux lui échappait, cependant, » → « attenante au bâtiment (la logique des lieux lui échappait), cependant, ... » peut-être ? Sinon la phrase est difficile à comprendre.
« Il avait jusque midi pour retourner » → jusqu’à midi
« La secrétaire de mairie, une femme d’une cinquantaine d’années qui, à en juger par l’impressionnant bob de cheveux teints en noir qu’elle arborait, n’avait vraisemblablement pas changé de coiffure depuis ses 20 ans en 1960. » → tu ne peux pas simplement terminer cette phrase par un point. On attend quelque chose à cause de la formulation de départ, parce que tu l’introduit comme étant le sujet agissant de ta phrase et… qu’elle ne fait aucune action. C’est soit « La secrétaire de mairie, une femme d’une cinquantaine d’années qui, à en juger par l’impressionnant bob de cheveux teints en noir qu’elle arborait, n’avait vraisemblablement pas changé de coiffure depuis ses 20 ans en 1960, accueillit Aleph…. » soit « La secrétaire de mairie, était une femme d’une cinquantaine d’années qui, à en juger par l’impressionnant bob de cheveux teints en noir qu’elle arborait, n’avait vraisemblablement pas changé de coiffure depuis ses 20 ans en 1960. Elle accueillit… »
« C’est elle qui avait géré une » → « C’était elle qui avait »
« prestement de sujet.
Dites, je me demandais si quelqu’un ici avait un télex.  » Il manque le tiret de parole
« nouvel ordre étaient un micro-ondes capricieux » → en lisant ça je viens de me rappeler d’un truc… ils n’ont plus d'électricité, du coup… pas de micro-onde. Non ?
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