Katy fut jetée dans un fourgon puant au milieu de domestiques terrifiés. Ils la reconnurent, mais ils n’esquissèrent pas un geste pour l’aider ou la réconforter.
De toute façon, elle ne pouvait pas être réconfortée.
La fillette était secouée par de douloureux sanglots, ponctués de quelques cris. Elle n’était pas la seule, les Amaryens balançaient sans cesse des personnes paralysées par la peur dans le noir presque total du fourgon. Mais les pleurs n’étaient pas si nombreux. La plupart des prisonniers fixaient le mur en face d’eux d’un air absent.
D’horribles images et sons harcelaient Katy : le corps déchiqueté d’Onetto, le couteau en sang, les appels au secours de son frère, l’explosion du laboratoire.
Elle ne savait plus où donner de la tête.
C’était un cauchemar. Un horrible cauchemar.
Mais plus elle se disait ça, moins elle y croyait.
Noyée ainsi dans sa propre souffrance, elle ne remarqua pas que le véhicule s’ébranlait et partait vers l’ancienne ligne de front.
Elle réalisa après un temps qu’ils s’étaient mis en route. Le trajet fut long, ou court, elle ne savait pas trop. Elle fixait la lumière fragile qui s’échappait par l’interstice des portes fermées. Le manoir se trouvait derrière, elle le sentait. Mais loin, sans doute. Trop loin. Puis, le filet de lumière se transforma en torrent alors que les portes métalliques s’ouvraient en grinçant.
Un soldat Amaryen prit un prisonnier et l’emmena à l’intérieur d’une cabane de fortune. Autour de la bâtisse, s’étendait à perte de vue un paysage de désolation. La terre était retournée, et des cadavres d’humains, d’animaux ou d’autres choses indéfinissables jonchaient le sol. Mais Katy, qui croyait à cet instant que sa tête allait exploser, ne remarqua rien.
Jusqu’à ce qu’un affreux cri résonne dans le calme des lieux. Tous les prisonniers sursautèrent, y compris la fillette.
Au début, c’était un cri d’humain normal, puis, en quelques secondes, il se transforma en une plainte informe, inhumaine, qui se termina dans un gargouillement. De la fumée sortait de la cheminée de la cabane.
Katy sentit la peur l’étreindre, elle se demanda un instant ce qui se passait.
Puis se rappela.
On racontait, mais ce n’était qu’une rumeur, qu’une fois capturés, les prisonniers des Amaryens avaient les cordes vocales brûlées et devenaient des Muets. Ils étaient ensuite vendus comme des esclaves discrets et agréables. S’ils survivaient à la mutilation.
Toutes les personnes dans le fourgon semblèrent arriver à la même conclusion, la même expression horrifiée s’empara de tous les visages.
Leur fourgon était gardé par un soldat, un autre emmenait les malheureux prisonniers dans la cabane. De l’autre côté, un véhicule semblable qui attendait.
Lorsqu’il revint, celle qu’il emmenait tenta de se débattre, mais il lui donna un coup violent qui l’assomma à moitié.
Ce manège macabre continua ainsi pendant de longues minutes, un prisonnier était tiré de force dans la cabane, puis on entendait un cri, au début normal, qui finissait en gargouillement.
La terreur paralysait les Alyciens.
Puis vint le tour de Katy.
Comme quelques heures auparavant, elle se débattit furieusement, mais en vain.
On la fit entrer de force dans la cabane, elle pleurait et hurlait.
On l’installa sur un siège, on lui attacha les poignets et la tête pour qu’elle ne puisse pas bouger. La pièce était uniquement éclairée par un feu, entouré d’une cheminée bardée d’outillages. L’Amaryen qui s’occupait des flammes avait le visage couvert de suie, il darda sur Katy deux petits yeux chafouins, tout en faisant quelques commentaires dans sa langue à l’autre soldat. Sa main tenait un bâton de métal dont la pointe était enfoncée dans les braises.
Lorsqu’il estima que son instrument avait assez réchauffé, il le retira du feu. La fillette secoua vivement la tête à la vue du métal chauffé à blanc. Le bâton était en réalité un bras articulé dont la tête sculptée ressemblait à une pince. L’Amaryen s’approcha, ses prunelles vicieuses renvoyaient la lueur de l’outil incandescent. Katy battit des pieds comme pour s’enfuir.
Lorsque la pince s’enfonça profondément dans sa gorge, elle déglutit violemment, son estomac se souleva avec de douloureux soubresaut. La fillette éructa, la douleur lui déchirait la gorge et la bouche, elle se secoua dans tous les sens, voulant hurler, supplier que la douleur s’arrête. Le tortionnaire actionna brièvement la pince avant de retirer l’outil de sa bouche martyrisée. Un bout de tissu calciné y pendait.
Un filet de sang se glissa entre la commissure de ses lèvres. Elle voulut tousser, mais elle n’en avait pas la force.
Le soldat la prit par le bras, et posa dessus un fer chauffé à blanc, la marquant ainsi d’un M indélébile.
Katy cria.
Ou plutôt elle essayait de crier, mais sa bouche ne produisit aucun son, seulement une douleur encore plus grande.
Elle était Muette.
Quand on la poussa à l’intérieur du deuxième fourgon, elle remarqua avec surprise qu’elle y était seule.
Où étaient passées les personnes avant elle ?
Lentement, le véhicule se remplit de prisonniers, les « chanceux » qui avaient survécus.
Puis il se mit en route.
Katy avait enterré son regard dans ses genoux recroquevillés, une main palpant sans cesse sa gorge comme pour y trouver des réponses. Le voyage sembla durer une éternité. Dans cet endroit sombre et puant, il était très facile de raviver ses souvenirs heureux, qui lui semblaient tout d’un coup beaucoup plus lointains.
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— Bouahhh ! J’aime pas la soupe, pleurait Timmy, c’est pas bon !
— Faites au moins l’effort de la gouter, proposa Onetto découragé, j’ai essayé une nouvelle recette pour que vous aimiez.
Katy regarda son assiette. Elle non plus n’aimait pas la soupe, mais elle ne voulait pas se comporter comme Timmy. Elle jeta un coup d’œil au visage déçu du valet de sa mère. Il avait dû se démener pour trouver une recette qui serait susceptible de leur plaire, il ne méritait pas qu’on gâche ses efforts.
Prenant son courage à deux mains, Katy avala la moitié de la soupe, après tout, elle n’était pas si mauvaise que ça. Elle fut récompensée par le sourire soulagé d’Onetto, alors que Timmy n’avait toujours pas goûté.
En voyant sa soeur, il finit par accepter d’en boire.
Katy rougit sous les regards fiers de ses parents.
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Le véhicule s’était immobilisé. Tous ses passagers frissonnèrent d’effroi. Lorsque les portes s’ouvrirent, ils se tassèrent dans le fond.
L’Amaryen qui se tenait devant eux eut un regard de profond mépris. Puis, aussi vif qu’un serpent, il attrapa Katy par le bras et la tira à l’intérieur d’un grand bâtiment de pierre. Cette fois, elle ne résista pas, amorphe.
Elle fut amenée dans une petite pièce embuée par la vapeur d’eau. Deux femmes à la mine indifférente la déshabillèrent promptement, et la poussèrent dans l’eau bouillante.
Katy crut un instant qu’on voulait la cuire, mais elle fut savonnée avec vigueur. On la… lavait ?
Après le bain, ses cheveux furent peignés et coiffés en chignon strict, puis elle passa dans une autre salle où on l’habilla. Partout autour d’elle, des Alyciens se faisaient soigner, coiffer et habiller, tout cela dans un silence angoissant pour les uns, affairé pour les Amaryennes. La robe qu’on lui avait mise était grise et rêche, mais elle avait le mérite d’être propre. Elle portait aux pieds des sabots de bois très inconfortables.
Dans la dernière pièce, occupée par ce qui était vraisemblablement une doctoresse, on passa un baume sur sa brûlure et ses hématomes. Malgré le fait qu’elle la soignait, elle faisait peur à Katy. Comme si sa patiente n’en était pas vraiment une. Comme si elle n’était pas vraiment là.
Pour finir, le médecin approcha de ses lèvres un tube relié à un tuyau.
Katy eut un mouvement de recul. On lui mit l’engin dans la bouche, un doux gel coula dans sa gorge, atténuant sa douleur.
La fillette fut ensuite emmenée dans une salle plus grande, où des dizaines de Muets attendaient, assis bien sagement. Elle fut placée entre deux garçons livides un peu plus âgés qu’elle.
Là commença une attente insupportable.
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Une petite araignée mécanique se déploya dans les mains de Katy. La fillette écarquilla les yeux quand l’animal de métal se mit sur ses pattes pour escalader son bras et venir jusqu’à son épaule.
— C’est le présent de Théodorus, indiqua Anodetta qui rangeait déjà distraitement les papiers cadeaux répandu sur le parquet.
— M. Du Homard-Poisson-Chien ?
— Haha, oui c’est ça !
— Elle fait peur ! pleurnicha Timmy qui avait reçu la même.
Il se mit à secouer le bras, et avant que sa mère ne puisse l’avertir, il envoya l’automate s’écraser contre le mur.
— T’as cassé ton cadeau ! s’écria sa sœur, indignée.
Le bambin commença à pleurer devant la grimace houleuse de sa mère. La scientifique alla chercher la petite araignée dont une des pattes remuait encore tandis qu’Onetto se chargeait de le calmer.
— Tu peux la soigner ? demanda Katy qui serrait la sienne contre sa poitrine.
— Peut-être, il faudrait que je demande à Théodorus.
— Il ne peut pas venir ?
— Non, tu sais bien, la guerre…
— Je sais, coupa sa fille.
Elle fit un bisou à son cadeau.
— Moi je m’en occuperai bien ! Et j’adopterai l’autre si tu la soignes !
Anodetta sourit et lui ébouriffa les cheveux.
— C’est bien, je suis fière de toi.
Sur le visage de la fillette émergea un grand sourire.
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Katy sursauta quand on lui toucha soudain le bras. C’était un Amaryen. Il se saisit d’elle et l’emmena sur une scène immense.
Ils se tenaient tous les deux devant une assemblée de riches personnes dans un amphithéâtre fermé. La fillette sentit sur elle une nuée de regards intéressés, elle eut de nouveau envie de pleurer.
Un homme se tenait à côté d’elle, impeccable dans son smoking ; il parlait à son public avec des gestes éloquents dans sa direction, en amaryen, un grand sourire aux lèvres.
Puis, un spectateur leva la main et dit quelque chose, reprit par une femme tartinée de maquillage. Finalement ce fut le premier qui sembla avoir le dernier mot, car l’homme sur la scène tapa avec un petit marteau de bois sur son comptoir.
Il se tourna alors vers Katy et lui dit :
— Félicitations, petite, tu viens d’être vendue.
A bientôt
désolée pour ma (très) longue absence...
Ton histoire me plait toujours autant !
Quelques coquilles mais j'aime beaucoup ton style.
A bientôt!
Ne t'excuses pas, tu vas à ton rythme :)
Merci beaucoup !
Chapitre 1
- qu’elles avaient pensé (à ?) la même chose.
- Il s’étaient proches (ils étaient)
Chapitre 2
- De l’autre côté, un véhicule semblable qui (les ?) attendait.
- son estomac se souleva avec de douloureux soubresaut (soubresauts)
J'aime beaucoup l'alternance souvenirs joyeux et retour brutal à la réalité, ça me donne l'impression que Katy est en état de choc et qu'elle ne réalise pas vraiment ce qui lui arrive, un peu comme si elle regardait ça de loin, en se laissant faire. J'ai juste été un peu gêné par "une assemblée de riches personnes", j'aurais peut-être aimé que tu décrives un peu pourquoi ils ont l'air riches plutôt que de simplement balancer l'information comme ça... En fait c'est le contraste entre la perception que j'ai de la scène (vente d'une fillette mutilée traumatisée à un marché d'esclaves, donc une scène importante et choquante) et la description qui en est faite (lapidaire, elle pourrait être en train de faire les courses en fait x)) qui me gêne je pense. Cela dit, c'est tout à fait cohérent si c'est pour souligner le fait qu'elle est toujours en état de choc et qu'elle est pas vraiment là, mais à ce moment-là, j'aurais aimé en avoir une indication pour que la scène soit plus fluide ^_^
Sinon c'est toujours aussi cool à lire, je vais continuer et je laisse mes habituelles remarques :
- « De l’autre côté, un véhicule semblable qui attendait. » j’aurais pas mis de « qui » ici
- « de douloureux soubresaut » soubresauts
- « qui avaient survécus. » survécu
- « l’effort de la gouter » c’est correct d’écrire goûter sans accent circonflexe, mais tu en as mis un à la fin du même paragraphe
- « coiffés en chignon strict » j’aurais dit « en un chignon strict »
- « les papiers cadeaux répandu » répandus
- « M. Du » on ne met généralement pas de majuscule aux particules (je crois ?)