2 — Le Lycée

Par Rouky

Salle 313

Le Lycée Noirval se dressait à la lisière de la ville, étrange bâtisse aux murs sombres, suintant d'humidité et de silence. Il était connu pour ses longs couloirs labyrinthiques, son architecture désordonnée et ses histoires que les anciens se murmuraient encore à mi-voix. Parmi celles-ci, l’une revenait souvent : celle d’une salle murée depuis des années, effacée des emplois du temps, mais encore visible sur les vieux plans désaffichés à la hâte. Salle 313.

Eve, élève de terminale, avait découvert cette anomalie par hasard. Curieuse de nature, elle s'était plongée dans les archives du lycée pour un exposé sur l'histoire de l'établissement, et était tombée sur un plan d'évacuation étrangement complet. Salle 313 y figurait clairement, coincée entre deux ailes depuis longtemps condamnées. Pourtant, personne ne semblait s'en souvenir. Ni les professeurs, ni les surveillants, ni même le proviseur.

Mais Eve, depuis ce jour, sentait comme un fil invisible tiré à l’intérieur d’elle, une pulsation sourde chaque fois qu’elle approchait du couloir ouest, déserté, où l’on disait que les portes avaient été murées après un incendie. Un matin, alors qu’elle passait devant pour la troisième fois de la semaine, elle remarqua une porte. Grise, ancienne, aux gonds rouillés, battant légèrement sous un courant d’air inexistant. Elle n’était pas là la veille. Elle en était sûre.

Quand elle approcha, des murmures montèrent du bois. Des mots indistincts, des voix jeunes, mêlées à des chuchotements plus graves. Une sueur glacée lui dévala la nuque. Elle posa la main sur la poignée. Elle était tiède.

La porte s’ouvrit.

La pièce était étouffée, plongée dans une pénombre maladive. Les tables étaient renversées, certaines encore clouées au sol comme pour empêcher une fuite. Les vitres étaient noircies, et sur les murs, des traces sombres zébraient le plâtre à la façon d’une bataille ancienne. Du sang, peut-être. Ou quelque chose de pire. Un froid oppressant régnait, comme si l’air avait été oublié ici depuis des années.

Sur le tableau noir, un nom était griffonné en lettres tremblantes. Eve s’approcha. Il y en avait plusieurs. Des dizaines. Certains rayés, d’autres biffés, d’autres encore écrits en double. Et au centre, net, fraîchement inscrit : EVE MARLAUX.

Elle recula. Le sol sembla se dérober sous elle. En sortant, la lumière du couloir lui fit l’effet d’un souffle trop chaud. Tout semblait normal. Trop normal.

Le lendemain, personne ne la salua. Ni sa meilleure amie, ni son professeur de français. Lorsqu’elle parla, ils la regardèrent avec politesse, mais sans reconnaissance. Comme si elle était nouvelle. « Tu es perdue, jeune fille ? » lui demanda un surveillant qu’elle connaissait depuis deux ans.

Chez elle, sa mère fronça les sourcils. « Tu t’appelles comment, ma chérie ? Tu t’es trompée de maison ? »

Eve monta dans sa chambre. Ses posters avaient disparu. Son lit n’était pas fait. Comme si elle ne s’était jamais couchée dedans. Même son chat, d'habitude collé à ses jambes, s'enfuit en feulant dès qu'elle entra.

Le surlendemain, elle retourna au lycée. La porte était toujours là. Elle l’ouvrit. Rien n’avait bougé. Le tableau noir l’attendait, son nom toujours inscrit.

Et dans un coin, une chaise s’était redressée seule.

Ce fut le début d’une lente dégringolade.

Les jours passèrent, Eve devenait une ombre. Les professeurs oubliaient de l'appeler. Aux intercours, les élèves passaient à travers elle comme si elle n'était plus qu'un courant d'air. Sa propre voix se faisait plus faible. Un matin, elle se regarda dans le miroir des toilettes : elle ne se reconnut pas.

Une nuit, elle rêva qu’elle était assise dans la salle 313, avec d’autres élèves sans visages. Ils tournaient la tête vers elle, synchrones. Tous murmuraient son nom.

Quand elle se réveilla, elle était assise sur la chaise de la salle, dans le noir. Elle ne se souvenait pas être venue. La porte avait disparu.

Et sur le tableau noir, les noms s’étaient réorganisés.

Le sien était maintenant en haut de la liste.

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Le Perce Val
Posté le 12/08/2025
RereHello!
J’aime tout autant (voire plus) celle ci! Tu continues dans l’art du détail précis qui devient clé pour l’ambiance, c’est top! En plus la structure est bien plus maîtrisée! Je tiquerais juste sur l’introduction du personnage d’Eve ça fait un poil artificiel, je trouve (mais c’est peut-être dans les codes du genre, aucune idée)
A part ça, un grand bravo à toi, t’en as parcouru du chemin depuis les majuscules aux incises de Pastel (qui, entre parenthèses, réécrit avec une telle maîtrise de la description efficace mêlée à l’intrigue bien construite peut vraiment être super cool)!
À une prochaine (sous un chapitre de Souffleurs ou d’Ossenoir)
Timothée
Rouky
Posté le 12/08/2025
Aaaah ça m'arrive quand je veux aller trop vite dans l'histoire, il m'arrive de bâcler la présentation des personnages ^^
Mais j'avoue que pour Ossenoir c'était surtout l'ambiance que je cherchais, peut-être un peu trop au détriment des personnages...
Ah ah, merci pour ce rappel aux incises !

A très bientôt sous l'une de nos histoires ! ^^
Degmo
Posté le 07/08/2025
Waouh.
Ton texte m’a happée dès la première ligne. L’ambiance est parfaitement maîtrisée — lourde, lente, oppressante, et pourtant fluide. Tu réussis à installer le malaise sans jamais forcer, à travers des détails qui glissent lentement vers l’étrange.

La salle 313 devient presque un personnage à part entière, et le glissement d’Eve vers l’effacement m’a glacée. J’ai adoré ce moment où elle devient une ombre, oubliée peu à peu, jusqu’à ce qu’elle ne se reconnaisse plus elle-même. Il y a quelque chose de profondément troublant dans cette perte d’identité, que tu décris avec beaucoup de finesse et de justesse.

C’est une vraie réussite. Merci pour cette lecture inquiétante mais magnifique — et bravo pour ton style, c’est très bien écrit.
Rouky
Posté le 08/08/2025
Salut ! ^^

Merci beaucoup pour ton commentaire ! Je voulais justement créer une ambiance où la salle devient personnage, alors je suis contente que tu le soulignes !

Merci pour ton passage à Ossenoir ^^
Erwyn
Posté le 16/07/2025
A nouveau, j'aime beaucoup ce chapitre. C'est court et efficace. Je tique juste un peu sur l'expression "une salle emmurée ". J'aurais plutôt parlé de "salle murée" étant donné qu'une salle est, par définition, déjà entourée de murs. A part cela, à nouveau : bravo !
Rouky
Posté le 16/07/2025
Tu as raison pour la salle, je vais rectifier ça ! Merci pour la coquille 😁

J'espère que la suite te plaira tout autant !
Talharr
Posté le 22/06/2025
Bonjour,
Histoire courte qui fonctionne.
Comme on dit la curiosité est un vilain défaut.
Et cette fois ça a été fatale.
Est-ce la première à qui cela est arrivé ? Personne ne s'en souvient :o
Rouky
Posté le 22/06/2025
Rebonjour ! ^^

Ah ah, je laisse ton imagination se poser les questions et supposer sur la chute de cette histoire ;-)
Puisqu'il y a de fortes chances que cette histoire se poursuive plus tard, je ne voudrais pas te spoiler.

A bientôt j'espère ! ^^
Talharr
Posté le 23/06/2025
Ahaa. Hâte d'en connaitre plus ;)

A bientôt.
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