— Jules, encore toi.
Le regard rivé sur le bureau et en boule sous la couette, j'apprends de mon rêve. Jules... Ce garçon qui ne me laissait pas indifférente lorsque j'était lycéenne et que je n'avais jamais osé abordé, s'était invité dans mon rêve. Comme à chaque fois ! Ce n'est pas anodin. Jules était et sera pour toujours le miroir de mes regrets. Le premier d'une longue liste. Jules est la matérialisation de mes angoisses, de mon stresse, de ma frustration.
Le décor a beau changer, nous sommes toujours séparés par la barrière de mes peurs. Nous savons, dans ce rêve, que nous sommes fait l'un pour l'autre, nos longs regards, nos gestes, nos paroles. Nous nous rapprochons toujours plus près, mais je me réveille avant que nous ayons pu nous embrasser. Il m'est retiré et quand j'ouvre les yeux, je reste frustré pour le restant de la journée. Jules ! Il me prévient de ne pas faire les mêmes erreurs.
Il y a un mois, j'ai rompu avec Bénédict et ais lâché mon travail, pour reprendre une ancienne relation toxique avec ma passion : l'écriture. Il se trouve qu'hier dans un élan de colère, j'ai déchiré le carnet dans lequel je construisais le dernier chapitre. Je me suis couchée avec l'impression de n'être rien de plus qu'une folle courant après un rêve déjà enterré deux fois. Tout abandonner à nouveau ! Dans la soirée, j'ai cherché un boulot sur les petites annonces. J'avoue avoir pleuré inutilement et nerveusement. L'impression d'un nouvel échec me torturait l'esprit.
Si Jules a fait le pied de grue dans ma caboche, ce n'est pas pour rien.
Maintenant, affalée dans mon lit, au fond de ma chambre d'enfant, d'ado et d'adulte, je ne sais que faire. Où dois-je aller ? Quel chemin poursuivre et pour se rendre à quel événement ? Serai-je un jour débarrassée de toutes ces questions existentielles ou me mangeront-elles ? Quels sons produiront mes os ?
— Lève-toi ! hurle Nyseila. Tu dois poursuivre notre récit. Tu as promis de t'accrocher cette fois-ci.
— Je promets bien des choses. J'avais juré à Béné qu'on serait ensemble pour l'éternité. Résulta, je l'ai libéré et il n'en tient pas large d'après ce que je sais. Je suis une menteuse. Je mens.
— Tu es une artiste, tu doutes, c'est la première règle quand on marche sur ce chemin : Le doute est permis. Il vous suivra comme le plus fidèle de vos chiens. Tu dois accéder à notre rêve.
— Sinon quoi ? Qu'arrivera-t-il ?
— Je ne sais pas... Et je ne désire pas le savoir.
Je me recroqueville , reste prisonnière de ma propre chaleur. Ne pas bouger. Garder la pause. Peut-être arrêter de respirer. Une larme roule sur ma joue, une autre plonge sur l'arête de mon nez. Mon oreiller se mouille. Le silence règne. Personne ne viendra me redresser, pourtant, j'entends la porte s'ouvrir et je sens la truffe humide de Rouja, mon cané corso de treize ans. Mon bébé long-patte. Il lèche le bout de mon nez, et monte sur mon lit. Avec attention, Rouja se place derrière moi, pose sa tête sur mon visage et la frotte. L'ami attentionné. L'ami de toute une vie. L'être le plus parfait de l'univers. Que susurre-t-il à mon oreille ? Le serai-je un jour ? Des encouragements ? Son amour surdimensionné ?
Je me tourne et enfonce mon visage entre ses pattes, aspire son odeur d'herbe et de sève. Il sent la colline.
— Et si on allait promener ? dis-je.
Rouja comprend. Il se redresse et commence à jouer des percussions sur le mur. Mon lit devient un trampoline. Il saute, je le suis, ma couette m'enveloppe encore, elle ne veut pas que je parte. Nyseila tire dessus, et la laisse s'échouer sur la parquée.
— Après la balade, au boulot, ma fille, m'informe-t-elle.
Je soupire. Elle fonce sur moi, pose ses mains sur mes épaules, ses yeux vert forêt s'ancre dans les miens.
— Pas de bêtise. Ne te défile pas. Sinon, nous n'arriverons à rien.
Je hoche la tête, comme une enfant docile. Nyseila ne me lâchera pas. Elle me forcera à aller jusqu'au bout. De quoi ? Nous ne les avons pas encore.
Devant le miroir de la douche, j'observe mon double, celui à qui il manque la voix, celui bloqué de l'autre côté du monde des envers. À quoi ressemble sa vie, des que nous nous quittons ? Que fait-il lui ? Où va-t-il ?
Habillée, je revois le visage de Jules, me demande si nous nous croiserons à nouveau, ce soir. Rouja mâchouille mes doigts. L'idée d'une balade l'excite. J'avale une gorgée de jus aux raisins, puis disparais du salon. La porte d'entrée se ferme derrière nous. Mon cœur s'affole. J'attrape la laisse. Mon cœur se relaxe.
La colline...
Ce moment privilégié entre moi et mon envie profonde de devenir un roi du monde.
— Allez ! On y va.
Nous marchons, le long de la ruelle, saluons les voisins, puis poursuivons jusqu'au grand portail vert. La porte de la sérénité, du sanctuaire des âmes solitaire. Le bois ! Son parfum me colle l'esprit. Niseyla ne se tient plus. Elle vogue entre les pins et les chardons. Rouja la rejoint, et enfin, bifurque vers des amis chiens.
Je m'avance à mon tour. Laisse mes soucis en suspend.