Le Chien du comte de Malebrume
L’enseigne de l’animalerie grinçait doucement dans la brise du matin, comme un gémissement discret. "A nos Amis les Bêtes" — le nom s'était effacé à moitié, rongé par les années, et seul subsistait un sourire peint maladroitement sur la silhouette d’un chien aux yeux trop grands.
Adam Corbeloup passa sous le panneau sans y prêter attention. Il avait hérité de l’animalerie quelques semaines plus tôt, après le décès soudain de son oncle Étienne Serpentier. L’homme était mort dans l’arrière-boutique, seul, effondré entre deux cages délaissées. La boutique était restée fermée depuis, comme figée dans l’attente d’un souffle nouveau.
Adam était citadin, comptable sans passion, et la nouvelle de l’héritage l’avait laissé perplexe. Il n’avait jamais été proche de cet oncle taciturne. Mais le bail était réglé pour un an, et dans un élan de curiosité — ou dépit — il avait quitté son emploi pour tenter l'aventure.
L’intérieur de la boutique avait l’odeur stagnante des lieux oubliés. Paille moisie, bois humide, restes de croquettes. Les cages étaient vides, certaines rouillées, d'autres fermées avec de lourds cadenas. Une volaille peinte dans un cadre doré observait la pièce depuis une étagère haute. Adam prit une inspiration et commença à ranger.
Ce fut au troisième jour qu’il le trouva.
Derriere un rideau de perles ternies menant à l'arrière-salle, dans une pièce étroite et basse de plafond, trônait un chien empaillé. Il était posé sur une vieille table, entre des cartons éventrés et des bocaux poussiéreux. Le pelage du chien — un berger malinois, sans doute — était entièrement noir, ses yeux de verre légèrement brillants, comme s’ils réfléchissaient une lumière invisible.
Adam recula d’un pas, saisi par un malaise qu’il ne s’expliquait pas. Il observa l’animal sans oser l’approcher. Le chien semblait sur le point de se lever. Sa posture était tendue, les muscles figés dans une alerte permanente, et son museau était légèrement retroussé, comme pour découvrir des crocs absents.
Il voulut s'en débarrasser, mais l'idée même de le toucher provoquait chez lui une répulsion physique. Alors il referma la porte de l'arrière-boutique, et n'y pensa plus. Quelques jours plus tard, un client franchit le seuil de l’animalerie. Un homme grand, maigre, au manteau trop long pour la saison. Il flâna dans les allées, les mains croisées dans le dos.
— Vous avez encore des animaux ?
— Pas encore, non. Je rouvre doucement.
L’homme hocha la tête, l'air absent, puis demanda soudain s’il pouvait visiter l'arrière-salle.
Adam hésita. Puis il l'y mena.
Quand le regard de l’homme se posa sur le chien empaillé, il sourit.
— Il appartenait au comte, n’est-ce pas ?
— Quel comte ?
— Eh bien, le comte de Malebrume ! Paraît qu’il emmenait son chien partout, et que cette bête chassait autant les animaux que les hommes !
— J’ignore tout de cette histoire. Le chien était là quand je suis arrivé. Vous le voulez ?
Le client haussa les épaules.
— Pourquoi pas.
Il le porta sans effort, comme s’il était creux, et disparut dans la rue.
Adam ne pensa plus au chien jusqu'au lendemain, lorsqu'on tambourina à la porte avant l’ouverture. C'était le même homme, mais ses yeux avaient changé. Rougis, fuyants. Il déposait le chien sur le paillasson, comme un colis indésirable.
— Il parle, dit-il simplement. Il m’a parlé cette nuit.
Adam resta muet.
— Des mots étouffés. Des murmures, juste derrière moi. Et quand je me retournais, il était là. Figé. Mais plus proche.
Puis il s'en alla, vite, sans se retourner.
Le chien retrouva sa place dans l’arrière-salle. Adam ferma la porte à clé. Et pourtant, deux jours plus tard, il le retrouva devant la cage des lapins, au fond de la boutique.
Il blâma sa mémoire. Ou le vent. Ou un plaisantin. Mais le soir venu, il eut du mal à trouver le sommeil.
Ce fut la première nuit où il les entendit.
Des mots. Bas. Chuchotés dans un souffle râpeux, indistincts. Quand il allumait la lumière, rien. Le silence. Le chien toujours là, figé, immobile.
Les jours suivants, il tenta de l’ignorer. Mais les murmures s’intensifiaient. Et certaines nuits, il lui semblait que l'odeur de paille humide laissait place à quelque chose de plus fétide, plus ancien.
Le soir de la pleine lune, il se leva en sursaut, le coeur battant. La porte de l’arrière-boutique battait légèrement. Il descendit, lentement, chaque marche gémissant sous ses pieds.
La pièce était vide. Le chien avait disparu.
Il appela, sans savoir pourquoi. Puis il se mit à rire, un rire nerveux, creux, étouffé.
Au matin, les journaux parlèrent d’un homme retrouvé mort dans son appartement, des morsures sanglantes sur tout le corps. Aucune trace d’effraction. Juste des poils noirs sur le plancher.
Adam ne rit plus jamais après cela.
J’ai donc lu cette première micro nouvelle et je trouve qu’il y a un vrai saut qualitatif dans le style par rapport à Pastel. Tu instaures un climat anxiogène sans forcer, sans artifices visibles et les détails sont bien décrits. J’ai trouvé, par exemple, la description du chien empaillé particulièrement réussie.
J’ai vu que ça revenait souvent en commentaires mais je trouve effectivement que la fin se réduit un peu vite. L’idée d’incomplétude en soi ne me dérange pas, ça donne envie de lire la suite (foutue micro frustration positive(je crois que je viens d’inventer un concept 😅(et d’incorporer trois parenthèses les unes dans les autres😂))) Je pense qu’étirer un peu le moment où il est en tension pour arriver sur la même fin n’est pas une mauvaise idée. Juste un autre petit détail: le « il la découvrit le troisième jour » alors que juste avant tu décris le moment précis où Adam passe le portail me parait un peu étrange. Ça mériterait d’être mieux amené, selon moi…
Merci pour cette sympathique lecture je lis la deuxième nouvelle maintenant… (Looking forward to it👀)
Bon, je vais devoir m'occuper de cette fin qui paraît trop soudain ah ah ! Autant de commentaires qui relèvent ça, c'est que je dois vraiment réécrire !
Ce qui est mieux avec ce genre d'histoires, c'est qu'elle est encore plus courte que Pastel (j'aime le raccourci du titre que tu as fait ;-) ). Du coup les descriptions sont moins nombreuses, plus efficaces.
Désolée pour la micro frustration positive ah ah ! Merci pour le dernier détail, je penserai à y remédier quand je reviendrai sur cette histoire ;-)
Ton premier chapitre m’a happée dès les premières lignes. Il y a dans ton écriture une maîtrise subtile de l’atmosphère : tout est feutré, lentement inquiétant, comme un brouillard qui se densifie sans jamais forcer le trait. On est dans une horreur “calme”, presque intime, et c’est ce qui la rend si efficace.
J’ai beaucoup aimé le personnage d’Adam, cet homme un peu à côté de sa propre vie, parachuté dans un univers dont il ignore tout. Et ce chien… Quelle trouvaille ! Son immobilité est presque plus terrifiante que s’il était en mouvement. Tu arrives à rendre glaçant un simple regard de verre, un silence, un frôlement de voix – et ça, c’est fort.
La montée en tension est très bien gérée : les détails étranges s’accumulent doucement, et quand l’horreur surgit, elle semble à la fois inévitable et incompréhensible. Le tout sans surenchère, dans un style fluide, précis et très visuel.
Bref, une vraie réussite pour une entrée en matière !
Je suis curieuse (et un peu inquiète 😅) de découvrir ce qui se cache derrière ce “comte de Malebrume”… et ce que le chien va encore murmurer dans le noir.
Merci pour cette lecture glaçante – et bravo ! 👏
Merci beaucoup pour ton commentaire, ce retour fait plaisir à lire ! J'espère que la suite saura tout autant t'effrayer ;-)
Bienvenue à Ossenoir, et je t'invite à te diriger vers le lycée pour la suite de ta visite ^^ (le chapitre 2 ah ah ! )
Il y a déjà pas mal de commentaires qui vont dans ce sens mais je me joins à eux pour te dire que j'aime beaucoup ta plume, tu arrives bien à capter l'attention avec une vraie mise en scène et en posant une ambiance pesante à laquelle l'on accroche rapidement. Je reste peut-être un peu sur ma faim concernant le dénouement de la nouvelle, on aimerait en savoir plus sur le chien et pourquoi pas suivre la descente psychologique d'Adam qui a peur qu'il revienne. En tout cas j'aime beaucoup l'idée d'un recueil de nouvelles horrifiques basées sur une ville que l'on visite progressivement. Hâte de m'y perdre.
Scrib.
Merci pour ton commentaire ! Alors bienvenue à Ossenoir, et j'espère que la suite te plaira tout autant !
Ah ah il y a bien un élément sur lequel j'aimerai rebondir dans ton commentaire, mais comme je ne veux pas spoiler je vais me retenir !
Alors peut-être à bientôt ! ^^
Merci pour ton commentaire il fait très plaisir ! Oui, l'ambiance de ce premier chapitre est le point de départ d'ambiance pour tous les autres, donc ça devrait persister ^^
Et pour le coup j'ai trouvé ça très frustrant (dans le bon sens !) que l'histoire reste suspendue sur la fin. Ca me donne envie de continuer ma lecture :)
Merci pour ton commentaire, il fait très plaisir ! Je trouvais justement ça amusant et un bon challenge de créer une histoire à travers pleines de petites histoires, alors je suis contente qu'Ossenoire plaise !😁
Merci pour ton commentaire, il est très encourageant !
Merci de ton passage ici ! J'espère que la ville d'Ossenoir saura te faire frissonner en t'escortant d'un endroit à l'autre ^^
Ah et merci pour la remarque sur Chair de Poule, je voulais justement une ambiance spooky ! :-)
Vraiment très chouette, c'est fluide et bien écrit. J'ai été happée du début à la fin, j'aurai aimé avoir une suite !
Contrairement aux commentaires en dessous j'ai pas eux cette impression d'incomplétude. je trouve que c’est une bonne chose de finir sur un point aussi marquant
Merci beaucoup pour ton commentaire, il me rassure ! :-)
J'espère que la suite te plaira tout autant ^^
J'aime bien le style d'écriture, mais l'histoire me donne l'impression d'être incomplète. Je remarque que l'espace devant le point d'interrogation n'est pas systématiquement insécable. Ça porte à conséquence une fois. Pour corriger cela, alt+0160.
À bientôt!
Merci pour ton passage ici, et merci pour le conseil sur le ?, je ne savais pas ! Cette histoire n'est qu'une courte nouvelle qui constitue l'ensemble de l'œuvre, c'est peut-être pour ça qu'elle donne cet aspect incomplet ^^
Il peut y avoir un chevauchement de quelques mots entre les différentes parties (je peux ne pas identifier la fin de l'introduction au même point que toi, par exemple), mais l'essentiel est là. Dans le cas présent, on sort de l'introduction quand le client revient avec le chien empaillé parce que c'est le moment où l'on quitte le statu quo pour entrer dans l'étrange et l'inquiétant.
À bientôt!
Bravo pour ce chapitre , j'aime beaucoup ta façon de décrire des lieux et des ambiances , cela parle tout de suite , le nom de famille des personnages aussi en rapport avec les animaux et leurs caractères. Tu arrives tout de suite à mettre des éléments qui font réfléchir à la suite : le comte c'est l'oncle ? C'est le chien qui est responsable du meurtre ? Le seul petit truc que j'aurai peut être aimé c'est comprendre pourquoi le client a tout de suite identifié le chien comme appartenant au comte, était-il connu ? Pour quels raisons ? En tout cas je lirai la suite avec plaisir .
Bonne continuation
Ah ah, contente que tu ais relevé les noms de famille ! Pour l'instant cette œuvre va surtout se composer d'un recueil de nouvelles horrifiques, mais en effet un certain fil rouge les maintient ensemble, donc je ne peux pas trop te donner d'informations pour le moment ^^
J'espère que la suite te plaira tout autant :-)
Ton histoire est vraiment prenante.
Petite suggestion, peut-être enlevé de "Mais au matin" et mettre seulement "Au matin", qu'en dis-tu ?
En tout cas je verrais pas de la même manière les animaux empaillés :')
As-tu prévu des histoires plus longues ?
Oui c'est vrai que ta suggestion orthographique est mieux, je vais la changer, merci ! :-)
L'œuvre est un recueil de nouvelles horrifiques, donc pour le moment ça devrait rester court ! ^^